16 Adieux

Étendu sur des draps trempés de sueur, contemplant le plafond, Perrin se rendit compte que l’obscurité virait au gris. Le soleil ne tarderait pas à paraître petit à petit au-dessus de l’horizon. Le matin. Un temps pour de nouveaux espoirs ; un temps pour se lever et agir. De nouveaux espoirs. Il faillit rire. Depuis quand était-il éveillé ? Cette fois-ci, une heure ou davantage, sûrement. Il gratta sa barbe bouclée et esquissa une grimace. Son épaule meurtrie était engourdie et il se redressa avec lenteur sur son séant ; la sueur jaillit sur sa figure tandis qu’il exerçait son bras. Néanmoins, il continua méthodiquement – réprimant des gémissements et, de temps en temps, se mordant la langue pour retenir un juron – jusqu’à être en mesure de remuer son bras librement, sinon sans souffrir.

Ce qu’il avait pu engranger de sommeil avait été entrecoupé et troublé. Quand il était éveillé, il voyait le visage de Faile, avec ses yeux noirs qui l’accusaient, la peine qu’il y lisait et dont il se sentait responsable lui serrant l’estomac. Quand il dormait, il rêvait qu’il montait à l’échafaud tandis que Faile regardait ou, pire, essayait de s’y opposer, essayait de lutter contre les Blancs Manteaux avec leurs lances et leurs épées, et il hurlait pendant qu’ils ajustaient la corde autour de son cou, il hurlait parce que les Blancs Manteaux tuaient Faile. Parfois, elle les regardait le pendre avec un sourire de satisfaction coléreuse. Guère étonnant que des rêves de ce genre le réveillent en sursaut. Une fois, il avait rêvé de loups surgissant de la forêt pour les sauver tous les deux, Faile et lui – et finissant embrochés sur les lances des Blancs Manteaux, terrassés par leurs flèches. La nuit n’avait pas été reposante. Il se lava et s’habilla aussi vite qu’il en fut capable, puis il quitta la pièce comme s’il espérait laisser derrière lui les souvenirs de ses rêves.

Peu de traces apparentes demeuraient de l’attaque de la nuit, ici une tapisserie lacérée à coups d’épée, là un coffre écorné par une hache ou un emplacement plus clair sur les dalles de pierre du sol où un tapis taché de sang avait été enlevé. La majhere avait mobilisé au grand complet son armée de serviteurs en livrée, bien que nombreux fussent ceux qui portaient des pansements, pour balayer, passer la serpillière, enlever les débris et remplacer. Elle clopinait çà et là appuyée sur une canne, femme corpulente aux cheveux gris remontés comme un bonnet rond par le bandage de la blessure qu’elle avait à la tête, lançant ses ordres d’une voix ferme, avec la nette intention de faire disparaître jusqu’au dernier témoignage de cette deuxième violation de la Pierre. Elle vit Perrin et lui dédia une révérence infinitésimale. Même les Puissants Seigneurs n’en obtenaient guère plus d’elle, quand elle était en bonne santé. En dépit de tous ces nettoyages et frottages, sous l’odeur des cires, produits d’entretien et liquides de récurage, Perrin percevait encore la faible senteur du sang, nettement métallique pour le sang humain, fétide pour le sang trolloc, âcre pour le sang des Myrddraals avec sa puanteur qui lui brûlait les narines. Il serait content d’être loin d’ici.

La porte de la chambre de Loial avait presque une toise de large et plus de deux en hauteur, avec une poignée démesurée en forme de lianes entrelacées au niveau de la tête de Perrin. La Pierre avait un certain nombre de chambres d’invités réservées aux Ogiers et rarement utilisées ; la Pierre de Tear datait d’avant même l’ère des grandes œuvres ogières en pierre, mais c’était une question de prestige d’engager à son service, au moins de temps en temps, des tailleurs de pierre ogiers. Perrin frappa et au cri de « Entrez », lancé d’une voix semblable à une lente avalanche, souleva la poignée et obtempéra.

La chambre était à l’échelle de la porte dans toutes ses dimensions, pourtant Loial, debout en manches de chemise au centre du tapis orné d’un motif de feuilles, une longue pipe entre les dents, la réduisait à une taille apparemment normale. L’Ogier, dans ses hautes bottes cuissardes au bout large, était plus grand qu’un Trolloc, sinon aussi large de carrure. Sa tunique vert foncé, boutonnée jusqu’à la taille, puis s’évasant jusqu’au sommet de ses bottes comme un kilt par-dessus des chausses bouffantes, ne paraissait plus bizarre à Perrin mais un regard suffisait pour comprendre que ce n’était pas un homme ordinaire dans une pièce ordinaire. Le nez de l’Ogier était assez gros pour passer pour un groin et des sourcils telles de longues moustaches pendaient à côté d’yeux au diamètre d’une tasse à thé. Des oreilles terminées par des aigrettes pointaient à travers des cheveux noirs en broussaille qui descendaient presque jusqu’à ses épaules. Quand il sourit à la vue de Perrin sans lâcher le tuyau de sa pipe, son sourire fendit son visage en deux.

