35 Caemlyn

Rand se retourna pour s’agenouiller derrière le banc du conducteur. Il ne put s’empêcher d’éclater de rire : l’expression d’un profond soulagement.

— On a réussi, Mat ! Nous y sommes ! Je t’avais dit que…

Les mots s’étranglèrent dans la gorge du jeune homme quand ses yeux se posèrent pour la première fois sur Caemlyn. Après Baerlon et plus encore les ruines de Shadar Logoth, il pensait savoir à quoi ressemblait une grande ville. Mais la réalité – Caemlyn – dépassait largement son imagination.

Ici, des bâtiments se serraient les uns contre les autres comme si on avait décidé de réunir en un seul endroit toutes les villes et tous les villages que les deux fugitifs avaient traversés. Dotées de plusieurs étages, les auberges dominaient largement les maisons au toit de tuile et de grands entrepôts sans fenêtres semblaient composer un périmètre de sécurité autour des habitations.

Brique rouge, pierre grise blanchie ou non à la chaux : tout se mêlait et s’emmêlait dans cette mégalopole qui s’étendait à perte de vue. Baerlon aurait pu être cachée dans cette cité sans que nul s’en aperçoive. Et vingt Pont-Blanc auraient pu y disparaître à jamais dans l’indifférence générale.

Et le premier mur d’enceinte ! En pierre gris pâle veiné d’argent et de blanc, cet ouvrage de cinquante pieds de hauteur muni de tours de garde à intervalles réguliers protégeait le cœur de la cité, lui-même entouré d’une haute muraille. Au sommet de ces sentinelles de pierre, l’étendard rouge et blanc d’Andor claquait au vent. Derrière la seconde muraille, on apercevait d’autres tours, incroyablement hautes, et des dômes que la lumière du soleil irisait de reflets blanc et or.

À force d’entendre des récits, Rand avait fini par se faire une image des mégalopoles qui abritaient les rois ou les reines. Siège d’un incroyable pouvoir temporel – et inspiratrice de légendes par milliers – Caemlyn était à la hauteur de ce qu’il attendait.

Grinçant toujours, le chariot descendait en direction de la cité, visant ses énormes portes flanquées de tours de garde. De loin, Rand vit qu’une caravane avait commencé à sortir de la ville en traversant une arche assez large et assez haute pour laisser passer un géant sans qu’il ait besoin de baisser la tête. Comment ça, un géant ? Il y avait largement assez de place pour dix ! Des boutiques en plein air s’alignaient des deux côtés de l’artère principale, des stalles et des enclos fleurissant un peu partout dès qu’il y avait un peu d’espace libre. Tandis que les veaux gémissaient à fendre l’âme, les vaches mugissaient, les oies cancanaient, les chèvres bêlaient et l’immense majorité des hommes et des femmes discutait des prix avec un tel acharnement qu’ils parvenaient parfois à couvrir les criailleries des poulets.

Jaillissant de ses portes, ce boucan guidait irrésistiblement les voyageurs vers Caemlyn.

— Qu’est-ce que je vous avais dit ? triompha Bunt, obligé de crier pour se faire entendre. La plus grandiose ville du monde ! Et construite par des Ogiers, en plus de tout. Enfin, au moins le palais et la Cité Intérieure… Un endroit rudement vieux, non ? Le fief depuis lequel la bonne reine Morgase édicte les lois et permet au royaume de vivre en paix. Que la Lumière éclaire cette grande souveraine et sa capitale – la plus vaste qui existe en ce monde, on ne le dira jamais assez !

Rand ne serait pas venu prétendre le contraire. Bouche bée de stupéfaction, il résistait à l’envie de se plaquer les mains sur les oreilles pour ne plus entendre le vacarme. Les gens se pressaient sur la route, le faisant penser à la place Verte, le jour de Bel Tine, mais en cent ou mille fois plus grand. À Baerlon, se souvint-il, il avait jugé presque impossible que des rues grouillent ainsi de monde. Quel naïf il faisait ! Ici, la foule était beaucoup plus dense, même aux premières lueurs de l’aube.

Rand regarda Mat et sourit. Ne reculant devant rien, son ami s’était bel et bien plaqué les mains sur les oreilles. À la façon dont il rentrait la tête dans ses épaules, il aurait sans doute aimé qu’elle y disparaisse…

— Comment nous cacher là-dedans ? cria-t-il lorsqu’il vit que son compagnon le dévisageait. À qui se fier, parmi une telle multitude ? Il y a tant de gens ! Et ce bruit insupportable !

Avant de répondre, Rand jeta un coup d’œil à Bunt. Fasciné par la ville, il ne s’intéressait plus à ses passagers. De toute manière, le boucan l’aurait empêché de les espionner.

Rand approcha quand même sa bouche de l’oreille de Mat.

