39.

— Ici ? s’étonna le pilote du bateau. Mais l’aéroport est plus loin. Je peux vous rapprocher davantage.

— Merci, c’est parfait comme ça, répondit Langdon suivant scrupuleusement les consignes de Winston.

L’homme haussa les épaules et s’approcha d’un petit pont. Un panneau indiquait Puerto Bidea. La berge était couverte de hautes herbes mais accessible. Ambra sautait déjà à terre et gravissait la pente.

— Combien je vous dois ? s’enquit Langdon.

— Rien. Votre majordome a déjà payé. Par carte. Le triple.

Évidemment ! songea Langdon qui n’était pas encore habitué à l’efficacité de l’assistant numérique d’Edmond. C’est comme Siri, en version bodybuildée.

L’intelligence artificielle avait fait de tels progrès que ces machines pouvaient désormais accomplir des tâches complexes, y compris écrire des romans. L’un de ces robots avait failli recevoir un prix littéraire au Japon !

Langdon remercia le pilote et sauta à son tour à terre. Avant de s’éloigner, il se retourna et posa son index sur ses lèvres.

Discreción, por favor.

Sí, sí, lui assura l’homme en se cachant les yeux. ¡ No he visto nada !

Langdon escalada à son tour la berge, traversa une voie ferrée et rejoignit Ambra à l’orée d’un village endormi.

— D’après la carte, annonça Winston, vous devriez apercevoir un rond-point.

— Vu, dit Ambra.

— Parfait. Juste en face vous trouverez une rue, la Beilke Bidea. Suivez-la.

Deux minutes plus tard, Langdon et Ambra avaient quitté le village et marchaient sur une route de campagne, flanquée de fermes et de pâtures. Sur leur droite, très loin, derrière une petite colline, le ciel était éclairé.

— Si ce sont les lumières de l’aéroport, s’inquiéta-t-il, nous en sommes très loin.

— Le terminal est à trois kilomètres de votre position, répondit Winston.

Ambra et Langdon échangèrent un regard inquiet. Winston leur avait indiqué que la marche ne durerait que huit minutes.

— D’après les images satellites, continua Winston, vous devriez avoir un champ sur votre droite. Il vous semble praticable ?

Le pré montait en pente douce vers les lumières.

— Oui. Mais trois kilomètres, je pense que…

— Contentez-vous de marcher, professeur.

Même si le ton de Winston était resté aussi poli qu’auparavant, Langdon venait bel et bien de se faire sermonner.

— Bravo ! railla Ambra en s’élançant sur la colline. Maintenant, vous nous l’avez énervé !

*

— EC346, ici la tour de contrôle, s’impatienta une voix dans les écouteurs de Siegel. Soit vous entrez en piste, soit vous retournez aux hangars pour réparer. Où en êtes-vous ?

— On est dessus, mentit Siegel en surveillant la caméra arrière. (Toujours aucun avion.) Encore une minute, et on est prêts.

Roger ! Tenez-nous au courant.

Le copilote tapota l’épaule du commandant de bord et désigna quelque chose dehors. Siegel ne vit tout d’abord que la clôture bordant le terrain. Et soudain…

Qu’est-ce que c’était que ça ?

Deux silhouettes sortaient de l’ombre, descendaient la colline derrière le grillage et se dirigeaient droit vers l’avion. À mesure de leur avancée, Siegel reconnut l’écharpe noire en travers de la robe blanche. Il l’avait vue à la télé.

Ambra Vidal ?

La jeune femme avait de temps en temps pris l’avion avec Kirsch. Siegel se sentit troublé à la seule idée d’avoir cette beauté à bord. Qu’est-ce qu’elle fichait dans un pré en pleine nuit ?

Un grand type en queue-de-pie l’accompagnait. Lui aussi avait fait partie du spectacle.

Le professeur américain !

Winston revint en ligne :

— Commandant, vous devriez voir à présent deux personnes de l’autre côté de la clôture. Et vous les avez sans doute déjà reconnues.

