34 Le dernier village

Les deux jeunes gens arrivèrent à Gué de Cary après la tombée de la nuit, soit beaucoup plus tard que ce qu’aurait cru Rand en se fondant sur les indications de maître Kinch. Sa perception de la chronologie était-elle faussée ? Trois jours plus tôt, il y avait eu la rencontre avec Howal Godot, à Quatre Rois. Puis, le lendemain, Paitr leur était tombé dessus à Marché de Sheran.

L’épisode de la tueuse datait du matin même, mais Rand aurait juré que des mois s’étaient écoulés…

Malgré cette distorsion du temps, Gué de Cary leur apparut comme un village normal, au moins au premier coup d’œil. Des maisons en brique couvertes de vignes, des rues étroites, à part la route de Caemlyn elle-même, bien entendu. Un endroit paisible et accueillant, en quelque sorte.

Oui, mais ça, c’est la surface…

Marché de Sheran semblait aussi être un village où régnaient la paix et la fraternité. Idem pour celui où la tueuse les avait attaqués – de cette agglomération-là, Rand n’avait jamais su le nom, et ça ne l’empêcherait sûrement pas de dormir…

La lumière qui filtrait des fenêtres éclairait des rues presque désertes, un point que Rand jugea très positif. Passant d’une ombre à l’autre, les deux fugitifs évitèrent sans peine les rares promeneurs nocturnes. S’accrochant à l’épaule de Rand, Mat se pétrifiait quand un crissement de gravier annonçait l’approche d’un villageois, mais il se laissait de nouveau guider dès que le danger était passé.

À cet endroit, la rivière Cary faisait à peine trente pas de largeur et ses eaux se révélaient plutôt paresseuses, mais, de toute façon, un pont enjambait le gué dont le village tirait son nom. À voir l’état de la pierre, on comprenait que la partie minérale de l’ouvrage avait dû essuyer des siècles d’intempéries. Rudoyées par un nombre incalculable de chariots, les planches de bois, heureusement épaisses, semblaient avoir subi les assauts d’un rabot géant. Sous les bottes des deux amis, certaines de ses planches – les plus disjointes, en toute logique – produisaient un vacarme qui devait s’entendre dans tout Gué de Cary. S’attendant à tout instant à être intercepté et interrogé, Rand n’en menait pas large, mais, pour le moment, rien ne se passait…

Et ça ne changea pas, puisque les deux amis eurent bientôt traversé le village sans encombre.

À mesure qu’on approchait de Caemlyn, la densité de peuplement de la campagne augmentait. Ici, on voyait un peu partout des fermes illuminées. Des haies et des clôtures délimitaient les propriétés et les champs qui s’étendaient à perte de vue dans toutes les directions. Avec cette configuration, les voyageurs avaient toujours l’impression de traverser la périphérie d’un village. En réalité, les bourgs restaient séparés par des heures de marche, mais ça n’avait guère d’importance, car le sentiment demeurait.

La paisible campagne qu’on s’attendait à trouver aux abords d’une grande ville… Sans le moindre signe que des Suppôts des Ténèbres ou des créatures plus terribles y rôdent dans la nuit…

Soudain, Mat s’arrêta et s’assit en tailleur à même la route. La lumière de la lune ne le gênant pas, il remonta le foulard sur son front.

— Combien de pas dans une lieue, Rand ? demanda-t-il. Quoi que tu répondes, sache que je ne ferai pas dix enjambées de plus sans la promesse de trouver un endroit agréable où dormir au bout du chemin. Un repas ne serait pas de trop non plus. Tu n’aurais pas caché quelque chose dans tes poches ? Une pomme, par exemple ? Si c’est le cas, je ne t’en voudrai pas. Tu ne veux pas au moins regarder ?

Rand sonda la route dans les deux directions. À part eux, aucune créature ne se déplaçait dans la nuit.

Retirant une de ses bottes, Mat entreprit de se masser un pied. Rand se demanda si les deux seuls êtres vivants en mouvement n’allaient pas… en rester là et s’immobiliser. Ses propres pieds le mettaient à la torture et quelque chose, dans ses jambes – une sorte de sourde lassitude –, semblait indiquer qu’il n’avait pas recouvré toutes ses forces.

Dans un champ, il repéra des meules de foin. Plus petites qu’à la fin de l’automne, hiver oblige, mais encore suffisantes pour réchauffer deux voyageurs.

Du bout du pied, Rand titilla les côtes de son ami.

— D’accord, nous dormirons là-bas…

— Des meules de foin, encore ?

Malgré ses protestations, Mat remit sa botte et se redressa.

Alors que le vent se levait, un peu plus mordant chaque soir, les deux amis enjambèrent une clôture, approchèrent des meules et s’y enfouirent. La bâche qui protégeait le foin de la pluie coupait un peu le vent, et c’était plutôt agréable.