— Et comment nos ennemis nous trouveront-ils, dans cette multitude ? Tu n’y as pas pensé, espèce d’abruti ? Si tu apprends à tenir ta maudite langue, nous ne risquerons rien ici. (Rand fit un grand geste pour désigner les marchés, le premier mur d’enceinte, la Cité Intérieure dont on distinguait surtout les tours…) Regarde cette splendeur, Mat ! Tout peut arriver en un lieu pareil ! Avec un peu de chance, Moiraine nous y attend en compagnie d’Egwene et des autres…

— S’ils sont vivants ! Moi, je pense qu’ils ont quitté ce monde, comme le trouvère.

Le sourire de Rand s’effaça et il se tourna de nouveau vers la cité. Tout pouvait arriver dans un endroit pareil ! Il refusait d’en démordre, et voilà tout !

Même si Bunt secouait les rênes, le pauvre cheval n’était pas en mesure d’accélérer. Plus on approchait des portes, et plus la foule devenait dense, faisant obstacle à la circulation des chariots et des charrettes.

La plupart des voyageurs, nota Rand, non sans satisfaction, étaient des jeunes gens couverts de poussière et pratiquement dépourvus de bagages. Quel que soit leur âge, d’ailleurs, les visiteurs qui venaient en ville en ce jour avaient l’air fatigué typique des voyageurs qui n’ont pas pu s’offrir le minimum de confort requis. Un véhicule délabré, un cheval fatigué, des vêtements froissés après trop de nuits à la belle étoile… Malgré tout, ces pauvres hères rivaient le regard sur Caemlyn comme si cette vue pouvait leur faire oublier leur épuisement.

Six Gardes de la Reine filtraient les nouveaux venus qui s’engageaient sous l’arche. Avec leur tunique rouge et blanc impeccablement propre et leur plastron brillant, ces soldats faisaient un sacré contraste avec les loqueteux qu’ils avaient mission de surveiller. Droits comme des « i », ils regardaient les visiteurs avec un mépris mêlé de suspicion. S’ils s’étaient laissés aller, nul doute qu’ils auraient refoulé les quatre cinquièmes de ces miteux. Mais ils se contentaient de garder une partie de la route libre pour les gens qui souhaitaient sortir de Caemlyn. Et, s’ils remettaient vertement à leur place les visiteurs qui poussaient trop fort les autres, ils ne leur compliquaient pas la vie plus que ça.

— Restez à votre place et ne poussez pas, au nom de la Lumière ! La ville est assez grande pour vous tous !

Le chariot de Bunt entra dans Caemlyn avec la foule – une lente marée montante, en quelque sorte…

La ville était bâtie en terrasses, chacune évoquant la marche d’un escalier. Au sommet de cette pyramide, un autre mur – blanc et étincelant, celui-ci – faisait le tour d’une série de collines. Derrière cette protection, les tours les plus hautes et les dômes regardaient de haut le reste de la ville.

La Cité Intérieure dont avait parlé Bunt, sans doute…

Une fois en ville, la route de Caemlyn devenait un grand boulevard divisé en deux parties par un large terre-plein central arboré qui aurait dû être verdoyant. L’herbe était marron et les arbres déplumés paraissaient se préparer pour l’hiver, mais les passants ne s’en souciaient pas, continuant à bavarder, à se presser, à flâner ou à se disputer – enfin, toutes ces choses étranges que les humains font quotidiennement partout dans le monde.

Ces citadins, cependant, semblaient ne s’être même pas avisés que le printemps se faisait attendre, et qu’il risquait de ne pas arriver du tout. En fait, comprit Rand, ils ne voyaient pas ce qui les dérangeait. Que ce soit volontaire ou non, ils détournaient la tête des branches nues et foulaient l’herbe agonisante sans daigner baisser les yeux dessus. Comme si ne pas regarder la réalité en face suffisait à la modifier. Parce que le monde, selon eux, existait uniquement quand ils consentaient à lui donner vie en le contemplant.

Soufflé par la cité et sa population, Rand sursauta lorsque le chariot s’engagea dans une rue latérale beaucoup plus étroite que le boulevard – mais encore deux fois plus large que n’importe quelle venelle de Champ d’Emond.

Tirant sur les rênes pour ordonner à son cheval de s’immobiliser, Bunt se tourna vers ses passagers, l’air hésitant. Ici, la circulation était moins dense et les piétons contournaient machinalement le chariot sans avoir besoin de ralentir.

— Ce que tu caches sous ta cape, fiston, demanda le paysan à Rand, c’est vraiment ce que prétend Holdwin ?

— Que voulez-vous dire ? répliqua Rand sans tressaillir.

Imperturbable, il ramassa ses sacoches de selle et les jeta sur son épaule. Son estomac menaçait de se retourner, mais sa voix ne tremblait pas, et cela seul importait.

Mat étouffa un bâillement d’une main – mais l’autre fila sous sa cape, en quête de la dague au rubis. Sous le foulard noué autour de son front, le jeune homme avait un regard hanté qui mit Rand mal à l’aise.

