La lumière du jour, filtrant de la lucarne, finit par tirer Rand d’un sommeil profond mais absolument pas réparateur. Il se couvrit la tête avec son oreiller, une manœuvre qui ne suffit pas, et, de toute façon, il n’avait pas vraiment envie de se rendormir. Une série de rêves avaient succédé au premier. Même s’il les avait oubliés, il avait eu son compte d’angoisse, cette nuit…
Écartant l’oreiller, il s’assit dans le lit, s’étira et gémit. Toutes les douleurs apaisées par le bain étaient revenues. Et sa tête lui faisait toujours mal. Rien de très surprenant, à vrai dire. Un cauchemar pareil aurait donné la migraine à n’importe qui. Si les autres songes étaient partis en lambeaux, celui-là ne semblait pas près de prendre le même chemin.
Les deux autres lits étaient vides. À en juger par l’angle de pénétration des rayons dans la pièce, le soleil devait déjà être assez haut dans le ciel. Chez lui, Rand aurait déjà pris son petit déjeuner et attaqué la première de ses corvées journalières. De très mauvaise humeur, il s’extirpa du lit. Une ville à découvrir, et on ne l’avait pas réveillé ! Au moins, quelqu’un avait pensé à verser de l’eau dans la cuvette. Et elle était encore chaude…
Rand fit ses ablutions, s’habilla puis hésita devant l’épée de Tam. Lan et Thom avaient laissé leurs sacoches de selle et leurs couvertures dans la chambre, bien entendu, mais l’arme du Champion n’était nulle part en vue. À Champ d’Emond, il la portait avant même qu’il y ait eu des troubles. Un exemple à suivre, non ? Se répétant que ce n’était pas parce qu’il rêvait depuis toujours de se balader armé dans une vraie ville, Rand se ceignit de l’épée puis prit sa cape et la jeta négligemment sur son épaule.
Dévalant les marches deux par deux, il se précipita vers la cuisine. Le meilleur endroit pour obtenir rapidement quelque chose à manger. Pour sa seule journée à Baerlon, il estimait avoir déjà perdu assez de temps.
Par le sang et les cendres ! ils auraient pu me réveiller !
Dans la cuisine, maître Fitch prenait à partie une femme rondelette aux bras couverts de farine jusqu’aux coudes. La cuisinière, à l’évidence… En y regardant de plus près, Rand corrigea sa première impression. C’était la femme qui admonestait l’aubergiste. Autour d’eux, les servantes, les filles de cuisine, les marmitons et les tourneurs de broche vaquaient à leurs occupations en faisant mine de ne pas remarquer l’altercation.
— Mon Cirri est un bon chat ! affirma la cuisinière. Je ne veux rien entendre de désobligeant sur lui, c’est compris ? Vous l’accusez de trop bien faire son travail, et je n’aime pas ça du tout.
— Il y a eu des plaintes… Oui, des plaintes ! La moitié des clients…
— Je ne veux rien entendre ! S’ils critiquent mon chat, qu’ils viennent faire la cuisine ! Mon brave Cirri et moi, nous allons voir ailleurs si on nous aime !
La cuisinière entreprit de dénouer son tablier.
— Non ! s’écria maître Fitch.
Il bondit, tentant d’empêcher la solide femme de lui rendre son tablier – au propre comme au figuré.
— Non, Sara ! implora-t-il. C’est inutile de prendre la mouche. Inutile ! Que ferais-je sans toi ? Cirri est un très bon chat. Un chat d’élite. Le meilleur chat de Baerlon ! Si d’autres clients se plaignent, je leur dirai d’être plutôt satisfaits parce qu’il fait très bien son travail. Oui, satisfaits et reconnaissants ! Sara, tu ne peux pas me laisser tomber…
La cuisinière réussit à reprendre possession de son tablier.
— D’accord, d’accord… (Amusé, Rand nota que Sara se gardait bien de renouer le tablier.) Mais si vous voulez avoir des plats à servir ce midi, vous devriez me débarrasser le plancher. C’est votre auberge, je sais, mais vous me dérangez dans ma cuisine ! Sauf si vous avez envie de vous mettre aux fourneaux ?
Sara tendit le tablier à son patron.
Maître Fitch recula comme s’il risquait de se brûler. Il ouvrit la bouche pour parler, se ravisa et regarda autour de lui pour la première fois. Les employés de cuisine continuèrent à s’affairer comme si de rien n’était, et Rand commença à fouiller méthodiquement dans les poches de sa veste. À part la pièce donnée par Moiraine, elles ne contenaient rien d’extraordinaire. Quelques sous de cuivre, son couteau, une pierre à aiguiser, deux cordes à arc de rechange et un bout de ficelle qui pouvait un jour servir à quelque chose.
— Je suis certain, Sara, dit maître Fitch, que tu atteindras encore des sommets aujourd’hui.
Sur ces mots, et avec un regard soupçonneux pour le personnel, l’aubergiste se retira avec toute la dignité dont il était capable.
Dès qu’il fut sorti, Sara renoua son tablier. Puis elle se tourna vers Rand :
— Tu veux manger un morceau, c’est ça ? Approche, mon garçon ! Allons, je ne mords pas, et tant pis si tu as assisté à une scène qui ne te regarde pas. Ciel, donne à ce garçon du pain, du fromage et un verre de lait. C’est tout ce que nous avons, pour le moment. Assieds-toi, petit. Tes amis sont sortis, sauf un qui ne se sentait pas très bien, et je suppose que tu as hâte d’en faire autant.
La servante nommée Ciel posa un plateau sur la table. Rand s’assit et commença à manger tandis que la cuisinière se remettait à pétrir sa pâte à pain.
Mais pour ça, elle n’avait pas besoin de se taire.
— Ne tire pas de conclusions de ce que tu as vu, mon garçon. Maître Fitch est une personne de qualité – pour un homme, bien entendu ! Mais les clients se plaignent, et ça lui tape sur les nerfs, à la longue. Tu crois qu’ils seraient plus contents de trouver des rats vivants dans l’auberge ? Cela dit, ça m’étonne de Cirri, parce qu’il n’est pas du genre à laisser traîner son travail… Une dizaine de rongeurs ? Il ne laisserait jamais entrer tant de vermine, j’en suis sûre. L’auberge est très bien tenue, en plus de tout… Tant de rats, tous avec l’échine brisée…
Sara semblait vraiment trouver ça bizarre.
Rand, lui, eut l’impression que son pain et son fromage avaient un goût de cendre.
— L’échine brisée ?
— Si on parlait d’autre chose ? proposa Sara. L’optimisme, voilà ma façon de voir le monde ! Nous avons un trouvère, sais-tu ? Il est dans la salle commune, je crois… Mais c’est ton compagnon de voyage, pas vrai ? Tu es arrivé hier avec maîtresse Alys ? Oui, oui, c’est bien ça… Hélas, je doute de pouvoir assister à une représentation du trouvère, avec l’auberge pleine à craquer. Des tas de bons à rien descendus des mines, en plus de tout ! (Elle flanqua à sa pâte à pain une claque assez forte pour assommer un bœuf.) Pas le genre de clients que nous apprécions, mais la ville en est pleine. Enfin, ça pourrait être pire, je suppose…
» Je n’ai plus assisté à la représentation d’un trouvère depuis le début de l’année, et…
Rand n’écoutait déjà plus. Mangeant machinalement, sans sentir le goût des aliments, il n’avait qu’une idée en tête : des rats à l’échine brisée !
