44 L’Offensive se déclenche

Perrin ouvrit lentement les yeux et contempla le plafond uni en plâtre blanc. Il mit un moment à se rendre compte qu’il était dans un lit à colonnes, couché sur un matelas de plumes avec une couverture sur lui et un oreiller en duvet sous la tête. Une myriade d’odeurs dansaient dans son nez ; les plumes et la laine de la couverture, une oie en train de rôtir, du pain et des gâteaux au miel – des nonnettes – qui cuisaient. Une des chambres de l’Auberge de la Source du Vin. Avec la clarté bien reconnaissable d’une matinée ensoleillée entrant à flots par les fenêtres aux rideaux blancs. Le matin. Il tâtonna le long de son côté. Ses doigts rencontrèrent de la peau intacte, mais il se sentait plus faible qu’à aucun autre moment depuis qu’il avait été blessé. Un prix assez modéré, somme toute, et un échange assez honnête. Il se sentait aussi la gorge sèche.

Quand il bougea, Faile se leva d’un bond du fauteuil qu’elle occupait près de la petite cheminée de pierre, rejetant de côté une couverture rouge et s’étirant. Elle avait endossé une tenue de cheval plus sombre avec la jupe divisée en deux jambes étroites, et les faux plis de sa robe en soie grise témoignaient qu’elle avait dormi dans ce fauteuil. « Alanna a déclaré que tu avais besoin de sommeil », dit-elle. Il tendit la main vers la cruche blanche sur la petite table à côté du lit et elle se précipita pour remplir une tasse d’eau et la tint pour qu’il boive. « Il est nécessaire que tu ne bouges pas d’ici pendant encore deux ou trois jours, jusqu’à ce que tu aies récupéré tes forces. »

Les paroles avaient une consonance normale, à l’exception d’une réticence sous-jacente qu’il discernait tout juste, une crispation au coin des paupières. « Qu’est-ce qui ne va pas ? »

Elle replaça soigneusement la tasse sur la table de chevet et lissa sa robe. « Rien ne va mal. » La tension secrète était encore plus nette.

« Faile, ne me mens pas.

— Je ne mens pas ! répliqua-t-elle d’un ton sec. Je vais te faire apporter un petit déjeuner, et tu as de la chance que je m’occupe de ça, alors que tu me traites…

— Faile. » Il prononça son nom aussi sévèrement que c’était en son pouvoir et elle hésita, sa mine la plus arrogante, menton levé et œil indigné, se changeant en air inquiet, front plissé, puis redevenant comme avant. Il soutint fermement son regard ; elle ne s’en tirerait pas avec une de ses façons hautaines de grande dame.

À la fin, elle poussa un soupir. « Je suppose que tu as le droit de savoir. N’empêche que tu restes quand même dans ce lit jusqu’à ce qu’Alanna et moi disions que tu peux te lever. Loial et Gaul ne sont plus là.

— Plus là ? » Il cligna des paupières, interdit. « Qu’est-ce que tu entends par là, plus là ? Ils sont partis ?

— En un sens. Les sentinelles les ont vus qui s’en allaient ce matin dès le point du jour, s’enfonçant ensemble d’un bon pas dans le Bois de l’Ouest. Aucune d’elles n’en a tiré de conclusion ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’aucune n’a essayé de les en empêcher, un Ogier et un Aiel. Je l’ai appris il y a moins d’une heure. Ils parlaient d’arbres, Perrin. Que les Ogiers chantent pour les arbres.

— Les arbres ? grommela Perrin. C’est cette fichue Porte des Voies ! Que je me réduise en braises, je lui ai dit de ne pas… Ils vont se faire massacrer avant d’y arriver. »

Rejetant la couverture, il balança ses jambes par-dessus le bord du lit, se leva en chancelant. Il n’avait rien sur lui, il s’en rendit compte, pas même de caleçon. Mais si elles s’attendaient à le tenir prisonnier sous une couverture, elles se trompaient lourdement. Il voyait tout soigneusement plié sur la chaise à haut dossier près de la porte, avec ses bottes à côté et sa hache suspendue à sa ceinture accrochée à une patère sur le mur. Il s’approcha à pas mal assurés de ses habits et commença à les revêtir aussi vite qu’il le pouvait.

« Qu’est-ce que tu fabriques ? questionna Faile impérieusement. Recouche-toi dans ce lit ! » Un poing sur la hanche, elle le désignait d’un geste autoritaire, comme si son doigt était capable de l’y transporter.

« Ils ne doivent pas être bien loin, lui dit-il. Pas à pied. Gaul ne veut pas monter à cheval et Loial a toujours affirmé qu’il se fiait à ses jambes plus qu’à n’importe quel cheval. Avec Steppeur, je les rattraperai au plus tard à midi. » Enfilant sa chemise par-dessus sa tête, il la laissa flotter au-dessus de ses chausses et s’assit – tomba assis, en réalité – pour mettre ses bottes.

« Tu es fou, Perrin Aybara ! Quelle chance as-tu même de les découvrir dans cette forêt ?

