51. LUNDI 7 MAI, 18 H 39


Seul à présent, Vic avançait dans l’épaisse forêt d’Halatte, au nord de Paris. Il avait quitté l’autoroute pour rejoindre une nationale, puis de la nationale il était passé sur une départementale. D’après l’adresse fournie par le conservateur de Dupuytren et les indications du GPS, il arriverait chez Noël Siriel dans quelques kilomètres.

Vic regarda sa montre. La mère de Céline venait probablement d’arriver à l’hôpital, moins de trois heures après son départ d’Avignon. Par téléphone, Vic lui avait expliqué que Céline dormirait encore longtemps, et qu’il comptait la rejoindre dès que possible. Il n’avait pas donné les raisons de son absence, il n’en avait pas eu le temps. La batterie de son portable l’avait lâché, et il se trouvait de nouveau injoignable.

Un profond nid-de-poule le ramena à la réalité. Les essieux claquèrent un bon coup, le véhicule décrivit un léger écart avant que Vic parvienne à redresser le volant. Au-dessus de lui, le soleil s’effaçait : la forêt était particulièrement dense, comme prête à l’écraser. Fallait-il y voir un quelconque avertissement ? En bordure de route, le nombre de propriétés diminuait.

Même en retournant la question dans tous les sens, Vic ne comprenait pas comment le Stéphane Kismet du futur − puisqu’il en était réduit à penser une chose pareille… – s’était retrouvé à écrire le nom de Siriel sur son mur. Quel rôle jouait le vieux collectionneur dans cette histoire macabre ? Comment pouvait-on posséder un don de voyance si développé ? Rien de logique dans tout ça.

Vic s’engagea sur une voie qui s’enfonçait d’une centaine de mètres dans les bois. À son extrémité, il aperçut un solide portail et de hauts murs de brique bâtis en arc de cercle de chaque côté. La maison était colossale et paraissait ancienne. Vic se gara devant la grille et alla sonner à l’interphone, au-dessus duquel se tenait une petite caméra.

Une voix un peu rocailleuse demanda :

— Oui ?

Vic montra sa carte de police devant l’objectif.

—Vic Marchal, police judiciaire. Je souhaiterais parler à monsieur Siriel.

Après un court silence, l’interphone chuinta.

— Je vous ouvre. Franchissez ensuite la porte d’entrée de la maison. Le salon sera droit devant vous.

Les deux battants métalliques s’écartèrent sur un large terrain à la végétation foisonnante. Derrière une rangée d’arbres était garé un puissant 4x4. Un lierre agrippait la demeure et se déversait sur la toiture, au-dessus de laquelle une haute cheminée crachait de la fumée. Vic s’avança, une boule dans la gorge. Personne, hormis Kismet, ne le savait dans ce trou de verdure. Et il n’aurait jamais aucune explication à fournir à ses supérieurs. Cette visite devait rester secrète. À tout prix.

Il poussa la porte d’entrée et pénétra à l’intérieur, son arme à portée de la main.

Dans le vaste hall circulaire, particulièrement obscur, les murs étaient recouverts de tableaux gigantesques, une alternance morbide de scènes religieuses et guerrières. Vic en prenait plein la vue, l’ensemble était absolument splendide mais terriblement poignant. Car ces œuvres picturales, sans exception, représentaient la mort, la violence, la douleur. Elles unissaient l’horreur et le divin, et semblaient, par leur agencement, vouloir reporter la faute des guerres, la folie des hommes, sur Dieu et la religion. Chaque visage était creusé par l’angoisse et donnait une impression de souffrance extrême. Vic en trembla d’émotion. Il tourna sur lui-même et, soudain, se figea devant un tableau.

Sous un cadre doré, on pouvait lire : « Le Massacre des innocents ». Au premier plan, on y apercevait deux bébés morts, trucidés à l’arme blanche. Et derrière, d’autres enfants, serrés dans les bras de leurs mères en fuite. Le pire était sans doute le visage de ces femmes, drapées dans des étoffes pourpres, la bouche ouverte, hurlant leur terreur au ciel.

Annabelle Leroy avait exactement ce visage-là. Et les dix-huit poupées disposées au pied du lit de la victime évoquaient directement ces enfants dans les bras de leurs mères.

— Exceptionnel ce tableau de Reni, non ?

Vic se retourna en sursautant. Un homme d’une bonne soixantaine d’années, peut-être même soixante-dix, habillé d’un pantalon de flanelle grise et d’une chemise bleue, se tenait à bonne distance derrière lui, dans une autre pièce. Vic tenta de masquer sa surprise lorsqu’il découvrit son visage. Siriel présentait d’épaisses plaques de couleur grisâtre sur les joues et sur le front, comme des écailles de poisson. L’homme était plutôt frêle, légèrement voûté, et certainement incapable de soulever un corps comme celui de Liberman.

