XXIV Juillet 1349 Commémoraison de saint Hilaire, prime

Vint l’aube du jeudi, et avec elle un vent chaud soufflant de l’ouest, qui sifflait dans le feuillage des épicéas et caressait les blés en train de pousser. Le ciel devint d’un bleu si pâle qu’il évoquait l’albâtre. Au loin, vers le Brisgau, montaient de fins plumets de fumée noire, sans doute des incendies dans la plaine. L’air frémissait sous l’effet de la chaleur, comme si des créatures à demi invisibles rôdaient dans la contrée.

Dietrich s’assit au chevet de Joachim, qui lui tourna le dos afin qu’il puisse soigner ses plaies. Il plongea les doigts dans le bol qu’il venait de préparer et appliqua l’onguent avec douceur. Le franciscain ne put s’empêcher de frissonner.

— Vous auriez pu vous tuer, morigéna Dietrich.

— Tous les hommes sont mortels, répliqua Joachim. En quoi cela vous concerne-t-il ?

Dietrich reposa le bol.

— J’ai fini par m’habituer à votre présence.

Comme il se levait, Joachim se retourna pour lui faire face.

— Comment vont les villageois ?

— Trois jours ont passé sans que quiconque tombe malade. Ils sont persuadés que la peste est partie ailleurs. Nombre d’entre eux ont repris le travail.

— Alors mon sacrifice n’a pas été vain.

Joachim ferma les yeux et laissa retomber sa tête sur sa couche. Quelques instants plus tard, il s’était rendormi.

Dietrich secoua la tête. Comment lui dire qu’il se trompait ?

Lorsque Dietrich sortit du presbytère pour aller préparer la messe, il vit que Herwyg le Borgne, Gregor, ses fils et bien d’autres encore étaient en route pour les champs, qui avec sa houe, qui avec sa faux. Le four de Jakob était allumé et le moulin de Klaus tournait. Seule la forge était silencieuse.

Dietrich se rappela Lorenz debout près de son enclume, en nage dans son tablier de cuir, lui lançant un salut depuis le pied de la colline. Peut-être que Wanda avait renoncé à accomplir ce travail d’homme. Ou peut-être manquait-elle de charbon.

Il descendit dans le vallon, passant devant le pré où ne se trouvaient plus qu’une poignée de moutons à l’air misérable. L’hécatombe qui avait éclairci leurs rangs était quasiment passée inaperçue du fait de la menace de la peste. Le charbon avait également touché les bovins. Et les rats mouraient par dizaines, ce qui était une bénédiction. Le chien de Herwyg se mit à aboyer, puis s’assit pour se gratter avec frénésie.

Dietrich entra dans la forge, attrapa le marteau posé sur l’enclume et le trouva si lourd qu’il dut le prendre des deux mains. Lorenz le maniait sans peine de sa seule dextre, alors que lui-même parvenait à peine à le soulever. Non loin de là se trouvait un tonneau rempli de fers, pour les bœufs comme pour les chevaux. Un autre contenait de l’eau, qui avait viré au vert à sa surface.

Un croassement attira son attention. Il vit un corbeau tournoyer au-dessus du jardin attenant à la forge, s’y poser puis s’envoler, pour se remettre à tourner en rond.

Lâchant le marteau, Dietrich sortit en courant par la porte de derrière, et il découvrit Wanda Schmidt étendue de tout son long au milieu des choux et des haricots, battant des bras comme pour saisir le ciel. Une langue noire et enflée saillait entre ses lèvres craquelées. Le corbeau fondit à nouveau sur elle, et Dietrich le chassa avec un bâton.

— De l’eau, hoqueta la malheureuse.

Retournant dans la forge, Dietrich trouva un bol et le remplit au tonneau. Mais lorsqu’il le tendit à la femme, elle le fit choir d’un coup de poing. Voyant que son visage était rougi par la fièvre, il alla chercher un linge, le trempa dans l’eau et le lui appliqua sur le front.

Poussant un hurlement, Wanda se cambra et moulina des bras jusqu’à ce qu’elle se soit débarrassée du chiffon. En le ramassant, Dietrich constata qu’il était déjà sec. Il le roula en boule et tomba à genoux. Pourquoi, ô mon Dieu ? gémit-il intérieurement. Pourquoi ?

Mais c’était là une pensée impie. La peste ne vient pas du Seigneur, se rappela-t-il, mais de quelque mal odeur apportée par le vent. Everard l’avait respirée, et c’était maintenant au tour de Wanda. Comme elle n’avait eu aucun contact avec l’intendant, la théorie krenk selon laquelle les petites-vies sautaient d’un homme à l’autre semblait bel et bien erronée. Mais il y avait sûrement une raison à tout cela. Dieu avait « tout disposé avec mesure, nombre et poids[27] », et c’était grâce aux mesures, aux nombres et aux poids que l’homme pouvait apprendre l’éternelle ordonnance par laquelle Il « établit le soleil comme lumière du jour, la lune et les étoiles, dans leur ordre, comme lumière de la nuit, et remue la mer, et c’est le tumulte des vagues[28] ».