Rand se lova dans le nid qu’il venait de se ménager. Même à travers ses vêtements, le foin parvenait à lui faire picoter la peau, mais, depuis Pont-Blanc, il avait eu le temps de s’habituer à ce désagrément.

Dans les récits, les héros ne devaient jamais dormir dans des meules de foin ou dans des haies. Ça ne comptait pas, parce qu’il n’essayait plus de s’imaginer sous les traits d’un de ces personnages légendaires. Avec un soupir, le jeune berger remonta son col, histoire de compliquer un peu la vie à ses adversaires végétaux.

— Rand ? Tu crois qu’on y arrivera ?

— À Tar Valon ? C’est une longue route, mais…

— Non, Caemlyn ! Tu crois que nous l’atteindrons ?

Rand leva la tête mais, par une nuit d’encre, impossible de voir Mat. Seule sa voix lui indiquait où il était.

— Si on en croit maître Kinch, nous y serons après-demain.

— Certes, s’il n’y avait pas une centaine de Suppôts sur notre route, et quelques Blafards dans notre dos… Rand, je crois que nous sommes les derniers survivants du groupe. C’est entre nous deux et eux, désormais…

Rand secoua la tête. Dans le noir, Mat ne pouvait pas le voir, mais ce geste s’adressait plus à lui-même qu’à son ami.

— Dors, mon vieux…, dit-il d’une voix lasse.

Mais il mit longtemps à s’endormir.

Entre eux et nous, oui…


Le chant d’un coq réveilla Rand, quelques heures plus tard. Se relevant et s’étirant, il épousseta frénétiquement ses habits. Malgré toutes ses précautions, des brins de paille s’étaient introduits dans son dos et ça le démangeait terriblement. Pour s’en débarrasser, il enleva sa veste et sortit sa chemise de son pantalon. Alors qu’il se nettoyait dans une position acrobatique, une main sur sa nuque et l’autre fourrageant entre ses omoplates, le jeune berger s’aperçut soudain qu’il se donnait en spectacle.

Même si le soleil n’était pas encore vraiment levé, une longue file de voyageurs avançait en direction de Caemlyn. Certains portaient un impressionnant baluchon alors que d’autres avaient pour tout bagage une canne ou un bâton de marche. Dans cette procession, les jeunes hommes étaient largement majoritaires, mais on apercevait de temps en temps une jeune fille ou une personne d’âge mûr. Presque tous ces « pèlerins » arboraient les traits tirés des gens qui n’en sont pas à leur premier jour de voyage. Beaucoup gardaient les yeux baissés sur leurs pieds, comme s’ils avaient peur de les perdre en chemin, et leurs épaules voûtées trahissaient une grande lassitude. Les plus frais regardaient quelque chose qu’ils étaient seuls à voir, très loin à l’horizon.

Émergeant à son tour de la meule, Mat se gratta vigoureusement, marquant quand même une pause pour nouer le foulard autour de son front. Rand eut l’impression qu’il se cachait un peu moins les yeux…

— Tu crois qu’on mangera quelque chose, aujourd’hui ? demanda Mat.

L’estomac de Rand grommela – une manifestation de solidarité, à n’en pas douter.

— On y pensera quand on sera en route…

Après avoir remis de l’ordre dans sa tenue, Rand ramassa sa part des bagages et s’éloigna des meules.

Quand ils atteignirent la clôture, Mat s’aperçut enfin qu’ils n’étaient pas seuls. Les sourcils froncés, il s’immobilisa tandis que Rand enjambait l’obstacle.

Un jeune type couvert de poussière tourna la tête vers eux quand il les dépassa.

— Où vas-tu donc ? lui cria Mat.

— À Caemlyn, pour voir le Dragon, répondit le garçon sans ralentir le pas. Comme vous ! ajouta-t-il en désignant le paquetage des deux voyageurs.

Sur un éclat de rire, il s’éloigna, les yeux rivés devant lui.

Mat posa à plusieurs reprises cette question, durant la journée, et seuls les résidants du coin ne lui répondirent pas la même chose. Si le verbe « répondre » s’appliquait quand on crachait sur le sol avant de détourner la tête. Cela dit, ces gens avaient l’art de regarder du coin de l’œil, et ils réservaient ce sort à tous les étrangers, claironnant qu’ils les soupçonnaient d’être capables de tout, quand on ne les surveillait pas.

Méfiants envers les étrangers, les gens du coin semblaient également très agacés. Avec tant de voyageurs sur la route – et trop indisciplinés pour ne pas s’éparpiller un peu partout –, les charrettes et les chariots des fermiers n’avançaient plus. En conséquence, inutile d’espérer se faire transporter. Furieux de perdre du temps et, donc, de l’argent, les paysans locaux étaient plutôt d’humeur à agonir d’injures les casse-pieds qui obstruaient leur route.

