27.

Tout en surveillant du coin de l’œil Fonseca, qui s’évertuait à joindre quelqu’un chez Uber, Langdon s’approcha du pupitre. Pendant ce temps, Ambra se dirigeait vers le milieu du dôme tout en parlant au téléphone — du moins faisait-elle semblant, conformément à ses instructions.

Dites à Fonseca que vous avez décidé de rappeler le prince Julián.

À contrecœur, Langdon contempla le corps qui gisait au sol. Edmond… Il tira doucement la couverture. Les yeux n’étaient plus que deux fentes noires sous le front maculé de sang. Il réprima un frisson et sentit la colère s’emparer de lui.

Il repensa à l’étudiant chevelu qui avait suivi ses cours, plein d’espoir et de talent. Et qui avait accompli tant de choses, en si peu de temps. Mais ce soir, quelqu’un l’avait assassiné — pour que le monde n’apprenne jamais ce qu’il avait découvert.

Pas question qu’Edmond ait fait tout ça pour rien.

En se cachant derrière le pupitre, Langdon s’agenouilla auprès de la dépouille. Il ferma les paupières de son ami, lui joignit les mains sur la poitrine, et feignit de prier.

Une prière pour un athée ! Cette image le fit sourire.

Edmond, je fais semblant, ne vous inquiétez pas.

Il se pencha au-dessus du mort.

Je vous ai dit que vous n’aviez rien à craindre de l’archevêque. Mais je me suis peut-être trompé…

Il chassa cette idée de son esprit.

Une fois certain que Fonseca le croyait en prière, il glissa discrètement la main dans la poche de Kirsch pour récupérer son téléphone turquoise.

Il jeta un coup d’œil vers l’agent. Celui-ci était toujours en ligne et s’intéressait davantage à Ambra qui, en fausse conversation avec le prince, s’éloignait de plus en plus.

Il reporta son attention sur le mobile et prit une grande inspiration.

Un dernier effort.

Il souleva la main droite du mort. Elle était déjà froide. Et pressa l’index sur le capteur d’empreinte digitale.

L’appareil s’alluma.

Langdon parcourut rapidement les menus et annula le mot de passe.

Accès permanent !

Puis il glissa le smartphone dans sa propre poche et remonta la couverture sur le visage d’Edmond.

*

Les sirènes mugissaient au loin. Ambra se tenait au milieu du dôme, son téléphone à l’oreille. Fonseca ne la lâchait pas des yeux.

Vite, Robert !

Le professeur avait échafaudé son plan de bataille après qu’elle lui eut rapporté sa conversation avec Edmond, deux jours plus tôt, dans cette même salle. Il était tard et ils peaufinaient les détails de la soirée. Edmond avait fait une pause pour avaler son troisième jus d’épinard de la soirée. Il semblait particulièrement fatigué.

— Je ne suis pas certaine que ce régime vegan vous convienne si bien. Vous êtes tout pâle et bien trop maigre.

— Maigre ? Parlez pour vous !

— Je ne suis pas maigre. Je suis mince, nuance !

— Question de point de vue ! (Il lui avait adressé un clin d’œil taquin.) Quant à ma pâleur, dites-vous que je suis un geek qui passe ses jours derrière un écran.

— Mais vous allez vous adresser au monde entier. Un peu de couleur ne vous ferait pas de mal. Allez prendre un peu le soleil, ou inventez un ordinateur qui fait bronzer !

— C’est une bonne idée. Faites-la breveter ! avait-il plaisanté avant de se reconcentrer sur les détails de sa présentation. Vous avez bien en tête le déroulé de la soirée ?

Ambra avait acquiescé en lisant le conducteur.

— J’accueille les gens dans le hall, et je fais entrer tout le monde dans l’auditorium. Ensuite, c’est la vidéo de présentation puis vous apparaissez, comme par magie, au pupitre. Et vous faites votre annonce.

— C’est ça. À un détail près. (Il lui avait souri.) Quand je parlerai, ce sera davantage un entracte. L’occasion pour moi de souhaiter la bienvenue en personne à mes invités, pour qu’ils puissent se dégourdir les jambes, et se préparer à la seconde partie de la soirée : un show multimédia.

— Votre annonce est préenregistrée ? Comme l’intro ?