Sans doute conscient qu’il portait une arme, Bunt évita soigneusement de tourner la tête vers son passager.

— Ce que je veux dire ? répéta-t-il. Rien de particulier… Mais si tu m’as entendu annoncer que j’allais partir pour Caemlyn, l’autre soir, tu as certainement suivi le début de la conversation. Si la prime m’intéressait, j’aurais trouvé un prétexte pour entrer dans l’auberge – L’Oie et la Couronne, si ça vous intéresse – et m’entretenir avec Holdwin. Mais je n’aime pas cet aubergiste, et encore moins son fichu « ami ». On dirait qu’il en a après vous. Une obsession, semble-t-il…

— J’ignore après qui ou quoi il en a, répondit Rand. Ce type en noir, nous ne l’avions jamais vu.

Un demi-mensonge, et peut-être même pas, car Rand était incapable de distinguer un Blafard d’un autre.

— Vraiment ? Eh bien, je répète : je ne sais pas grand-chose, et je refuse qu’on m’en apprenne davantage. Les problèmes viennent tout seuls, en ce moment. Inutile de les chercher avec une lanterne !

Mat mettant un temps fou à récupérer ses biens, Rand sauta du chariot avec une solide longueur d’avance. Les yeux cernés de noir, l’ancien farceur numéro un de Champ d’Emond prit son arc, son carquois et sa couverture, les plaqua contre sa poitrine et descendit enfin du véhicule.

Rand fit la grimace en entendant grommeler son estomac. La faim et il n’aurait trop su dire quelle sourde angoisse lui donnaient la nausée et il n’avait aucune envie de vomir en pleine rue. Se campant devant lui, Mat l’interrogea du regard.

On fait quoi ? On va où ?

Se penchant un peu, Bunt fit signe à Rand d’approcher.

Le jeune homme obéit, espérant glaner quelque bon conseil au sujet de Caemlyn.

— Si j’étais toi, je cacherais… hum… ça !

Le vieux paysan se tut et regarda autour de lui, méfiant. Des gens dépassaient le chariot sur ses deux flancs, râlant parfois parce qu’il bloquait le passage, mais personne ne prêtait attention au conducteur et à son jeune interlocuteur.

— Ne la porte plus ! Cache-la ou vends-la, mais ne la garde pas. C’est mon avis, en tout cas. Les objets de ce genre attirent l’attention des curieux, et j’ai cru comprendre que c’est la dernière chose que tu veux…

Sans crier gare, Bunt se redressa, secoua les rênes et repartit sans un mot ni un regard en arrière. Obligé de sauter sur le côté pour éviter un chariot chargé de tonneaux, Rand perdit de vue leur bienfaiteur. Quand il sonda de nouveau la rue, il ne vit plus le brave homme ni son véhicule.

— Que faisons-nous ? demanda Mat.

Très nerveux, il regardait les gens aller et venir au milieu des bâtiments dont certains, incroyablement, avaient quelque chose comme six étages !

— Nous sommes à Caemlyn, et après ?

Mat ne s’obstruait plus les oreilles, mais il semblait mourir d’envie de le faire. À Caemlyn, on entendait sans cesse le bourdonnement des conversations et les bruits divers montant de milliers d’échoppes. Parfois, Rand avait l’impression d’évoluer à l’intérieur d’une ruche géante.

— Rand, même si nos amis sont ici, comment les trouver dans ce fouillis ?

— C’est Moiraine qui nous trouvera, ne t’en fais pas…

La mégalopole lui pesait tout autant qu’à Mat, et il aurait donné cher pour s’abstraire de la foule et du bruit. Malgré les leçons de Tam, la recherche du vide intérieur ne donnait aucun résultat. Dans l’incapacité de s’isoler, il décida de se concentrer sur son environnement immédiat et d’oublier le reste. S’il se limitait à cette rue, par exemple, il pouvait imaginer qu’il était à Baerlon. Le dernier endroit où ses amis et lui avaient cru être en sécurité.

Plus personne ne l’est… Et les autres sont peut-être déjà morts. Que feras-tu alors, Rand ?

— Non, ils sont vivants ! Egwene est vivante !

Quelques passants jetèrent un regard interloqué à l’étrange jeune homme qui parlait tout seul.

— Peut-être…, marmonna Mat. Mais si Moiraine ne nous trouve pas ? Si nous restons isolés, et que celui qui nous trouve soit…

Il s’interrompit, incapable de prononcer ça à voix haute.

— Nous y penserons quand ça arrivera, dit Rand. Si ça se produit…

Au pire, ils pouvaient tenter de contacter Elaida, l’Aes Sedai présente au palais de Morgase. Mais Rand aurait préféré aller directement à Tar Valon. Mat se souvenait-il de ce que Thom avait dit sur l’Ajah Noir ? Et sur le Rouge ? Ce n’était pas le genre de choses qu’on oubliait, pas vrai ?