Qu’ils roulent en direction de Caemlyn ou qu’ils en viennent, les chariots de marchands s’impatientaient aussi. Lorsque la première caravane apparut, très tôt dans la matinée, Rand sauta dans le ravin pour éviter de se faire écraser. Forçant le passage envers et contre tout, les conducteurs ne ralentissaient sous aucun prétexte, et d’autres voyageurs durent s’écarter à la hâte.

S’il n’avait pas capté un mouvement du coin de l’œil – le seul avertissement qu’il reçut –, le jeune berger ne s’en serait pas sorti indemne. À dire vrai, il s’était retrouvé allongé sur le dos à l’instant même où le fouet du conducteur claquait là où se trouvait sa tête une seconde plus tôt. De sa position peu flatteuse, il croisa le regard du conducteur tandis que le véhicule passait devant lui. Les yeux fixes, un rictus sur les lèvres, le type semblait se ficher comme d’une guigne d’être passé près de blesser un piéton – voire de lui crever un œil.

— Que la Lumière t’aveugle ! cria Mat. On n’a pas le droit…

Un garde à cheval le frappa à l’épaule avec l’embout de sa lance, le faisant basculer sur son ami.

— Hors de notre chemin, maudit Suppôt des Ténèbres ! cria-t-il sans même ralentir.

Après cet incident, les deux garçons se tinrent le plus loin possible des chariots. Ce ne fut pas toujours facile, car il y en avait beaucoup, les conducteurs et les gardes regardant comme s’ils étaient de la vermine les voyageurs qui cheminaient vers Caemlyn.

Rand évalua mal la longueur d’une lanière de fouet – oh ! de presque rien, mais assez pour récolter sur le front une fort belle entaille. À un pouce près, il aurait pu dire adieu à son œil. Alors que le conducteur affichait un sourire satisfait, Rand saisit Mat par le poignet, l’empêchant d’encocher une flèche.

— Laisse tomber, dit-il. (Une partie des gardes qui accompagnaient la caravane se moquaient du blessé. Les autres lorgnaient d’un air soupçonneux l’arc de Mat.) Avec un peu de chance, s’ils nous frappaient, ils se contenteraient d’utiliser l’embout de leur lance… Avec un peu de chance, oui…

Mat grogna de rage mais il consentit à avancer dans le ravin, comme son ami.

Par deux fois, des détachements de Gardes de la Reine croisèrent les pèlerins. Quelques paysans les interpellèrent, exigeant que la souveraine fasse « quelque chose contre les étrangers ». Très patients, les Gardes s’arrêtaient et prenaient le temps d’écouter toutes les doléances. Vers midi, Rand décida de s’arrêter pour suivre dans sa totalité une de ces conversations.

Il retint surtout la réponse du capitaine, remarquant l’air dégoûté qu’il affichait derrière la grille de son casque.

— Si l’un d’eux commet un vol ou une violation de propriété, dit-il au fermier qui l’avait hélé au passage, je le traînerai devant un juge. Mais marcher sur la route de la Reine ne contrevient à aucune loi du royaume.

— Mais ces gens nous envahissent, gémit le paysan, et qui peut dire qui ils sont ? Toutes ces rumeurs au sujet du Dragon…

— Au nom de la Lumière ! mon brave, ici, vous n’avez qu’une poignée d’étrangers ! Caemlyn est prise d’assaut, et le flux est plus important chaque jour. (Voyant que Mat et Rand écoutaient, le capitaine les foudroya du regard.) Circulez, vous deux ! Sinon, je vous arrête pour obstruction du trafic !

Au ton de sa voix, le militaire était au moins aussi agacé par le fermier que par les deux garçons. Ils obéirent cependant, et Rand sentit le regard du capitaine peser un long moment sur sa nuque. À bout de patience, les Gardes n’étaient pas tendres avec les voyageurs et il ne fallait pas compter éveiller leur sympathie en cas de problème. Prudent, Rand décida d’empêcher Mat de voler des œufs, à l’avenir…

Cela dit, l’exode massif vers Caemlyn avait du bon pour les deux amis. Dans une pareille foule, les Suppôts des Ténèbres qui les traquaient feraient tout aussi bien de chercher une aiguille dans une meule de foin. À Champ d’Emond, le Myrddraal ignorait visiblement l’identité de ses cibles. Sur cette route, ses alliés se retrouvaient dans la même situation.

Chaque fois que son estomac se rappelait à son bon souvenir, Rand devait faire face à une triste réalité : il ne leur restait plus assez d’argent pour se payer à manger, surtout avec les prix en vigueur aux environs de Caemlyn.

À un moment, s’avisant que sa main reposait sur l’étui de la flûte, il le repoussa dans son dos. Godot savait pour la jonglerie de Mat et pour la flûte. Comment déterminer ce qu’il avait communiqué à Ba’alzamon, avant sa fin ? S’il s’agissait bien d’une fin, d’ailleurs…

Et comment deviner ce que savaient tous les Suppôts des Ténèbres ?