— Je ne me débrouille pas trop mal, moi aussi, pour repérer une piste. Je peux les trouver. » Il lui sourit, mais elle ne marcha pas.

« Tu peux te faire tuer, espèce d’idiot velu ! Regarde-toi. Tu tiens à peine debout. Tu tomberais de ta selle avant d’avoir parcouru un quart de lieue ! »

Masquant l’effort que cela lui coûtait, il se leva et tapa des pieds pour les caler dans ses bottes. Steppeur se chargerait de tout le travail ; il n’avait besoin que de se cramponner. « Quelle sottise. Je suis fort comme un cheval. Cesse donc d’essayer de me mener à la baguette. » Passant son surcot qu’il assujettit d’une secousse des épaules, il décrocha vivement sa hache et sa ceinture. Faik lui agrippa le bras comme il ouvrait la porte et fut entraînée à sa suite, alors qu’elle tentait vainement de le ramener en arrière.

« Parfois, tu as la cervelle d’un cheval, s’écria-t-elle d’une voix haletante. Moins même ! Perrin, écoute-moi. Il faut que… »

La chambre, dans le couloir étroit, n’était qu’à quelques pas de l’escalier descendant à la grande salle déserte, et c’est l’escalier qui le trahit. Quand son genou se plia pour l’abaisser sur la première marche, ce genou continua à se replier ; Perrin bascula tête la première, s’efforçant sans y parvenir d’attraper la rampe, entraînant avec lui Faile qui criait. Roulant sur eux-mêmes, ils heurtèrent marche après marche pour aboutir avec un bruit sourd final contre le tonneau qui se trouvait au pied, Faile gisant étendue de tout son long sur lui. Le tonneau se balança et pivota, secouant les épées qu’il contenait, avant de s’immobiliser avec un dernier cliquetis.

Perrin mit un moment à récupérer assez de souffle pour parler. « Est-ce que tu n’as rien ? » dit-il anxieusement. Elle était étalée sans réaction sur sa poitrine. Il la secoua avec douceur. « Faile, est-ce que tu… ? »

Elle leva lentement la tête et écarta de sa figure quelques courtes mèches de cheveux noirs, puis le dévisagea fixement. « Et toi, est-ce que tu vas bien ? Parce que, dans ce cas-là, je pourrais bien me livrer à des voies de fait sur toi. »

Perrin eut un rire sec ; elle avait probablement plus mal que lui. Il tâta avec précaution l’endroit où avait été enfoncée la flèche, mais ce n’était pas en plus mauvais état que le reste de sa personne. Naturellement, le reste de sa personne donnait l’impression d’être meurtri de la tête à la pointe des pieds. « Ôte-toi de dessus moi, Faile. J’ai besoin d’aller chercher Steppeur. »

Au lieu de quoi, elle saisit son col à deux mains et se pencha très près, jusqu’à ce que leurs nez se touchent presque. « Écoute-moi, Perrin, dit-elle d’un ton pressant. Tu ne… peux… pas… tout… faire. Si Loial et Gaul sont partis fermer la Porte des Voies, tu dois les laisser partir seuls. Ta place est ici. En admettant même que tu sois assez fort – et tu ne l’es pas ! Tu m’entends ? Tu n’es pas assez fort ! – mais le serais-tu que tu ne dois pas les rejoindre. Tu ne peux pas tout faire !

— Tiens, qu’est-ce que vous fabriquez vous deux ? » dit Marine al’Vere. Elle sortait de la porte du fond de la salle en s’essuyant les mains sur son long tablier blanc. Ses sourcils avaient l’air de vouloir se hausser jusqu’à ses cheveux. « Après pareil vacarme, je m’attendais à des Trollocs mais pas à ça. » Elle avait l’air mi-scandalisée mi-amusée.

L’impression qu’ils donnaient, avec Faile couchée sur lui de cette façon, leurs têtes rapprochées, était celle d’un couple jouant à s’embrasser. Sur le sol de la grande salle.

Les joues de Faile s’empourprèrent et elle se releva très vite, en brossant sa robe de la main. « Il est aussi entêté qu’un Trolloc, Maîtresse al’Vere. Je lui ai dit qu’il était trop faible pour se lever. Il faut qu’il retourne se coucher immédiatement. Il doit apprendre qu’il ne peut pas tout faire lui-même, surtout quand il n’est même pas capable de descendre un escalier.