Siriel continua à parler sans s’avancer.

— Le Reni montre l’acte d’amour le plus désespéré, avec ces mères qui tentent de protéger leur progéniture des bras meurtriers. Regardez également ces œuvres de Bellini, de Poussin, et de bien d’autres encore. En terme de représentation de la souffrance, vous avez actuellement sous les yeux les tableaux les plus remarquables.

Noël Siriel pria Vic de venir le rejoindre dans le séjour, tout en s’éloignant.

— Entrez, mais ne vous approchez pas de moi… Gardez vos distances, d’accord ?

Vic avança sans vraiment comprendre. Siriel était-il contagieux, ou se méfiait-il ? Il tenait une gélule entre son pouce et son index, et il l’observait attentivement, comme un joaillier face à un diamant. Tandis que le policier pénétrait dans la pièce, entourée d’une impressionnante bibliothèque dont les ouvrages rivalisaient de beauté dans leurs ornements, Siriel s’approcha d’une cheminée à foyer ouvert, située en son milieu. Des bûches s’y consumaient.

Alors qu’il restait lui-même debout, Siriel invita Vic à s’asseoir, à bonne distance de lui, de l’autre côté d’une table qui semblait directement taillée dans un tronc. Sur la droite, un petit écran de surveillance montrait l’entrée du portail, au niveau de l’interphone.

— Puis-je savoir ce qui me vaut la visite d’un policier si jeune et si ambitieux ?

— Pourquoi ambitieux ?

— Vous seriez deux, sinon. C’est ainsi que cela fonctionne, je crois ?

Vic décida d’aller droit au but.

— J’enquête sur des meurtres particulièrement pervers, qui m’ont mené jusqu’au musée Dupuytren. Je suis tout naturellement remonté jusqu’à son principal financeur. Vous.

— Quelle logique implacable, fit le vieil homme. Et ?

— Et j’ai bien fait, semble-t-il. À l’évidence, le tueur s’est inspiré de l’un de vos tableaux, le Reni. Drôle de coïncidence, vous ne trouvez pas ? Dupuytren, cette toile à présent…

Siriel esquissa un sourire. D’épais sourcils gris protégeaient ses yeux bleus.

— Ah, le Reni. Sans doute mon préféré. Je ne possède malheureusement qu’une copie. Très bonne, certes, mais l’original demeure inaccessible. Certains de mes tableaux sont par contre des originaux. J’ai réuni les conditions d’humidité, de lumière et de température optimales pour que ma collection garde toute sa force. Elle mourra bientôt ici, avec moi. Je ne la léguerai pour rien au monde.

— Répondez à ma question, s’il vous plaît. Comment se fait-il qu’un assassin se soit inspiré de votre tableau ?

— Mon tableau ? Des dizaines de peintres ont interprété le thème du « Massacre des innocents », il n’y a pas que Reni. N’y voyez-vous pas là uniquement l’œuvre du hasard ? Une coïncidence ?

— Une coïncidence, oui. Amusant que vous me parliez de coïncidence.

Siriel sortit un mouchoir, l’humidifia avec un brumisateur et se tamponna méticuleusement les lèvres. Vic ne comprenait pas : pourquoi restait-il si près du feu ? Pourquoi ne venait-il pas s’asseoir, lui aussi ?

— Sur quel genre de meurtres enquêtez-vous ? demanda Siriel.

— Vous l’ignorez ?

— Évidemment. Comment je le saurais ? Seriez-vous venu ici parce que vous me suspectez de quelque chose ?

Le jeune flic n’avait pas une idée précise de la raison de sa présence dans cette demeure, mais il se savait sur la bonne piste. Le nom de Siriel dans le carnet de Kismet, et maintenant ces tableaux, en parfaite corrélation avec le fil de l’enquête… Et puis… ce visage, ravagé par une étrange maladie de la peau… la méfiance apparente de Siriel… Il était forcément impliqué dans cette histoire.

— On a affaire à un tueur qui abandonne, sur le lieu du crime, une forte odeur, et qui, manifestement, souffre d’une grave maladie physique, peut-être congénitale.

Siriel ferma les yeux et inspira longuement.

— Raison supplémentaire pour que vous me suspectiez, évidemment... Dites-m’en plus, s’il vous plaît.

— Pourquoi ?

