XV Urien de Troïl


La proposition de négociation de Yorwan, que Qadehar et Gérald rapportèrent à l’état-major des Chevaliers, fut loin de plaire aux rudes hommes d’action, à l’exception peut-être de Valentin, le plus sage d’entre eux…

– Quoi ? s’exclama Urien. Vous voulez parlementer avec ces fous ?

– Ce serait l’occasion de prendre la mesure des forces dont dispose la ville, tenta de se justifier Qadehar devant le vieux Chevalier, que tous sentaient sur le point d’exploser de colère.

– Tu n’as pas confiance dans la valeur de la Confrérie ? demanda le Commandeur, légèrement peiné, au Sorcier.

– Le problème n’est pas là, intervint Gérald. Maître Qadehar ne remet nullement en cause votre bravoure ! Mais, d’après Yorwan, les prêtres de Yénibohor disposeraient de pouvoirs magiques qui…

– Yorwan ! ricana Urien. Une attitude aussi lâche ne peut qu’émaner de lui ! Ce qui m’étonne, Qadehar, c’est que tu te laisses manipuler par cet individu, alors qu’il nous a déjà trahis.

– Ça suffit, Urien ! lança Qadehar d’une voix sèche.

L’attitude du géant de Troïl lui faisait perdre patience.

– Tes sous-entendus sont inadmissibles ! reprit-il.

– Eh bien moi, répondit en hurlant Urien, je n’admets pas de devoir obéir à la Guilde et à ses maudits Sorciers !

Sous l’insulte, Qadehar fit un pas vers Urien, l’air menaçant. Gérald, le Commandeur et Valentin s’interposèrent aussitôt entre les deux hommes. Ambor et Bertolen, les deux capitaines, semblaient partagés et perplexes. Un flottement se fit sentir parmi les rangs des Chevaliers. Ils se tenaient devant la terrible cité de Yénibohor, abritant on ne sait quelle menace, et leurs chefs se disputaient… La situation leur semblait inhabituelle.

– Ça suffit ! grogna Urien.

Il se dégagea de l’étreinte de Valentin et du Commandeur, et recula de quelques pas.

– Je sais ce que je dois faire !

Le colosse se dirigea d’un pas rapide vers un énorme rocher. Il grimpa dessus et s’adressa d’une voix tonitruante aux Chevaliers stupéfaits :

– Chevaliers ! Le ravisseur de mon neveu se terre dans cette ville ! Une ville occupée par une poignée de prêtres tremblants ! Et que nous proposent les Sorciers de la Guilde, sur les conseils du traître Yorwan ? De négocier !

Un grondement désapprobateur agita les hommes, attentifs au discours martial d’Urien de Troïl.

– N’êtes-vous pas les meilleurs combattants des Trois Mondes ? continua le colosse dont le regard brillait d’excitation et de fureur. Ne vous sentez-vous pas capables de prendre cette cité ?

Cette fois, une clameur enthousiaste lui répondit. Les hommes brandirent vers le ciel leur épée et le bouclier frappé des armoiries de leur famille.

– Alors, conclut Urien en levant sa hache de guerre, à l’assaut ! Faisons rendre gorge à ceux qui ont osé défier Ys et la Confrérie !

– Yahhhhhhhh !

Les cris rauques des deux cents Chevaliers résonnèrent dans la plaine. Urien prit la tête et se précipita, écumant, en direction des portes de la ville qui étaient grandes ouvertes. Les Chevaliers se ruèrent à sa suite.

– C’est de la folie ! gémit Qadehar qui assistait, impuissant, à la scène.

Le Commandeur avait le visage décomposé.

– Je suis désolé. Je n’ai rien pu faire. Urien est une légende pour les Chevaliers. Et ils étaient tous trop impatients de passer à l’attaque…

Ambor et Bertolen, enflammés comme les autres par le discours d’Urien, s’étaient précipités les premiers.

Le Commandeur se dirigea à son tour vers la ville. Valentin lui emboîta le pas.

– Ce sont mes hommes, s’excusa le Commandeur. Je ne peux pas les abandonner !