— Oh, ma chère, répliqua Maîtresse al’Vere en secouant la tête, c’est la mauvaise façon de s’y prendre. » Elle se rapprocha de sa cadette et chuchota, mais Perrin entendit chaque mot. « C’était un petit garçon facile à diriger la plupart du temps, si on le prenait judicieusement mais, quand on essayait de le pousser, il se montrait entêté comme pas un dans les Deux Rivières. Les hommes ne changent pas tellement en réalité, ils deviennent plus grands, voilà tout. Si vous allez lui dire ce qu \il doit et ne doit pas faire, il va sûrement coucher les oreilles et refuser de bouger. Je vais vous montrer. » Marine se tourna vers Perrin avec un sourire rayonnant, sans se soucier de son regard furieux. « Perrin, ne crois-tu pas qu’un de mes bons matelas de plumes vaut mieux que ce sol ? Je t’apporterai une portion de ma tourte aux rognons dès que nous t’aurons bordé dans ton lit. Tu dois avoir faim, après n’avoir rien mangé depuis hier soir. Allons. Pourquoi ne veux-tu pas que je t’aide ? »

Repoussant leurs mains, il se releva seul. Oh, d’accord, avec l’assistance du mur. Il se dit qu’il s’était peut-être bien foulé la moitié des muscles de son corps. Entêté ? Il ne s’était jamais entêté de sa vie. « Maîtresse al’Vere, voulez-vous demander à Hu ou à Tad de seller Steppeur ?

— Quand tu iras mieux, répliqua-t-elle en essayant de le tourner vers l’escalier. Ne crois-tu pas qu’un peu plus de repos ne serait pas de trop ? » Faile prit son autre bras.

« Trollocs ! » Le cri au-dehors arrivait étouffé par les murs, répété par une douzaine de voix. « Des Trollocs ! Des Trollocs ! »

« Aucune raison de te tracasser pour cela aujourd’hui », déclara Maîtresse al’Vere, ferme et apaisante à la fois. Ce qui donna à Perrin envie de grincer des dents. « Les Aes Sedai régleront de la bonne façon la situation. Dans un jour ou deux, nous t’aurons remis sur pied. Tu verras.

— Mon cheval », répliqua-t-il en essayant de se dégager. Elles avaient une prise solide sur les manches de son surcot ; tout ce à quoi il aboutit fut de les balancer d’avant en arrière. « Pour l’amour de la Lumière, cessez donc de me tirailler, que j’aille chercher mon cheval ! Lâchez-moi. »

Voyant son expression, Faile soupira et libéra son bras. « Maîtresse al’Vere, voulez-vous veiller à ce que son cheval soit sellé et amené ici ?

— Mais, ma chère, il a vraiment besoin…

— S’il vous plaît, Maîtresse al’Vere, dit Faile d’un ton résolu. Et mon cheval aussi. » Les deux femmes s’entre-regardèrent comme s’il n’existait plus. À la fin, Maîtresse al’Vere hocha la tête en signe d’assentiment.

Perrin fronça les sourcils en suivant des yeux son dos tandis qu’elle s’éloignait en hâte et disparaissait vers la cuisine et l’écurie. Qu’y avait-il de différent dans la demande de Faile par rapport à la sienne ? Reportant son attention sur elle, il questionna : « Pourquoi as-tu changé d’avis ? »

Tout en lui enfonçant sa chemise dans ses chausses, elle marmonna. Indubitablement, il n’était pas censé entendre assez bien pour comprendre. « Je ne dois pas user du mot “dois”, hein ? Quand il se montre trop têtu pour voir clair, il faut que je le mène avec du miel et des sourires, hein ? » Elle lui décocha un regard menaçant qui n’avait sûrement pas de miel dedans, puis brusquement elle changea pour un sourire si gracieux qu’il faillit reculer. « Mon cher cœur, déclara-t-elle d’une voix quasi roucoulante en rajustant son surcot, quoi qu’il arrive là-bas au-dehors, j’espère sincèrement que tu resteras en selle et aussi loin que tu pourras des Trollocs, Tu n’es pas encore d’attaque pour affronter un Trolloc pour le moment, n’est-ce pas ? Peut-être demain. Rappelle-toi, je t’en prie, que tu es un général, un chef et tout autant un symbole pour les tiens que cette bannière là dehors. Si tu te postes à un endroit où les gens peuvent te voir, cela réconfortera le cœur de chacun. Et c’est beaucoup plus facile de se rendre compte de ce que requiert la situation et de donner des ordres quand tu n’es pas toi-même en train de te battre. » Ramassant sa ceinture sur le sol, elle la boucla autour de sa taille, posant avec soin la hache sur sa hanche. Elle battit également des cils à son adresse ! « Je t’en prie, dis que c’est ce que tu feras. S’il te plaît ? »

Elle avait raison. Il ne tiendrait pas deux minutes contre un Trolloc. Et pas plus de deux secondes contre un Évanescent. Et il avait beau avoir mal au cœur de l’admettre, il ne durerait pas une demi-lieue en selle s’il courait après Loial et Gaul. Espèce de fou d’Ogier. Vous êtes un écrivain, pas un héros. « D’accord », dit-il. Une impulsion espiègle s’empara de lui. La façon dont elle et Maîtresse al’Vere avaient parlé par-dessus sa tête, et les battements de cils de Faile comme s’il était stupide ! « Je ne peux rien te refuser quand tu souris si joliment. »

« Je suis bien contente. » Toujours souriante, elle brossa son surcot, cueillant des peluches qu’il était incapable de distinguer. « Parce que, sinon, et que tu réussisses à survivre, je te jouerai le tour que tu m’as joué ce premier jour dans les Voies. Je ne te crois pas encore assez fort pour m’en empêcher. » Ce sourire lui rayonna au visage, tout vivacité amoureuse et charme. « M’as-tu comprise ? »

Un petit rire lui échappa malgré lui. « Comme qui dirait que mieux vaudrait qu’on me tue. » Elle ne parut pas trouver que c’était drôle.