« Bonjour, Perrin, dit-il de sa voix de basse grondante en ôtant sa pipe de sa bouche. Vous avez bien dormi ? Pas facile, après une nuit pareille. Moi-même, je suis resté debout la moitié de la nuit à noter ce qui s’était passé. »

Il avait une plume dans son autre main, et des taches d’encre sur ses doigts épais comme des saucisses.

Des livres étaient posés partout, sur des sièges prévus pour accueillir des Ogiers et sur l’énorme lit ainsi que sur la table dont le plateau arrivait à la poitrine de Perrin. Ce n’était pas une surprise, mais ce qu’il y avait d’un peu étonnant était les fleurs. Des fleurs de toutes les espèces, de toutes les couleurs. Des vases de fleurs, des paniers de fleurs, des petits bouquets liés par des rubans ou même de la ficelle, des tertres de fleurs entrelacées se dressant comme des longueurs de mur de jardin. Perrin n’avait certes jamais vu cela dans une chambre. Leur parfum emplissait l’air. Pourtant, ce qui attira réellement son attention fut la bosse sur le crâne de Loial, de la taille d’un poing d’homme et la boiterie marquée dans la démarche de Loial. Si Loial avait été atteint trop gravement pour voyager… Il se sentit confus d’y penser de ce point de vue – l’Ogier était un ami – mais il y était obligé.

« Vous avez été blessé, Loial ? Moiraine pourrait vous Guérir. Je suis sûr qu’elle le fera.

— Oh, je me déplace sans peine. Et ils étaient si nombreux à avoir réellement besoin de son aide. Je ne voudrais pas la déranger. Ce n’est certes pas suffisant pour me gêner dans ma tâche. » Loial jeta un coup d’œil à la table où un grand cahier relié en toile – grand pour Perrin, mais facile à loger dans une des poches de tunique de l’Ogier – était ouvert à côté d’un encrier débouché. « J’espère que j’ai tout relaté correctement. Je n’ai pas vu grand-chose la nuit dernière avant que ce soit terminé.

— Loial, déclara Faile qui se dressa derrière un des tertres de fleurs, un livre entre les mains, est un héros. »

Perrin sursauta ; les fleurs avaient masqué complètement son odeur. Loial émit des onomatopées pour l’inciter à se taire, ses oreilles frémissant d’embarras, et agita ses grosses mains à son adresse mais elle n’en continua pas moins, la voix froide mais le regard brûlant posé sur le visage de Perrin.

« Il a rassemblé autant d’enfants qu’il a pu en trouver – et quelques-unes de leurs mères – dans une grande salle dont il a défendu à lui seul la porte contre des Trollocs et des Myrddraals pendant la durée entière du combat. Ces fleurs ont été offertes par les femmes de la Pierre, en témoignage d’estime pour son courage inébranlable et sa fidélité. » Elle donna à sa façon de prononcer « inébranlable » et « fidélité » la sonorité d’un claquement de fouet.

Perrin réussit à ne pas sourciller, mais de justesse.

Il avait agi comme le dictait le bon sens, mais impossible de s’attendre à ce que Faile le comprenne. Même si elle savait pourquoi, elle ne le comprendrait pas. C’était la bonne conduite à tenir. Sans aucun doute. Il aurait seulement aimé avoir meilleure conscience en la circonstance. Avoir raison et se sentir quand même dans son tort n’était vraiment pas équitable.

« Ce n’était rien. » Les oreilles de Loial s’agitaient fébrilement. « Simplement, les enfants ne pouvaient pas se défendre eux-mêmes. Voilà tout. Pas un héros. Non.

— Allons donc. » Faile marqua d’un doigt l’endroit du livre où elle en était et se rapprocha de l’Ogier. Elle n’arrivait pas à hauteur de sa poitrine. « Il n’y a pas une femme dans la Pierre qui ne vous épouserait, si vous étiez humain, et quelques-unes y seraient prêtes de toute façon. Loial le bien-nommé, car votre nature est loyauté. N’importe quelle femme aimerait cela. »

Les oreilles de l’Ogier se raidirent sous le choc, et Perrin sourit. Elle avait manifestement passé la matinée à abreuver Loial de compliments et de flatteries avec l’espoir que l’Ogier accepterait de l’emmener quoi qu’en dise Perrin mais, en essayant de l’asticoter, lui Perrin, elle venait sans s’en rendre compte de servir à Loial du gravier. « Avez-vous eu des nouvelles de votre mère, Loial ? demanda-t-il.

— Non. » Loial parvint à avoir Pair en même temps soulagé et inquiet. « Mais j’ai vu Laefar dans la ville hier. Il a été aussi surpris de me voir que moi de le voir, lui ; nous sommes plutôt rares dans Tear. Il venait du Stedding Shangtai pour négocier des réparations sur des travaux d’Ogiers en pierre dans un des palais. Je suis sûr que les premiers mots qui lui sortiront de la bouche quand il retournera au Stedding seront “Loial est à Tear”.