Alors qu’ils passaient devant une ferme, Rand eut un regard mélancolique pour ce qu’elle aurait pu représenter, quelques jours plus tôt. Aujourd’hui, un paysan patibulaire patrouillait avec ses deux molosses le long de la clôture. Au moindre prétexte, c’était visible, il lâcherait les chiens. Tous les fermiers ne se montraient pas si hostiles, mais aucun n’offrait de petit travail aux voyageurs.

Avant le coucher du soleil, Mat et Rand traversèrent deux bourgs. Massés sur le bord de la route, les villageois regardaient passer la foule en conversant entre eux. Ils ne semblaient pas plus amicaux que les fermiers, les conducteurs de chariot et les Gardes de la Reine. À leurs yeux, les étrangers désireux de voir le faux Dragon n’étaient qu’une bande de crétins incapables de rester à leur place. Ou, pis encore, des partisans de l’imposteur. Voire des Suppôts des Ténèbres. S’il y avait une différence entre les deux…

La nuit tombant, le flot se tarit un peu lors de la traversée du second village. Les voyageurs « fortunés » fondirent sur l’auberge, où il sembla qu’on ne voulait pas les laisser entrer. Les autres se mirent en quête d’un endroit où dormir à l’abri des molosses.

Mat et Rand se retrouvèrent bientôt seuls sur la route. Alors que son ami parlait de trouver une nouvelle meule de foin, Rand insista pour ne pas s’arrêter.

— Tant que nous verrons où nous mettons les pieds, précisa-t-il. Plus nous aurons d’avance et mieux ça vaudra.

Si nous sommes poursuivis… Mais pourquoi nos ennemis prendraient-ils la peine de nous traquer ? Jusque-là, ils nous ont attendus tranquillement.

Mat ne discuta pas et accéléra le pas, forçant Rand à souffrir pour le suivre.

Lorsque la nuit fut tombée, la lune pâlichonne permettant à peine d’y voir à cinq pas devant soi, l’enthousiasme de Mat retomba et il recommença à se plaindre.

Les mollets de Rand se contractaient douloureusement. Pourtant, n’avait-il pas souvent marché au moins autant que ça, lorsqu’il travaillait à la ferme ? Eh bien, non, même s’il eût aimé le croire, ce n’était pas vrai. Serrant les dents, il ignora la douleur et continua.

Alors qu’il se concentrait pour oublier sa souffrance – et ne pas entendre les jérémiades de Mat –, le troisième village de la journée apparut soudain au détour de la route – enfin, la lumière de ses fenêtres, pour être plus précis.

Rand s’arrêta et prit soudain conscience que sa jambe droite lui faisait un mal de chien. Il avait une ampoule à ce pied, ce qui le forçait à prendre de mauvais appuis…

Lorsqu’il aperçut lui aussi les lumières, Mat se laissa tomber à genoux.

— On s’arrête, à présent ? Ou veux-tu trouver une auberge et accrocher une pancarte pour prévenir les Suppôts de notre arrivée ?

— On traverse et on s’arrête…, répondit Rand en étudiant les lumières.

De loin, on aurait pu se croire devant Champ d’Emond, par une nuit très noire.

Qui se tapit dans ce village ?

— Allons, même pas un quart de lieue…

— Non, je ne ferai plus un pas !

Les jambes en feu, Rand se força à avancer, et il réussit malgré ce qu’il redoutait. Comme il l’espérait, Mat le suivit en maugréant des amabilités heureusement inaudibles.

À cette heure, les rues étaient désertes, même si les villageois ne dormaient pas encore. Érigée au milieu du village, l’auberge très vivement éclairée brillait comme un phare dans la nuit. Des notes de musique et des éclats de rire étouffés en sourdaient et l’enseigne, un grand classique, grinçait sinistrement au vent. Devant l’établissement, donc sur la route de Caemlyn, un homme était occupé à vérifier les harnais d’un cheval attelé à une charrette. Un peu plus loin, au bout du bâtiment, deux types à moitié tapis dans les ombres le regardaient faire.

Rand s’arrêta à côté d’une maison où ne brillait aucune lumière. Trop fatigué, il ne se sentait pas la force de chercher un moyen de contourner le centre du village en passant par le dédale de ruelles. De plus, une minute de repos ne pouvait pas leur faire de mal. En attendant que les deux hommes fichent le camp…

Avec un soupir de soulagement, Mat s’adossa au mur comme s’il avait l’intention de dormir debout.

Rand n’aimait pas les deux hommes qui conversaient dans le noir. Il n’aurait su dire pourquoi, mais une chose était sûre : le paysan qui s’occupait de son attelage ne les aimait pas non plus ! Ayant fini de vérifier un harnais, il modifia légèrement la position du mors, dans la bouche du cheval. La tête baissée, il évitait de regarder les deux types, pourtant à moins de cinquante pas de lui. Mais, à voir la raideur de ses gestes, et la méfiance qu’il exsudait par tous les pores, impossible de se tromper : il savait très bien qu’il n’était pas seul dans la rue.