Wanda poussa un cri et Dietrich s’écarta d’elle. La seule vue d’une malade risquait de l’infecter. Des flammes bleues pouvaient jaillir de ses yeux. Son seul salut résidait dans la fuite. Il se releva en hâte, traversa la forge à reculons et se retrouva dans la grand-rue, le souffle court.

Tout semblait en ordre. Il entendit les grincements de la scie du tonnelier, le cri poussé par un faucon tournant au-dessus des soles d’hiver. Il vit le cochon d’Ambach fouiller les ordures au bord de la route, l’eau ruisseler sur la roue du moulin. Il sentit sur sa joue le souffle chaud du vent.

Wanda était trop corpulente pour qu’il la porte à lui seul. Il devait chercher de l’aide, se dit-il. Il courut chez le tailleur de pierre, mais celui-ci était parti aux champs avec ses fils. Puis il se rappela que Klaus et Wanda avaient couché ensemble et fila vers la maison du meunier.


Odo ouvrit le battant supérieur de la porte, mais fixa Dietrich sans le reconnaître.

— La malédiction est accomplie, dit le vieillard, sans expliquer plus avant cette proclamation.

Glissant une main à l’intérieur, Dietrich ouvrit le second battant et entra de force.

— Klaus ! hurla-t-il.

Le vieux porcher resta planté sur le seuil, les yeux fixés sur la rue déserte. Dietrich entendit un gémissement provenant du grenier servant de chambre et grimpa en hâte l’échelle qui y menait.

Il trouva le meunier assis sur un tabouret tout près du lit. Le lit en question avait une tête imposante et, à son pied, un coffre de chêne aux charnières de fer, frappé d’une roue de moulin. Sur le lit, il y avait un matelas bien rembourré, et sur ce matelas, il y avait Hilde.

Ses cheveux d’or étaient emmêlés et poisseux de sueur, son corps était secoué par des quintes de toux. Ses yeux fixes rappelaient ceux d’un Krenk.

— Faites venir le pasteur Dietrich ! hurlait-elle. Dietrich !

— Je suis là, dit Dietrich.

Klaus, qui n’avait pas réagi lorsqu’il avait frappé à la porte, sursauta en entendant sa voix. Sans se retourner, il dit :

— Elle se plaignait de migraine à son réveil, mais je n’y ai pas prêté attention et je suis allé au moulin. Ensuite…

— Dietrich ! répéta Hilde.

Il s’agenouilla près d’elle.

— Je suis là.

— Non ! Non ! Faites venir le pasteur.

Il lui toucha doucement l’épaule, mais elle se dégagea vivement.

— Elle a perdu l’esprit, dit Klaus avec un calme terrifiant.

— A-t-elle déjà des furoncles ?

Le maire secoua la tête.

— Je ne sais pas.

— Puis-je relever sa chemise pour l’examiner ?

Le meunier fixa le prêtre quelques instants puis se mit à rire. C’était un rire tonitruant, qui le secouait de la tête aux pieds, mais qui ne dura qu’un instant.

— Pasteur, dit-il d’un air grave, vous êtes le seul homme de ce village à m’avoir jamais demandé la permission.

Il s’écarta.

Dietrich fut tout d’abord soulagé de ne déceler aucune grosseur sur son bas-ventre, encore que son intimité présentât des rougeurs qui annonçaient sans doute leur venue. Lorsqu’il voulut lui examiner la poitrine et le dessous des bras, elle se débattit violemment, sans doute irritée par le tissu de sa chemise.

— Max ! hurla-t-elle. Faites venir Max ! Il me protégera !

— Allez-vous lui donner les derniers sacrements ? demanda Klaus.

— Pas encore. Klaus…

Il hésita, puis décida de ne pas lui parler de Wanda. Le meunier ne pouvait pas quitter son épouse dans un moment pareil. Lorsqu’il se leva, Hilde s’agrippa à sa soutane.

— Allez chercher Dietrich, supplia-t-elle.

Ja, doch, répondit-il en se dégageant doucement. J’y vais de ce pas.

Une fois dans la rue, il reprit son souffle. Dieu était bien rusé. Dietrich n’avait fui une maison en proie à la peste que pour échouer dans une autre.


Jean et Gottfried l’aidèrent à coucher Wanda. Lorsque Dietrich retourna au presbytère, Joachim n’eut besoin que de regarder son visage.

— La peste ! s’écria-t-il. (Comme Dietrich opinait, il rejeta la tête en arrière et hurla :) Ô mon Dieu, je T’ai failli !

Dietrich lui posa une main sur l’épaule.

— Vous n’avez failli à personne.

Le moine se dégagea.

— Les Krenken vont retourner en enfer sans avoir été absous !