— Peut-être pourrais-je vous aider ? Comme vous pouvez le constater, les maladies congénitales, ça me connaît…

Vic hésita. Fallait-il réellement tout lâcher, montrer leurs avancées ? Ou faire front, ne rien révéler, et prendre le risque qu’il se referme comme une huître ? Vic opta pour la première solution, y aller franco.

— Notre meurtrier attache ses victimes, puis leur injecte de la morphine avant de les torturer. Il chauffe les corps pour fausser les analyses de médecine légale concernant l’heure de la mort. Mais cela n’a pas fonctionné. Nous sommes bien plus avancés, plus malins qu’il le pense.

Siriel le regardait avec gravité. Même à côté du feu comme il l’était, il ne suait pas d’une goutte. Le flic continua à exposer les faits.

— Il a pour le moment fait deux victimes, tuées de manière atroce. Dans les deux cas, il les prive des organes les plus sensibles du toucher, parce qu’il ne supporte pas qu’on porte la main sur lui, sûrement en raison de traumatismes passés. Lui, par contre, aime caresser ses proies, il en ôte même ses gants en latex.

— Les viole-t-il ?

— Non. L’une des victimes a été retrouvée éventrée, le corps criblé d’aiguilles, le visage déformé comme celui de ces femmes hurlant sur le tableau de Reni. Elle était entourée de dix-huit poupées, dont l’une déformée. Pour l’autre victime, il a utilisé des poids. Il les lui a suspendus à la mâchoire, comme on le faisait pour les gueules cassées de la Grande Guerre. L’assassin a aussi à chaque fois attribué une note, qu’il a écrite sur un mur à la craie.

Siriel buvait les paroles de son interlocuteur.

— Quel genre de note ?

— Il mesure leur souffrance.

— La souffrance. Ça m’interpelle.

— Pourquoi ?

— Savez-vous ce qui fait le lien entre les tableaux de ma galerie ?

— La souffrance, justement ?

— Le cri. Le cri de Marie, quand on lui arrache le Christ des mains. Le cri des mères à qui l’on vole les bébés. Le cri des soldats agonisant sur les champs de bataille. Le cri représente l’unique moyen de transmettre la souffrance dans une scène figée, tous les artistes vous le diront. Le cri s’érige en une explosion de sensations visuelles, corporelles, sonores. Il permet de mesurer les échelles de douleur. Il ramène l’homme à ce qu’il est : un animal, qui ne dispose de nul autre instrument de protection que le cri pour survivre et espérer que son prédateur lui laissera la vie. Faire crier quelqu’un revient à exprimer sa domination sur lui. À le posséder.

Siriel fixa Vic droit dans les yeux. Son visage ne trahissait aucune émotion.

— Ce que je vous ai raconté semble vous inspirer, fit le lieutenant. Intéressons-nous maintenant un peu à vous, si vous le voulez bien.

— Ma vie n’est pas très passionnante, vous savez.

— Puis-je savoir pour quelle raison vous financez un musée comme Dupuytren ?

Siriel observa à nouveau sa gélule à la lueur des flammes.

— Vitamine D. En connaissez-vous l’utilité ?

— Pas explicitement, et je ne pense pas que…

— L’essentiel de la vitamine D est synthétisé par la peau sous l’effet de l’exposition au soleil. Elle est capitale pour la santé des os et des dents, et un déficit peut entraîner une sclérose en plaques, de l’hypertension, des maladies cardio-vasculaires et toutes sortes de cancers. J’ai un cancer, monsieur, un cancer incurable de la moelle osseuse qui ne me laisse plus que quelques semaines, avec beaucoup d’optimisme.

Vic insista :

— J’en suis désolé, mais pourquoi financer Dupuytren ?

— Les gens doivent comprendre que la monstruosité et la différence font partie de cette diversité voulue par Dieu sur Terre. Je veux qu’ils arrêtent de rire quand ils croisent un être atteint de fibrome ou d’un kyste facial. Je veux qu’ils respectent leur prochain, quel que soit son habillage charnel. Dupuytren est le témoignage vivant de la réelle nature des choses. Un musée comme celui-là se doit d’exister.

Vic se redressa, et posa ses deux mains à plat sur la table en bois.

— Monsieur Siriel, avez-vous quelque chose à voir avec ces meurtres ?

Siriel souleva lentement le bas de sa chemise. Vic grimaça intérieurement. Les plaques n’étaient pas que sur le visage, elles le dévoraient de partout.

— Je souffre depuis la naissance d’une ichtyose lamellaire particulièrement sévère, une maladie congénitale qui donne cet aspect répugnant à ma peau. Mais ce n’est pas la maladie, le pire. Elle ne provoque pas réellement de douleur, on n’en meurt pas et ils proposent aujourd’hui de bons médicaments qui, disons… limitent la casse. Non, non, le pire, c’est…

Il serra les poings. Son visage exprimait à présent une haine terrible.