Un des deux inconnus n’était en fait qu’une ombre mouvante. En revanche, l’autre se tenait davantage dans la lumière. Même s’il tournait le dos à Rand, celui-ci devina sans peine que le type n’appréciait pas beaucoup la conversation en cours. Les yeux baissés, il se tordait nerveusement les mains, acquiesçant pourtant régulièrement à tout ce que lui disait son interlocuteur. En fait, il ne s’agissait pas d’une conversation mais d’un monologue. L’homme campé dans l’obscurité parlait et son compagnon l’approuvait avec un enthousiasme forcé.

Finalement, le chef se détourna et disparut dans les ténèbres. Le type nerveux en profita pour revenir totalement à la lumière, sous laquelle il entreprit de s’éponger le front avec son long tablier blanc.

Avec la chair de poule, Rand regarda l’autre inconnu finir de s’enfoncer dans la nuit. À l’évidence, c’était lui la cause de son trouble. Dès qu’il le regardait, les poils de ses bras se hérissaient. Et ceux de sa nuque aussi.

Tu deviens aussi fou que Mat, mon pauvre garçon !

À cet instant, la silhouette passa dans le halo de lumière qui filtrait d’une fenêtre. Alors, tout fut clair. L’enseigne grinçait de plus en plus fort, mais la cape noire de l’inconnu ne bougeait pas d’un pouce.

— Un Blafard…, murmura Rand.

Mat se leva d’un bond, comme s’il venait d’entendre sonner le tocsin.

— Quoi ?

Rand plaqua une main sur la bouche de son ami.

— Moins fort ! siffla-t-il.

Le Myrddraal avait disparu.

— Bon, il est parti, je crois…

Rand retira sa main. Sonné, Mat se contenta de prendre une brusque inspiration.

Le type en tablier s’arrêta devant la porte de l’auberge, rectifiant sa tenue avant d’entrer.

— Tu as d’étranges amis, Raimun Holdwin…, dit le paysan.

La voix d’un homme âgé mais encore vigoureux et fier de l’être…

— De bien curieuses fréquentations nocturnes pour un aubergiste…

L’homme nerveux regarda autour de lui comme s’il cherchait à voir qui lui parlait. À croire qu’il n’avait pas remarqué la présence du paysan, tant il se torturait l’esprit.

— Que veux-tu dire par là, Almen Bunt ?

— Ce que je dis, et rien de plus, Holdwin… Ce type n’est pas d’ici, pas vrai ? Ces dernières semaines, les visiteurs bizarres sont fréquents. Beaucoup trop fréquents, je trouve…

— Tu es bien placé pour parler de bizarrerie, ironisa Holdwin. Je connais beaucoup d’hommes, y compris des gens de Caemlyn. Pas comme toi, vieil ours solitaire qui ne quittes presque jamais ta ferme ! (Il hésita, puis décida de donner quand même quelques explications.) Il vient de Quatre Rois et il poursuit un duo de voleurs. Des jeunes gens qui lui ont dérobé une épée au héron.

Rand avait sursauté en entendant mentionner Quatre Rois. Entendant parler de l’épée, il se tourna vers Mat, mais celui-ci sondait les ténèbres en écarquillant tant les yeux qu’on n’en voyait plus que le blanc. Rand aurait voulu scruter l’obscurité, car le Blafard pouvait être n’importe où, mais son regard revint tout naturellement vers les deux hommes qui conversaient devant l’auberge.

— Une épée au héron ! s’exclama Bunt. Pas étonnant qu’il veuille la récupérer.

— Oui, et il tient aussi à coincer les voleurs ! Mon ami est un… un marchand très riche, et ces deux bandits ont semé le trouble parmi ses employés. Ils racontent des histoires absurdes et perturbent les gens… Ce sont des Suppôts des Ténèbres et des partisans de Logain.

— Des Suppôts et des partisans du faux Dragon ? En plus, ils racontent des histoires, dis-tu ? Ce n’est pas un peu beaucoup, pour des jeunes gens ? Tu as bien dit qu’ils étaient jeunes ?

— Oui, moins de vingt ans… Il y a une récompense pour les deux – cent couronnes d’or.

Holdwin hésita avant d’ajouter :

— Ce sont des langues de vipère ! La Lumière seule sait quelles absurdités ils profèrent afin de monter les gens les uns contre les autres. Des types très dangereux, crois-moi, même s’ils n’en ont pas l’air. De vrais vicieux, quoi ! Si tu les vois, garde tes distances, surtout ! De jeunes hommes, l’un avec une épée, et tous deux enclins à regarder sans cesse derrière eux… Si ce sont les bons, mon ami les fera arrêter le plus vite possible.

— En t’entendant les décrire, on dirait que tu les connais…

— Si je les rencontre, je saurai les identifier… Quant à toi, n’essaie pas de jouer les héros. Inutile que quelqu’un soit blessé. Si tu les vois, viens me prévenir, et mon… ami se chargera du reste. N’oublie pas : cent couronnes de prime, mais pour les deux !