Dietrich se détourna de lui, mais il le saisit par la manche.

— Vous ne pouvez pas les laisser mourir seuls.

— Je sais. Je vais voir Manfred pour lui demander la permission de monter un hôpital.


Il trouva le Herr dans la grande salle, assis entre la cheminée où brûlait un feu rugissant et un chaudron où en brûlait un autre, à peine moins impressionnant. Toute la maisonnée s’était réunie autour de lui, y compris Imre le colporteur. Les serviteurs ne cessaient d’alimenter les deux foyers en bûches. Ils arrivaient d’un pas vif et ne repartaient qu’à contrecœur.

Manfred, qui rédigeait un message assis à la table du conseil, lui parla sans lever les yeux de son parchemin.

— Votre pape était protégé par des feux comme ceux-ci. Chauliac m’en a recommandé l’usage quand je lui ai parlé à Avignon. Le feu détruit l’air vicié… (Il agita sa plume.) Si je me souviens bien. Je laisse la science aux érudits.

Il fouilla du regard les recoins de la salle, comme s’il redoutait d’y découvrir la peste. Puis il se pencha à nouveau sur son parchemin.

Le feu pouvait être efficace, songea Dietrich, car il détendait la masse d’air vicié et la poussait à s’élever. Le son d’une cloche pouvait aussi la fracturer en faisant trembler l’air. Mais si la peste était apportée par d’innombrables mikrobiota, Dietrich ne voyait pas en quoi le feu leur nuirait – à moins que les petites-vies ne soient attirées par les flammes, à l’instar des papillons. Il garda ses réflexions pour lui.

— Mein Herr, Wanda Schmidt et Hilde Müller ont été frappées par la peste.

— Je sais. Heloise nous a prévenus avec le parleur à distance. Qu’attendez-vous de moi ?

— Je vous demande la grâce de monter un hôpital. Bientôt, j’en ai peur, nous aurons trop de malades pour qu’ils…

Manfred tapota la table avec sa plume, en émoussant la pointe.

— Vous êtes trop soucieux des convenances. Un hôpital. Ja, doch. Faites donc. (Il agita la main.) Si tant est que ce soit utile.

— Si nous ne pouvons pas les sauver, au moins pouvons-nous adoucir leur agonie.

— Quel grand réconfort ce doit être. Max !

Il sécha l’encre avec du sable et plia le parchemin en quatre. Puis il fit couler de la cire d’une chandelle et y apposa son sceau. Il contempla sa bague quelques instants, la tournant et la retournant sur son doigt. Puis il se tourna vers la petite Irmgard, assise non loin de là auprès de sa nourrice, pleurant et reniflant, et lui adressa un bref sourire. Il tendit à Max les deux lettres qu’il venait de rédiger.

— Rendez-vous sur la route d’Oberreid et donnez ceci aux premiers voyageurs respectables que vous verrez. La première est pour le margrave de Bade, la seconde pour le duc Habsbourg. Fribourg et Vienne ont déjà bien des problèmes, mais nous devons les informer de ce qui se passe ici. Gunther, allez lui seller un cheval.

Max semblait chagriné, mais il s’inclina et se dirigea vers la porte, enfilant les gants passés à son ceinturon. Gunther le suivit, encore plus navré que lui si cela était possible.

Manfred secoua la tête.

— La mort est entrée au château, j’en ai peur. Everard est tombé alors même qu’il sortait de cette salle. Comment va-t-il ?

— Il s’est calmé. Puis-je le faire conduire à l’hôpital ?

— Faites ce que vous jugez nécessaire. Ne me demandez plus la permission. J’emmène tout le monde au donjon. J’ai interdit à quiconque d’entrer dans le village, mais personne ne m’a écouté. C’est Odo qui nous a apporté cette plaie. Au moins puis-je empêcher les intrus de franchir le mur d’enceinte. Désormais, chacun de nous doit veiller sur sa propre maison, sur sa propre famille.

Dietrich déglutit.

— Tous les hommes sont frères, mein Herr.

Manfred afficha un air de profonde tristesse.

— Dans ce cas, vous allez avoir beaucoup de travail.


Dietrich demanda à Ulf et à Heloise de transporter Everard à l’hôpital de fortune qu’il venait d’aménager dans la forge. Ni l’un ni l’autre n’avaient encore accepté le Christ. S’ils étaient restés, d’après Jean, c’était parce que le « fossé entre les mondes » leur faisait encore plus peur que la mort par inanition. Mais lorsqu’il demanda à Ulf de lui confirmer la chose, le Krenk s’esclaffa.

— Je n’ai peur de rien, affirma-t-il sur le canal privé. Les Krenken sont mortels. Les hommes aussi. On doit s’efforcer de bien mourir.

— Avec la charitas dans le cœur.

Geste du bras.

