2 Aujourd’hui Tom

Tom Schwoerin n’avait rien d’un ermite. Il appréciait la compagnie de ses semblables et, sans être un fêtard, aimait bien boire un coup et pousser la chansonnette ; dans certains bars de la ville, on l’avait naguère considéré comme un habitué.

C’était avant qu’il rencontre Sharon, naturellement. Il serait certes injuste de qualifier celle-ci de rabat-joie, mais elle avait néanmoins tendance à réfréner ses ardeurs. Ce qui n’était pas un mal en soi. Un bon coup de frein peut prévenir un accident grave. Il y avait quelque chose de frivole chez Tom avant qu’elle le prenne en main. Un adulte n’est pas censé s’apprêter comme il le faisait, par exemple. Sharon l’avait remis sur le droit chemin, du moins en partie, et un peu de son sérieux avait déteint sur lui.

Quand il était sur une piste, donc, il aurait pu passer pour un ermite – même s’il était plus bavard que la moyenne. Il aimait bien verbaliser ses idées, ce qui l’amenait à en parler avec son entourage. Sharon jouait en général le rôle de chambre d’échos – parfois à contrecœur, comme lors de cette fameuse soirée –, mais l’important pour Tom était de parler et non d’être écouté. En dernier recours, il aurait été capable de soliloquer, et cela lui arrivait souvent.

Il savait parfaitement qu’elle l’avait jeté dehors. S’il n’était pas particulièrement sensible aux non-dits dans les relations humaines, l’attitude de Sharon était totalement dénuée d’ambiguïté, et on n’a pas besoin d’être hypersensible pour se sentir vexé dans de telles circonstances. Certes, une petite visite aux archives était parfaitement sensée quand on examinait le problème sous l’angle de la logique ; sauf que ce problème-ci n’avait rien de logique.


La collection médiévale de la bibliothèque du Teliow Memorial était née d’un modeste patrimoine, abrité dans une galerie conçue pour évoquer un hall du Moyen Âge. On y trouvait quelques pièces de valeur : triptyques, tables d’autel, et cœtera. Mais aussi des bibles, des psautiers et autres incunables, des rouleaux de comptes et des cartulaires, des registres et des titres de propriété, des livres comptables et des factures… bref, le matériau brut de l’histoire. Des sources primaires achetées aux enchères, obtenues par legs ou cédées par des donateurs en quête d’avantages fiscaux, jamais cataloguées ni publiées, grossièrement rangées dans des dossiers, parfois entassées dans des cartons et attendant un chercheur suffisamment motivé pour les débroussailler. C’était Tom qu’elles guettaient, et elles le capturèrent corps et biens.

Tom s’était préparé une liste. Quoique peu méthodique, il avait trop d’expérience pour plonger la tête la première dans des eaux attendant encore un cartographe. Il ne savait pas ce qu’il cherchait, mais il en avait une vague idée, ce qui l’avançait déjà beaucoup. Il examina donc le contenu de chaque carton, mettant de côté certains documents en vue d’une étude plus approfondie. Ce faisant, il accumula une série de points relevant du trivium et du quadrivium, car il était de ces hommes qui finissent toujours par trouver quelque chose, même si ce n’est pas ce qu’ils cherchent. Les heures passèrent et, au-dehors, les ombres s’allongèrent.


Parmi toute l’ivraie qu’il avait remuée se trouvait un unique bon grain : dans l’index relatif à une série de procès épiscopaux du XVIIe siècle figurait une note précisant que « de rerum Eifelheimensis, la validité du baptême du dénommé Johannes Sterne, voyageur, avait été contestée du fait de la mort par pestilence de tous les participants ». Cet index avait été compilé à partir d’un index antérieur, datant du XVe siècle, lequel faisait référence à un document du XIVe siècle hélas égaré.

Comme piste, ce n’était pas très chaud.

Il ferma les yeux, se frotta le front et envisagea de rendre les armes. Et peut-être que les choses se seraient arrêtées là s’il n’avait pas soudain entendu une voix.

— Vous savez, docteur Schwoerin, ce n’est pas souvent qu’on a de la visite ici.