— Ça, c’est pour les voleurs… Mais combien pour l’épée que ton ami désire si ardemment ?

Holdwin sembla s’apercevoir soudain que son interlocuteur le menait en bateau.

— Je me demande pourquoi je perds mon temps à te parler… Tu ne penses qu’à ton absurde projet, je vois…

— Pas si absurde que ça… Il n’y aura peut-être plus de faux Dragon avant ma mort – fasse la Lumière qu’il en soit ainsi – et je suis trop vieux pour respirer la poussière des caravanes pendant tout mon voyage. En partant ce soir, je serai à Caemlyn demain matin très tôt.

— Et tu veux faire ça seul ? demanda l’aubergiste d’un ton méprisant. Almen Bunt, qui peut dire ce qui se tapit dans la nuit ? Seul sur la route, dans les ténèbres… Même si quelqu’un entend tes cris, personne ne viendra à ton secours ni ne t’ouvrira sa porte. Pas par ces temps troublés. Même s’il s’agit de ton plus proche voisin…

Ces prédictions sinistres n’impressionnèrent pas le vieux paysan.

— Si les Gardes de la Reine sont incapables de sécuriser la route, si près de Caemlyn, pas un seul d’entre nous n’est à l’abri nulle part – y compris dans son lit. De plus, si je devais donner un conseil aux Gardes, ce serait de mettre ton ami sous les verrous. Un excellent moyen de rendre les nuits plus sûres. Ce type se cache dans les ombres comme s’il avait peur qu’on le voie tel qu’il est. Allons, ne prétends pas que c’est un inoffensif marchand !

— Lui, avoir peur ? Vieil imbécile, si tu savais… (L’aubergiste se tut brusquement et sursauta comme s’il sortait d’une transe.) Bon sang ! je me demande vraiment pourquoi je perds mon temps avec toi ! Allons, circule, vieil enquiquineur, tu prends la place de mes clients !

Sur ces mots, Holdwin entra dans l’auberge et la porte claqua dans son dos.

Marmonnant dans sa barbe, Bunt s’accrocha au bord du siège du conducteur et posa un pied sur le moyeu d’une roue.

Rand hésita à peine. Alors qu’il voulait avancer, Mat le saisit par le bras.

— Tu es devenu fou ? Il va nous reconnaître, c’est certain !

— Tu préfères rester ici ? Avec un Blafard, au moins, lancé à tes trousses ? Si nous partons à pied, combien de temps faudra-t-il pour qu’il nous rattrape ?

Dégageant son bras, Rand serra sur son corps les pans de sa cape – afin de bien cacher la garde de son épée – puis il avança d’un pas décidé.

— Sans vouloir espionner, lança-t-il, j’ai entendu dire que vous allez à Caemlyn !

Bunt sursauta puis tira une massue de sous le siège du chariot. Le visage ridé et les dents jaunies, l’homme ne paraissait pas impressionnant, mais il tenait pourtant l’arme sans trembler. Après quelques instants, cependant, il la posa sur le sol et s’appuya dessus.

— Vous allez à Caemlyn ? demanda-t-il aux deux fugitifs. Pour voir le Dragon ?

— Le faux Dragon, oui, corrigea Rand, à la fois grave et théâtral.

— Bien sûr, bien sûr…, murmura Bunt. (Il jeta un regard de biais à l’auberge puis remit la massue sous le siège du conducteur.) Si vous voulez que je vous emmène, embarquez ! J’ai déjà perdu assez de temps…

Il finit de se hisser sur le siège.

Rand sauta à l’arrière du chariot alors que Bunt secouait les rênes. Mat dut courir pour ne pas se laisser distancer, et son ami l’aida à grimper dans le véhicule.

Au rythme où roulait Bunt, le village disparut très vite derrière les trois voyageurs. Alors que Rand s’étendait sur les planches poussiéreuses, le grincement régulier des roues devenant peu à peu une berceuse contre laquelle il dut lutter, car il ne voulait pas s’endormir, Mat étouffa ses bâillements en plaquant un poing sur sa bouche et sonda mornement la campagne. L’obscurité s’étendait comme un linceul sur les champs et les fermes, les fenêtres éclairées brillant comme des yeux uniques et solitaires. Mais leur lueur semblait condamnée à lutter en vain contre la nuit.

Un hibou ulula, évoquant les sanglots d’une pleureuse, et le vent gémit comme l’auraient fait des âmes perdues dans le royaume des Ténèbres.

Un ennemi peut nous guetter n’importe où…, pensa Rand, qui ne dormait toujours pas.