— Thom nous a dit de trouver une auberge. La Bénédiction de la Reine… Si nous commencions par là ?

— Et pour quoi faire ? À nous deux, nous n’avons pas de quoi payer un repas !

— Il faut tenter le coup. Selon Thom, nous trouverons de l’aide dans cette auberge.

— Je ne peux pas… Rand, ils sont partout. (Mat baissa les yeux sur les pavés et sembla se ratatiner pour s’isoler de la foule.) Où que nous allions, ils nous suivent ou nous attendent. Ce sera pareil dans cette auberge. Je… Rien ne peut arrêter un Blafard.

Rand prit Mat par le col – en se concentrant pour empêcher sa main de trembler. Il avait besoin de son ami. Si la Lumière le voulait bien, les autres étaient encore de ce monde, mais pour l’heure, il n’y avait plus qu’eux deux. L’idée de continuer seul…

Rand sentit le goût de la bile monter dans sa gorge.

Par la force de l’habitude, il regarda autour de lui, mais personne ne semblait avoir entendu la référence au Blafard.

— Mat, nous avons réussi, jusqu’ici, pas vrai ? Si nous ne baissons pas les bras, nous gagnerons ! Après tout, ils ne nous ont pas encore eus. Je refuse d’attendre comme un agneau à l’abattoir. Et je ne le ferai pas ! Alors, tu restes ici histoire de mourir de faim ? Ou de te laisser capturer comme un idiot ?

Rand lâcha son ami, se détourna et s’éloigna. Même s’il s’enfonçait les ongles dans les paumes, ses mains ne cessaient de trembler. Puis il sentit la présence de Mat à côté de lui.

— Désolé, Rand, souffla le jeune homme, les yeux toujours baissés.

— Oublie ça, mon vieux !

Levant la tête juste ce qu’il fallait pour ne pas percuter des passants, Mat se confessa à voix basse :

— Je pense tout le temps que je ne rentrerai jamais chez moi. Et je veux y retourner ! Moque-toi de moi si ça te chante, mais c’est ainsi ! Si tu savais ce que je donnerais pour que ma mère me fasse un de ses fichus sermons ! C’est comme un fardeau qui pèse sur mon esprit. Une douleur brûlante… Des inconnus partout, et comment savoir auxquels se fier ? S’il y en a… Rand, Deux-Rivières est si loin que ça pourrait tout aussi bien être à l’autre bout du monde… Nous sommes seuls et nous ne reviendrons jamais au bercail. Parce que nous allons mourir, Rand !

— Oui, mais pas tout de suite ! Tout le monde meurt et la Roue tourne. Mais je ne me roulerai pas en boule en attendant que ça arrive.

— On croirait entendre maître al’Vere, marmonna Mat.

Mais il semblait un peu moins abattu.

— Ce n’est pas si mal… Non, pas si mal…

Lumière, fais que les autres s’en soient tirés ! Nous ne supporterons pas d’être seuls !

Rand commença à demander le chemin de l’auberge. Le succès ne fut pas franc et massif. Le jeune berger fit une jolie collection d’injures visant « ceux qui auraient mieux fait de rester chez eux », assortie de toute une variété de regards méprisants, de haussements d’épaules et de gestes hostiles.

Un type presque aussi grand que Perrin inclina sa grosse tête et lança :

La Bénédiction de la Reine ? Des bouseux comme vous, hommes de la reine ?

L’homme portait une cocarde blanche sur son chapeau à larges bords et un brassard également blanc sur la manche de son long manteau.

— Eh bien, acheva-t-il, vous arrivez trop tard !

Il éclata de rire tandis que les deux amis se regardaient, décontenancés. Mais Rand se ressaisit très vite. Les gens bizarres étaient légion à Caemlyn, et il fallait faire avec.

La plupart de ces « originaux » ne cherchaient pas à se cacher. La peau trop sombre ou trop pâle, des vêtements curieusement taillés ou de couleurs trop vives, des chapeaux pointus ou ornés d’une plume… Il y avait aussi des femmes voilées ou vêtues de robes rigides aussi larges qu’elles étaient grandes. D’autres déambulaient dans des tenues qui en révélaient davantage sur leurs charmes que celles des serveuses les plus aguichantes que Rand avait jamais vues…

Dans le même ordre d’idées, il arrivait qu’un carrosse outrancièrement paré d’or et parfois même peint en rose déboule dans une rue bondée, son attelage de quatre ou six chevaux affublé de plumes sur tous les harnais.

À Caemlyn, les chaises à porteurs étaient au moins aussi courantes que les puces sur un chat. Bien entendu, les porteurs se frayaient un chemin dans la foule sans se soucier des orteils qu’ils écrasaient.