Hu et Tad, les palefreniers secs comme des cotrets, amenèrent Steppeur et Hirondelle peu après qu’ils sortirent. Tous les autres habitants étaient apparemment rassemblés à l’autre bout du village, au-delà du Pré Communal avec ses moutons, ses vaches et ses oies et cette bannière rouge et blanche arborant une tête de loup qui ondulait dans la brise matinale. Dès que lui et Faile eurent enfourché leurs chevaux, les palefreniers coururent aussi là-bas, sans un mot.

Quoi que fût ce qui se passait, il ne s’agissait manifestement pas d’une attaque. Perrin voyait des femmes et des enfants dans la foule et les cris de « Trollocs » s’étaient atténués en un murmure rappelant le cacardage des oies. Il avançait lentement, ne voulant pas vaciller en selle ; Faile maintenait Hirondelle près de lui et le surveillait. Si elle pouvait changer d’avis une fois sans raison, elle pouvait recommencer et il ne voulait pas de discussion sur l’endroit où il devrait être.

La foule qui jasait comptait apparemment la population entière du Champ d’Emond, habitants du village et fermiers aussi, tous serrés épaule contre épaule, mais ils s’écartèrent pour qu’ils passent, lui et Faile, quand ils virent qui il était. Son nom entra dans les murmures, en général accolé avec Les-Yeux-d’Or. Il repéra aussi le mot « Trolloc », mais sur des tons plus étonnés qu’effrayés. Du haut de Steppeur, il avait un bon coup d’œil par-dessus leurs têtes.

La masse serrée de gens se pressait depuis les dernières maisons jusqu’à la ceinture de pieux aiguisés. La lisière de la forêt, éloignée de près de trois cents toises de l’autre côté d’un champ de souches dépassant à peine le sol, était silencieuse et vide d’hommes munis de hache. Ces hommes formaient un cercle de torses nus couverts de sueur dans la foule autour d’Alanna et de Vérine ainsi que de deux hommes. Jon Thane, le meunier, essuyait du sang sur ses côtés, son menton en galoche plaqué contre sa poitrine pour observer ce que faisaient ses mains. Alanna se redressa auprès de l’autre, un bonhomme aux cheveux poivre et sel que Perrin ne connaissait pas, qui se releva d’un bond et esquissa un pas de danse comme s’il avait du mal à croire qu’il en était capable. Lui et le meunier regardaient tous deux les Aes Sedai avec révérence.

L’affluence autour des Aes Sedai était trop grande pour que quiconque s’écarte devant Steppeur et Hirondelle, mais il y avait de plus petits espaces libres autour d’Ihvon et de Tomas, de chaque côté de leurs chevaux d’armes. On n’avait pas envie de venir trop près de ces animaux aux yeux féroces, qui avaient l’un et l’autre l’air de guetter uniquement l’occasion de mordre ou de piétiner.

Perrin réussit à aller jusqu’à Tomas sans trop de difficultés. « Qu’est-ce qui s’est passé ?

— Un Trolloc. Seulement un. » Bien que le Lige ait parlé sur le ton de la conversation, ses yeux noirs ne s’attardèrent pas sur Perrin et sur Faile mais continuèrent à surveiller presque aussi étroitement Vérine que l’orée de la forêt. « Seuls, ils ne sont généralement pas très malins. Rusés mais pas intelligents. Le groupe des bûcherons l’a mis en fuite avant qu’il ait commis plus de dégâts que tirer un peu de sang. »

D’entre les arbres surgirent en courant les deux Aielles, la tête drapée dans leur shoufa et voilée de sorte qu’il était incapable de dire qui était qui. Elles ralentirent pour se faufiler entre les pieux pointus, puis se glissèrent habilement à travers la cohue, les gens se reculant autant que c’était possible, entassés comme ils l’étaient. Quand elles arrivèrent près de Faile, elles avaient ôté leur voile et elle se pencha pour les écouter.

« Peut-être cinq cents Trollocs, lui dit Baine, probablement à pas plus d’un quart de lieue derrière nous. » Sa voix était calme, mais ses yeux bleu foncé étincelaient d’ardeur. De même les yeux gris de Khiad.

« Je m’en doutais, déclara calmement Tomas. Celui-ci s’est vraisemblablement écarté de la bande pour trouver à manger. Les autres vont arriver bientôt, je pense. » Les Vierges de la Lance acquiescèrent d’un signe de tête.