— … la méchanceté des gens. Mon enfance, mon adolescence ont été un enfer. L’isolement, le rejet, le regard des autres sur moi… Tout ce qu’on a trouvé à faire, c’était de se moquer, de me montrer du doigt, de me considérer comme un monstre.

Il s’humidifia encore les lèvres avec son mouchoir plié.

— Pour les autres, nous ne sommes que des bêtes de cirque. Des freaks.

— Nous ?

— Oui, nous…

— Qui commet ces meurtres immondes ? Pourquoi ces crimes ?

Siriel gardait un air extrêmement calme. Plus rien ne semblait l’émouvoir.

— Je l’ignore.

— Vous mentez.

Le vieil homme désigna la sortie.

— Je ne peux rien vous apprendre de plus. C’est par-là… Je ne vous raccompagne pas.

Vic le fusilla du regard.

— Je vais revenir. Je vous garantis que je vais revenir. Et accompagné, cette fois.

— Je l’espère bien. Ma maison est toujours ouverte aux étrangers.

Alors que Vic se dirigeait vers le hall, Siriel le rappela.

Le lieutenant de police écarquilla les yeux. Le vieil homme le braquait avec un flingue.

— Alors comme ça, vous alliez m’abandonner sans avoir obtenu vos réponses ? dit Siriel. Quel piètre policier vous faites. Le pire qu’il m’ait été donné de rencontrer, à vrai dire. Asseyez-vous là, contre le mur. Nous allons encore discuter un peu.

Il secoua la tête, comme pris de pitié.

— Je pensais que la peau du bébé sirène, cette idée de vinaigre, l’odeur de gangrène abandonnée sur le lieu du crime, le Massacre des innocents ou ce Grégory Mâche vous mèneraient à moi beaucoup plus rapidement. J’ai bien cru que vous ne viendriez jamais, et que j’allais finir par mourir sans profiter de votre ignorance.

Vic sentit une effroyable spirale se resserrer autour de lui. Siriel était au courant de tout.

— Grégory Mâche ? Vous voulez dire que…

— Un simple gérant. Les Trois Parques m’appartiennent.

Siriel saisit un tisonnier et poussa une bûche enflammée sur le parquet.

— C’en est terminé, reprit-il. Votre présence me libère enfin, mon histoire s’achève, tandis qu’une autre commence. Le relais est assuré, comme on dit. Mon successeur fera du bon travail.

Dans un léger crépitement, le feu s’attaqua lentement aux boiseries de la bibliothèque. Vic voulut se redresser, mais Siriel l’en dissuada en tirant à un mètre de son épaule droite.

— Vous voudriez partir avant de savoir ?

— Savoir quoi ?

— Votre incompétence me désole tant.

Il continuait à faire rouler des bûches et à disperser des braises sur le sol.

— Votre homme, celui que vous recherchez, connaît les mécanismes de la douleur comme personne. Il connaît son action, ses dérivés, son histoire. Il retrace le chemin de la douleur à travers les âges : la représentation du tableau de Reni, les gueules cassées, Frida Kahlo ou la Madone de Bentalha, drapée comme l’une de vos victimes… Ne l’avez-vous pas reconnue en cette fille, Cassandra Liberman ?

— Qui est l’assassin ? demanda Vic.

Siriel porta la gélule entre ses dents et la croqua dans une grimace. Vic voulut se lever. Nouvelle détonation, à cinquante centimètres, cette fois.

— Il paraît que ce genre de poison donne la mort en quelques minutes, sans provoquer aucune souffrance. Nous allons voir… Celui que vous recherchez n’est pas le monstre. Les monstres, ce sont ceux qui regardent, qui tournent la tête vers les accidentés de la route, qui s’abreuvent du malheur des autres. Le monstre, c’est la société. Et la société doit payer.

Le feu rampait déjà le long des parois et embrasait les livres. Vic regroupa ses genoux contre son torse. Il n’y avait rien à tenter. Siriel avait tout préparé, dès que Vic avait sonné à l’interphone.

— Quand va-t-il tuer à nouveau ? demanda le flic.

— Bientôt… Très bientôt. La machine vengeresse est en marche. J’ai pu voir sa prochaine victime. Et je me régalerai de sa souffrance, dans l’autre monde.

Il sortit un DVD de sa poche et le regarda en souriant.

— Tout se trouvait là-dedans, murmura le vieil homme. Un simple DVD, qui n’attendait que vous et contenait l’ensemble des réponses à vos interrogations.