Sans doute parce qu’il se sentait lui aussi oppressé, Bunt prit soudain la parole :

— Vous êtes déjà allés à Caemlyn ? Non, bien entendu… Eh bien, attendez-vous à un choc. La plus grande ville du monde ! J’ai entendu parler d’Illian, d’Ebou Dar et de Tear, ne vous y trompez pas ! Partout, on trouve des idiots convaincus qu’une chose est plus grande et plus belle parce qu’elle est plus loin qu’une autre. Pour moi, Caemlyn est la plus vaste cité, un point c’est tout ! Et la plus grandiose ! Impossible de faire mieux, sauf si la reine Morgase, que la Lumière brille sur elle, parvenait à se débarrasser de la sorcière de Tar Valon…

Confortablement installé, la tête calée sur sa couverture, elle-même posée sur le baluchon de Thom, Rand regardait défiler le ciel nocturne tout en écoutant distraitement le fermier. Le son d’une voix humaine repoussait un peu les ténèbres et étouffait les gémissements du vent. Que du bénéfice, en quelque sorte…

— Vous voulez parler d’une Aes Sedai ? demanda-t-il en relevant la tête pour jeter un coup d’œil au dos de Bunt – une masse noire sur un fond un peu moins sombre…

— Bien entendu ! De qui d’autre, d’après toi ? Tapie dans le palais comme une araignée… Je suis un bon sujet de la reine, pour sûr que oui, mais ça, c’est un peu trop. Ceux qui disent qu’Elaida a trop d’influence sur Morgase vont trop loin, et je ne parle même pas des crétins convaincus que c’est elle qui tire les ficelles dans l’ombre. Morgase n’est la marionnette de personne, mais…

Une autre Aes Sedai ! Quand Moiraine arriverait à Caemlyn – car elle y arriverait, n’est-ce pas ? –, elle chercherait certainement le soutien de sa « sœur ». Si les choses tournaient mal, Elaida aiderait les fugitifs à atteindre Tar Valon.

Rand regarda Mat. Comme s’il avait deviné ses pensées, le jeune homme secoua la tête. Même sans voir son visage, le berger devina qu’il affichait son expression butée de plus en plus coutumière.

Les mains posées sur les genoux, sauf quand il devait secouer les rênes pour empêcher son attelage de ralentir, Bunt continua son monologue :

— Je suis un bon sujet de la reine, c’est acquis, mais même les crétins disent parfois des choses intelligentes. Après tout, les cochons aveugles trouvent aussi des glands ! Et qui ne verrait pas que des changements s’annoncent ? Le mauvais temps, les vaches qui ne donnent plus de lait, les veaux et les agneaux morts à la naissance ou qui viennent au monde avec deux têtes… Ces saloperies de corbeaux n’attendent même plus que leurs victimes meurent pour les dévorer… Les gens ont peur, et il leur faut un coupable. Les Crocs de Dragon fleurissent sur bien des portes, des ombres rôdent dans la nuit, des étables brûlent… Des gens comme l’ami d’Holdwin terrorisent les populations…

» La reine doit faire quelque chose avant qu’il soit trop tard. Vous êtes d’accord, pas vrai ?

Rand émit un grognement qui pouvait passer pour une approbation. Tomber sur ce vieil homme et faire la route avec lui était un sacré coup de chance ! S’ils avaient attendu l’aube, ils ne seraient peut-être jamais sortis vivants du dernier village.

« Des ombres rôdent dans la nuit… »

Rand se releva pour sonder l’obscurité qui défilait sur les deux flancs du chariot. Dans le noir, on distinguait des masses sombres menaçantes. S’il insistait, il finirait par voir des monstres partout.

Le jeune homme préféra se rallonger.

Faute d’objections, Bunt estima que son auditoire l’approuvait.

— Oui, je suis un loyal sujet de la reine, et je la défendrais au prix de ma vie, s’il le fallait, mais j’ai raison ! Prenez par exemple dame Elayne et le seigneur Gawyn. Voilà un changement qui ne nuirait à personne, et qui aurait une chance de faire du bien ! Je sais, nous avons toujours procédé ainsi, en Andor. La Fille-Héritière, qui portera un jour la couronne, va à Tar Valon étudier avec les Aes Sedai, et le fils aîné de la reine suit une formation auprès des Champions. Je respecte les traditions, croyez-moi, mais quand on voit comment ça a fini la dernière fois… Luc mort dans la Flétrissure avant même d’avoir été nommé Premier Prince de l’Épée, et Tigraine volatilisée – morte ou en fuite – au moment où elle aurait dû monter sur le trône. Cette histoire nous travaille encore, des années après…

» Certains disent qu’elle est toujours vivante, Morgase n’étant pas la reine légitime… Quelle bande d’imbéciles ! Je me souviens de ce qui s’est passé comme si c’était hier. L’ancienne reine morte, pas d’héritière pour prendre sa suite, et toutes les maisons d’Andor occupées à comploter et à se quereller. Et Taringail Damodred ! Qui aurait dit qu’il venait de perdre sa femme, à le voir s’efforcer de deviner qui gagnerait, histoire de bien se remarier et de redevenir Prince Consort ? Eh bien, il a réussi son coup ! Pourquoi Morgase l’a-t-elle choisi ? Qui saurait le dire ? Aucun homme ne comprend l’esprit d’une femme, et une reine est doublement féminine, pourrait-on dire : mariée à un homme et unie à un pays. Taringail a obtenu ce qu’il voulait, au bout du compte, même s’il n’avait pas prévu que ça se passerait ainsi…