— Il n’y a pas de « charitas », il n’y a que l’honneur et le courage. On meurt sans crainte, en défiant le Faucheur. Personne parmi nous ne croit au Faucheur, naturellement, mais c’est un de nos dictons.

— Alors pourquoi êtes-vous resté ici quand votre navire est parti, sinon par crainte de ce « fossé » ?

Ulf désigna sa congénère qui les précédait.

— Parce que Heloise est restée. J’ai promis à notre épouse… Connaissez-vous notre trio homme-femme-nourrice ? Bien. La nourrice reste toujours au nid. J’ai… fait serment de ne jamais quitter Heloise. Certains chercheurs de vérité affirment que le fossé est vide de temps et que la mort y dure une éternité. Heloise redoute cela par-dessus tout. Pour moi, toute mort est pareille, et je claque des mâchoires devant elle. Je suis resté à cause de mon serment.


Lorsqu’ils entrèrent dans le cottage d’Everard, la puanteur y était presque palpable. L’intendant gisait nu sur le lit, un linge crasseux et asséché posé sur son front. Des veines bleu nuit couraient sur ses membres, rayonnant depuis les aisselles et le bas-ventre. D’Yrmegard et de Witold, il n’y avait aucun signe. Dietrich se pencha sur Everard, le croyant trépassé, mais il ouvrit soudain les yeux et se redressa à demi sur sa couche.

— Mère de Dieu ! hurla-t-il.

— Je dois percer les bubons avant de le déplacer, dit Dietrich à Ulf tout en repoussant gentiment le malade.

À en juger par ces fleuves de poison qui lui irriguaient bras et jambes, il était déjà trop tard pour le sauver.

— Où sont votre femme et votre fils ? lui demanda-t-il. Qui donc prend soin de vous ?

— Mère de Dieu !

Hurlant de plus belle, l’intendant se griffa le torse et le visage. Puis il se calma soudain, tout pantelant, comme s’il venait de repousser un assaut sur les remparts et se reposait en attendant le suivant.

Dietrich avait déjà lavé son couteau avec du vinaigre, et Ulf lui suggéra de le nettoyer au feu. Mais le foyer ne contenait que des braises d’un rouge terne. Il n’y avait pas une bûche à proximité. Elle a pris la fuite, se dit Dietrich. Yrmegard a abandonné son époux. Il se demanda si Everard le savait.

Les bubons étaient aussi gros que des pommes, sous une peau luisante et tendue à craquer. Il choisit de commencer par l’aisselle droite et en approcha la pointe de son scalpel.

Everard hurla et se débattit, frappant Dietrich du poing et faisant choir l’instrument de sa main. Il tomba à genoux, étourdi par le coup qui lui faisait voir double, puis chercha sa lame à tâtons sur le tapis de joncs. Lorsqu’il se releva, Everard s’était recroquevillé sur son flanc, les genoux relevés contre le torse. Dietrich s’assit un moment sur le tabouret, se frotta la tempe et réfléchit. Puis il appela Jean via le parleur à distance.

— Dans mon appentis, il y a un panier marqué de la croix des Hospitaliers, dit-il à son ami. Apportez chez l’intendant une des éponges que vous y trouverez – mais maniez-la avec précaution. Elle est imbibée de mandragore et autres poisons.

Jean ne tarda pas à le rejoindre, et il observa la suite des événements aux côtés de ses deux congénères. Dietrich mouilla l’éponge en la plongeant dans la réserve d’eau et revint en la tenant à bout de bras. Puis, conformément aux instructions du Savoyard, il la brandit devant le nez et la bouche d’Everard, bien que celui-ci tentât à nouveau de le repousser. Assez longtemps pour que le sujet s’endorme, avait dit le chirurgien, mais pas assez pour qu’il succombe. Soudain, Everard s’amollit, et Dietrich jeta l’éponge au feu. L’avait-il tué ? Non, il respirait encore. Dietrich se signa.

— Seigneur Jésus, guidez ma main.

Le contact de la lame ne réveilla pas le malheureux, mais il poussa un grognement sourd et se débattit faiblement. Jean et Ulf lui empoignèrent bras et jambes. Le bubon résista et Dietrich appuya plus fort.

Puis il céda et il en suinta un fluide noir et suppurant, d’où montait l’odeur la plus abominable qui fut. Dietrich serra les dents et s’attaqua aux autres bubons.

Quand il eut achevé sa tâche, Heloise lui tendit un chiffon qu’elle avait préalablement fait bouillir et trempé dans du vinaigre. Dietrich fit de son mieux pour laver le malade et le débarrasser de toute trace de pus.

— Il vaut mieux ne pas toucher cela, conseilla Ulf.

Dietrich, qui n’avait jamais eu cette intention, fut pris d’un haut-le-cœur à cette idée et courut dehors vomir son petit déjeuner, après quoi il aspira plusieurs goulées d’air frais. Jean, qui l’avait suivi, le toucha à plusieurs reprises.

— C’était pénible ?

