14.

La foule se pressait devant l’estrade. Langdon surveillait le compteur qui s’affolait.

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Le brouhaha était assourdissant. Tout le monde trépignait d’impatience, passant un dernier appel, un dernier tweet pour informer son réseau.

Un technicien vint au pupitre et brancha le microphone.

— Mesdames et messieurs, nous vous demandons d’éteindre vos portables et tablettes. Nous allons bloquer toutes les communications wifi et cellulaires pendant la durée de la présentation.

Ceux qui avaient encore leur smartphone à l’oreille virent leur conversation brusquement interrompue. Ils regardèrent leur écran avec stupéfaction. Encore une prouesse technologique du grand Edmond Kirsch.

À peine cinq cents dollars dans n’importe quel magasin d’électronique ! songea Langdon.

Comme beaucoup de ses collègues, lui aussi utilisait un brouilleur pendant ses cours pour que ses étudiants lâchent leur téléphone.

Un autre technicien s’installa, avec une grosse caméra sur l’épaule, qu’il braqua vers l’estrade. Les lumières diminuèrent.

Sur l’écran géant, on pouvait lire :

Transmission dans 38 secondes
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Le nombre d’internautes grimpait plus vite que la dette nationale. Près de trois millions de spectateurs en ligne simultanément, assis tranquillement devant leur ordinateur pour assister à cette conférence ?

— Trente secondes, annonça-t-on.

Une petite porte s’ouvrit dans le mur du fond. Tout le monde se tut. L’entrée en scène du grand gourou !

Mais point d’Edmond.

La porte resta ouverte un moment.

Puis une femme élégante apparut. Elle était d’une beauté saisissante — grande et mince, avec de longs cheveux bruns — et portait une robe blanche ajustée, barrée d’une écharpe noire. Elle semblait à peine toucher le sol quand elle s’avança sur la scène. Elle régla le micro, prit une longue inspiration, et contempla la foule avec un sourire tranquille en attendant la fin du compte à rebours.

Transmission dans 10 secondes

La jeune femme ferma les yeux un moment pour se concentrer, puis les rouvrit. Une icône pleine de grâce.

Le cameraman leva la main et, les cinq doigts tendus, commença le décompte.

Quatre, trois, deux…

Le silence tomba dans la salle. À l’écran, les compteurs disparurent au profit du visage de la jeune femme. Elle parcourut l’assistance de ses yeux sombres, et repoussa d’un geste délicat une mèche rebelle.

— Bonsoir, tout le monde, dit-elle d’une voix mélodieuse avec une pointe d’accent espagnol. Je suis Ambra Vidal.

Une salve d’applaudissements retentit, accompagnée de vivats. Visiblement, elle n’était pas une inconnue.

¡ Felicidades, Ambra ! cria quelqu’un.

La femme rougit. Langdon était un peu perdu. À l’évidence, il lui manquait des infos…

— Comme vous le savez, reprit-elle, je suis depuis cinq ans la directrice du musée Guggenheim de Bilbao et suis très heureuse de vous accueillir ce soir pour cet événement exceptionnel organisé par un homme tout aussi exceptionnel.

Tout le monde applaudit de nouveau. Cette fois, Langdon se joignit aux autres.

— Edmond Kirsch est non seulement un généreux donateur du musée, mais il est devenu un ami très cher. C’est un privilège et un honneur pour moi d’avoir pu travailler avec lui ces derniers mois pour que cette soirée puisse voir le jour. La blogosphère et les réseaux sociaux ne parlent que de cela, ce soir ! Edmond Kirsch s’apprête à présenter une grande découverte scientifique, une révélation dont le monde se souviendra longtemps et qui le transformera à jamais.

Une rumeur d’excitation résonna dans la salle.

La femme esquissa un sourire malicieux.

— Évidemment, j’ai supplié Edmond de me dire de quoi il s’agissait, mais il n’a rien voulu lâcher.

Des rires fusèrent.