— C’est ennuyeux », commenta Perrin, et Loial hocha tristement la tête.

« Laefar a annoncé que les Anciens m’ont déclaré fugitif et que ma mère a promis de me marier et de m’établir. Elle a même choisi quelqu’un. Laefar ne connaissait pas qui. Du moins, c’est ce qu’il a dit. Il trouve cela drôle. Elle pourrait être ici dans un mois. »

La figure de Faile était une image de l’embarras qui redonna presque à Perrin l’envie de sourire. Elle estimait qu’elle était bien plus que lui au fait de ce qui se passait dans le monde – d’accord, elle l’était, en vérité – mais elle n’était pas au courant pour Loial. Le Stedding Shangtai était le lieu de naissance de Loial, dans l’Échine du Monde, et comme il venait juste d’avoir quatre-vingt-dix ans il n’était pas assez âgé pour être parti seul de chez lui. Les Ogiers vivaient très longtemps ; selon leurs critères, Loial n’était pas plus vieux que Perrin, peut-être même plus jeune. Pourtant Loial était parti explorer le monde et sa plus grande peur était que sa mère le trouve et le ramène de force au Stedding pour qu’il se marie et n’en sorte plus jamais.

Tandis que Faile s’efforçait de comprendre la situation, Perrin profita du silence. « J’ai besoin de retourner aux Deux Rivières, Loial. Votre mère ne vous découvrira pas là-bas.

— Oui. C’est vrai. » L’Ogier eut un haussement d’épaules gêné. « Mais mon livre. L’histoire de Rand. Et la vôtre, et celle de Mat. J’ai déjà une belle quantité de notes, seulement… » Il contourna la table et regarda le cahier ouvert, les pages remplies de son écriture bien lisible. « Je veux être celui qui écrira la véritable histoire du Dragon Réincarné, Perrin. Le seul livre par quelqu’un qui a voyagé avec lui, qui a effectivement vu se dérouler les événements. Le Dragon Réincarné par Loial fils d’Arent fils de Halan, du Stedding Shangtai. » Fronçant les sourcils, il se pencha sur le cahier, plongea sa plume dans l’encrier. « Voilà qui n’est pas tout à fait exact. C’était plus… »

Perrin posa la main sur la page où Loial s’apprêtait à écrire. « Vous ne rédigerez pas de livre si votre mère vous trouve. Pas au sujet de Rand, en tout cas. Et j’ai besoin de vous, Loial.

— Besoin, Perrin ? Je ne comprends pas.

— Des Blancs Manteaux sont dans les Deux Rivières. À ma recherche.

— À votre recherche ? Mais pourquoi ? » Loial semblait presque aussi interloqué que Faile un moment auparavant. Par contre, cette dernière arborait à présent un air de suffisance triomphante qui était inquiétant. Perrin n’en continua pas moins :

« Peu importe les raisons. Le fait est qu’ils sont à ma poursuite. Ils pourraient mettre à mal des gens, ma famille, en me cherchant. Étant donné ce que sont les Blancs Manteaux, c’est ce qui se passera. J’ai une chance de l’empêcher si j’arrive là-bas rapidement, mais il faut aller vite. La Lumière seule connaît ce à quoi ils se sont déjà livrés. J’ai besoin que vous m’emmeniez là-bas, Loial, par les Voies. Vous m’avez raconté un jour qu’une Porte des Voies existait ici et je sais qu’il y en a une à Manetheren. Elle doit être encore là-bas, dans les montagnes au-dessus du Champ d’Edmond. Une Porte des Voies est indestructible, vous l’avez dit. J’ai besoin de vous, Loial.

— Eh bien, naturellement, mon aide est acquise, répondit Loial. Les Voies. » Il se vida les poumons dans un souffle bruyant et ses oreilles s’affaissèrent légèrement. « J’ai envie de décrire des aventures, pas de les vivre. Bah, je suppose qu’une fois de plus ne sera pas mortelle. Que la Lumière l’accorde », conclut-il avec ferveur.

Faile s’éclaircit la gorge discrètement. « N’oubliez-vous pas quelque chose, Loial ? Vous avez promis de me conduire dans les Voies quand je le demanderais et avant que vous y emmeniez qui que ce soit d’autre.

— J’ai promis un coup d’œil à une Porte des Voies, répliqua Loial, et à ce qu’il y a derrière. Vous l’aurez quand Perrin et moi partirons. Vous pourriez nous accompagner, je l’admets, mais voyager dans les Voies n’est pas une partie de plaisir. Faile. Je n’y pénétrerais pas moi-même si Perrin n’en avait besoin.

— Faile ne viendra pas, dit Perrin d’un ton ferme. Rien que vous et moi, Loial. »

Sans tenir compte de lui, Faile sourit à Loial comme s’il la taquinait : « Vous avez promis davantage qu’un coup d’œil, Loial. De m’emmener où je voulais, quand je le voulais et avant n’importe qui d’autre. Vous l’avez juré.