— Très pénible, dit Dietrich dans un hoquet.

— Mes… (Jean palpa ses antennes.) Je dois les laver. L’intendant ne vivra pas.

Dietrich laissa échapper un soupir.

— Nous ne devons pas perdre espoir, mais… je pense que vous avez raison. Sa femme s’est enfuie en emmenant leur petit garçon. Il n’y a plus personne pour le soigner.

— Alors, nous allons le faire.

Ils allongèrent Everard sur une civière fabriquée par Zimmerman, et Ulf et Heloise en saisirent les brancards. Dietrich les accompagna, afin de veiller à ce que le malade ne tombe pas lorsqu’ils descendraient en bas de la colline. Il se rappela que saint Éphrem le Syrien avait confectionné trois cents civières lorsque la Mésopotamie avait été frappée par la famine. Il nous en faudra davantage, se dit-il.

Jean était resté chez l’intendant pour brûler son linge et les petites-vies qu’il pouvait abriter.

— Gardez un peu de pus pour que je l’examine, lui dit Ulf via le parleur à distance.

— Pourquoi lui demandez-vous cela ? dit Dietrich comme ils se mettaient en route.

— J’ai travaillé avec les instruments de notre lazaret. Gschert nous a laissé l’un d’entre eux qui nous permet de voir les petites-vies.

Dietrich acquiesça sans comprendre. Puis il demanda à brûle-pourpoint :

— Pourquoi nous aidez-vous à soigner les malades si vous n’avez pas foi en la charitas ?

Le Krenk païen agita le bras.

— Jean est maintenant le Herr des Krenken, alors je le suis. Et puis, cela emplit mes jours.

Ce qui, tout bien considéré, était une réponse de Krenk.


Wanda Schmidt mourut le lendemain, jour de la commémoraison de saint Materne de Milan. Elle rua, se cabra et se trancha la langue d’un coup de dents. Un sang noir bouillonna en elle et jaillit de sa bouche. Elle n’entendit point les paroles de réconfort que lui dispensa Gottfried le Krenk ; peut-être ne sentit-elle même pas les gentils tapotements qui chez son peuple faisaient office de caresses.

Gottfried accosta Dietrich peu après.

— Le Seigneur-du-ciel n’a pas voulu sauver la femme du bienheureux Lorenz. Pourquoi alors avons-nous imploré Son aide ?

Dietrich secoua la tête.

— Tous les hommes meurent lorsque Dieu les rappelle à Lui.

Et Gottfried de répondre :

— N’aurait-il pu la rappeler avec plus de douceur ?


Klaus et Odo conduisirent Hilde à l’hôpital en la portant sur une civière. Lorsqu’ils l’eurent allongée sur une paillasse, près du feu que Dietrich faisait brûler en permanence, Klaus demanda à son beau-père de rentrer à la maison et le vieil homme, opinant d’un air distrait, lui répliqua :

— Dites à Hilde de se dépêcher de revenir pour préparer mon dîner.

Klaus le regarda s’éloigner.

— Il passe des heures assis sur un tabouret à regarder les cendres dans la cheminée. Quand j’entre dans la pièce, il se retourne quelques instants, mais la fascination des cendres est toujours la plus forte. Je pense qu’il est déjà mort – ici. (Il se frappa le torse.) Le reste n’est que cérémonie. (Il s’agenouilla près de Hilde pour lui caresser les cheveux.) Les animaux se meurent, eux aussi. En venant ici, j’ai vu des cadavres de rats et de chats, et même celui du vieux chien de Herwyg. Son cabot va lui manquer, au vieux Borgne.

Mon Dieu, supplia Dietrich, vas-Tu vider la terre de toute vie ?

— Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il en palpant la manche de Klaus. On dirait du sang. Est-ce qu’elle a vomi du sang ?

Klaus baissa les yeux et fixa les taches sur le tissu comme s’il ne les avait jamais vues avant cet instant. Il toucha l’une d’elles du bout des doigts, mais le sang avait déjà séché.

— Non, fit-il. Non… Je… j’ai suivi…

Mais le meunier n’eut pas le temps d’en dire davantage, car Hilde se redressa soudain et quitta sa couche. Dietrich crut tout d’abord à un miracle, mais elle se mit à tourner sur elle-même en chantonnant, battant des bras comme un oiseau qui prend son envol. Klaus voulut la saisir, recevant pour sa peine une gifle si violente qu’elle faillit le terrasser.

Dietrich fit le tour de la paillasse et tenta d’attraper l’un des bras de Hilde pendant que Klaus s’emparait de l’autre. Une fois qu’il l’eut agrippée par le poignet, il mobilisa toutes ses forces pour l’étendre sur sa couche. Klaus fit de même. Hilde continua de gigoter et de fredonner un chant inintelligible. Puis, brusquement, elle se tut et cessa de bouger. Klaus releva la tête.

— Est-ce qu’elle est… ?