Rand vit une rixe commencer à cause d’un accident de chaise. Alors qu’il sortait de son siège mobile renversé, un homme en manteau à rayures rouges, le teint très pâle, avait été pris à partie par un petit groupe de citadins. Deux traîne-misère qui passaient par là – sans avoir aucun lien avec l’affaire – lui avaient sauté dessus avant qu’il se soit vraiment dégagé de la chaise. Les premiers imprécateurs avaient été rejoints par une foule de curieux en quête de bagarre… Prudent, Rand avait tiré Mat par la manche. En s’éloignant, les deux jeunes gens avaient entendu les échos d’une petite émeute.

Plus d’une fois, des hommes interpellèrent les deux garçons – alors que ç’aurait dû être le contraire. Avec leurs vêtements poussiéreux, Rand et Mat proclamaient qu’ils venaient d’arriver en ville, et cette caractéristique semblait agir comme un aimant sur certains individus. Des vendeurs de reliques, pour l’essentiel. Furtifs comme des ombres, visiblement prêts à détaler au moindre problème, ils proposaient des « trésors » ayant appartenu à Logain. Se livrant à un rapide calcul mental, Rand estima qu’on avait voulu leur vendre assez de « morceaux de la cape du Dragon » pour vêtir une famille entière. Quant aux « fragments de sa lame », ils auraient largement suffi à fabriquer deux épées, sinon trois. La première fois, une lueur d’intérêt était passée dans le regard de Mat, mais Rand avait poliment refusé, toutes les « occasions en or » qu’on le suppliait de bien vouloir saisir. Soucieux de ne pas se faire mal voir, les vendeurs à la sauvette inclinaient simplement la tête avant de lancer : « Que la Lumière éclaire la reine, mon bon maître… » Puis ils se volatilisaient.

Dans neuf boutiques sur dix, on trouvait des assiettes et des chopes ornées de représentations fantaisistes du faux Dragon, couvert de chaînes, comparaissant devant Morgase.

Des Capes Blanches arpentaient les rues. Comme à Baerlon, il leur suffisait de paraître quelque part pour que le vide se fasse autour d’eux.

Rand consacrait pas mal de temps à un sujet capital : comment passer inaperçu dans cette fourmilière ? Pour l’instant, cacher l’épée avec sa cape suffisait, mais ça ne durerait pas éternellement. Tôt ou tard, quelqu’un se demanderait ce qu’il dissimulait. Quant au conseil de Bunt – se débarrasser de l’arme –, il refusait d’en tenir compte. Pas question de se séparer de son dernier lien avec Tam. Son père, Tam, oui…

Dans la foule, pas mal d’hommes portaient une épée, mais aucune n’arborait la marque du héron. Cela dit, tous les citadins et une bonne partie des étrangers avaient enveloppé leur arme (poignée et fourreau) dans des bandes de tissu rouge tenues par une cordelette blanche – ou l’inverse, dans plusieurs cas. Une bonne centaine de hérons pouvaient se cacher sous cet « emballage » sans que personne ait l’ombre d’un soupçon. Avantage non négligeable, sacrifier à la mode locale aiderait le jeune berger à se fondre dans l’anonymat de la foule.

Pas mal de boutiques proposaient des bandelettes de tissu et des cordelettes colorées. Rand s’arrêta devant un de ces étalages et étudia le problème. Bien qu’on ne vît aucune différence entre les deux, le tissu rouge était moins cher que le blanc. Le jeune berger opta donc pour un emballage rouge et de la cordelette blanche. Il ne prêta pas l’oreille aux objections de Mat, angoissé à l’idée du peu d’argent qu’il leur resterait après cet ultime achat.

Le commerçant fit la grimace devant la tenue négligée des deux amis, mais il prit quand même leur argent. En revanche, il se rembrunit quand Rand lui demanda la permission de le laisser emballer son épée dans la boutique…

— Nous ne sommes pas venus voir Logain, expliqua Rand patiemment. C’est Caemlyn qui nous intéresse.

Il se souvint du discours dithyrambique de Bunt et insista :

— La plus glorieuse cité du monde, pas vrai ? (Le marchand ne se dérida pas.) Que la Lumière éclaire la bonne reine Morgase ! ajouta Rand à tout hasard.

— Si tu ne files pas, dit le type, menaçant, j’appellerai au secours et une bonne centaine d’hommes me répondront. Même si les Gardes ne réagissent pas, ces gaillards-là sauront se charger de votre cas à tous les deux. (Il cracha par terre, ratant de peu la botte de Rand.) Et maintenant, du balai !

Rand salua de la tête comme si le commerçant venait de lui dire gentiment « adieu ». Puis il tira Mat par la manche, l’empêchant à plusieurs reprises de se retourner pour s’en prendre au malotru. Un peu plus tard, les deux amis s’engagèrent dans une impasse. Le dos tourné à la rue, Rand se défit de son ceinturon d’armes et entreprit d’empaqueter le fourreau et la poignée de son épée.

— Je parie que tu as payé deux fois ce que vaut ce fichu chiffon ! Trois fois, peut-être…

Une fois qu’on s’y était mis, emballer une épée dans son fourreau était beaucoup moins facile qu’on aurait pu le croire.