— Je l’ai juré, protesta Loial, mais seulement parce que vous avez refusé de croire que je vous les montrerais. Vous aviez dit que vous le croiriez seulement si je jurais. J’accomplirai ma promesse, mais, voyons, vous n’allez pas imposer de passer en priorité devant la mission urgente de Perrin.

— Vous avez juré, répliqua calmement Faile. Par votre mère, et la mère de votre mère, et la mère de la mère de votre mère.

— Oui, d’accord, Faile, mais Perrin…

— Vous avez juré, Loial. Avez-vous l’intention d’enfreindre votre serment ? »

L’Ogier sembla incarner toute la détresse du monde. Ses épaules s’affaissèrent et ses oreilles s’affalèrent, les coins de sa large bouche tombèrent et l’extrémité de ses longs sourcils traîna sur ses joues.

« Elle vous a dupé, Loial. » Perrin se demanda s’ils pouvaient entendre ses dents grincer. « Elle vous a abusé délibérément. »

Du rouge était monté aux joues de Faile, mais elle eut encore l’audace de déclarer : « Seulement parce que j’y étais obligée, Loial. Seulement parce qu’un homme stupide croit pouvoir diriger ma vie comme cela lui plaît. Je ne me le serais pas permis, sans cela. Croyez-moi.

— Cela ne change-t-il pas la situation qu’elle vous ait dupé ? » questionna Perrin avec insistance, et Loial secoua tristement sa tête massive.

« Les Ogiers tiennent parole, déclara Faile, et Loial va me conduire aux Deux Rivières. Ou, au moins, à la Porte des Voies de Manetheren. J’ai envie de voir les Deux Rivières. »

Loial se redressa d’un coup. « Mais cela implique que je peux aider Perrin quand même. Faile, pourquoi avez-vous déterré cette histoire-là ? Même Laefar ne trouverait pas cela drôle. » Il y avait un accent de colère dans sa voix ; il en fallait beaucoup pour mettre un Ogier en colère.

« S’il le demande, répliqua-t-elle résolument. C’était une des conditions, Loial. Personne sauf vous et moi, à moins qu’on me le demande. Il doit me le demander.

— Non, riposta Perrin à Faile alors que Loial en était encore à ouvrir la bouche. Non, je ne le demanderai pas. Je me rendrai plutôt d’abord à cheval au Champ d’Edmond ! J’irai à pied ! Alors mieux vaudrait que tu renonces à cette stupidité. User de ruse envers Loial. Essayer de t’introduire de force là où… où l’on ne veut pas de toi. »

Le calme de Faile disparut devant une vague de rage. « Et d’ici que tu arrives là-bas, Loial et moi nous en aurons fini avec les Blancs Manteaux. Tout sera terminé. Demande, espèce de forgeron à la tête dure comme une enclume. Tu n’as qu’à demander et tu pourras venir avec nous. »

Perrin se ressaisit. Aucune discussion n’amènerait Faile à changer d’avis et à se ranger à sa façon de penser, mais il se refusait à demander. Elle avait raison – cela lui prendrait des semaines pour gagner les Deux Rivières avec son cheval ; ils pouvaient y être en deux jours, peut-être, par les Voies – mais il ne demanderait rien. Pas après qu’elle a dupé Loial et tenté de me forcer la main ! « Alors j’emprunterai seul les Voies jusqu à Manetheren. Je vous suivrai, vous deux. Si je reste assez loin en arrière pour ne pas compter comme membre de votre expédition, je n’enfreindrai pas le serment de Loial. Tu ne peux pas m’empêcher de suivre.

— C’est dangereux, Perrin, commenta Loial d’un ton soucieux. Les Voies sont obscures. Si vous manquez un tournant ou vous engagez par malchance sur le mauvais pont, vous risquez de vous perdre à jamais. Ou jusqu’à ce que le Machin Shin vous attrape. Demandez-lui, Perrin. Elle a dit que vous pouvez venir si vous le faites. Demandez-lui. »

La voix de basse de l’Ogier avait tremblé en prononçant le nom du Machin Shin et un frisson avait parcouru l’échine de Perrin, aussi. Le Machin Shin. Le Vent Noir. Même les Aes Sedai ne savaient pas si c’était une engeance de l’Ombre ou quelque chose qui était né de la corruption des Voies. Le Machin Shin était la raison pour laquelle emprunter les Voies impliquait un risque de mort ; voilà ce que disaient les Aes Sedai. Le Vent Noir dévorait les âmes ; cela, Perrin avait la certitude que c’était vrai. Néanmoins il garda une voix ferme et un visage impassible. Que je sois brûlé si je laisse croire à Faile que je faiblis. « Je ne peux pas, Loial. Ou, en tout cas, je ne le veux pas. »

Loial esquissa une grimace. « Faile, ce sera dangereux pour lui d’essayer de nous suivre. Je vous en prie, revenez sur votre décision et laissez-le… »

Elle lui coupa sèchement la parole. « Non. S’il est trop obstiné pour demander, pourquoi le ferais-je ? Pourquoi même cela m’importerait-il qu’il se perde ? »

Elle se tourna vers Perrin. « Tu peux voyager à peu de distance de nous. Aussi près que tu en as besoin pour autant qu’il sera clair que tu suis. Tu te traîneras derrière moi comme un chiot jusqu’à ce que tu demandes. Pourquoi ne veux-tu pas simplement demander ?