— Non. Non, elle respire.

— Qu’est-ce que ça veut dire ? Ce numéro de danse ?

— Je l’ignore, répondit Dietrich. (Si ses pustules avaient enflé, aucune veine empoisonnée ne courait sur ses bras.) Puis-je voir ses jambes ?

Sans un mot, Klaus releva la robe de Hilde et Dietrich, en examinant ses cuisses et son bas-ventre, fut soulagé de constater qu’elle ne présentait aucun signe inquiétant.

— Gottfried, apportez-moi du vin vieux, lança-t-il.

Ja, ja, fit Klaus en hochant la tête. J’en ai bien besoin, moi aussi. Est-ce qu’elle va se reposer maintenant ?

— Je n’ai pas envie de boire. Il faut que je nettoie mon scalpel.

Klaus partit d’un petit rire, puis replongea dans un silence morose.

Gottfried apporta un bocal de vinaigre où Dietrich trempa sa lame. Puis il la tint au-dessus des braises jusqu’à ce que le manche soit trop chaud. Cette fois-ci, il décida de se passer de l’éponge soporifique. Il devait la réserver aux patients comme Everard, chez qui l’équilibre entre vie et mort était bien plus précaire.

— Tenez-moi ça, dit-il à Gottfried en lui passant une bassine en terre cuite. Dès que j’ai incisé la pustule, ajouta-t-il à l’intention de Klaus, le pus va se vider là-dedans. Ulf affirme qu’il ne doit pas entrer en contact avec notre peau, mais il pense que les Krenken sont immunisés contre ses effets.

— Il n’y a qu’une façon de s’en assurer, dit Gottfried.

— Voilà un démon plein de sagesse, dit Klaus en le fixant des yeux. Elle les a soignés, et maintenant, ce sont eux qui la soignent. Je ne les comprends pas davantage que je ne l’ai comprise.

Il considéra le couteau.

— N’ayez crainte, lui dit Dietrich. Chauliac a dit à Manfred que cette opération était souvent couronnée de succès, à condition de ne pas trop la retarder.

— Eh bien, allez-y ! Je ne le supporterai pas si…

Dietrich avait affûté sa lame comme un rasoir. Il incisa la pustule d’un geste sûr. Hilde poussa un hoquet et se cambra, sans toutefois hurler, contrairement à Everard. Dietrich lui maintenait fermement le bras, et le fluide putrescent coula dans la bassine de Gottfried. Il regarda s’il contenait du sang et fut soulagé de n’en point voir.

Quoique moins répugnant que celui d’Everard, ce pus dégageait une odeur des plus fortes. Klaus déglutit mais réussit à conserver le contenu de son estomac, bien qu’il ait eu un mouvement de recul.

La sinistre corvée fut bientôt achevée. Dietrich versa du vinaigre sur les incisions. Il ignorait pourquoi cette précaution était efficace, mais les hommes de l’art la conseillaient depuis l’époque d’Hippocrate. Le vinaigre brûle, et peut-être que le feu consumait les petites-vies.


Ensuite, Dietrich accompagna Klaus au cottage de Walpurga Honig, et tous deux s’assirent sur le banc. Klaus toqua au volet de la fenêtre et, quelques instants plus tard, la brasseuse l’ouvrit et lui tendit une chope de bière. Apercevant Dietrich, elle se retira pour réapparaître avec une seconde chope puis referma son volet en abaissant la barre. Ce bruit fit sursauter le petit Atiulf Kohlmann, assis par terre de l’autre côté de la rue, et il appela sa maman en pleurant.

— Tout le monde a peur, dit Klaus en levant sa chope.

Il but une gorgée de bière puis éclata en sanglots, lâchant la chope dont le contenu se répandit sur le sol.

— Je ne comprends pas, dit-il au bout d’un temps. Pourtant, elle ne manquait de rien. Il lui suffisait de demander, et je lui achetais tout ce qu’elle désirait. Brocarts, ceintures et guimpes. Et même une fois, au marché de Fribourg, du linge de corps en soie – du linge italien, je vous laisse imaginer le prix. Du fond de teint venu de France. Elle avait à manger dans son assiette, un toit au-dessus de la tête – et pas celui d’une hutte, contrairement à son père. Non, elle avait une maison en bois avec une cheminée en pierre, et une chambre chauffée à l’étage. Je lui ai donné deux beaux enfants et, bien que Dieu ait jugé bon de rappeler à Lui notre petit garçon, j’ai marié notre fille à un marchand de Fribourg. Dieu seul sait quel est le sort de Fribourg aujourd’hui.

Il fixa ses mains et se mit à les tordre. Puis il se tourna vers l’est, vers la plaine.