— Rand, gémit Mat, tous les gens essaient de nous rouler ! Ils pensent que nous sommes venus voir le faux Dragon, comme tout le monde, et que ça mine notre vigilance. Si ça continue, quelqu’un nous défoncera le crâne dans notre sommeil, histoire de toucher la récompense. Nous ne devrions pas rester ici : il y a beaucoup trop de gens. Pourquoi ne pas partir pour Tar Valon ? Ou vers l’Illian, au sud ? Je ne détesterais pas voir de plus près tous les pèlerins qui se réunissent pour la Quête du Cor. Même si nous ne pouvons pas rentrer chez nous, ne traînons pas à Caemlyn !

— Moi, je reste, dit Rand. Si nos amis ne sont pas déjà là, ils ne tarderont plus, parce que je suis certain qu’ils nous cherchent.

Le jeune berger regarda son œuvre, pas vraiment sûr d’avoir « emballé » l’arme de la bonne façon. Mais les hérons qui ornaient le fourreau et la poignée n’étaient plus visibles, et ça lui suffisait. En revenant dans la rue, il songea qu’il avait une raison de moins de s’inquiéter. Dans son sillage, Mat avançait d’une démarche traînante, comme si son ami l’avait tiré par une longe invisible.

Bribe par bribe, Rand obtint tous les renseignements qu’il désirait. Au début, les « par là » et les « dans ce coin-là, sûrement » ne l’aidèrent pas beaucoup. Mais, à mesure que les deux amis approchaient du but, les indications se firent de plus en plus précises. Pour finir, ils se trouvèrent devant un grand bâtiment de pierre muni d’une enseigne qui, bien entendu, grinçait au vent. On y voyait un homme agenouillé devant une femme rousse qui portait une couronne. Une main posée sur la tête inclinée de son sujet, elle lui accordait la bénédiction de la reine.

— Tu es sûr de ce que tu fais ? demanda Mat.

— Bien entendu, répondit Rand.

Après avoir pris une grande inspiration, il poussa la porte et entra.

Deux cheminées chauffaient la grande salle commune lambrissée de bois sombre. Une serveuse balayait le plancher pourtant immaculé et une autre, dans un coin, polissait des chandeliers. Toutes deux sourirent aux nouveaux clients avant de continuer leur travail.

Très peu de tables étaient occupées, mais à une heure si matinale, une dizaine de clients constituaient une petite foule. S’ils ne parurent pas ravis de voir débouler deux étrangers, ces hommes tout à fait propres sur eux n’étaient pas le moins du monde éméchés. L’odeur de viande en train de rôtir et de pain tout récemment sorti du four mit l’eau à la bouche de Rand.

À sa grande satisfaction, l’aubergiste était plus qu’enveloppé. Le cheveu grisonnant, il maquillait sa tonsure naissante en se coiffant en arrière, mais l’effet n’était pas très concluant. Très digne dans son tablier blanc amidonné, il évalua ses clients en un clin d’œil, les classa immédiatement dans la catégorie des « voyageurs nécessiteux » mais sourit quand même et se présenta poliment :

— Basel Gill, pour vous servir.

— Eh bien, maître Gill, un de nos amis nous a recommandé de venir chez vous. Thom Merrilin, pour tout vous dire.

Le sourire de l’aubergiste s’effaça. Rand consulta Mat du regard, mais son ami était trop occupé à humer les odeurs de cuisine pour s’intéresser à autre chose.

— Il y a un problème ? enchaîna Rand. Vous le connaissez, n’est-ce pas ?

— Oui, répondit maître Gill, distrait.

Les yeux rivés sur l’étui de la flûte, que Rand portait sur le côté, pas dans le dos, il sembla hésiter, puis lâcha :

— Suivez-moi…

Rand flanqua une bourrade à Mat pour qu’il se mette en chemin, puis il suivit Gill, se demandant ce qui les attendait.

Une fois dans la cuisine, maître Gill dit quelques mots à la maîtresse des fourneaux, une femme affublée d’un gros chignon et qui devait peser à peine une livre ou deux de moins que son patron. En l’écoutant, elle continua à remuer ses casseroles d’où montaient des arômes étourdissants. Deux jours sans manger faisaient une sauce succulente pour n’importe quel plat, mais ça n’était pas la seule explication. Ces préparations sentaient aussi bon que celles de maîtresse al’Vere, et l’estomac de Rand en gargouillait d’avidité. Penché en avant, Mat semblait irrésistiblement attiré par les plats, qu’il humait à la façon d’un cochon en quête de glands. Rand lui flanquant un coup de coude dans les côtes, il se ressaisit et adopta une position un peu plus digne.

Maître Gill repartit et sortit par la porte de derrière. Dans la cour, il regarda autour de lui pour s’assurer qu’ils étaient seuls, puis il se tourna vers Rand.

— Qu’y a-t-il dans l’étui, mon garçon ?