Décidément, le flegme britannique de ce gars le surprendrait toujours.

— Je vous donnerai des explications plus tard, ajouta Winston. Pour l’heure, je vous demande de me faire confiance. Tout ce qu’il vous faut savoir, c’est que les gens qui ont assassiné M. Kirsch veulent à présent tuer Ambra Vidal et Robert Langdon. Pour assurer leur sécurité, j’ai besoin de votre entière coopération.

— Euh… bien sûr, bredouilla Siegel.

— Mlle Vidal et le professeur Langdon doivent monter à bord. Sur-le-champ.

— Ici ?

— Je sais que cela pose quelques problèmes techniques ; votre plan de vol ne…

— Il fait trois mètres de haut, le problème technique !

— Je le sais, répondit Winston toujours aussi calme. Commandant, nous travaillons ensemble depuis plusieurs mois. N’ayez crainte, je vais vous indiquer la marche à suivre. Et croyez-moi, à ma place, M. Kirsch vous aurait demandé exactement la même chose.

Siegel écouta les instructions de Winston.

— C’est de la folie !

— Pas du tout. C’est parfaitement faisable. La poussée de chaque moteur est de sept tonnes et le nez du jet est conçu pour résister à des pressions…

— Ce n’est pas la physique qui m’inquiète, mais la légalité. Je n’ai aucune envie de perdre ma licence !

— Je comprends bien, commandant, répliqua Winston d’un ton égal. Mais la future reine est en grand danger. Vous lui sauvez la vie. Quand on saura la vérité, vous n’aurez aucune sanction, rassurez-vous. Vous serez décoré de la main du roi !

*

Langdon et Ambra, bloqués dans le pré, contemplaient l’immense clôture, illuminée par les phares du jet.

À la demande de Winston, ils s’écartèrent au moment où les moteurs de l’avion montaient en régime. Le jet commença à avancer. Mais, au lieu de négocier le virage de la rampe d’accès, il alla tout droit, franchit les marquages jaunes au sol et poursuivit sa route sur le bitume. Il ralentit pour s’approcher doucement du grillage.

Le nez de l’avion pointait sur l’un des poteaux qui maintenaient la clôture. Quand il y eut contact, les moteurs accélérèrent légèrement.

Langdon s’attendait à voir la structure résister davantage, mais, apparemment, rien n’arrêtait deux moteurs Rolls-Royce déplaçant un jet de quarante tonnes. Dans un grincement de métal, le poteau céda, arrachant dans sa chute un moellon d’asphalte, à la manière d’un arbre déraciné emportant avec lui sa motte de terre.

Langdon s’empressa de plaquer les mailles du grillage au sol pour qu’Ambra puisse passer dans l’ouverture. Le temps qu’ils atteignent le tarmac, la passerelle du jet avait été déployée et un pilote en uniforme leur faisait signe de monter à bord.

Ambra adressa un large sourire à Langdon.

— Vous doutez encore des compétences de Winston ?

Langdon garda le silence.

À peine étaient-ils installés dans la cabine confortable, que Langdon entendit le commandant de bord en conversation avec la tour de contrôle.

— Oui. Je vous entends. Votre radar doit être déréglé. Nous n’avons pas quitté la rampe d’accès. Je répète : nous sommes toujours sur la rampe. Et nous n’avons plus aucun voyant d’alerte. Tout est au vert. Nous sommes parés au décollage.

Le copilote ferma la porte alors que les moteurs montaient en régime, faisant reculer l’avion. Puis le jet amorça son demi-tour pour se présenter sur la piste.

Assis en face d’Ambra, Langdon ferma les yeux, et poussa un long soupir de soulagement. Les moteurs rugirent et il sentit la poussée le coller au siège.

Quelques secondes plus tard, le Gulfstream s’élevait dans la nuit, et virait aussitôt au sud-est, direction Barcelone.

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