— Quels entêtés, ces humains, marmonna l’Ogier. Emportés et tenaces, même quand la hâte vous précipite dans un guêpier.

— J’aimerais partir aujourd’hui, Loial, dit Perrin sans un regard à Faile.

— Mieux vaut partir vite, acquiesça Loial avec un regard de regret au cahier sur la table. Je peux mettre mes notes en ordre pendant le voyage, je suppose. La Lumière sait ce que je vais manquer, à être loin de Rand.

— Est-ce que tu m’as entendue, Perrin ? questionna impérieusement Faile.

— Je vais chercher mon cheval et quelques provisions, Loial. Nous pouvons être en route au milieu de la matinée.

— Que tu sois réduit en braises, Perrin Aybara, réponds-moi ! »

Loial la regarda avec inquiétude. « Perrin, êtes-vous sûr que vous ne pourriez pas…

— Non, l’interrompit Perrin gentiment. Elle est entêtée et elle aime jouer des tours. Je ne veux pas danser pour lui prêter à rire. » Il feignit de ne pas entendre le grondement jailli du fond de la gorge de Faile, tel le feulement d’un chat observant un chien inconnu et prêt à l’attaquer. « Je vous préviendrai dès que je serai prêt. » Il se dirigea vers la porte, et elle lui cria comme une furie :

« “Quand” est ma décision, Perrin Aybara. La mienne et celle de Loial. Tu m’entends ? Tâche plutôt d’être prêt dans deux heures ou nous te laisserons en plan. Si tu viens, rejoins-nous à l’écurie de la Porte du Dragon. Tu m’entends ? »

Il eut conscience qu’elle bougeait et referma la porte sur lui juste au moment où quelque chose de lourd la heurtait avec un bruit sourd. Loial la tancerait de la belle manière à cause de cela. Mieux valait taper sur la tête de Loial que d’abîmer un de ses livres.

Pendant un instant, il resta adossé à la porte, le désespoir au cœur. Tous ses efforts, tout ce qu’il avait enduré pour inciter Faile à le détester et elle se trouverait quand même là-bas pour le voir mourir. Ce qu’il pouvait se dire de plus réconfortant, c’est qu’à présent elle s’en réjouirait peut-être. Quelle femme inflexible, têtue comme une mule !

Quand il se détourna pour partir, un des Aiels approchait, un homme de haute taille à la chevelure aux reflets roux et aux yeux verts qui aurait pu être un cousin plus âgé de Rand, ou un jeune oncle. Il connaissait cet homme et éprouvait de la sympathie pour lui, ne serait-ce que parce que Gaul n’avait même jamais eu l’air de remarquer ses yeux dorés. « Puissiez-vous trouver de l’ombre ce matin, Perrin. La majhere m’a dit que vous étiez venu par ici et pourtant je pense qu’elle grillait d’envie de me fourrer un balai dans les mains. Aussi dure qu’une Sagette, cette femme.

— Puissiez-vous trouver de l’ombre ce matin, Gaul. Les femmes sont toutes têtues si vous voulez mon avis.

— Peut-être, quand on ignore comment les circonvenir. J’ai appris que vous vous rendez aux Deux Rivières.

— Par la Lumière ! grommela Perrin avant que l’Aiel ait eu le temps d’en dire plus. Est-ce que la Pierre entière est au courant ? » Si Moiraine savait…

Gaul secoua la tête. « Rand al’Thor m’a pris à part pour m’en parler, en me demandant de n’en rien dire à personne. Je pense qu’il a parlé à d’autres, aussi, mais je ne connais pas le nombre de ceux qui voudront venir avec vous. Nous sommes de ce côté-ci du Rempart du Dragon depuis longtemps, et beaucoup se languissent après la Terre Triple.

— Venir avec moi ? » Perrin était abasourdi. S’il avait des Aiels avec lui… cela ouvrait des possibilités qu’il n’avait pas osé envisager auparavant. « Rand vous a demandé de m’accompagner ? Aux Deux Rivières ? »

Gaul secoua de nouveau la tête. « Il a dit seulement que vous partiez et que des hommes pourraient tenter de vous tuer. Toutefois, j’ai l’intention de vous accompagner, si vous voulez bien de moi.

— Si je veux ? » Perrin faillit rire. « Oui, je le veux. Nous serons dans les Voies d’ici quelques heures.

— Les Voies ? » L’expression de Gaul ne changea pas, mais il cligna des paupières.

« Cela fait-il une différence ?