Il le lança dans la cheminée.

— Le voilà qui s’envole en fumée, devant votre impuissance. Avez-vous déjà réussi à mettre en image un fantasme ? Cette… substance insaisissable que tout l’argent du monde ne peut vous apporter ? Moi, j’y suis parvenu… Je me suis offert le film de… de mon fantasme. Et mon exécuteur, celui de sa souffrance. Voilà pourquoi… nous nous sentons si proches, lui et moi.

Siriel se plia en deux. Un filet de bile coulait de sa bouche, il se frotta avec son mouchoir.

— Pas si… indolore que ça… Bon sang…

— Dites-moi de qui il s’agit ! s’écria le lieutenant en se décalant vers la droite, poussé par les flammes qui se rapprochaient dangereusement.

— Vous… Vous m’avez dit qu’il chauffait les corps… Bravo pour votre déduction… N’avez-vous pas retrouvé de l’eau, à proximité ?

— Si ! Des petites flaques, sur le sol. D’où ? D’où proviennent-elles ?

Siriel plissa les yeux. Les flammes s’élevaient à présent devant la porte du hall. Une épaisse fumée noire roulait sous le plafond.

— Il faut toujours être… attentif aux détails. Il ne chauffe pas les corps pour retarder je ne sais quoi. Le croyez-vous aussi stupide ? Sortez de… de votre science policière, et étudiez un peu plus ce que la nature nous a offert…

— Nos sens ?

— Voyez même au-delà de… de nos cinq sens, cherchez plus loin… Par quoi comble-t-on le manque ? Si vous étiez un bon enquêteur, vous auriez essayé de… de ressentir ce que votre tueur a ressenti… devant ces corps brûlants. Alors, vous auriez compris. Vous auriez fait jouer les opposés, vous vous seriez sublimé.

— Dites-m’en plus ! Parlez ! Parlez encore ! Qui est-il ?

Siriel se cabra dans une violente contraction, avant de chuter sur le sol, les yeux dans le néant. Vic se jeta sur lui et le secoua.

— Parlez, bon sang !

Mais le vieillard était mort.

Le flic se releva et jeta un œil vers la cheminée. Le DVD était calciné et tordu sous l’effet de la chaleur. Autour, tout brûlait, les livres, les documents, les meubles. Rien, plus rien à sauver. Il fonça à travers le rideau de feu qui s’étendait devant lui et l’empêchait de sortir. Le tissu de sa veste s’embrasa. Il hurla et l’ôta en continuant sa course dans la galerie de tableaux. Enfin, il parvint à l’extérieur.

L’air frais. La forêt. La vie.

Vic eut soudain très froid. Sa veste, dans les flammes. Et, surtout, le carnet de Stéphane. Parti en fumée…

Il se dirigea vers le portail, haletant. Siriel avait sacrifié son existence, ses collections, pour qu’aucun secret ne s’échappe de sa maison. Il avait emporté l’horreur de ses actes avec lui.

Mais avant de mourir, il avait pris soin de transmettre sa haine. Un tueur qui officiait à sa place, et qui ne s’arrêterait certainement jamais.

Soudain, au milieu de la propriété, Vic releva le front. Un craquement, derrière lui. Il se retourna. En face, les troncs noirs perçaient les ténèbres. Le vent soufflait dans les feuilles. De son canon, le policier balaya l’espace. Il se décida à marcher rapidement en direction de sa voiture.

Quand, d’un coup, ses narines se mirent à palpiter.

L’odeur. L’odeur de cadavre.

Il se cachait quelque part.

Vic braqua dans le vide, à gauche, à droite, devant, derrière. Ses jugulaires battaient à tout rompre.

Un rapide bruissement de feuilles. Sans réfléchir, Vic ouvrit le feu trois fois d’affilée. La vibration du Sig lui foudroya l’épaule. Et alors, un autre feu se propagea : celui de la douleur. Vic se plia en deux, la main sur l’avant-bras, les mâchoires prêtes à exploser. C’était comme si, d’un coup, son sang s’était transformé en un flot d’aiguilles. Son arme tomba sur le sol. Plus rien n’existait, hormis le brasier intérieur.

Quand celui-ci se dissipa enfin, Vic tremblait dans la terre, recroquevillé comme un chien.

Au-dessus de lui, la lune disparut, comme soudain éclipsée. Pourtant, aucun nuage ne perturbait la voûte céleste.

L’odeur de putréfaction s’intensifia instantanément.

Le tapis végétal crissa, à sa gauche. Juste contre son oreille. Puis quelque chose de froid se posa sur sa tempe.


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