Dès qu’il eut fini son petit déjeuner, il remercia la cuisinière et sortit en trombe. Il devait parler à quelqu’un !
La salle commune de l’établissement de maître Fitch n’avait guère de points communs avec celle de La Cascade à Vin. Pour commencer, elle était trois fois plus longue et deux fois plus large. Sur les murs, des peintures en trompe-l’œil représentant des bâtiments entourés de jardins arborés augmentaient encore l’impression d’immensité majestueuse. Une seule grande cheminée n’aurait sans doute pas pu produire assez de chaleur pour un volume pareil. Du coup, on avait muni chaque mur d’un âtre dont les flammes crépitaient avec une vigueur ravigotante.
Toutes les tables étaient prises et il ne restait plus une place au comptoir. Qu’ils soient debout ou assis, les clients, une pipe au bec, se concentraient tous sur le milieu de la salle. Sa cape multicolore abandonnée sur le dossier d’une chaise, Thom avait grimpé sur une table. Même maître Fitch, pétrifié avec à la main une chope en argent et une peau de chamois, ne parvenait pas à détourner le regard du trouvère.
— … comme à la parade, l’encolure fièrement dressée…
Au son de la voix de Thom, Rand devina qu’il parlait d’une colonne de fiers cavaliers, pas d’un voyageur ni d’un guerrier solitaire.
— Des crinières soyeuses ondulaient au gré des mouvements des destriers. Des milliers de bannières battaient au vent, formant une sorte d’arc-en-ciel qui s’étendait d’un horizon à l’autre. Quelques centaines de trompettes sonnaient à la gloire des héros et le roulement des tambours leur faisait un contre-chant martial. Les acclamations de la foule se répercutaient dans toutes les rues d’Illian, la capitale du royaume homonyme, saluant le passage des milliers de braves aux yeux et au cœur illuminés par l’importance de leur mission sacrée. La Grande Quête du Cor avançait sans faillir, partant à la recherche du Cor de Valère – un fabuleux instrument dont les notes exhorteraient les guerriers des Âges passés à sortir de leur tombe pour venir défendre la juste cause de la Lumière.
Le trouvère avait recours à ce qu’il nommait le « plain-chant ». Autour du feu de camp, durant le voyage, il avait expliqué que les récits pouvaient être racontés de trois façons différentes – dans son jargon, il appelait cela les « trois voix de la narration ». Il y avait donc le plain-chant, le haut chant et le commun – le ton qu’on utilisait pour parler de ses récoltes à un voisin, par exemple. Thom s’en servait parfois pour ses histoires, mais sans cacher son mépris pour tant de banalité.
Rand n’entra pas dans la salle commune. Refermant la porte, il s’adossa un instant à un mur. En cet instant, Thom n’était pas la bonne personne à qui parler de son rêve. Moiraine, en revanche… Mais que ferait-elle si elle savait ?
Rand s’aperçut que les serviteurs et les clients qui passaient dans le couloir le regardaient d’un air bizarre. Rien d’étonnant, puisqu’il marmonnait dans sa barbe, comme un vieillard gâteux. Tirant sur les plis de sa veste, il se redressa et s’ébroua. Il devait parler à quelqu’un. Sara n’avait-elle pas dit qu’un des garçons était resté à l’auberge parce qu’il ne se sentait pas bien ?
Se retenant de courir, Rand gagna le dernier étage, alla frapper à la porte de Mat et Perrin, se permit de l’ouvrir quand on ne lui répondit pas et jeta un coup d’œil dans la chambre. En chemise de nuit, Perrin était toujours couché. Tournant la tête pour regarder Rand, il ouvrit à peine un œil et le referma aussitôt.
Dans un coin de la chambre, Rand remarqua l’arc et le carquois de Mat.
— On m’a dit que tu étais patraque, déclara Rand en entrant dans la chambre. (Il alla s’asseoir sur le lit vide.) Je voudrais parler un peu… Mais… Eh bien, si tu es vraiment malade, il te faut du repos et je ferais mieux de te laisser.
— Dormir ? J’ignore si j’en serai de nouveau capable un jour… J’ai fait un cauchemar, si tu veux tout savoir, et pas moyen de me rendormir. Mat en aurait long à te dire sur le sujet. Ce matin, quand j’ai refusé de sortir avec lui parce que j’étais trop fatigué, il s’est moqué de moi. Mais il a rêvé, lui aussi. Presque toute la nuit, je l’ai entendu s’agiter et gémir, et tu ne me feras pas croire qu’il s’est bien reposé. (Perrin se posa un bras sur les yeux.) Au nom de la Lumière ! je suis épuisé ! En restant tranquille une heure ou deux, ça passera peut-être… Si je rate Baerlon à cause d’un cauchemar, Mat m’en rebattra les oreilles jusqu’à la fin des temps.
— A-t-il tué un rat ? demanda soudain Rand.
Perrin écarta son bras et dévisagea son ami.
— Toi aussi ?
Rand hocha la tête.
— J’aimerais être chez moi…, soupira Perrin. Il a dit que… Que… Qu’allons-nous faire ? Tu en as parlé à Moiraine ?
— Pas encore… Et je ne le ferai peut-être pas. Et toi ?
— L’homme a dit… Par le sang et les cendres ! je ne sais que faire ! (Perrin se redressa sur un coude.) Tu crois que Mat a fait le même cauchemar ? Il s’est moqué de moi, mais ça semblait peu naturel, et il a tiré une drôle de tête quand j’ai parlé d’un mauvais songe.
— Eh bien, il est peut-être dans la même mouise que nous…
À sa grande honte, Rand se sentit soulagé de n’être pas le seul à avoir rêvé.
— Je voulais demander l’avis de Thom, parce qu’il connaît tant de choses… Tu ne trouves pas judicieux d’en parler à Moiraine, on dirait…
L’apprenti forgeron se laissa retomber sur le lit.
— Tu sais ce qu’on raconte sur les Aes Sedai, non ? Quant à Thom, le crois-tu vraiment digne de confiance ? En admettant que quelqu’un le soit pour nous… Rand, si nous nous en tirons, et si nous rentrons un jour chez nous, promets de me botter les fesses si je parle de quitter Champ d’Emond. Même pour aller à Colline de la Garde ! C’est juré ?
— Allons, ce n’est pas une façon de parler… (Rand se força à afficher un sourire jovial.) Bien sûr que nous rentrerons chez nous ! Lève-toi, fainéant ! Une ville nous attend, et nous n’avons qu’un jour pour l’explorer. Où sont tes vêtements ?
— File, Rand… (Perrin remit un bras sur ses yeux.) Je vous rejoindrai dans une heure ou deux.
— Tant pis pour toi ! (Rand se leva.) Pense à tout ce que tu vas rater. (Il s’arrêta devant la porte et se retourna.) Baerlon ! Combien de fois avons-nous parlé de la visiter ?
Perrin ne broncha pas. Après une bonne minute, Rand sortit et ferma la porte derrière lui.