Perrin indiqua avec consternation la foule. « Ces gens ne devraient pas être ici, alors. Pourquoi ne les avez-vous pas renvoyés ? »

C’est Ihvon, introduisant son cheval gris dans le rassemblement, qui répondit. « Vos compatriotes n’ont pas l’air de vouloir écouter des étrangers, notamment quand ils ont des Aes Sedai à se mettre sous les yeux. Je vous suggérerais de voir ce que vous pouvez obtenir. »

Perrin était sûr qu’ils auraient été en mesure d’imposer une certaine discipline s’ils avaient vraiment essayé. Vérine et Alanna y auraient certainement réussi. Alors pourquoi ont-ils attendu et me laissent-ils m’en charger s’ils prévoyaient l’arrivée de Trollocs ? Ç’aurait été facile d’attribuer cette attitude à sa qualité de ta’veren – facile, et ridicule. Ihvon et Tomas n’allaient pas laisser des Trollocs les tuer – ou tuer Vérine ou Alanna – jusqu’à ce qu’un ta’veren leur dise quoi faire. Les Aes Sedai le manœuvraient, exposant tout le monde au danger, y compris peut-être elles-mêmes. Mais dans quel but ? Il croisa le regard de Faile et elle inclina légèrement la tête, comme si elle savait ce qu’il pensait.

Il n’avait pas le temps d’y réfléchir maintenant. Scrutant la foule, il aperçut Bran al’Vere en conciliabule avec Tam al’Thor et Abell Cauthon. Le Maire avait une longue lance sur l’épaule et un vieux casque rond en acier cabossé sur la tête. Un pourpoint en cuir recouvert de disques d’acier cousus dessus se tendait sur sa masse imposante.

Les trois levèrent la tête quand Perrin poussa Steppeur à travers la cohue jusqu’à eux. « Baine dit que des Trollocs sont en route dans notre direction et les Liges pensent que nous serons probablement attaqués bientôt. » Il fut obligé de crier à cause du bourdonnement incessant des voix. Quelques-uns parmi les plus proches entendirent et se turent ; le silence se propagea sur des vagues de « Trollocs » et « attaque ».

Bran ferma les yeux à demi. « Oui. Cela devait arriver, n’est-ce pas ? Oui, eh bien, nous savons quelle conduite tenir. » Il aurait dû paraître comique, avec son pourpoint prêt à craquer aux coutures et son casque d’acier oscillant quand il hochait la tête, mais il avait seulement l’air résolu. Haussant la voix, il annonça : « Perrin dit que les Trollocs seront ici bientôt. Vous connaissez tous vos places. Dépêchez-vous, maintenant. Vite ! »

La masse de gens remua et s’écoula, les femmes ramenant les enfants vers les maisons, les hommes fourmillant dans tous les sens. La confusion sembla grandir au lieu du contraire.

« Je vais veiller à ce que les bergers rentrent », dit à Perrin Abell qui plongea dans la multitude.

Cenn Buie passa en jouant des coudes au milieu de cette effervescence, utilisant une hallebarde pour conduire Hari Coplin à la mine revêche, Darl frère de Hari et le vieux Bili Congar qui trébuchait comme s’il avait déjà bu son compte d’ale ce matin, ce qui était probablement le cas. Des trois Bili était celui qui paraissait le plus avoir l’intention de se servir de sa lance d’après la manière dont il la portait. Cenn porta la main à son front à l’adresse de Perrin en une sorte de salut. Bon nombre des hommes aussi. Cela le mettait mal à l’aise. Dannil et les autres garçons, c’était une chose, mais ces hommes-là avaient moitié plus que son âge sinon davantage.

« Tu t’en tires bien, commenta Faile.

— J’aimerais savoir ce que Vérine et Alanna ont concocté, marmotta-t-il. Et j’entends par là pas seulement maintenant. » Deux des catapultes que les Liges avaient fait construire se trouvaient à cette extrémité du village, des engins plutôt carrés plus hauts qu’un homme, tout en poutres massives et cordages solides. Toujours en selle, Ihvon et Tomas surveillaient le fonctionnement du treuil qui abaissait les madriers épais. Les deux Aes Sedai s’intéressaient plus aux grosses pierres brutes, pesant chacune quinze ou vingt livres, qui étaient déposées dans le cuilleron creusé à l’extrémité de ces styles.

« Elles veulent que tu sois un chef, répliqua Faile à mi-voix. C’est ce pour quoi tu es né, je pense. »

Perrin émit un éclat de rire sec. Il était né pour être forgeron. « Je me sentirais nettement mieux si je savais pourquoi elles le veulent. » Les Aes Sedai le regardaient, Vérine la tête penchée, à la façon d’un oiseau, Alanna plus directement et avec un petit sourire. Désiraient-elles l’une et l’autre la même chose et pour la même raison ? Voilà l’un des ennuis avec les Aes Sedai. Il y avait toujours plus de questions que de réponses.