— Mourir est le lot de tous les hommes, Perrin. » La réponse n’était guère réconfortante.

« Je ne peux pas croire Rand cruel à ce point-là », commenta Egwene, et Nynaeve ajouta : « Au moins n’a-t-il pas essayé de vous empêcher de partir. » Assises sur le lit de Nynaeve, elles achevaient la répartition de l’or que Moiraine avait fourni. Quatre bourses renflées par personne à transporter dans des poches cousues sous les jupes d’Élayne et de Nynaeve, et une aumônière chacune, pas aussi grosse pour ne pas attirer des attentions indésirables, à mettre à la ceinture. Egwene en avait pris une quantité plus réduite, puisqu’il y avait moins d’occasions d’avoir besoin d’or dans le Désert.

Élayne regarda en fronçant les sourcils les deux paquets soigneusement ficelés et l’écritoire de cuir posés à côté de la porte. Ils contenaient tous ses vêtements et d’autres choses. Couteau et fourchette dans leur gaine, brosse à cheveux et peigne, épingles, fil, dé à coudre, ciseaux. Un briquet à silex et un deuxième poignard plus petit que celui passé à sa ceinture. Du savon et du talc et du… C’était ridicule de vérifier encore une fois la liste. L’anneau de pierre d’Egwene était en sûreté dans son aumônière. Elle était prête à partir. Rien ne la retenait plus.

« Non, il n’a pas essayé. » Élayne était fière de son ton calme plein de sang-froid. Il paraissait presque soulagé ! Soulagé ! Et j’ai dû lui donner cette lettre, où j’ouvrais mon cœur comme une espèce d’imbécile aveugle. Au moins ne rouvrira-t-il pas avant mon départ. Elle sursauta au contact de la main de Nynaeve sur son épaule.

« Souhaitiez-vous qu’il vous demande de rester ?

Vous savez quelle aurait été votre réponse. Vous le savez, n’est-ce pas ? »

Élayne serra les lèvres. « Bien sûr que je le sais, mais il n’avait pas à en avoir l’air content. » Elle n’avait pas eu l’intention de dire cela.

Nynaeve lui adressa un regard compréhensif. « Les hommes sont déconcertants, au mieux.

— Je ne peux toujours pas croire qu’il soit si… si… » commença à murmurer Egwene avec humeur. Élayne n’apprit jamais ce qu’elle voulait dire car, à ce moment, la porte s’ouvrit avec une telle violence qu’elle rebondit contre le mur.

Élayne embrassa la Saidar avant d’avoir fini de tressaillir, puis éprouva un instant d’embarras quand le battant en rebondissant revint claquer contre la main ouverte de Lan. Un instant encore et elle décida de rester un peu plus longtemps en contact avec la Source. Le Lige bloquait le seuil avec ses larges épaules, son expression annonçant un orage ; si ses yeux bleus avaient pu réellement lancer les éclairs qu’ils avaient l’air de contenir, ils auraient foudroyé Nynaeve. L’aura de la Saidar entourait aussi Egwene et ne s’effaça pas.

Lan ne parut voir personne en dehors de Nynaeve. « Vous m’avez laissé croire que vous retourniez à Tar Valon, lui dit-il d’une voix âpre.

— Vous l’avez peut-être cru, dit-elle tranquillement, mais je ne l’ai jamais dit.

— Jamais dit ? Jamais dit ! Vous avez parlé de partir aujourd’hui et toujours relié votre départ avec celui de ces Amies du Ténébreux qu’on envoie à Tar Valon. Toujours ! Qu’est-ce que vous vouliez que je pense ?

— Mais je n’ai jamais dit…

— Par la Lumière, femme ! s’exclama-t-il d’une voix tonnante. Ne jouez pas sur les mots avec moi ! »

Élayne échangea avec Egwene un coup d’œil soucieux. Cet homme avait des nerfs d’acier, mais il se trouvait maintenant à bout. Nynaeve était quelqu’un qui lâchait souvent largement la bride à ses émotions, pourtant elle l’affrontait froidement, tête haute et regard serein, les mains immobiles sur sa jupe en soie verte.

Lan se maîtrisa avec un effort visible. Il avait son visage de pierre habituel, son sang-froid imperturbable – et Élayne était sûre que c’était seulement en surface. « Je n’aurais pas su vers quelle destination vous partiez si je n’avais pas entendu dire que vous aviez commandé une voiture. Pour vous conduire à un bateau allant à Tanchico. J’ignore pourquoi l’Amyrlin vous a permis de quitter la Tour, pour commencer, ou pourquoi Moiraine vous a chargées d’interroger des Sœurs Noires, mais vous trois êtes des Acceptées. Des Acceptées, pas des Aes Sedai. Tanchico, d’autre part, n’est un endroit pour personne d’autre qu’une Aes Sedai confirmée avec un Lige pour garder ses arrières. Je ne vous laisserai pas vous engager là-dedans !