Dans le couloir, il s’adossa au mur et son sourire s’évanouit. Sa tête lui faisait de plus en plus mal. En dépit de ses propos, Baerlon n’éveillait en lui aucun enthousiasme. À dire vrai, plus rien ne lui semblait bien intéressant, depuis quelques jours.
Une femme de chambre passa, les bras chargés de draps, et le regarda d’un air inquiet. Avant qu’elle lui tienne un discours quelconque, il s’éloigna, d’humeur maussade. En bas, Thom en aurait sûrement encore pour des heures. En attendant, pourquoi ne pas jouer quand même les touristes ? S’il tombait sur Mat, il l’interrogerait au sujet de Ba’alzamon.
Rand descendit les marches très lentement et en se massant les tempes.
Il choisit de sortir par la cuisine. En passant, il salua Sara mais ne s’arrêta pas quand elle menaça de reprendre son monologue là où elle l’avait arrêté faute d’auditeur.
La cour était déserte, à l’exception de Mutch, campé sur le seuil de l’écurie, et d’un autre employé qui y entrait, un gros sac sur l’épaule. Rand salua Mutch de la tête. En réponse, il obtint un regard soupçonneux, puis l’homme disparut dans son fief. Espérant que les habitants de Baerlon ressemblaient plus à Sara qu’à Mutch, Rand se dirigea vers la sortie.
Immobile devant le portail ouvert, il jeta un coup d’œil dehors. Dans la rue, les gens se pressaient les uns contre les autres comme des haricots dans un bocal. La capuche de leur cape relevée à cause du froid, des centaines d’hommes et de femmes se croisaient au pas de charge sans même se saluer – et encore moins s’excuser lorsqu’ils se bousculaient.
Des étrangers les uns aux yeux des autres… Ils ne se connaissent pas…
Les odeurs étaient également bizarres. Un mélange de remugles et de parfums qui agressait les narines du jeune homme et menaçait de lui retourner l’estomac. Même durant les plus folles festivités, il n’avait jamais vu tant de gens en même temps. Ni la moitié, pour être franc… Et il ne s’agissait que d’une rue. Maître Fitch et Sara affirmaient que la ville était « prise d’assaut ». Toute une cité pleine comme un œuf ?
Rand recula lentement. Sortir et laisser Perrin au plus mal dans son lit n’était pas très gentil, tout compte fait. Et si Thom finissait sa prestation avant qu’il soit revenu de sa promenade touristique ? Le trouvère risquait de partir lui aussi en exploration, et Rand ne trouverait pas d’autre oreille compréhensive. Attendre était sans nul doute la meilleure solution.
Avec un soupir de soulagement, Rand tourna le dos à la cohue de la ville.
Avec sa migraine, il n’avait aucune envie de retourner dans l’auberge. S’asseyant sur un tonneau, près de la porte de la cuisine, il espéra que l’air frais aurait raison de ses maux de tête.
Mutch sortit régulièrement de l’écurie pour lui jeter un regard soupçonneux. Ce type détestait-il les campagnards ? Ou était-il fâché que maître Fitch leur ait déroulé le tapis rouge alors qu’il les avait traités de haut, tentant de les forcer à faire le tour ?
C’est peut-être un Suppôt des Ténèbres ?
Quelques jours plus tôt, Rand aurait éclaté de rire à cette idée. Désormais, il ne trouvait plus ça drôle du tout.
Il n’y a plus grand-chose d’amusant dans ma vie…, songea-t-il en tapotant le pommeau de son épée.
— Un berger avec une épée au héron ? lança une voix de femme plutôt basse. Décidément, on voit d’étranges choses, de nos jours. Dans quel pétrin t’es-tu fourré, jeune campagnard ?
Rand se leva d’un bond. C’était la fille aux cheveux bouclés qu’il avait vue avec Moiraine en sortant des thermes. Toujours vêtue comme un garçon, elle avait de grands yeux noirs et semblait à peine plus âgée que lui.
— Tu es Rand, n’est-ce pas ? Je m’appelle Min.
— Je ne suis pas dans le pétrin, affirma le jeune homme.
Quoi que Moiraine ait pu raconter à la jeune femme, la consigne de Lan passait avant tout : ne pas attirer l’attention !
— Pourquoi penses-tu que j’ai des ennuis ? Deux-Rivières est un territoire paisible, comme ses habitants. À part avec les récoltes ou les moutons, nous n’avons jamais de problèmes.
— Paisibles, les gens de Deux-Rivières ? J’ai entendu de sacrées blagues sur le crâne dur comme du bois des bergers, et par des hommes qui se sont aventurés jusqu’à chez toi !
— Le crâne dur comme du bois, nous ?
— Les gens qui vous connaissent disent que vous avez l’air doux comme des agneaux, à première vue. Souriants, polis et tout ce qui va avec. Mais, sous ce masque, vous êtes plus durs que les racines d’un chêne centenaire. Sous le velours, le fer ! Voilà ce qu’on dit de vous. Sauf que le velours n’est pas bien épais – en d’autres termes, pas besoin de creuser longtemps pour tomber sur de la roche ! Moiraine ne m’a pas tout dit, mais j’ai des yeux pour voir.
Des racines ? Du fer ? De la roche ? Ce n’était pas le genre de comparaisons que faisaient des marchands ou des gardes du corps. Mais il y avait plus ennuyeux dans la tirade de Min.
Rand regarda autour de lui. La cour restait déserte et presque toutes les fenêtres de l’auberge étaient fermées.
— Je ne connais personne du nom de… Comment as-tu dit, déjà ?
— Maîtresse Alys, si tu préfères… Mais personne ne peut nous entendre, sais-tu ?
— Et pourquoi maîtresse Alys aurait-elle un autre nom ?
— Parce qu’elle me l’a dit, mon garçon…
Min lui parlant comme s’il était un gosse idiot, Rand rougit jusqu’à la racine des cheveux.
— Elle ne pouvait pas me le cacher, de toute façon… J’ai tout de suite deviné qu’elle était différente, lors de son premier séjour ici, sur le chemin de la campagne… Elle connaissait mon existence, parce que j’avais parlé à des femmes comme elle, par le passé…
— Tu as « deviné » ? fit Rand.
— Oui ! Tu vas me dénoncer aux Fils de la Lumière ? Ce serait bizarre, quand on connaît tes compagnons de voyage. Cela dit, les Capes Blanches ne m’apprécieraient pas beaucoup plus qu’ils aimeraient « maîtresse Alys », j’en ai peur…
— Désolé, mais je ne comprends pas.
— D’après elle, je vois des fragments de la Trame… (Min eut un rire de gorge.) Une façon de rationaliser les choses qui me dépasse… Quand je regarde les gens, je perçois des images, et, parfois, je sais ce qu’elles signifient. Par exemple, je rencontre un homme et une femme qui ne se sont jamais parlé et je sais qu’ils se marieront un jour. Tu vois le genre ? Moiraine m’a demandé de te… regarder. Et tes amis aussi.
— Et qu’as-tu vu ?
— Quand vous êtes en groupe ? Des milliers d’étincelles tourbillonnent autour de vous, mais il y a aussi une ombre plus noire que la nuit. Elle est si puissante… Parfois, je me demande pourquoi je suis la seule à la voir. Les étincelles tentent de dissiper l’ombre, qui en retour essaie d’éteindre ces lueurs… Tes amis et toi êtes unis dans une affaire très dangereuse, mais je ne peux pas en dire plus…
— Egwene aussi ? Pourtant, elle n’était pas visée par les Tro… Hum… je veux dire…
Min parut ne pas remarquer la boulette de Rand.