L’ordre s’établit avec une rapidité surprenante. À cette extrémité ouest du village, une centaine d’hommes avaient mis un genou en terre juste derrière les rangées de pieux dressés en hérisson, manipulant avec dextérité lances, hallebarde ou autre arme d’hast fabriquée à partir d’une serpe ou d’une lame de faux emmanchée sur une hampe. Çà et là, il y en avait un qui portait un heaume ou une partie d’armure. En arrière de ces hommes, un nombre deux fois plus élevé formait deux lignes tenant de bons arcs de guerre des Deux Rivières, chacun avec une paire de carquois à la ceinture. De jeunes garçons accouraient des maisons avec des gerbes d’autres flèches que les hommes enfonçaient par la pointe dans le sol devant leurs pieds. Tam dirigeait apparemment les opérations, rectifiant l’alignement et adressant quelques mots à chacun, mais Bran marchait à côté de lui, offrant ses propres encouragements. Perrin ne voyait pas en quoi ils avaient besoin de lui.

À sa surprise, Dannil, Ban et tous les autres garçons qui avaient chevauché avec lui arrivèrent du village au pas accéléré et l’entourèrent, ainsi que Faile, tous avec leur arc. Ils avaient une drôle d’allure, en un sens. Les Aes Sedai avaient manifestement Guéri ceux qui étaient les plus sérieusement blessés, laissant les moins touchés pour les cataplasmes et les baumes de Daise, de sorte que des garçons qui la veille se cramponnaient péniblement à leur selle marchaient avec entrain, alors que Dannil, Tell et d’autres boitaient encore ou portaient des pansements. S’il fut surpris de les voir, il fut écœuré par ce qu’ils apportaient. Leof Torfinn, le pansement enroulé autour de sa tête formant un bonnet blanc au-dessus de ses yeux creux, avait son arc suspendu dans le dos et, dans les mains, un grand bâton avec une version réduite de la bannière à bordure rouge et dessin d’une tête de loup.

« Je crois que c’est une des Aes Sedai qui l’a fait faire, expliqua Leof quand Perrin demanda d’où elle provenait. Milli Ayellin l’a apporté au papa de Wil, mais Wil n’a pas voulu s’en charger. » Wil al’Seen bomba légèrement le dos.

« Je ne voudrais pas m’en charger non plus », dit sèchement Perrin. Tous rirent comme s’il avait émis une plaisanterie, même Wil au bout d’une minute.

La haie de pieux avait un aspect assez terrifiant mais, d’autre part, semblait un pitoyable obstacle pour arrêter des Trollocs. Peut-être y parviendrait-elle, mais il ne voulait pas que Faile soit là au cas où ils la franchiraient. Quand il la regarda, toutefois, elle avait de nouveau dans les yeux cette expression comme si elle savait ce qu’il pensait. Et que cela ne lui plaisait pas. Essaierait-il de la renvoyer, elle discuterait et se regimberait, refusant d’être raisonnable. Faible comme il l’était actuellement, elle aurait plus de chance de le reconduire à l’auberge que lui de l’y ramener. À la façon dont elle se tenait en selle dans une attitude tellement féroce, elle avait probablement l’intention de le défendre si les Trollocs se frayaient un passage. Il n’avait qu’à la surveiller de près ; voilà tout.

Soudain elle sourit, et il se gratta la barbe. Peut-être savait-elle effectivement lire dans ses pensées.

Le temps s’écoula, le soleil monta lentement, la chaleur du jour alla croissant. Par intervalles, une femme appelait depuis les maisons pour demander ce qui se passait. Ici et là, des hommes s’asseyaient, mais Tam ou Bran se précipitait sur eux avant qu’ils aient replié les jambes et les houspillait pour qu’ils rentrent dans le rang. Guère plus d’un quart de lieue, avait dit Baine. Elle et Khiad étaient assises près des pieux et jouaient à un jeu qui consistait à planter d’une pichenette un poignard dans les dix ou douze pouces de terrain qui les séparaient. Sûrement que si les Trollocs devaient venir, ils seraient arrivés à présent. Il commençait à trouver pénible de rester droit en selle. Conscient du regard attentif de Faile, il raidit le dos.

Un cor sonna, brutal et strident.

« Les Trollocs ! » crièrent une demi-douzaine de voix, et des formes bestiales aux cottes de mailles noires jaillirent du Bois de l’Ouest, hurlant en courant à travers le terrain plein de souches, agitant des épées courbes comme des faux et des haches de guerre, des lances et des tridents. Trois Myrddraals étaient derrière eux sur des chevaux noirs, galopant de droite et de gauche comme s’ils poussaient devant eux la charge des Trollocs. Leurs capes d’un noir intense pendaient immobiles en dépit des galopades ou des virevoltes de leurs montures. Le cor sonnait sans arrêt, acharné, pressant.

Vingt flèches partirent dès qu’apparut le premier Trolloc, le tir le plus puissant trop court de près d’une cinquantaine de toises.