– Je vais avec vous ! se décida brusquement Qadehar. Vous aurez besoin de moi si les prêtres usent de magie !

– Ça aussi, c’est de la folie…, dit Gérald d’un ton réprobateur.

– Je le sais, mon ami, reconnut le Maître Sorcier avec tristesse. Mais j’ai déjà abandonné une fois mes compagnons devant Djaghataël. Aujourd’hui, je partagerai leur sort, quel qu’il soit. Si cela tourne mal, réfugiez-vous dans le Bois des Pendus ! Et repartez ensuite à Ys !

Gérald, Qadwan et Yorwan le regardèrent s’engouffrer dans Yénibohor à la suite des Chevaliers. Ils étaient atterrés.

– Je crois, annonça Yorwan d’une voix sinistre, que nous devrions nous mettre tout de suite en route pour le Bois des Pendus…

Urien, suivi par les deux cents Chevaliers de la Confrérie du Vent et par Valentin, Qadehar et le Commandeur, un peu plus loin derrière eux, s’engagea dans la cité. Les abords de la porte monumentale étaient déserts. Ils coururent encore une centaine de mètres, puis franchirent un pont en pierre qui surplombait un large cours d’eau. Urien marqua le pas au milieu d’une avenue, et jura. Derrière lui, les guerriers à l’armure turquoise s’arrêtèrent et commencèrent à chuchoter. Il n’y avait personne. Et le silence qui régnait était un silence de mort. Il était fort probable qu’il s’agisse d’un guet-apens…

« Qu’est-ce que j’ai fait ? Sacredieu, qu’est-ce que j’ai fait ? » se lamenta Urien en recouvrant peu à peu ses esprits, comme si la situation présente lui faisait l’effet d’une douche froide.

– Demi-tour ! rugit-il aussitôt à l’adresse de ses compagnons. Sortons de cette nasse, et vite !

Mais, au même instant, les lourds panneaux des portes de la ville se fermèrent brutalement, dans un claquement sinistre qui résonna comme un bruit de fin du monde. Et c’est alors que, surgissant des ruelles alentour, des créatures se jetèrent par dizaines en hurlant sur les Chevaliers…

C’étaient des Orks, ces monstres humanoïdes puissants et effrayants, au visage semblable à celui des lézards, à la peau dure et craquelée, vêtus de toile et de cuir ! Ils arboraient sur le torse, en pendentif, le symbole de la ville de Yâdigâr, un lion rugissant encerclé de flammes.

Qadehar, un peu en retrait, reconnut le blason. Il pâlit.

– Les hommes de Thunku ! Encore ! s’exclama-t-il.

– On est faits comme des rats ! constata amèrement le Commandeur en voyant les grappes de monstres se répandre dans l’avenue et occuper le pont, prenant la Confrérie en étau.

– Il faut se dégager et s’enfuir ! dit Valentin qui tentait de conserver son calme. C’est notre seule chance…

– Je m’occupe de la porte, annonça Qadehar en rebroussant chemin.

Mais, au même instant, un Ork gigantesque lui barra la route. Instinctivement, le Sorcier lança contre lui le Graphème Thursaz. Celui-ci resta sans effet.

« Ça alors ! s’étonna Qadehar. J’ai pourtant appelé la forme incertaine du Graphème ! »

Il essaya encore une fois d’assommer son adversaire avec le Graphème, tout en sautant de côté pour éviter un violent coup de poing. Peine perdue…

« Yorwan avait raison ! comprit-il tout à coup. Il y a ici une magie qui annihile les effets de la mienne ! »

Le Sorcier para un nouveau coup de l’Ork et s’élança contre lui. Il parvint à le frapper à la gorge en même temps qu’il lui prit son arme, une lourde épée, dentelée comme une scie. Puis il se tourna vers ses compagnons, aux prises avec les monstres. Le combat était total.

Un autre Ork l’aperçut et, avec un grognement de haine, s’élança vers lui en brandissant sa massue cloutée. Le Sorcier soupira et attendit le choc, l’épée haute…

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