— La flûte de Thom…

Il ouvrit l’étui, pour montrer qu’il ne mentait pas. Très nerveux, Mat glissa la main sous sa cape.

— Oui, je la reconnais, dit Gill sans cesser de surveiller Rand du coin de l’œil. Je l’ai souvent vu en jouer, et les instruments de cette qualité sont en général réservés aux cours des grands de ce monde. (Il ne souriait plus et le reflet métallique de son regard évoquait irrésistiblement une lame.) Comment l’as-tu eue ? Plutôt que de s’en séparer, Thom aurait préféré se couper un bras.

— Il me l’a donnée, dit Rand.

Il enleva le baluchon de son dos et l’ouvrit assez pour dévoiler les carreaux multicolores de la cape et le bout de l’étui de la harpe.

— Maître Gill, Thom est mort. Si c’était votre ami, toutes mes condoléances. Je l’aimais beaucoup aussi.

— Mort, dis-tu ? Dans quelles circonstances ?

— Un… Un homme voulait nous tuer. Thom m’a confié ses affaires, et il nous a crié de courir. (Voyant que les carreaux multicolores voletaient au courant d’air comme des papillons, Rand replia soigneusement le baluchon.) Sans lui, nous serions morts. Nous étions tous les trois en chemin pour Caemlyn, et il nous a dit de venir chez vous.

— Je croirai qu’il est mort quand je verrai son cadavre, dit Gill. (Il poussa le baluchon du bout du pied, puis se racla la gorge.) Je te crois, mon garçon, ne t’en fais pas. Tu me dis ce que tu penses être la vérité, mais je ne suis pas convaincu que Thom soit mort. Ce trouvère n’est pas facile à tuer, pour sûr que non !

Rand tapota l’épaule de Mat.

— Détends-toi, mon vieux, c’est un ami…

Maître Gill eut un regard soupçonneux pour Mat et soupira :

— Oui, je pense qu’on peut le dire comme ça…

Mat se redressa et croisa les bras. Mais il semblait toujours sur ses gardes et un muscle se contractait bizarrement, sur sa joue.

— Vous étiez en route pour Caemlyn ? répéta l’aubergiste. C’est le dernier endroit au monde où Thom voudrait aller, je crois… Excepté Tar Valon, sans doute…

Il attendit qu’un garçon d’écurie ait fini de traverser la cour en tenant un cheval par la longe, puis reprit à voix basse :

— Vous avez des ennuis avec les Aes Sedai, c’est ça ?

— Oui, répondit Mat.

— Qu’est-ce qui vous fait penser ça ? demanda Rand dans la même seconde.

Maître Gill eut un petit rire nerveux.

— Je connais le bonhomme, voilà tout ! Pour aider deux jeunes gars comme vous, c’est exactement le genre d’ennuis qu’il est prêt à affronter… Son passé, vous comprenez ? Non, bien sûr, comment pourriez-vous savoir ? Je ne vous accuse de rien, sachez-le, mais je me demandais… Enfin, j’ai le sentiment que… Si je puis me permettre, de quels ennuis s’agit-il ? Avec Tar Valon, je veux dire…

Rand comprit enfin ce que l’aubergiste sous-entendait. Le Pouvoir de l’Unique…

— Non, non, ça n’a rien à voir avec ça. Nous avons même une Aes Sedai parmi nos alliés. Moiraine était…

Rand n’alla pas plus loin, furieux d’avoir lâché ce nom. Mais l’aubergiste semblait ne pas le connaître.

— Eh bien, c’est une bonne chose… Je n’aime pas trop les Aes Sedai, mais elles sont préférables à… Bon, on parle trop de ces sujets, à cause de cette histoire avec Logain. Je ne voulais pas vous offenser, mais il fallait que je sache, pas vrai ?

— Aucun problème, assura Rand.

Mat murmura trois mots incompréhensibles, mais l’aubergiste, bon enfant, parut supposer qu’il partageait l’opinion de son ami.

— À vous voir tous les deux, exactement le bon profil, je veux bien croire que Thom vous avait – non, vous a à la bonne. Mais les temps sont difficiles… Bien entendu, vous ne pouvez pas payer ? Ben voyons ! En ce moment, nous manquons de tout, et le peu qui reste est hors de prix. Je vais vous offrir le gîte – pas les meilleurs lits, mais quand même de quoi dormir au chaud – et le couvert. Même si j’aimerais, je ne peux rien vous promettre de plus.

— C’est déjà beaucoup, dit Rand avec un regard appuyé pour Mat. Plus que ce que j’espérais…

Qu’était donc le « bon profil », et pourquoi maître Gill aurait-il dû en faire plus ?