« Arrêtez, espèces d’idiots à cervelle de mouton ! » cria Tam. Bran sursauta et lui adressa un regard surpris, pas moins incrédule que ceux venant des amis et voisins de Tam ; quelques-uns murmurèrent qu’ils n’encaisseraient pas sans broncher ce genre de propos, Trollocs ou pas. Néanmoins, Tam ne tint aucun compte de leurs protestations. « Vous attendez jusqu’à ce que je donne l’ordre, comme je vous l’ai montré ! » Puis, comme si des centaines de Trollocs hurlants ne fonçaient pas sur lui à fond de train, Tam se tourna avec calme vers Perrin. « À cent cinquante toises ? »

Perrin acquiesça vivement d’un signe de tête. Cet homme lui demandait, à lui ? Cent cinquante toises. Avec quelle rapidité un Trolloc pouvait-il parcourir cent cinquante toises ? Il fit jouer sa hache dans son attache. Ce cor sonnait, sonnait encore continuellement. Les hommes armés de lances se tapirent derrière les pieux comme pour se contraindre à ne pas reculer. Les Aiels s’étaient voilés.

La marée hurlante des Trollocs approchait toujours, toutes têtes à cornes et visages à groin ou bec, chacun une fois et demie plus grand qu’un homme, chacun hurlant sa soif de sang. Deux cent cinquante toises. Deux cents. Quelques-uns allaient en avant ventre à terre. Ils couraient aussi vite que des chevaux. Les Aielles avaient-elles vu juste ? Pouvaient-ils n’être que cinq cents ? Ils semblaient être des milliers.

« Prêts ! » cria Tam, et deux cents arcs furent dressés. Les jeunes gens accompagnant Perrin se placèrent précipitamment devant lui à l’imitation de leurs aînés, s’alignant sur cette bannière ridicule.

Cent cinquante toises. Perrin distinguait ces faces difformes, convulsées par la rage et la frénésie, aussi nettement que si elles étaient juste au-dessus de lui.

« Tirez ! » cria Tam. Les cordes des arcs claquèrent comme un énorme coup de fouet. Avec un double fracas du bois des styles contre la garniture de cuir de la poutre de leur socle, les catapultes lancèrent leurs projectiles.

Une pluie de flèches à tête plate et bords tranchants s’abattit au milieu des Trollocs. Des formes monstrueuses tombèrent, mais quelques-unes se relevèrent et poursuivirent leur course en chancelant, harcelées par les Évanescents. Ce cor mêlait sa voix à leurs hurlements gutturaux, sonnant l’incitation à avancer pour la mise à mort. Les pierres des catapultes tombèrent parmi eux – et explosèrent en flammes et en fragments, creusant des trous dans leur masse. Perrin ne fut pas le seul à sursauter ; voilà donc ce que les Aes Sedai avaient fait avec les catapultes. Il se demanda avec un coup au cœur ce qui se passerait si on laissait choir une de ces pierres en la déposant dans le cuilleron.

Une autre volée de flèches s’élança, puis une autre et une autre encore, sans relâche, et aussi des pierres des catapultes, bien que sur un rythme moins rapide. Les explosions de feu déchiraient les Trollocs. Les flèches aux pointes tranchantes pleuvaient dru comme grêle sur eux. Et ils continuaient à survenir, criant, hurlant, tombant et mourant, mais toujours s’élançant en avant. Ils étaient près maintenant, suffisamment pour que les archers s’égaillent, ne tirant plus par volées mais choisissant leurs cibles. Les hommes clamaient leur colère, hurlaient à la face de la mort tandis qu’ils tiraient.

Puis il n’y eut plus de Trollocs debout. Seulement un Évanescent hérissé de flèches mais encore avançant en aveugle d’une démarche trébuchante. Les cris aigus d’un cheval de Myrddraal qui se débattait rivalisaient avec les hurlements lamentables de Trollocs tombés à terre et mourants. Le cor avait fini par se taire. Çà et là dans le champ parsemé de souches, un Trolloc se soulevait et retombait. Sous tout ce vacarme, Perrin entendait les hommes haleter comme s’ils avaient couru sur plus de deux lieues. Son propre cœur battait à tout rompre.

Soudain quelqu’un poussa un vigoureux hourra, sur quoi les hommes commencèrent à sauter comme des cabris et à crier de joie, agitant au-dessus de leurs têtes les arcs ou ce qu’ils tenaient et jetant leurs bonnets en l’air. Les femmes sortirent en hâte des maisons, riant et applaudissant, ainsi que les enfants, tous en fête et dansant avec les hommes. Certains accoururent et saisirent la main de Perrin pour la serrer.

« Tu nous as conduits à une grande victoire, mon garçon. » Bran riait en levant la tête vers lui. Il avait son casque perché sur sa nuque. « Je suppose que je ne devrais plus t’appeler comme cela, maintenant. Une grande victoire, Perrin. »

Qui protesta : « Je n’ai rien fait du tout. Je suis simplement resté sur mon cheval. C’est vous qui avez tout fait. » Bran ne l’écouta pas plus qu’aucun des autres. Confus, Perrin se redressa très droit sur sa selle, feignant d’examiner le champ de bataille, et au bout d’un moment on le laissa tranquille.