— La fille ? Elle est impliquée, et le trouvère aussi… Toi, tu es amoureux de cette Egwene. Je n’ai pas besoin de voir des images pour le dire. Elle partage tes sentiments, mais vous n’êtes pas faits l’un pour l’autre. Enfin, pas de cette façon-là…
— Ce qui veut dire ?
— Quand je la regarde, je vois les mêmes images qu’avec maîtresse Alys. Je suis loin de tout comprendre, mais je sais ce que ça signifie. Egwene ne refusera pas ce qui s’offre à elle.
— Des foutaises…, marmonna Rand.
Sa migraine s’estompait, lui laissant l’impression d’avoir du coton dans la tête. Il voulait fuir cette femme et tout ce qu’elle voyait. Pourtant, il s’entendit poser une question :
— Que vois-tu quand tu nous regardes, mes autres amis et moi ?
— Beaucoup de choses, répondit Min, satisfaite comme si elle avait toujours su que Rand ne pourrait pas résister à la curiosité. D’abord, il y a le Champ… Enfin, maître Andra… Autour de lui, je vois sept tours en ruine et un bébé dans son berceau qui brandit une épée… (Min marqua une courte pause.) Les hommes comme lui – tu vois ce que je veux dire – sont toujours auréolés d’une multitude d’images.
» En ce qui concerne le trouvère, les images les plus fortes tournent autour d’un homme – mais pas lui – qui jongle avec le feu. Il y a aussi la Tour Blanche mais, pour un individu de sexe masculin, ça n’a pas de sens. Pour le grand costaud aux cheveux bouclés, je vois un loup, une couronne brisée et des arbres partout autour de lui. L’autre garçon… Eh bien, je perçois un aigle rouge, un œil sur le plateau d’une balance, une dague ornée d’un rubis, un cor et un visage souriant. Il y a d’autres choses mais, pour l’instant, je ne leur trouve aucune signification. Tu vois ce que je veux dire ?
Min se tut et attendit la question inévitable.
— Et moi ?
La jeune femme se retint de justesse d’éclater de rire.
— Eh bien, c’est pareil que pour les autres… Des images ! Une épée qui n’en est pas une, une couronne de laurier en or, le bâton d’un mendiant… Je te vois verser de l’eau dans du sable, et je perçois aussi une main ensanglantée, un morceau de fer chauffé à blanc, trois femmes penchées sur un cercueil dans lequel tu reposes, de la roche noire poisseuse de sang…
— Je vois, dit Rand, mal à l’aise. Inutile de tout me citer.
— Mais je vois surtout des éclairs autour de toi. Certains qui te frappent et d’autres qui jaillissent de ton corps. Je n’ai pas d’interprétation sur tous ces points, sinon que nous sommes destinés à nous revoir, tous les deux…
Min se rembrunit et gratifia Rand d’un regard perplexe, comme si elle ne comprenait pas non plus ce point-là.
— Ce n’est pas étonnant, quand on y réfléchit… Pour retourner chez moi, je repasserai par ici.
— Je suppose que oui… (Min sourit de nouveau, l’air mystérieuse, et tapota la joue de Rand.) Mais, si je te décrivais tout ce que je vois, tes cheveux se dresseraient sur ta tête comme ceux de ton ami aux larges épaules.
Rand recula la tête comme si la main de Min lui brûlait la peau.
— Je dois y aller, dit-il, entreprenant de contourner la jeune femme. Je… Eh bien, mes amis doivent m’attendre…
— Dans ce cas, file ! Mais tu ne m’échapperas pas !
Rand ne partit pas vraiment à la course, mais il allongea le pas à chaque enjambée.
— Cours, si tu veux ! Tu ne m’échapperas pas, te dis-je !
Poursuivi par le rire de la jeune femme, Rand traversa la cour, sortit de l’auberge et déboula au milieu de la foule. Les derniers mots de Min faisaient étrangement écho à ceux de Ba’alzamon, dans le cauchemar… Bousculant des badauds tant il marchait vite, Rand s’attira des regards furibonds et des remarques acerbes. Les ignorant, il ne ralentit pas avant d’être à plusieurs rues de l’auberge.
À ce moment-là, il prêta de nouveau un peu d’attention à son environnement. Malgré sa migraine, il regarda autour de lui et apprécia ce qu’il découvrit. Même si elle était différente des villes dont parlait Thom dans ses récits, Baerlon était une cité grandiose. Se laissant emporter par la foule, Rand remonta de larges avenues, la plupart pavées voire dallées, et s’aventura dans des ruelles beaucoup plus étroites et beaucoup plus sinueuses. Comme il avait plu dans la nuit, les voies secondaires au sol en terre battue étaient transformées en bourbiers – le passage de la foule, tout simplement. Mais ça n’avait rien pour déranger Rand, parce qu’à Champ d’Emond aucune rue n’était pavée.
Les maisons n’avaient rien de palais, loin de là, et une poignée seulement étaient beaucoup plus grandes que celles de son village. Mais toutes avaient un toit d’ardoise ou de tuile aussi splendide que celui de La Cascade à Vin. À Caemlyn, il y aurait sans doute eu un palais ou deux, mais il ne fallait pas trop en demander. Quant aux auberges, il en compta neuf, toutes plus grandes que celle de maître al’Vere et presque aussi vastes que celle de maître Fitch. Et il lui restait encore des centaines de rues à découvrir.
Les boutiques s’alignaient à l’infini, proposant un échantillon de leurs marchandises sur des étalages protégés par un auvent. Il y avait de tout : des vêtements, des livres, des ustensiles de cuisine, des bottes et d’autres chaussures… On eût dit qu’une bonne centaine de chariots de colporteur avaient déversé leur contenu sur ces tréteaux. Les yeux ronds, Rand s’attarda si longtemps devant certaines échoppes qu’il dut détaler lorsque le propriétaire en sortit pour lui jeter un regard hargneux. Au début, il ne comprit pas la raison de cette agressivité. Puis il saisit – on le soupçonnait de chercher à voler – et sentit la colère monter en lui. Mais il se souvint d’un détail : en ces lieux, c’était lui l’étranger qu’on suspectait a priori. De toute façon, il n’aurait pas pu acheter grand-chose. Ici, il fallait débourser une petite fortune en échange de quelques pommes trop mûres ou d’une poignée de navets ratatinés – le genre qu’on aurait donné aux chevaux à Deux-Rivières. Mais les citadins payaient sans rechigner.
Il y avait vraiment beaucoup de gens, et même beaucoup trop, au goût de Rand. Un moment, cette multitude lui donna le tournis, comme s’il risquait de s’évanouir. Dans la foule, pas mal de citadins portaient des tenues plus belles que les habits du dimanche des notables de Deux-Rivières. Les passants les plus huppés paradaient dans des manteaux bordés d’hermine au col, aux manches et à l’ourlet.