— Mais elle va aux autres hommes, reprit-il. Tout le monde le sait, mais je dois feindre l’ignorance – et me venger comme je le puis, quand je remplis son assiette. J’ai eu l’air de plaisanter quand j’ai levé sa robe devant vous. Mais je pense sincèrement que vous étiez le seul homme d’Oberhochwald à n’avoir pas vu son intimité ; encore que j’en aie douté il n’y a pas si longtemps. Je croyais que vous alliez dans les bois pour la retrouver, pasteur. Tout prêtre que vous êtes, vous demeurez un homme. Alors, un jour, je l’ai suivie. C’est ce jour-là que j’ai vu les monstres pour la première fois. Mais ils étaient bien moins horribles que le spectacle de mon Hilde, vautrée sur un tapis de feuilles mortes pendant que ce stupide sergent la besognait.

Dietrich se rappela le cheval attaché dans la clairière, qu’il avait crus amené là par Hilde.

— Klaus…

Mais le meunier poursuivit comme s’il ne l’avait pas entendu.

— Je sais être ardent dans le lit conjugal. Moins que du temps de ma jeunesse, mais les femmes n’ont pas eu à se plaindre de moi. Oh ! oui, j’ai fauté avec d’autres. Est-ce que j’avais le choix ? Votre choix ? Non, je brûle comme brûlait saint Paul. J’ignore pourquoi elle me repousse. Les autres hommes ont-ils des mots plus doux ? Des lèvres plus caressantes ?

Le meunier releva la tête pour regarder Dietrich droit dans les yeux.

— Vous pourriez lui parler. Lui ordonner la fidélité. Mais… ce n’est pas sa soumission que je désire, mais son amour. Cela m’est interdit et je ne sais pas pourquoi.

« La première fois que je l’ai vue, elle nourrissait les cochons dans la porcherie de son père. Elle avait les pieds nus et souillés de boue, mais j’ai tout de suite vu que c’était une princesse. J’étais l’apprenti du vieux Heinrich – le père d’Altenbach –, qui tenait le moulin du Herr, ce qui faisait de moi un beau parti. Ma Beatrix était morte lors de ce terrible hiver 1315, et nos enfants avec elle, et je devais me remarier si je ne voulais pas que mon sang périsse avec moi. J’ai demandé sa main à son père, le Herr a consenti au mariage et j’ai payé la redevance. Jamais on ne vit plus beau festin, sauf lorsque le Herr a marié sa Kunigund ! J’ai découvert cette nuit-là qu’elle n’était pas vierge, mais quelle femme l’était encore à son âge ? Cela ne me dérangeait pas. Peut-être avais-je tort.

Dietrich posa une main sur l’épaule de Klaus.

— Qu’allez-vous faire à présent ?

— Il n’était pas bien tendre avec elle, ce goret de sergent. À ses yeux, ce n’était qu’un trou.

— Wanda Schmidt est morte.

Klaus hocha lentement la tête.

— Cela me peine. Nous étions bons amis. Nous partagions la même peine, et nous nous sommes consolés ensemble. Je sais que c’était un péché, mais…

— Un péché véniel, lui assura Dietrich. Il n’y avait aucun mal en vous, je le sais.

Klaus éclata de rire. Son corps puissant se mit à tressauter, tel un tonneau secoué par un tremblement de terre, et des larmes perlèrent à ses paupières.

— Combien de fois, dit-il lorsqu’il se fut calmé, se laissant de nouveau aller à la mélancolie, combien de fois, au cours de vos sermons si secs et érudits, vous ai-je entendu dire que le « mal » n’était autre que l’absence du « bien » ? Alors, dites-moi, le prêtre… (Les yeux qu’il tourna vers Dietrich étaient débordants de vide.) Y a-t-il homme qui ait souffert de l’absence comme j’en ai souffert ?

Le silence se fit. Dietrich tendit au meunier sa chope de bière et il la vida.

— À mes péchés, dit-il. À mes péchés.

— Everard est mort, lui aussi, reprit Dietrich, et Klaus hocha la tête. Et Franzl Long-Nez, du château. On a sorti son cadavre ce matin. (Il se tourna vers les remparts.) Comment se porte Manfred ?

— Je ne sais pas. (Klaus posa les deux chopes sur le rebord de la fenêtre.) Je me demande si nous le saurons jamais.

— Et les Unterbaum sont partis, continua Dietrich. Konrad, sa femme et leurs deux enfants survivants…

— Pour le Bärental, j’espère. Seul un crétin fuirait au Brisgau en sachant que la peste est arrivée à Fribourg. Où est la mère d’Atiulf ?

Ils se levèrent pour rejoindre le garçonnet qui pleurait toujours.

— Qu’y a-t-il, mon enfant ? demanda Dietrich en s’agenouillant près de lui.

— Mami ! hurla-t-il. Je veux mami !

Tout essoufflé, il inhala une goulée d’air avant de se remettre à crier, mais fut pris d’une violente quinte de toux.

— Où est-elle ? interrogea Dietrich.

— Je sais pas ! Mami, je me sens pas bien !

— Où est ton père ?