Paul sur le chemin de Damas n’aurait pas été plus surpris. La bibliothécaire, qui n’avait cessé de manutentionner des cartons dans la discrétion, se tenait devant lui, avec le dernier en date calé sur sa hanche. C’était une femme aux traits fins, vêtue d’une robe en tissu imprimé et portant des lunettes totalement anodines. Ses cheveux étaient noués en chignon sur son crâne.

Lieber Gott*, songea Tom. Un archétype !

— Je vous demande pardon ? demanda-t-il à voix haute.

La bibliothécaire rougit.

— En général, les chercheurs nous transmettent leurs requêtes par téléphone. On passe le document au scanner pour l’envoyer attaché à un courriel, on facture le coût à la compta, et le tour est joué. Un boulot terriblement solitaire par moments, surtout la nuit où on passe son temps à attendre les requêtes venant d’Europe. Je m’efforce de lire tout ce que je scanne, et j’ai mes propres recherches à faire, bien sûr. Ça aide.

Et voici notre charnière. Une bibliothécaire esseulée qui avait envie de parler un peu, un cliologue esseulé cherchant à oublier ses recherches infructueuses. Sans ce concours de circonstances, ces deux-là n’auraient jamais échangé un seul mot de toute la soirée.

— J’avais besoin de sortir de chez moi quelque temps, dit Tom.

— Oh ! fit la jeune femme. Je suis ravie de vous voir. J’ai suivi vos recherches.

Il est rare qu’un historien se découvre des groupies.

— Pourquoi diable avez-vous fait ça ? demanda Tom, surpris.

— J’ai entamé des études d’histoire analytique avec le docteur LaBret, de l’université du Massachusetts, mais j’ai été larguée par les cours de topologie différentielle ; alors je me suis orientée vers l’histoire narrative.

Tom se sentit dans la peau d’un biologiste moléculaire venant de tomber sur un spécialiste de la « philosophie naturelle ». L’histoire narrative n’était pas une science ; c’était de la littérature.

— Je n’ai pas oublié les migraines que je dois aux surfaces de catastrophe de Thom, hasarda-t-il. Asseyez-vous, je vous en prie. Vous me mettez mal à l’aise.

Elle resta debout, le carton calé sur la hanche.

— Je ne voulais pas vous déranger. Mais il y a une question qui… (Elle hésita.) Oh ! c’est sans doute évident.

— Quoi donc ?

— Eh bien, vous faites des recherches sur un village nommé Eifelheim.

— Exact. Le site correspond à une lacune inexplicable dans une grille de Christaller.

S’il lui répondait dans ces termes, c’était délibéré de sa part. Il voulait tester ses connaissances et ses capacités.

Elle leva les sourcils.

— Un village définitivement abandonné ? dit-elle.

Tom acquiesça.

— Mais ce site devait présenter une affinité, car sinon il serait resté inoccupé, reprit-elle d’une voix songeuse. Peut-être se sont-ils installés à proximité… Non ? Voilà qui est étrange. Les mines étaient épuisées ? Les sources taries ?

Tom sourit, ravi de la voir manifester une telle intelligence, et aussi un tel intérêt. Il avait eu toutes les peines du monde à convaincre Sharon de la réalité du problème, et toutes les solutions qu’elle lui avaient proposées étaient triviales – la Peste noire, par exemple. Cette jeune femme en savait suffisamment pour suggérer des solutions locales.

Elle plissa le front une fois qu’il eut exposé son problème.

— Pourquoi n’avez-vous pas fait des recherches sur la période antérieure à la disparition du village ? Peut-être que ses habitants l’ont abandonné pour des raisons déjà anciennes.

Il tapa sur le carton qu’elle tenait.

— C’est pour ça que je suis ici ! Ce n’est pas à un vieux singe qu’on apprend à faire des grimaces.

Elle baissa la tête comme pour encaisser le coup.

— Mais vous n’avez jamais cité le nom d’Oberhochwald, alors je…

— Oberhochwald ? (Il agita la tête en signe d’agacement.) Pourquoi Oberhochwald ?

— C’était l’appellation originelle d’Eifelheim.

— Hein ?

Il se leva d’un bond, renversant son siège. Celui-ci tomba à grand fracas et la bibliothécaire laissa choir son carton sous l’effet de la surprise, jonchant le sol de chemises et de feuillets. Elle porta une main à sa bouche, puis se baissa pour ramasser les papiers épars.