Les mineurs dont toute la ville parlait se reconnaissaient de loin à leur dos voûté – le signe caractéristique de gens qui passent leur vie pliés en deux sous la terre. N’était ce détail, la plupart des badauds ressemblaient comme des frères jumeaux aux villageois avec lesquels Rand avait grandi. S’étant attendu au contraire, le jeune homme s’étonna de croiser des hommes et des femmes qui auraient pu être parents de personnes qu’il connaissait très bien à Champ d’Emond. Avec ses cheveux gris, ses oreilles en chou-fleur et sa bouche édentée, le vieil homme assis sur un banc, devant une auberge, aurait pu être le cousin germain de Bili Congar – surtout quand il baissait les yeux sur sa chope vide avec une indicible mélancolie. Quant au tailleur à la mâchoire inférieure prognathe assis devant sa boutique, du fil et une aiguille à la main, il aurait pu être le frère de Jon Thane. D’ailleurs, il arborait sur l’arrière du crâne la même tonsure naturelle que le meunier de Champ d’Emond.
Au coin d’une rue, Rand croisa le quasi-sosie de Samel Crawe et…
… Un peu plus loin, il se pétrifia en apercevant un petit homme maigre aux longs bras et au gros nez qui se frayait un chemin dans la foule. Vêtu de haillons, le type avait les yeux cernés et l’air hagard de quelqu’un qui n’a plus mangé ni dormi depuis des jours. Mais, à part ça, Rand aurait juré qu’il s’agissait de…
L’homme l’aperçut à son tour et s’arrêta net, se fichant des gens qui durent faire un détour pour ne pas le percuter.
Rand n’eut plus le moindre doute.
— Maître Fain ! cria-t-il. Nous pensions que vous étiez…
Rapide comme l’éclair, le colporteur reprit son chemin, mais Rand lui emboîta le pas, s’excusant par-dessus son épaule auprès des gens qu’il bousculait. Voyant que Fain s’engouffrait dans une ruelle, il le suivit.
Le colporteur était immobile à dix pas de l’entrée de ce qui était en réalité une impasse. Entendant un bruit de pas, il se retourna, se ramassa sur lui-même et tendit les mains pour dissuader Rand d’avancer. La cape et la veste déchirées, maître Fain semblait tout juste sorti des griffes d’un fauve.
— Maître Fain, que vous arrive-t-il ? Je suis Rand al’Thor, de Champ d’Emond. Nous avons cru que les Trollocs vous avaient capturé…
Toujours sur ses gardes, le colporteur avança de quelques pas, sans essayer de contourner Rand et sans l’approcher vraiment.
— Non ! croassa-t-il, la tête bougeant sans cesse parce qu’il tentait de voir ce qui se passait dans la rue, derrière Rand. Ne parle pas… d’eux… (Il coula un regard angoissé au jeune homme.) Il y a des Capes Blanches en ville…
— Ces gens n’ont aucune raison de s’en prendre à nous… Suivez-moi jusqu’à l’Auberge du Cerf et du Lion, où je suis descendu avec quelques amis. Vous les connaissez presque tous, et ils seront contents de vous voir, après vous avoir cru mort.
— Mort ? s’indigna le colporteur. Padan Fain ? Non, cet homme-là sait retomber sur ses jambes quand on le pousse dans le vide ! (Il tira sur ses haillons comme si c’étaient de riches atours.) Oui, j’ai toujours été malin, et je vivrai longtemps, crois-moi. Plus longtemps que… (Il se rembrunit soudain.) Ils ont brûlé mon chariot et toutes mes marchandises. Pourquoi ça, tu peux me le dire ? Et mes chevaux sont piégés dans l’écurie de ce fichu aubergiste gras comme un cochon. Pour ne pas finir égorgé, j’ai dû filer à toute vitesse. Et maintenant, il ne me reste rien, à part les frusques que j’ai sur le dos.
— Maître al’Vere vous rendra vos chevaux, c’est certain. Si vous venez avec moi, Moiraine vous aidera à retourner à Deux-Rivières et tout s’arrangera.
— L’Aes Sedai ? C’est d’elle que tu parles ? (Le colporteur parut réfléchir.) Cela dit, peut-être que… Combien de temps resterez-vous en ville, dans cette auberge – comment l’as-tu appelée, déjà ? Le Cerf et le Lion ?
— Nous partons demain, répondit Rand, mais quel rapport avec… ?
— Tu ne peux pas te mettre à ma place, gémit Fain. Toi, tu as le ventre plein, après une bonne nuit de sommeil dans un vrai lit. Depuis l’attaque, je n’ai presque plus dormi. À force de fuir, j’ai troué les semelles de mes bottes, et quant à manger… Je ne voudrais pas m’approcher à moins d’une lieue d’une Aes Sedai, mais on n’en fait pas toujours qu’à sa tête. Et je n’ai pas le choix. Pourtant, imaginer qu’elle me regarde, et même simplement qu’elle sache où je suis… (Fain tendit les mains comme s’il voulait saisir les pans de la veste de Rand, mais il se ravisa et recula d’un pas.) Jure de ne pas lui parler de moi. Elle m’effraie, tu comprends ? Qu’a-t-elle besoin de savoir que je suis vivant ? Promets-moi de te taire !
— C’est juré, dit Rand. Mais pourquoi avez-vous peur d’elle ? Venez avec moi. Au minimum, vous aurez un repas chaud…
— Peut-être… Peut-être… (Fain se gratta le crâne.) Demain, as-tu dit ? En attendant… Tu ne manqueras pas à ta parole ? Elle ne saura pas que… ?
— Je ne la laisserai pas vous faire du mal, assura Rand.
Comme s’il était capable de s’opposer à une Aes Sedai !
— Elle ne me fera pas de mal… Pour sûr que non !
À une vitesse incroyable, le colporteur contourna Rand et jaillit dans la rue.
— Maître Fain, attendez ! cria Rand.
Il sortit de la ruelle à temps pour voir Fain disparaître à l’intersection suivante. L’appelant sans cesse, il se lança à sa poursuite, percuta un inconnu au coin de la rue et s’étala avec lui dans la gadoue.
— Tu ne peux pas regarder où tu mets les pieds ? grogna une voix familière.
En guise d’inconnu, on faisait mieux !
— Mat ?
L’ami de Rand se redressa et entreprit d’épousseter sa cape – sans grand résultat, vu qu’elle était maculée de boue.
— Tu deviens un vrai citadin… On dort toute la matinée et on renverse les passants…
Mat contempla ses mains souillées de boue et les essuya sur le devant de sa cape.
— Tu ne devineras jamais qui je viens d’apercevoir, dit-il.
— Padan Fain.
— Comment le sais-tu ?
— Je parlais avec lui, mais il a détalé.
— Donc les Tro… (Mat regarda autour de lui, la foule ne daignant pas lui accorder un regard.) Donc, ils ne l’ont pas eu. Mais pourquoi a-t-il quitté Champ d’Emond sans explications ? Tu crois qu’il courait trop vite pour avoir le temps de s’arrêter ?
» Et que fuit-il ici ?
Rand secoua la tête et le regretta, parce qu’il eut l’impression qu’elle allait tomber de ses épaules.
— Je n’en sais rien, mais il a peur de Moi… de maîtresse Alys…
Surveiller sans cesse ce qu’on disait devenait difficile, à la longue…
— Il ne veut pas qu’elle sache qu’il est en ville, et je lui ai promis de ne rien dire.