— Thom est un très bon ami à moi, dit l’aubergiste. Un type au sang chaud qui n’a pas sa langue dans la poche, surtout quand il ferait mieux de se taire devant quelqu’un de haut placé, mais un gars droit et loyal. S’il ne se remontre pas… eh bien, nous improviserons quelque chose, je suppose… En attendant, vous ne devriez plus parler de l’Aes Sedai qui vous aide. Je suis un sujet fidèle de la reine, mais beaucoup de gens, actuellement, prendraient très mal votre histoire. Hélas, je ne parle pas seulement des Capes Blanches.

— Pour ce qui me concerne, grogna Mat, les corbeaux peuvent emporter toutes les Aes Sedai au mont Shayol Ghul !

— Fais attention à ce que tu dis, mon garçon ! Je ne les aime pas, c’est vrai, mais je ne fais pas partie des crétins qui les accusent de tous les maux du monde. La reine soutient Elaida, et les Gardes combattent pour la reine. Je prie souvent la Lumière pour que ça ne change pas. Mais ces derniers temps, des Gardes ont oublié leur devoir de réserve au point de maltraiter des gens qui disaient du mal de l’Aes Sedai… Ils n’étaient pas de service, la Lumière en soit remerciée, mais c’est arrivé, et ça me suffit. Je ne veux pas que des Gardes, même en civil, viennent dévaster ma salle commune pour vous donner une leçon. Et je n’ai pas besoin que les Capes Blanches convainquent un imbécile de venir peindre un Croc du Dragon sur ma porte. Du coup, si vous voulez que je vous aide, gardez pour vous votre opinion sur les Aes Sedai, qu’elle soit bonne ou mauvaise. (Maître Gill se tut un moment, pensif.) Tant qu’à faire, ne mentionnez pas Thom lorsque nous ne sommes pas seuls. Certains Gardes ont une sacrée mémoire, et c’est aussi le cas de la reine. Inutile de prendre des risques…

— Thom a eu des ennuis avec la reine ? demanda Rand, incrédule.

L’aubergiste éclata de rire.

— Donc, il ne vous a pas tout dit, le sacripant ! Au fond, rien ne l’y obligeait. Mais je ne vois pas pourquoi vous devriez croupir dans l’ignorance. En outre, ce n’est pas vraiment un secret… Vous croyez que tous les trouvères ont une si haute opinion d’eux-mêmes ? En y réfléchissant bien, j’ai peur que oui, mais Thom reste quand même le champion toutes catégories en la matière. C’est qu’il n’a pas toujours été un artiste errant de village en village et le plus souvent contraint de dormir à la belle étoile. À une époque, il était le barde de la cour, ici, à Caemlyn. De Tear à Maradon, toutes les têtes couronnées le connaissaient.

— Thom ? s’étonna Mat.

Rand ne partageait pas sa surprise. Il voyait très bien Thom, avec sa gestuelle théâtrale, tenir sa place auprès d’une reine.

— Eh oui, Thom ! Peu après la mort de Taringail Damodred, les ennuis ont commencé pour son neveu. Selon certains, Thom était – comment dire, exactement ? – un peu plus proche de la reine que l’exigeaient les convenances. Mais Morgase était une jeune veuve, et lui avait toute la fougue d’un jeune homme. De toute façon, à mes yeux, la souveraine fait ce qu’elle veut, un point c’est tout ! Cela dit, notre bonne Morgase a toujours eu un fichu caractère et, quand il a appris que son neveu avait de gros problèmes, Thom est parti sans dire un mot à sa… reine. Inutile de préciser qu’elle a détesté ça. Et elle n’a pas apprécié non plus qu’il fourre son nez dans les affaires des Aes Sedai. Franchement, je pense aussi que c’était une bourde, neveu ou pas neveu. Une fois de retour, Thom a parlé, certes, mais il y a des choses qu’on ne dit pas à une reine – ni à aucune femme de tête comme Morgase. Elaida ne décolérait pas contre lui à cause du fameux neveu. Avec deux dames de cette envergure contre lui, Thom est reparti de Caemlyn juste à temps pour ne pas finir en prison, voire sous la hache du bourreau. Et, pour ce que je sais, la sentence est toujours exécutoire…

— Tout ça remonte à très longtemps, dit Rand. Je parie que personne ne s’en souvient.

— Détrompe-toi… Gareth Bryne est aujourd’hui général en chef de la Garde Royale. En ce temps-là, il commandait le détachement chargé de ramener Thom couvert de chaînes. Je doute qu’il ait oublié son retour piteux, tout ça pour découvrir que Thom était revenu de lui-même et déjà… reparti. Quant à la reine, elle n’oublie rien. As-tu jamais entendu parler d’une femme qui ne se souvienne pas d’un outrage ? Morgase était folle de rage. Pendant un mois, la cité entière a filé doux, tu peux me croire.

» Beaucoup de Gardes sont assez vieux pour se le rappeler… Alors, restez muets au sujet de Thom, comme pour votre Aes Sedai. Bon, suivez-moi, je vais vous offrir un repas. À vous voir, on dirait que votre estomac est en train de se digérer lui-même !

Загрузка...