Tam ne s’était pas joint aux réjouissances ; il se tenait près des rangées de pieux et observait les Trollocs. Les Liges ne riaient pas non plus. Des formes en cotte de mailles noire jonchaient le champ au milieu des souches basses. Il pouvait y en avoir cinq cents. Peut-être moins. Quelques-uns, une poignée, avaient peut-être réussi à regagner la forêt. Aucun corps ne gisait plus près qu’à vingt-cinq toises de la haie hérissée. Perrin découvrit les deux autres Évanescents qui se tordaient sur le sol. Ce qui réglait la question pour les trois. Ils finiraient par admettre qu’ils étaient morts.

Les gens des Deux Rivières entonnèrent une acclamation retentissante en son honneur. « Pour Perrin Les-Yeux-d’Or ! Hourra ! Hourra ! Hourra ! »

« Ils devaient le savoir », murmura-t-il. Faile le dévisagea d’un air interrogateur. « Les Demi-Hommes devaient savoir que cela ne réussirait pas. Regarde là-bas. Même moi, je le vois à présent ; ils devaient s’en rendre compte dès le début. Si c’est tout ce dont ils disposaient, pourquoi ont-ils essayé ? Et s’il y avait d’autres Trollocs là-bas, pourquoi ne se sont-ils pas tous présentés ? Deux fois plus nombreux, nous aurions dû les combattre à la hauteur des pieux. Deux fois plus encore et ils auraient pu forcer le passage jusqu’au village.

— Vous avez un bon jugement inné, commenta Tomas en arrêtant sa monture auprès d’eux. Ceci était un test. Pour voir si vous flancheriez devant une charge, peut-être pour voir avec quelle rapidité vous sauriez réagir, ou comment vos défenses sont organisées, ou peut-être quelque chose qui ne m’est pas venu à l’esprit, mais néanmoins un test. Maintenant, ils voient. » Il désigna le ciel, où un corbeau solitaire survolait le champ. Un corbeau ordinaire se serait posé pour festoyer parmi les morts. L’oiseau acheva un dernier cercle et partit à tire-d’aile vers la forêt. « La prochaine attaque ne se produira pas tout de suite. J’ai aperçu deux ou trois Trollocs qui atteignaient la forêt, donc le récit de ce qui s’est passé se propagera. Les Demi-Hommes auront à les faire se souvenir qu’ils craignent les Myrddraals davantage que la mort. Toutefois, cette attaque aura lieu et elle sera certainement plus forte que celle-ci. Sa puissance dépendra du nombre que les Sans-Visage auront amené par les Voies. »

Perrin eut une grimace. « Lumière ! Et s’il y en a dix mille ?

— Peu vraisemblable », dit Vérine qui s’avança pour caresser la monture de Tomas sur le cou. Le cheval de bataille accepta son contact avec autant de soumission qu’un poney. « Du moins pas immédiatement. Même un Réprouvé ne peut pas emmener un groupe important sans dommage par les Voies, je pense. Un homme seul risque la mort ou la folie entre deux Portes des Voies les plus rapprochées l’une de l’autre, mais… disons… mille hommes ou mille Trollocs attireraient le Machin Shin en quelques minutes, une guêpe monstrueuse vers un bol de miel. Il est beaucoup plus probable qu’ils voyagent à pas plus de dix ou vingt ensemble, cinquante au maximum, et les groupes espacés. Bien sûr, restent les questions du nombre de groupes qu’ils amènent et du temps qu’ils laissent s’écouler entre chaque arrivée. Et ils en perdraient de toute façon une partie. Il se pourrait que les Engeances de l’Ombre attirent moins le Machin Shin que les humains, mais… Hmmn. Une idée fascinante. Je me demande… » Tapotant la jambe de Tomas à peu près comme elle avait flatté son cheval, elle se détourna, déjà plongée dans ses réflexions. Le Lige incita du talon son cheval à la suivre.

« Si tu t’approches même d’un pas du Bois de l’Ouest, déclara calmement Faile, je te ramène à l’auberge par l’oreille et te fourre moi-même dans ce lit.

— Je n’y songeais pas », mentit Perrin en faisant tourner Steppeur de sorte qu’il avait le dos vers la forêt. Un homme et un Ogier pourraient passer inaperçus, parvenir aux montagnes sains et saufs. Ils le pourraient. La Porte des Voies devait être close définitivement pour que le Champ d’Emond ait une chance de s’en tirer. « Tu m’as dissuadé d’y aller, tu te rappelles ? » Un autre homme pourrait les trouver, sachant qu’ils étaient là-bas. Trois paires d’yeux monteraient mieux la garde que deux, surtout quand une des paires serait la sienne, alors qu’ici il ne servait vraiment à rien. Ses habits bourrés de paille et montés sur Steppeur auraient le même effet.

Soudain, dominant les cris et le tumulte autour de lui, il entendit des cris plus perçants, une clameur en provenance du sud, près de la Vieille Route.

« Il disait qu’ils ne reviendraient pas de sitôt ! » grommela-t-il en enfonçant ses talons dans les flancs de Steppeur.

Загрузка...