— Tiens, répliqua Nynaeve d’un ton léger. Vous remettez en question les décisions de Moiraine, aussi bien que celles de l’Amyrlin. Peut-être me suis-je méprise sur les Liges depuis le début. Je croyais que vous aviez juré d’accepter et d’obéir, entre autres. Lan, je comprends fort bien votre inquiétude et j’en suis reconnaissante – plus que reconnaissante – mais nous avons tous des tâches à accomplir. Nous partons ; vous devez vous résigner à ce fait.

— Pourquoi ? Pour l’amour de la Lumière, expliquez-moi au moins pourquoi ! Tanchico !

— Si Moiraine ne vous a pas prévenu, déclara avec douceur Nynaeve, peut-être a-t-elle ses raisons. Nous devons nous acquitter de notre mission comme vous des vôtres. »

Lan frissonna – frissonna visiblement ! – et serra les dents avec colère. Quand il reprit la parole, ce fut d’une façon étrangement hésitante. « Vous aurez besoin de quelqu’un pour vous aider dans Tanchico. Quelqu’un pour empêcher un de ces voleurs des rues du Tarabon de vous enfoncer un couteau dans le dos pour se saisir de votre escarcelle. Tanchico était cette sorte de ville avant que la guerre commence et tout ce que j’ai entendu dire confirme que c’est pire maintenant. Je pourrais… je pourrais vous protéger, Nynaeve. »

Les sourcils d’Élayne se haussèrent d’un coup. Il ne suggérait pas… Impossible qu’il…

Nynaeve ne témoigna en rien qu’il avait prononcé des paroles extraordinaires. « Votre place est auprès de Moiraine.

— Moiraine. » De la sueur perlait sur le visage du Lige et il chercha ses mots. « Je peux… je dois… Nynaeve, je… je…

— Vous allez rester avec Moiraine, rétorqua sèchement Nynaeve, jusqu’à ce qu’elle vous relève de votre serment. Faites ce que je dis. » Tirant de son escarcelle un papier soigneusement plié, elle le lui fourra dans les mains. Il fronça les sourcils, lut, cligna des paupières et relut.

Élayne en connaissait le contenu.

Ce que le porteur fait est fait sur mon ordre et par mon autorité.

Obéissez et observez le silence, telle est ma volonté.


Siuan Sanche

Gardienne des Sceaux

Flamme de Tar Valon

Trône d’Amyrlin

L’autre papier semblable reposait dans l’escarcelle d’Egwene, bien qu’aucune d’entre elles ne fût sûre qu’il servirait à quoi que ce soit là où elle se rendait.

« Mais cela vous autorise à agir n’importe comment à votre gré, protesta Lan. Vous pouvez parler au nom de l’Amyrlin. Pourquoi donnerait-elle cela à une Acceptée ?

— Ne posez pas de questions auxquelles je ne suis pas en mesure de répondre », répliqua Nynaeve, qui ajouta avec une ombre de sourire : « Estimez-vous heureux que je ne vous ordonne pas de danser pour moi. »

Élayne réprima son propre sourire. Egwene émit un bruit étranglé de rire rentré. C’est ce que Nynaeve avait dit quand l’Amyrlin leur avait donné ces lettres, la première fois. Avec ça, je pourrais faire danser un Lige. Aucune d’elles n’avait eu de doute sur l’identité du Lige auquel elle pensait.

« Vraiment ? Vous vous débarrassez de moi avec beaucoup d’adresse. Mon engagement de Lige, et mes serments. Cette lettre. » Lan avait dans le regard une lueur menaçante dont Nynaeve ne sembla pas s’apercevoir tandis qu’elle reprenait la lettre et la rangeait de nouveau dans l’escarcelle pendue à sa ceinture.

« Vous êtes plein de vous-même, al’Lan Mandragoran. Nous agissons comme nous le devons, comme vous agirez.

— Plein de moi-même, Nynaeve al’Meara ? Moi, j’ai une haute opinion de moi-même ? » Lan se dirigea si vite vers Nynaeve qu’Élayne faillit instinctivement le lier dans des flots d’Air. Un instant, Nynaeve était debout là, avec juste le temps de regarder bouche bée l’homme de haute taille qui fonçait sur elle ; le suivant, ses souliers pendaient à douze pouces du sol et elle était embrassée de la belle manière. Au début, elle lui lança des coups de pied dans les tibias et le martela avec ses poings en émettant de fébriles sons de protestations furieuses, mais ses coups de pied ralentirent et s’interrompirent, puis elle se cramponna à ses épaules et ne protesta plus du tout.

Egwene baissa les yeux, gênée, mais Élayne regarda avec intérêt. Était-ce cet air-là qu’elle avait quand Rand… Non, je ne veux pas penser à lui. Elle se demanda si elle avait le temps de lui écrire une autre lettre, retirant entièrement ce qu’elle avait dit dans la première et lui intimant qu’elle n’était pas du genre à être traitée à la légère. Mais en avait-elle envie ?