— Cette présentation sera faite en anglais, la langue natale d’Edmond Kirsch, mais pour nos spectateurs en ligne une traduction en temps réel dans vingt langues est disponible.

Il y eut un fondu à l’image.

— Pour ceux qui douteraient encore de l’assurance d’Edmond concernant la validité de ses travaux, voici, à l’écran, le communiqué de presse qui vient d’être publié sur tous les médias du monde il y a un quart d’heure :

Ce soir à 20 heures, en direct de Bilbao,

le futurologue Edmond Kirsch va annoncer une découverte

qui va changer la face du monde.

Voilà comment on s’assure trois millions de connexions simultanées ! pensa Langdon.

Alors qu’il reportait son attention sur la scène, il repéra deux gardes en faction de part et d’autre de l’estrade qui scrutaient la foule. Il les avait déjà vus un peu plus tôt. Mais cette fois, il remarqua le monogramme qui ornait leurs vestes. GR.

La Guardia Real ? Qu’est-ce qu’elle fait là ?

Aucun membre de la famille royale n’était présent. En catholiques traditionalistes, ils ne risquaient pas d’assister à la conférence d’un athée impénitent comme Edmond Kirsch.

L’Espagne était une monarchie constitutionnelle. Le roi avait des pouvoirs limités, mais il avait toujours une grande influence sur le peuple. Pour des millions d’Espagnols, la couronne restait l’héritière de los reyes católicos et le symbole de l’âge d’or de l’Espagne. Le Palais royal de Madrid était toujours un haut lieu spirituel, le mémorial d’une longue tradition religieuse.

En Espagne, on avait coutume de dire : « Le parlement légifère mais le roi règne. » Depuis des siècles, les rois qui présidaient aux affaires diplomatiques du pays étaient des catholiques conservateurs.

Et le roi actuel ne fait pas exception à la règle, se rappela Langdon.

Ces derniers mois, on disait le vieux monarque mourant. La nation se préparait à le voir abdiquer au profit de son fils unique, Julián. On ne savait pas grand-chose sur le prince. La presse rapportait qu’il avait grandi à l’ombre de son père. Tout le pays se demandait quel roi il ferait.

Le prince Julián aurait-il envoyé des agents de la Guardia pour surveiller la soirée d’Edmond ? s’étonna Langdon.

Les menaces de Valdespino lui revinrent brièvement en mémoire, mais elles furent vite chassées par l’atmosphère de la salle, joyeuse et bon enfant. Et puis Edmond lui avait affirmé que, ce soir, la sécurité était optimale. Ces agents de la Guardia Real n’étaient peut-être qu’une protection de plus dans le dispositif.

— Ceux qui connaissent notre hôte et son sens inné de la dramaturgie, poursuivit Ambra Vidal, se doutent bien qu’Edmond ne compte pas nous laisser dans cette pièce vide.

Elle désigna deux grandes portes au fond de la salle.

— Derrière ces battants, Edmond a conçu un « espace expérientiel » pour faire sa présentation mondiale. Elle va être animée par une batterie d’ordinateurs et diffusée en streaming à travers toute la planète. (Elle marqua une pause pour consulter sa montre.) Le timing de cette soirée est très précis. Edmond voudrait que nous soyons tous dans cette salle à 20 h 15. C’est-à-dire dans trois minutes. Il est donc grand temps de nous y rendre. Allons découvrir, mesdames et messieurs, la surprise qu’Edmond Kirsch nous réserve.

Les doubles portes s’ouvrirent.

Langdon s’attendait à apercevoir une autre galerie. Mais contre toute attente, un tunnel obscur s’offrit à son regard.

*

L’amiral Ávila laissa passer le gros de la foule qui se pressait avec excitation vers les portes. Il faisait sombre de l’autre côté. Parfait.

Cela me facilitera la tâche !

Il toucha le rosaire dans sa poche, se remémorant ses instructions.

Il n’y aurait pas de deuxième chance.

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