» Le Cairhien s’est mêlé du complot afin de le favoriser, et vous savez comment ça s’est terminé… L’Arbre coupé, les Aiels voilés de noir qui franchissent le Mur du Dragon… Après avoir engendré Elayne et Gawyn, Taringail a connu une mort honorable, donc nous en avons fini avec tout ça, je suppose… Mais pourquoi envoyer ces enfants à Tar Valon ? N’est-il pas temps que le trône d’Andor ne soit plus associé aux Aes Sedai ? S’ils devaient vraiment partir pour achever leur formation, il y a à Illian d’aussi bonnes bibliothèques qu’à Tar Valon. Et là-bas, dame Elayne en apprendrait plus long sur l’art de gouverner que ce que les fichues sorcières pourront jamais lui enseigner. Et si les Gardes ne sont pas assez compétents pour développer les talents martiaux de Gawyn, il y a des soldats là-bas ! Même chose au Shienar et en Tear, bien entendu. Je suis un bon sujet de la reine, mais ça ne m’empêche pas de dire : assez d’échanges avec Tar Valon ! Trois mille ans, c’est bien trop long. Morgase peut régner et résoudre nos problèmes sans l’aide de la Tour Blanche. Croyez-moi, un homme est fier de s’agenouiller devant une femme de cette envergure. Une fois…

Rand luttait depuis un moment contre le sommeil, mais la fatigue, le grincement des roues et la voix régulière de Bunt eurent raison de sa résistance.

Il rêva de Tam.

Pour commencer, assis à la grande table de chêne, chez eux, ils buvaient une infusion tandis que Tam parlait du Prince Consort, de la Fille-Héritière, du Mur du Dragon et des Aiels voilés de noir. L’épée au héron reposait entre eux, sur la table, mais ils ne la regardaient pas.

Puis Rand se retrouva dans le bois de l’Ouest, au milieu de la nuit, en train de tirer la civière improvisée. Se retournant, il vit que Thom occupait la civière, et pas son père. Assis en tailleur, le trouvère jonglait avec ses balles de couleur.

— La reine est unie au royaume, dit-il, mais le Dragon… Le royaume et lui ne font qu’un, comprends-tu ?

Derrière Thom, Rand vit un Blafard dont la cape noire ne battait pas au vent alors que son cheval trottait en silence. Deux têtes coupées pendaient au pommeau de la selle du Myrddraal. Du sang en coulait encore, ruisselant sur le flanc noir de sa monture. Un rictus de douleur distordant leurs traits, Moiraine et Lan tenaient lieu de trophées au Blafard.

Le Demi-Humain serrait dans un poing plusieurs longes reliées aux poignets des prisonniers qui couraient derrière l’étalon noir.

Mat, Perrin et Egwene, le visage défait et les yeux fous.

— Pas elle ! cria Rand. Que la Lumière te carbonise ! c’est moi que tu veux, pas elle !

Le Blafard tendit un bras et des flammes consumèrent Egwene, ne laissant d’elle qu’un petit tas de cendres grises.

— Le Dragon ne fait qu’un avec le royaume, dit Thom sans cesser de jongler, et le royaume ne fait qu’un avec le Dragon…

Rand cria de nouveau…

… Puis il ouvrit les yeux.

Le chariot avançait sur la route de Caemlyn dans une nuit où planaient l’odeur du foin depuis longtemps disparu et une vague odeur de cheval. Une masse plus noire que la nuit pesait sur la poitrine de Rand, des yeux plus sombres que la mort se rivant dans les siens.

— Tu m’appartiens ! dit le corbeau.

Son bec se tendit et Rand hurla quand il sentit un de ses yeux sauter hors de son orbite.

Il s’assit en sursaut, cria à pleins poumons et plaqua les deux mains sur son visage.

La lumière de l’aube caressait la campagne environnante. Stupéfié, Rand regarda ses paumes et ne vit pas de sang. Plus de douleur… La première partie du rêve se dissipait déjà, mais la seconde…

Il se palpa le visage, pour être bien sûr.

— Tu as enfin pu dormir un peu…, dit Mat tout en bâillant à s’en décrocher la mâchoire.

Ses yeux froids démentaient la compassion de ses propos. Emmitouflé dans sa cape, il avait lui aussi glissé sa couverture sous sa tête.

— Il n’a pas cessé une seconde de parler…, dit-il en désignant le fermier.

— Vous êtes réveillés ? demanda Bunt. Mon gars, tu m’as fichu la frousse, à brailler comme ça… Bon, on y est ! (Il fit un grand geste circulaire.) Caemlyn, la plus grandiose cité du monde !

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