Tom la rejoignit en hâte.

— Ne vous occupez pas de ça, dit-il. C’est ma faute. Je vais les ramasser. Dites-moi tout ce que vous savez sur Oberhochwald.

Il l’agrippa par les épaules pour l’obliger à se redresser, surpris par sa petite taille. Il l’avait crue bien plus grande lorsqu’il était assis.

Elle se dégagea de son étreinte.

— Nous les ramasserons tous les deux, lui dit-elle.

Posant le carton sur le sol, elle se mit à quatre pattes. Tom s’agenouilla à ses côtés et lui tendit une chemise.

— Vous êtes sûre à propos d’Oberhochwald ?

Elle rangea trois chemises dans le carton puis se tourna vers lui, et il remarqua qu’elle avait de grands yeux marron.

— Vous voulez dire que vous ne le saviez pas ? Je l’ai découvert par hasard, mais je pensais que vous… Bref, ça date d’il y a un mois. L’un des moines de l’école de théologie m’a demandé de lui retrouver un manuscrit assez rare et de le scanner pour l’intégrer dans la base de données. Le nom d’Eifelheim a attiré mon attention, car j’avais déjà scanné plusieurs documents pour vous. Il était mentionné en passant dans un document ayant trait à Oberhochwald.

Tom se figea, un paquet de chemises dans les mains.

— Quel était le contexte ?

— Je l’ignore. Je lis le latin, mais ce document était en allemand. Oh ! si j’avais su, je vous aurais aussitôt envoyé un courriel. Mais j’ai cru que…

Tom lui posa une main sur le bras.

— Vous n’avez rien fait de mal. Vous l’avez ici ? Le manuscrit que voulait voir ce moine ? Ça m’intéresse.

— L’original se trouve à Yale…

— Une copie me suffira.

— D’accord. J’allais vous poser la question. Nous avons conservé une copie du fichier pdf dans notre base de données et df_imaging vient ici une fois par mois pour mettre de l’ordre dans nos archives. Je peux vous le retrouver.

— Vous feriez ça ? Bitte sehr* ? Je veux dire : s’il vous plaît ? Je vais finir de ranger ce bazar.

Il glissa une main sous la table pour ramasser une autre chemise. Bon sang ! Un nouveau triomphe de la sérendipité ! Il posa deux nouvelles chemises sur celles qu’il avait déjà récupérées. Pas étonnant qu’il n’ait trouvé aucune référence à Eifelheim dans la période qui l’intéressait. Le village ne s’appelait pas encore ainsi. Il se tourna vers la bibliothécaire, qui avait regagné son bureau et pianotait sur son clavier.

Entschuldigung*, lui dit-il.

Elle s’interrompit pour le fixer du regard.

— Je ne vous ai même pas demandé votre nom.

— Judy, lui dit-elle. Judy Cao.

— Merci, Judy Cao.


C’était un indice fort maigre, un fil des plus fragiles dépassant d’un vieil écheveau de faits. À un moment indéterminé du XIVe siècle, un franciscain errant nommé frère Joachim avait prêché un sermon sur « les sorciers d’Oberhochwald ». Le texte de ce sermon n’avait pas survécu, mais les talents oratoires de frère Joachim avaient marqué les esprits et on les commentait d’abondance dans un traité consacré aux homélies contre la sorcellerie et le satanisme. Un lecteur d’une époque ultérieure – le XVIe siècle, à en juger par la calligraphie – avait ajouté une mention marginale : Dieses Dorf heiβt jetzt Eifelheim. Ce village s’appelle aujourd’hui Eifelheim.

Ce qui signifiait…

Poussant un grognement, Tom reposa sur la table la sortie imprimante.

Judy Cao lui posa une main sur le bras.

— Qu’est-ce qui ne va pas, docteur Schwoerin ?

Tom tapa sur la feuille de papier.

— Il faut que je fouille à nouveau toutes les archives, dit-il en se passant une main dans les cheveux. Enfin… Povtorenia – mat’ uchemia*.

Il attira le carton contre lui. Judy Cao y pécha une chemise et, les yeux baissés, la tourna et la retourna dans ses mains.

— Je pourrais vous aider, suggéra-t-elle.

— Oh… (Il secoua la tête d’un air distrait.) Je ne peux pas vous demander une chose pareille.