— Je sais pas ! Vati, j’ai mal !

Son corps fut à nouveau secoué par la toux.

— Et ta sœur Anna ?

— Elle dort. Faut pas la réveiller ! C’est mami qui l’a dit.

Dietrich et Klaus échangèrent un regard. Puis tous deux se tournèrent vers le cottage Kohlmann. Le maire serra les mâchoires.

— Je suppose qu’il faut…

Klaus ouvrit la porte et entra, et Dietrich le suivit, tenant le petit garçon par la main.

Il n’y avait aucun signe de Norbert ni d’Adelheid, mais Anna gisait sur une paillasse, le visage figé dans un sourire paisible.

— Morte, annonça Klaus. Je n’aperçois pourtant aucun signe de maladie. Rien à voir avec ce pauvre Everard.

— Atiulf, dit Dietrich d’un air sévère, est-ce que ta sœur était malade hier soir, quand tu es allé te coucher ?

Le garçonnet fit non de la tête sans cesser de pleurnicher. Dietrich se tourna vers Klaus, qui déclara :

— Le charbon frappe parfois les gens de cette façon, quand il entre par la bouche plutôt que par la peau. Peut-être que la peste fait la même chose. À moins qu’elle ne soit morte de chagrin à cause de ce jeune homme.

— Bertram Unterbaum.

— Je n’aurais pas cru cela de Norbert : abandonner ainsi cet enfant à son sort.

La raison n’avait pu que le pousser à la fuite, se dit Dietrich. Si le garçonnet était condamné, à quoi bon rester ici… et courir le risque d’être frappé à son tour ? Et c’est ainsi que tous les gens raisonnables avaient fui – de l’antique Alexandrie, des casernes de Constantinople, de l’hôpital de Paris.

Klaus prit l’enfant dans ses bras.

— Je l’emmène à l’hôpital. S’il vit, il deviendra mon fils.

Si la décision de Norbert ne lui ressemblait pas, celle de Klaus était proprement stupéfiante. Dietrich le bénit et ils se séparèrent. Le prêtre se mit en marche vers les maisons les plus proches de la route du Bärental, sans raison définie hormis que ses pas le portaient là.

La porte d’un cottage s’ouvrit soudain et Ilse Ackermann en sortit, sa fille Maria dans ses bras.

— Ma petite Maria ! Ma petite Maria ! hurlait-elle.

La fillette était noire de la tête aux pieds, souillée de vomissures, et de sa bouche bleu nuit coulait un flot de sang ininterrompu. Elle exhalait la puanteur caractéristique de la peste. Avant qu’Ilse ait eu le temps d’en dire plus, son enfant mourut dans un ultime spasme.

Poussant un nouveau hurlement, la femme jeta sa fille sur la chaussée, où elle reposa telle la poupée calcinée qu’elle avait jadis sauvée des flammes. La peste semblait avoir envahi toutes les parcelles de son corps, le corrompant de l’intérieur. Dietrich recula, frappé d’horreur. Cette vision était plus terrifiante encore que celle de Hilde en plein délire, ou de Wanda avec sa langue noire et pendante. Ce qu’il avait devant lui, c’était la Mort dans toute sa majesté.

Ilse se prit la tête entre les mains et courut vers les soles d’hiver où Félix était en train de labourer, laissant sa fille derrière elle.


La Mort avait cerné Dietrich et elle avait fait vite. Everard, Franzl, Wanda, Anna, Maria. Paisible ou douloureuse ; rapide ou interminable ; sommeil ou pourriture. Il n’y avait aucun ordre dans son action, aucune loi. Dietrich pressa le pas. Après ces trois jours de grâce, la peste avait redoublé d’efforts.

Un sinistre fruit pendait à l’une des branches du tilleul : la douce brise de juillet faisait balancer un cadavre. Dietrich s’approcha et vit que c’était celui d’Odo, et il crut d’abord à un suicide. Mais la corde était attachée au tronc et il n’y avait rien alentour sur quoi le vieillard aurait pu se jucher. Puis il comprit. En retournant chez son gendre, Odo avait été attaqué et tué pour avoir apporté la peste au village.

Dietrich ne pouvait en supporter davantage. Il se mit à courir. Ses sandales claquèrent sur les planches du pont enjambant le bief et l’amenèrent sur la route du Bärental. Le soleil avait durci la terre, excepté là où la chaussée se poursuivait à l’ombre des haies. Ce fut dans une rivière bourbeuse que Dietrich dut avancer pour franchir cette portion. Arrivé au tournant, il tomba sur la jument grise du Herr, sellée et caparaçonnée, occupée à grignoter les feuilles d’un succulent buisson.

Un signe ! se dit-il. Dieu lui avait envoyé un signe. S’emparant des rênes, il monta sur le talus et se mit en selle. Puis, sans jeter un regard derrière lui, il talonna la jument récalcitrante et prit la direction de l’est.

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