— Eh bien, il n’a pas à s’inquiéter, dit Mat, parce que je ne dirai rien non plus. J’aimerais qu’elle ignore aussi où je suis…
Même si les passants ne leur accordaient toujours aucune attention, Rand baissa la voix et se pencha vers son ami.
— Mat, as-tu eu un cauchemar, cette nuit ? Avec un homme qui tuait un rat ?
— Toi aussi ? Et Perrin également, je suppose… J’ai failli le lui demander, ce matin, mais la réponse est évidente… Par le sang et les cendres ! Voilà qu’on nous fait rêver des horreurs… Rand, je voudrais que personne ne sache où je suis !
— Ce matin, il y avait des rats morts un peu partout dans l’auberge… (Rand s’avisa qu’évoquer ce sujet ne le terrorisait plus autant – parce qu’il devenait indifférent à tout, comprit-il.) Des rats à l’échine brisée…
Sa propre voix résonnant bizarrement dans sa tête, Rand se demanda s’il n’était pas malade. Dans ce cas, il devrait consulter Moiraine. Même l’idée qu’elle utilise sur lui le Pouvoir de l’Unique ne l’angoissait plus, désormais.
Mat prit une grande inspiration et regarda autour de lui comme un animal traqué.
— Que nous arrive-t-il, Rand ?
— Je ne sais pas. Je veux demander l’avis de Thom. Et même de quelqu’un d’autre…
— Non, pas elle ! Le trouvère, je veux bien, mais…
La réaction de Mat surprit son ami.
— Ainsi, tu le crois ?
Rand ne jugea pas utile de préciser de qui il parlait.
— Non, pas vraiment… C’est une affaire de risques calculés, voilà tout… S’il a menti, rien ne se passera si nous parlons à… maîtresse Alys. Mais il est dans nos rêves, et c’est assez inquiétant pour… Eh bien, les cauchemars cesseront peut-être si nous gardons ça pour nous. Rats ou pas rats, les rêves valent parfois mieux que la réalité. Tu te souviens du bac ? Je vote pour que nous ne disions rien.
— D’accord…
Rand n’avait pas oublié le bac, ni les menaces de Moiraine. Mais tout ça semblait remonter à une éternité…
— Perrin ne dira rien, pas vrai ? demanda Mat. Nous devrions aller le retrouver. S’il parle, elle comprendra que nous sommes tous concernés. J’en mettrais ma main au feu ! En route !
Rand ne bougea pas, regardant son ami s’éloigner jusqu’à ce qu’il fasse demi-tour et vienne le tirer par le bras. Là, il sursauta et suivit le mouvement.
— Que t’arrive-t-il ? s’inquiéta Mat. Tu dors debout ?
— J’ai peur d’avoir une grippe…, dit Rand.
Sa tête résonnait comme un tambour, à croire qu’elle était aussi vide.
— Tu avaleras un peu de bouillon de volaille, à l’auberge, souffla Mat.
Il ne cessa pas de parler tandis que les deux amis se frayaient un chemin dans les rues bondées de monde. Rand fit l’effort d’écouter et même de dire un mot ou deux de temps en temps, mais cela lui coûta. Il n’était pas fatigué et ne désirait pas dormir. Non, il dérivait dans un environnement cotonneux, tout simplement. Sans savoir comment, il se retrouva en train de raconter à Mat sa rencontre avec Min.
— Une dague ornée d’un rubis ? J’aime ça, mon vieux ! En revanche, l’œil, je ne vois pas trop… Tu es sûr qu’elle ne s’est pas fichue de toi ? Si c’est une voyante, elle doit savoir ce que signifient ses visions.
— Elle n’a pas parlé de voyance, dit Rand. Elle perçoit des choses, c’est tout. Souviens-toi, Moiraine parlait avec elle, quand nous sommes sortis des thermes. Et Min sait qui est Moiraine…
— Je croyais que nous ne devions pas utiliser ce nom ? Et là, deux fois en deux phrases ?
— C’est vrai…, concéda Rand.
Il se massa les tempes. Se concentrer devenait si difficile…
— Je crois que tu es vraiment malade…
Mat saisit Rand par le col, le forçant à s’arrêter.
— Regarde-moi ça !
Trois hommes avançaient en direction des deux amis. Arborant un casque conique et un plastron poli jusqu’à briller comme de l’argent, les bras couverts de manchons de mailles tout aussi scintillants, ils portaient une longue cape blanche ornée sur la poitrine, du côté gauche, d’un soleil jaune visible de très loin. Alors que l’ourlet de leur cape frôlait la boue de cette rue non pavée, ils regardaient autour d’eux, la main posée sur le pommeau de leur épée, comme s’ils s’attendaient à voir jaillir on ne savait trop quelle vermine de sous un rondin vermoulu.
Personne ne semblait remarquer la présence des trois guerriers. Pourtant, ils n’avaient pas besoin de jouer des coudes pour avancer, parce que la foule s’ouvrait devant eux comme par miracle.
— Des Fils de la Lumière ? demanda Mat.
Un passant le foudroya du regard puis accéléra le pas.
Rand hocha la tête. Des Fils de la Lumière. Des Capes Blanches… Bref, des hommes qui abominaient les Aes Sedai. Des brutes qui dictaient leur façon de vivre aux gens et faisaient des ennuis à ceux qui leur résistaient. Si une ferme brûlée, dans le meilleur des cas, pouvait passer pour un « ennui ».
Je devrais avoir peur, pensa Rand. Ou être intrigué.
Mais il n’éprouvait rien.
— Moi, ils ne m’impressionnent pas, dit Mat. En revanche, ils sont gonflés d’importance, pas vrai ?
— Ils ne comptent pas, dit Rand. L’auberge… Nous devons parler à Perrin.
— Ils me font penser à Eward Congar, toujours le menton en l’air… (Mat sourit soudain comme un enfant.) Tu te rappelles le jour où il est tombé du pont aux Chariots ? Il a dû rentrer chez lui trempé jusqu’aux os. Pendant un bon mois, ça l’a remis à sa place !
— Quel rapport avec Perrin ?
— Tu as vu ça ?
Mat désigna une charrette qui reposait sur sa partie arrière, dans une ruelle latérale se trouvant sur le chemin des Capes Blanches. Une simple cale tenait en place une dizaine de gros tonneaux entassés sur le véhicule.
— Regarde bien ! s’écria Mat.
Jubilant, il entra dans l’échoppe d’un rémouleur, sur leur gauche.
Rand le suivit des yeux, certain qu’il allait se passer quelque chose. Quand ses yeux brillaient ainsi, Mat avait toujours une idée en tête. En général, ça tournait mal, mais Rand ne s’inquiéta pas. Même si une petite voix lui disait que c’était dangereux, il souriait d’avance…
Passant par une lucarne, Mat se hissa sur le toit de la boutique. Sa fronde au poing, il commença à la faire tourner au-dessus de sa tête.
Rand tourna la tête vers la charrette. Au moment où les Capes Blanches passaient devant la ruelle, il y eut un bruit sec. Brisée net par le projectile de Mat, la cale ne remplit plus sa fonction et les tonneaux dévalèrent la pente, soulevant des geysers d’eau boueuse et de gadoue. Dans la rue principale, les passants détalèrent et les Fils de la Lumière ne furent pas les derniers à s’écarter. Autour d’eux, quelques passants s’étalèrent, projetant dans l’air encore plus d’immondices.