— Je parle sérieusement, répliqua-t-elle en levant les yeux. En fait, je suis volontaire. Il y a toujours un creux après huit heures du soir. Les appels californiens s’espacent et ceux de Vienne et de Varsovie n’arrivent que plus tard. Côté maths, je ne peux rien faire, mais pour ce qui est des recherches et de la doc… Il faudra que je fouille dans tous ces cartons, bien entendu ; mais je peux aussi me balader sur la Toile.

— Je sais me servir d’un moteur de recherche, dit Tom.

— Sans vouloir vous insulter, docteur Schwoerin, personne ne fait ça aussi bien qu’un bibliothécaire. On trouve tant de données sur la Toile, si mal présentées – et parfois si sujettes à caution – que seul un expert peut y démêler le vrai du faux.

Grognement de Tom.

— Comme si je ne le savais pas ! Il suffit que je lance une recherche pour obtenir plusieurs milliers de sites, dont la plupart relèvent du Klimbim, et du diable si je comprends comment ils ont pu être référencés.

— La majorité de ces sites ne valent pas le papier dont ils se dispensent, approuva Judy. Une bonne moitié sont dus à des amateurs ou à des fêlés. Vous devez affiner vos critères. Je peux vous bricoler un ver qui ira renifler non seulement les références au terme Oberhochwald, mais aussi les mots clés associés à ce lieu. Comme par exemple…

— Johannes Sterne ? Ou la Trinité des Trinités ?

— Tout ce que vous voulez. Je peux programmer mon ver pour qu’il tienne compte du contexte – c’est le plus délicat – et ignore les articles non pertinents.

— D’accord, fit Tom. Vous m’avez convaincu. Je vous verserai un traitement grâce à ma bourse de recherche. Il n’aura rien de mirifique, mais il vous permettra de prétendre au titre d’assistante. Et votre nom sera cité au moment de la publication. (Il ramena sa chaise contre la table.) Je vous ouvrirai l’accès à CLIODEINOS pour que vous puissiez enregistrer vos résultats dans mon compte chaque fois que ce sera utile. En attendant, nous… Qu’est-ce qui ne va pas ?

Judy s’écarta de la table.

— Rien, dit-elle en détournant les yeux. Je pensais qu’on pourrait se retrouver ici à intervalles réguliers. Pour coordonner nos activités.

Tom agita la main.

— C’est plus facile sur la Toile. Il suffit d’avoir un modem et un téléphone intelligent.

— J’en ai un, lui dit-elle en tirant sur le fermoir de la chemise qu’elle tenait. Il est même plus intelligent que certaines personnes.

Tom éclata de rire, mais il n’avait pas compris la blague.


Les deux cartons posés sur la table leur fournissaient un point de départ qui en valait d’autres, aussi se les répartirent-ils pour les fouiller avec minutie, chemise après chemise. Tom lisait les mêmes textes pour la seconde fois, aussi s’ordonna-t-il de se concentrer. Comme il guettait le mot « Oberhochwald », ses yeux avaient tendance à s’arrêter sur tous les mots commençant par un O – voire un Q, et même un C. Les manuscrits qui défilaient devant lui étaient l’œuvre de mains fort diverses ; la plupart étaient rédigés en latin, mais il y en avait aussi en vieil allemand, et même en français et en italien. Un salmigondis de pièces dont les seuls points communs étaient les donateurs.

Trois heures plus tard, soit deux heures après que Judy eut fini son service, Tom, les yeux rougis et la cervelle en compote, n’avait qu’un seul et unique manuscrit à son tableau de chasse.

Idem pour Judy, qui était restée fidèle au poste.


Tom fut surpris de constater qu’elle savait le latin. Bizarre qu’une jeune femme originaire de l’Asie du Sud-Est s’intéresse à la culture et à l’histoire de l’Europe – encore que l’inverse l’aurait moins surpris. Donc, même si Tom apprit peu de choses sur Eifelheim cette nuit-là, on ne peut pas dire pour autant qu’il n’avait rien glané. En fait, il avait mal cerné les centres d’intérêt de Judy Cao.