Au bout d’un moment, Lan remit Nynaeve sur ses pieds. Elle oscilla légèrement en rajustant sa robe et en tapotant d’un geste furieux sa coiffure. « Vous n’avez pas le droit… », dit-elle d’une voix haletante, puis elle s’interrompit pour avaler sa salive. « Je refuse d’être malmenée de cette façon à la vue du monde entier. Je ne veux pas !

— Pas le monde entier, corrigea-t-il, mais puisqu’elles voient, elles peuvent aussi bien entendre. Vous vous êtes implantée dans mon cœur où je pensais qu’il n’y avait place pour rien d’autre. Vous avez fait pousser des fleurs où je cultivais de la poussière et des cailloux. Rappelez-vous ceci, pendant ce voyage que vous insistez pour entreprendre. Si vous mourez, je ne vous survivrai pas longtemps. » Il adressa à Nynaeve un de ses rares sourires. Ce sourire n’adoucit pas particulièrement son visage, mais du moins le rendit-il moins sévère. « Et souvenez-vous-en également, je ne me laisse pas toujours manipuler avec autant de docilité, même avec des lettres de l’Amyrlin. » Il exécuta un salut élégant ; pendant une seconde, Élayne crut qu’il allait mettre un genou en terre et baiser l’anneau du Grand Serpent de Nynaeve. « Puisque vous l’ordonnez, murmura-t-il, j’obéis donc. » L’entendait-il comme une plaisanterie ou non n’était pas facile à discerner.

Dès que la porte fut refermée derrière lui, Nynaeve s’affaissa sur le bord de son lit comme si elle permettait enfin à ses genoux de se dérober. Elle contemplait la porte d’un air soucieux et pensif.

« Taquinez trop souvent du bout d’un bâton le chien le plus doux et il mordra, cita Élayne. Non pas que Lan soit très doux. » Elle obtint de Nynaeve un coup d’œil brusque et un reniflement.

« Il est intolérable, commenta Egwene. Oui, quelquefois. Nynaeve, pourquoi avez-vous agi comme ça ? Il était prêt à vous accompagner. Je sais que vous ne souhaitez rien tant que de le séparer de Moiraine. Ne le niez pas. »

Nynaeve n’essaya pas. Au lieu de cela, elle s’affaira à arranger sa robe et lissa le couvre-pieds sur le lit. « Pas comme ça, finit-elle par dire. J’entends qu’il soit à moi. Tout entier. Je ne veux pas qu’il garde le souvenir d’avoir manqué à son serment envers Moiraine. Je ne veux pas qu’il y ait cela entre nous. Pour lui aussi bien que pour moi.

— Mais sera-ce différent si vous l’amenez à demander à Moiraine de le relever de son engagement ? questionna Egwene. Lan est le genre d’homme à considérer que c’est pratiquement du pareil au même. La seule solution qui reste est d’obtenir d’une manière ou d’une autre que ce soit elle qui, de son plein gré, lui rende sa liberté. Comment pouvez-vous y parvenir ?

— Je ne sais pas. » Nynaeve raffermit sa voix. « Cependant ce qui doit être fait peut l’être. Il y a toujours un moyen. Ce sera pour une autre fois. Il reste du travail et nous sommes assises là à nous tourmenter pour des hommes. Es-tu sûre que tu as la totalité de ce qui t’est nécessaire pour le Désert, Egwene ?

— Aviendha termine les préparatifs, répondit Egwene. Elle est toujours chagrinée, mais elle pense que nous pouvons arriver à Rhuidean dans guère plus d’un mois, si nous avons de la chance. Vous serez à Tanchico d’ici là.

— Peut-être plus tôt, lui dit Élayne, si ce qu’on raconte sur les rakeurs du Peuple de la Mer est vrai. Tu seras prudente, Egwene ? Même avec Aviendha pour guide, le Désert n’est sûrement pas un lieu de tout repos.

— Promis. Sois prudente. Soyez prudentes, toutes les deux. Tanchico n’est guère plus sûr que le Désert, à présent. »

Subitement, les voilà qui s’étreignent, répétant les conseils de prudence, s’assurant qu’elles se rappelaient avec exactitude, les unes et les autres, la méthode pour se retrouver dans la Pierre du Tel’aran’rhiod.

Élayne essuya les larmes sur ses joues. « Heureusement que Lan est parti. » Elle eut un rire tremblant. « Il nous aurait jugées toutes ridicules.

— Non, certainement pas, répliqua Nynaeve en soulevant sa jupe pour loger une bourse d’or dans la poche prévue à cet effet. Il a beau être un homme, il n’est pas complètement stupide. »

Entre ce moment-ci et l’arrivée de la voiture, il y avait probablement le temps de dénicher du papier et une plume, décida Élayne. Elle s’arrangerait pour le prendre, ce temps. Nynaeve voyait juste. Les hommes avaient besoin d’être tenus d’une main ferme. Rand découvrirait que l’on ne se débarrassait pas d’elle si aisément. Et il ne trouverait pas facile de s’insinuer de nouveau dans ses bonnes grâces.

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