Leur arrogance volatilisée, les trois Fils ne semblaient pas blessés, mais leurs capes allaient avoir besoin d’un sacré nettoyage avant de redevenir blanches.
Un type barbu portant un long tablier jaillit de nulle part en agitant les bras et en beuglant de rage. Dès qu’il aperçut les trois hommes souillés de gadoue, il décida de battre en retraite et se volatilisa en un clin d’œil.
Sur le toit, Mat n’était déjà plus en vue. Pour un garçon de Deux-Rivières, le tir n’avait rien d’un exploit, mais le résultat était délectable. Même si ses perceptions étaient voilées, comme s’il évoluait dans de la ouate, Rand ne put s’empêcher d’éclater de rire.
Quand il regarda de nouveau la rue, il s’avisa que les Capes Blanches le dévisageaient.
— Quelque chose t’amuse, mon gars ?
Le Fils de la Lumière qui venait de parler se tenait un peu devant les deux autres. L’air supérieur, il semblait persuadé de savoir sur le monde quelque chose que le reste de l’humanité ignorait.
Rand cessa de rire. Il était seul avec les Capes Blanches, si on oubliait les tonneaux et la boue. Les passants témoins ou victimes de l’incident s’étaient tous trouvé des occupations urgentes…
— La crainte de la Lumière te rend muet ? demanda l’homme, la fureur soulignant l’étroitesse de son visage de fouine.
Contrairement aux autres, ce Fils de la Lumière arborait un nœud jaune au centre du soleil qui ornait sa poitrine.
— C’est ton œuvre ? demanda-t-il en désignant les tonneaux.
Voyant que l’homme lorgnait sur son épée, Rand voulut la couvrir avec sa cape. Bien au contraire, il fit voler le vêtement par-dessus son épaule. Dans un coin de sa tête, il aurait donné cher pour savoir ce qu’il faisait, mais ce n’était qu’une très lointaine préoccupation.
— Les accidents arrivent, dit-il. Même aux Capes Blanches…
— Tu te crois si dangereux que ça, gamin ?
Le Fils de la Lumière était à peine plus vieux que Rand.
— Seigneur Bornhald, vous avez vu le héron ? souffla un des deux autres hommes.
Bornhald regarda mieux la poignée et le fourreau de l’arme, puis il écarquilla un instant les yeux. Ensuite, il dévisagea Rand et eut un rictus méprisant.
— Il est trop jeune… Tu n’es pas d’ici, pas vrai ? Où habites-tu ?
— Je viens d’arriver à Baerlon… (Rand avait des fourmis dans les bras et les jambes, et son front lui semblait en feu.) Vous pourriez m’indiquer une bonne auberge ?
— Tu te dérobes à mes questions ! cria Bornhald. Quelle influence maléfique te pousse à me défier ?
Les deux autres Fils vinrent flanquer leur compagnon. Malgré leur cape crottée, ils n’avaient plus rien de comique.
Comme si la fièvre l’emportait sur ses ailes, Rand eut envie d’éclater de rire. Il était si agréable de railler ces faquins ! Dans sa tête, la petite voix soufflait que quelque chose clochait, mais il se sentait si débordant d’énergie et de confiance. Avec un grand sourire, il se balança sur les talons, attendant ce qui suivrait inévitablement – sans se soucier outre mesure de ce que ça pourrait être.
Bornhald se rembrunit encore. Un de ses compagnons dégaina un bon tiers de sa lame et parla d’une voix vibrante de rage :
— Quand les Fils de la Lumière t’interrogent, espèce de bouseux aux yeux gris, il faut répondre, si tu…
L’homme s’interrompit, car Bornhald venait de lui faire signe d’arrêter. Puis il désigna discrètement le bout de la rue.
La patrouille de la Garde Municipale approchait. Dix hommes en cuirasse, un casque rond sur la tête, et armés de massues dont ils semblaient savoir se servir. S’arrêtant à quelques pas des fauteurs de troubles, ils observèrent la suite des événements, prêts à intervenir.
— Cette ville a oublié la Lumière, souffla l’homme qui avait à demi dégainé son arme.
Il éleva la voix pour s’adresser aux gardes :
— Baerlon est noyée par les Ténèbres du Berger de la Nuit !
Sur un geste de Bornhald, il rengaina néanmoins son épée.
Le seigneur regarda de nouveau Rand, les yeux brillant de ferveur meurtrière.
— Les Suppôts des Ténèbres ne nous échappent pas, gamin, même dans une cité envahie par le mal. Nous nous reverrons, n’en doute pas un instant…
Comme si Rand venait de cesser d’exister, Bornhald se détourna et s’éloigna, ses deux compagnons dans son sillage. Lorsqu’ils furent de nouveau à proximité de la foule, le vide se fit devant eux, comme par miracle.
Les gardes étudièrent un moment Rand, puis ils emboîtèrent le pas aux Capes Blanches. Mais ils durent se frayer un chemin dans la foule, beuglant à tue-tête : « Qu’on s’écarte devant la Garde ! »
Les passants obtempérèrent mollement.
Le fourmillement était si fort que Rand tremblait presque. Il était brûlant comme s’il allait se consumer, et…
— Tu n’es pas malade ! cria Mat en sortant de l’échoppe. Mais fou à lier, ça, oui…
Rand prit une grande inspiration. En un éclair, tout disparut : le fourmillement, la chaleur, le suprême détachement… Mesurant enfin ce qu’il venait de faire, il vacilla sur ses jambes.
— On devrait rentrer à l’auberge…, souffla-t-il.
— Oui, fit Mat, ça paraît une bonne idée.
La rue grouillait de nouveau de monde et plus d’un passant jeta un coup d’œil aux deux garçons en murmurant quelques mots aux gens qui l’accompagnaient. L’histoire ferait le tour de la ville, Rand l’aurait parié. Un fou furieux avait tenté d’en découdre avec trois Fils de la Lumière. Le genre d’anecdote qui faisait jaser à l’infini…
Les cauchemars minent peut-être ma raison…
Les deux jeunes hommes se perdirent plusieurs fois dans le dédale de rues. Par bonheur, ils croisèrent Thom Merrilin, qui paradait dans la cité avec un naturel désarmant. Même s’il affirmait être sorti pour se dégourdir les jambes et prendre un peu d’air frais, il attendait que quelqu’un regarde avec insistance son manteau multicolore et lançait de sa voix amplifiée : « Ce soir, représentation unique à l’Auberge du Cerf et du Lion ! »
Ce fut Mat qui parla au trouvère des cauchemars et de la nécessité, ou non, d’en informer Moiraine. Rand intervint aussi, parce que ses souvenirs et ceux de Mat divergeaient parfois.
À moins que nos rêves soient légèrement différents…
Mais pour l’essentiel, ils concordaient.
Thom ne tarda pas à être fasciné par le récit des deux garçons. Mais quand Rand mentionna Ba’alzamon, il les prit chacun par une épaule, leur intima le silence, s’assura que personne n’avait entendu, puis les conduisit dans une impasse déserte à l’exception du vieux chien émacié qui s’abritait du froid au milieu d’un tas de caisses.