« Moriuntur amici mei…»

Tom ferma les yeux pendant que Judy lisait à haute voix. Il procédait ainsi chaque fois qu’il souhaitait se concentrer sur ce qu’il entendait. En désactivant l’un de ses sens, il espérait augmenter l’acuité de l’autre. Cela dit, il n’était pas enclin à se boucher les oreilles lorsqu’il souhaitait examiner quelque chose de près.

Tom m’a dit un jour que nous autres Allemands, nous avions tendance à garder nos verbes dans nos poches, afin que le sens « à la fin de la phrase seulement apparaisse ». Le latin peut se permettre de jeter ses verbes comme des sucreries à la mi-carême, comptant sur les suffixes pour faire respecter la discipline. Heureusement, les lettrés du Moyen Âge lui ont imposé une structure ordonnée – raison pour laquelle les humanistes les haïssaient – et Tom était doué pour les langues.


« Mes amis se meurent en dépit de tous nos efforts. Ils avalent la nourriture, mais celle-ci ne les sustente point et leur fin chaque jour se rapproche. Je prie quotidiennement pour qu’ils ne succombent pas au désespoir, car Oberhochwald est si loin de leur foyer, et pour qu’ils se présentent devant le Seigneur avec un cœur plein de foi et d’espoir.

» Ils sont deux de plus à avoir accepté le Christ à l’approche du trépas, ce qui réjouit Jean autant que moi. Et ils ne nous en veulent pas, à nous qui les avons accueillis, car ils savent que notre fin est proche, elle aussi. Les rumeurs sont aussi vives et aussi nuisibles que des flèches, et elles disent que la pestilence qui a ravagé le Sud l’année passée vient de semer la désolation chez les Suisses. Oh ! faites que ce soit là un moindre mal venu nous tourmenter ! Faites que cette coupe ne se porte pas à nos lèvres ! »


C’était tout. Un fragment de journal, rien de plus. Pas d’auteur. Pas de date.

— Entre 1348 et 1350, hasarda Tom, mais Judy se montra plus précise.

— 1349, entre la fin du printemps et le début de l’hiver, déclara-t-elle. La peste a atteint la Suisse en mai 1349 et Strasbourg en juillet, ce qui l’amène en Forêt-Noire durant cette période.

Tom décida que l’histoire narrative avait ses avantages et lui tendit un second feuillet.

— J’ai trouvé ça dans l’autre carton. Une pétition adressée à Herr Manfred von Hochwald par un chaudronnier de Fribourg. Il se plaint du vol d’un lingot de cuivre, laissé par le pasteur Dietrich d’Oberhochwald en guise de paiement pour du fil de cuivre.

— Daté de 1349, vigile de la fête de la Vierge, compléta-t-elle en lui rendant le feuillet.

Tom fit la grimace.

— Ce qui ne nous avance guère… La moitié de l’année médiévale était consacrée à des fêtes mariales.

Il annota son organiseur et se mordilla les lèvres. Quelque chose clochait dans cette lettre, mais il n’arrivait pas à mettre le doigt dessus.

— Bien… (Rassemblant les sorties imprimante, il les glissa dans sa mallette et la ferma.) La date exacte n’a pas d’importance. Ce que je veux savoir, c’est pourquoi le village a été abandonné, et non si le prêtre du coin a truandé un artisan local. Mais, alles gefällt*, j’ai fait une découverte qui justifie amplement mon déplacement.

Judy referma l’un des cartons et parapha l’étiquette collée à son couvercle. Elle lui jeta un bref regard.

— Ah ? Laquelle ?

— Je n’ai peut-être pas encore déniché la bonne piste ; mais je sais au moins qu’il y en a une.


En sortant de la bibliothèque, il découvrit que la nuit était tombée et le campus désert. Les salles de cours le protégeaient des bruits d’Olney Street et il n’entendait que la douce rumeur des frondaisons. Leurs ombres frémissaient au clair de lune. Courbant le dos pour résister à la bise, Tom se dirigea vers la sortie. Donc, Oberhochwald avait changé de nom pour devenir Eifelheim… Mais pourquoi Eifelheim ? s’interrogea-t-il.

Il avait traversé la moitié de la cour lorsqu’il eut une révélation. À en croire le document qu’il venait de dénicher, le village s’appelait Oberhochwald jusqu’à ce que la Peste noire le ravage et le raye de la carte.

Pourquoi un village ayant cessé d’exister irait-il changer de nom ?

Загрузка...