— Je l’ai terminée il y a quelques jours seulement. Nous vivons dans un monde de l’image. Un spectacle son et lumière sera toujours plus ludique qu’un chercheur lambda soliloquant derrière son pupitre.

— Vous n’êtes pas un chercheur lambda, Edmond. Mais je suis d’accord avec vous. Ce sera plus vivant. J’ai hâte d’y être.

Pour des raisons de confidentialité, la présentation du futurologue était stockée sur un serveur extérieur sécurisé. Tout ce qui serait diffusé dans le musée proviendrait d’ailleurs.

— Quand ce sera le moment, qui lancera la deuxième partie ? avait demandé Ambra. Vous ou moi ?

— Je m’en charge, avait répondu Kirsch en sortant son téléphone turquoise aux motifs à la Gaudí. Avec ça. Cela fera partie du spectacle. Il me suffira de me connecter à mon serveur…

Il avait tapé quelques touches et l’appareil avait émis un bip, pour confirmer la connexion.

Une voix de synthèse avait résonné. Une voix de femme.

— BONSOIR, EDMOND. J’ATTENDS VOTRE MOT DE PASSE.

Le visage de Kirsch s’était illuminé.

— Et devant le monde entier, j’entrerai mon sésame, et ma découverte sera révélée à la fois ici, et partout sur la planète.

— Cela va faire son petit effet. À condition de ne pas oublier le code.

— Ce serait gênant, en effet.

— Vous l’avez noté quelque part, au moins ?

— Hérésie ! Un informaticien digne de ce nom ne note jamais ses mots de passe ! Mais le mien ne fait que quarante-sept caractères. Je ne risque pas de l’oublier !

— Quarante-sept ? J’ai déjà du mal à me rappeler mon code pour entrer au musée, et il n’a que quatre chiffres ! Comment comptez-vous vous souvenir d’une chaîne aléatoire de quarante-sept caractères ?

L’inquiétude de la jeune femme l’avait fait rire.

— Parce qu’ils ne sont pas aléatoires ! (Il avait baissé la voix :) En fait, c’est un vers de mon poème préféré.

— Un vers comme mot de passe ?

— Pourquoi pas ? Et le vers en question compte exactement quarante-sept lettres.

— Cela ne paraît pas très sécure.

— Ah non ? Vous avez deviné quel est ce vers ?

— Je ne savais même pas que vous aimiez la poésie !

— Tout juste ! Même si quelqu’un apprend que mon mot de passe est un vers, et qu’il trouve le bon passage sur des millions de possibilités, il lui faudra encore découvrir le très long numéro de téléphone pour pouvoir se connecter au serveur.

— Vous avez utilisé un raccourci tout à l’heure…

— Certes, mais ce téléphone a son propre code PIN et ne quitte jamais ma poche !

Ambra avait capitulé :

— D’accord, vous êtes un crack. Et votre auteur favori, qui est-ce ?

— Bien tenté ! Mais vous devrez attendre jusqu’à samedi soir pour le savoir. Vous verrez, ce vers est particulièrement à propos. (Il avait eu un nouveau sourire malicieux.) Cela parle du futur. Une prophétie qui est déjà en train de se réaliser.

À présent, le corps d’Edmond gisait au sol, au pied du pupitre… Quand la jeune femme releva la tête, une bouffée de panique s’empara d’elle.

Où était passé Langdon ?

Plus inquiétant encore, le deuxième agent de la Guardia Real — Rafa Díaz — était de retour. Il venait de franchir la déchirure dans le rideau et jetait un regard circulaire à la salle. Sitôt qu’il eut repéré Ambra, il marcha dans sa direction.

Jamais ils ne me laisseront sortir d’ici !

Soudain, Langdon apparut à son côté. Il plaça une main dans son dos et la poussa gentiment vers le fond du dôme, vers le passage par lequel ils étaient entrés.

— Mademoiselle Vidal ! cria Díaz. Où allez-vous ?

— On revient tout de suite, répondit Langdon en entraînant Ambra.

— Monsieur Langdon ! (Cette fois, c’était la voix de Fonseca.) Vous n’êtes pas autorisé à quitter cet endroit.

Ambra sentit la main du professeur se plaquer plus fort dans le creux de ses reins.

— Winston, murmura Langdon. Maintenant !

Et les ténèbres tombèrent sur la salle.

Загрузка...