Thom s’assura qu’aucun curieux ne s’arrêtait pour écouter, puis il regarda Mat et Rand, ses yeux sondant leur regard avant de voler de nouveau vers l’entrée de l’impasse.
— Ne prononce plus jamais ce nom quand un étranger risque de t’entendre, dit le trouvère à Rand. C’est trop dangereux, même quand il n’y a pas de Fils de la Lumière dans les environs.
— Si vous saviez ce qu’on en fait, des Fils de la Lumière ! ricana Mat.
Thom ignora la remarque.
— Si ces rêves ne vous touchaient pas tous les trois… (Le trouvère se tortilla nerveusement la moustache.) Dites-moi tout ce que vous vous rappelez de ces songes, sans omettre un détail.
En écoutant, Thom continua à s’assurer qu’on ne les espionnait pas.
— … il a cité les noms des hommes qui furent utilisés, conclut Rand. Guaire Amalasan, Raolin Noir-Fléau…
— Davian, ajouta Mat, et Yurian Arc-de-Pierre…
— Sans oublier Logain, précisa Rand.
— Des noms dangereux, marmonna Thom, le regard plus perçant que jamais. Presque aussi dangereux que celui qu’il ne faut pas prononcer… Tous ces hommes sont morts, à part Logain. Certains depuis très longtemps. Raolin Noir-Fléau n’est plus depuis deux mille ans. Mais le danger demeure. Ne dites pas ces noms, même quand vous êtes seuls. La plupart des gens n’en reconnaîtraient aucun, mais si la mauvaise personne vient à vous entendre…
— Qui étaient ces hommes ? demanda Rand.
— Des fous qui ébranlèrent les piliers du ciel et firent trembler le monde sur ses fondations. Mais oubliez-les, c’est préférable. Ils sont retombés en poussière, de toute façon.
— Ont-ils été… utilisés… ? demanda Mat. Et tués ?
— On peut dire que la Tour Blanche les a tués, oui. Mais utilisés ? Non, je ne vois pas en quoi. La Lumière sait que la Chaire d’Amyrlin est friande de complots, mais là…
— Il a dit tant de choses. Des horreurs… Au sujet de Lews Therin Fléau de sa Lignée et d’Artur Aile-de-Faucon. Et l’Œil du Monde ! Au nom de la Lumière ! de quoi s’agit-il ?
— D’une légende…, répondit le trouvère. Peut-être. Un mythe aussi important que le Cor de Valère, au moins dans les Terres Frontalières. Là-bas, les jeunes hommes partent à la recherche de l’Œil du Monde alors que ceux d’Illian tentent de trouver le Cor. Une légende, peut-être…
— Que devons-nous faire, Thom ? demanda Rand. Lui en parler ? Je ne veux plus avoir des cauchemars pareils. Qui sait, elle peut peut-être nous aider ?
— Ou aggraver les choses…, marmonna Mat.
Thom se lissa la moustache, pensif.
— Ne vous précipitez pas, voilà mon conseil… N’en parlez à personne, au moins dans un premier temps. Il sera toujours possible de changer d’avis, si ça s’impose. Mais, si vous parlez, il sera impossible de revenir en arrière, et vous serez plus que jamais liés à… elle. (Le trouvère se redressa, son dos d’habitude voûté presque normal.) Votre ami ! Il a rêvé aussi, non ? Est-il assez malin pour tenir sa langue ?
— Je crois, fit Rand.
— Moi aussi, renchérit Mat.
— Nous étions en route pour l’auberge afin de le prévenir.
— Fasse la Lumière qu’il ne soit pas trop tard !
Sa cape battant sur ses chevilles, le trouvère sortit en trombe de l’impasse et se retourna :
— Alors, vous avez des semelles en plomb ?
Rand et Mat emboîtèrent le pas à l’artiste, qui ne ralentit pas pour se laisser rattraper. En chemin, il se désintéressa des gens qui regardaient sa cape ou lui demandaient s’il était bien un trouvère. Remontant les rues comme si elles étaient désertes, il força les deux jeunes gens à courir pour ne pas se laisser semer.
L’auberge fut en vue bien plus tôt que l’aurait cru Rand. Et quand ils entrèrent dans la cour Perrin jaillit du bâtiment, encore occupé à fixer sa cape sur son épaule, et manqua les percuter de plein fouet.
— Tu as parlé de ton rêve ? demanda Rand.
— Réponds par la négative ! implora Mat.
L’apprenti forgeron ne cacha pas sa perplexité.
— Quelle mouche vous pique ? Je n’ai rien dit. Il n’y a même pas une heure que je suis debout… Essayer de ne pas penser au cauchemar – et de ne pas en parler – m’a flanqué la migraine de ma vie. (Il désigna le trouvère.) Pourquoi l’avez-vous mis au courant ?
— C’était ça ou devenir fou, répondit Rand.
— Les explications attendront, dit Thom en désignant les clients et les employés qui entraient et sortaient de l’auberge.
— D’accord, dit Perrin, toujours troublé. (Il se flanqua une grande claque sur le front.) Vous avez failli me faire oublier pourquoi je vous attendais impatiemment ! Bon, j’aurais mieux aimé perdre la mémoire, mais… Voilà : Nynaeve est ici.
— Par le sang et les cendres ! s’exclama Mat. Comment a-t-elle fait ? Le bac… Moiraine…
— Tu crois qu’un vulgaire naufrage peut arrêter notre Sage-Dame ? demanda Perrin. Maître Haute-Tour se terrait dans sa chambre – ne me demandez pas comment il a fait pour retraverser la rivière – mais elle l’en a sorti de force, avec mission de trouver une barque assez grande pour un cheval et sa cavalière. Ensuite, elle l’a obligé à ramer lui-même avec l’aide d’un seul de ses haleurs.
— Que la Lumière me brûle ! s’écria Mat.
— Que fait-elle ici ? demanda Rand.
Ses deux amis le foudroyèrent du regard.
— Elle vient nous chercher, dit Perrin. Elle parle avec maîtresse Alys, dans l’auberge, et l’atmosphère est assez glaciale pour qu’il neige.
— Et si nous nous défilions, pour une fois ? proposa Mat. Comme dit mon père, quand rien ne l’y oblige, seul un fou met la main dans un nid de frelons.
— Elle ne peut pas nous forcer à rentrer, dit Rand. Si l’attaque des Trollocs n’a pas suffi à la convaincre, nous allons devoir nous en charger.
Mat fronça les sourcils pendant tout le discours de son ami, qu’il ponctua d’un sifflement modulé.
— Tu as essayé de la convaincre quand elle campait sur sa position ? Moi oui… Voici ce que je propose : attendons la nuit, et gagnons discrètement nos chambres…
— D’après ce que j’ai vu de cette jeune femme, intervint Thom, elle n’est pas du genre à lâcher prise aisément. Si elle rencontre de la résistance, elle risque de faire du grabuge, et d’attirer l’attention sur nous – en d’autres termes, la dernière chose que nous voulons !
Les trois garçons en eurent la chique coupée. Après s’être consultés du regard, ils poussèrent un gros soupir collectif et entrèrent dans l’auberge, sinistres comme s’ils allaient affronter une horde de Trollocs.