Les Aiels avaient levé le camp de bonne heure et étaient loin de Rhuidean alors que le soleil qui n’avait pas encore surgi dessinait toujours nettement la silhouette des montagnes dans le lointain. Ils contournèrent le Chaendaer en trois groupes, descendant jusqu’à des platières raboteuses qu’interrompaient des collines, de hauts pitons rocheux et des buttes dont le sommet plat formait table, gris et brun avec toutes les nuances intermédiaires, striées de longues spirales teintes en rouge et ocre. De temps en temps, une vaste arche naturelle dressait sa masse indistincte à mesure qu’ils progressaient vers le nord-ouest, ou d’énormes étranges blocs de roc en équilibre instable, toujours sur le point de s’effondrer. De quelque côté que regardait Rand, des montagnes déchiquetées se dressaient à l’horizon. Tous les débris restant de la Destruction du Monde semblaient rassemblés dans ce lieu dénommé le Désert des Aiels. Aux endroits où le sol dur n’était pas de glaise craquelée, jaune ou brun ou d’un ton intermédiaire, il était pierreux et nu, et partout rompu par des revins et des bas-fonds desséchés. La végétation éparpillée était clairsemée et basse, buissons épineux et plantes sans feuilles hérissées de pointes ; les quelques fleurs, blanches, rouges ou jaunes surprenaient dans leur isolement. Par-ci par-là, des plaques d’herbes rêches couvraient le sol et, rarement, se dressait un arbre rabougri qui devait avoir des épines ou des piquants. Comparés au Chaendaer et à la Vallée de Rhuidean, ces endroits paraissaient presque luxuriants. L’air était si transparent, la terre si aride que Rand avait l’impression de voir à des lieues de distance.
Cependant cet air n’était pas moins sec, la chaleur pas moins implacable, avec le soleil une masse d’or en fusion haut dans un ciel sans nuages. Rand avait drapé une shoufa autour de sa tête pour tenter d’échapper au soleil et il buvait souvent à l’outre posée sur la selle de Jeade’en. Chose curieuse, avoir sur lui son surcot apportait un soulagement ; il n’en transpirait pas moins, mais sa chemise restait humide sous la laine rouge, ce qui le rafraîchissait un peu. Mat utilisait une bande d’étoffe pour nouer un large mouchoir autour de sa tête, comme une espèce de coiffe bizarre qui lui couvrait la nuque, et il ne cessait de s’ombrager les yeux pour les abriter de la clarté éblouissante. Il portait la hast-épée estampillée aux corbeaux comme une lance, le talon de la hampe calé dans son étrier.
Leur groupe comprenait environ quatre cents Jindos ; Rand et Mat chevauchaient en tête à côté de Rhuarc et de Heirn. Les Aiels allaient à pied, naturellement, leurs tentes et une partie du butin récolté à Tear sur des mulets et des chevaux de bât. En avant, une partie des Vierges de la Lance jindos étaient déployées en éclaireurs et des Chiens de Pierre suivaient, formant l’arrière-garde, la colonne principale encadrée par des yeux vigilants, des lances en arrêt et des arcs où des flèches étaient encochées. En principe, la Paix de Rhuidean s’appliquait jusqu’à ce que ceux qui s’étaient rendus au Chaendaer soient revenus à leurs places fortes mais, comme Rhuarc l’expliqua à Rand, on avait connu des cas où des erreurs s’étaient produites – et les excuses et le prix du sang ne sortaient pas les victimes de leur tombe. Rhuarc estimait visiblement fort probable une erreur cette fois-ci, certainement en partie à cause du groupe des Shaidos.
Les terres du clan shaido étaient situées au-delà de celles des Taardads Jindos, dans la même direction en venant du Chaendaer et elles longeaient les Jindos sur une distance d’environ un huitième de lieue. D’après Rhuarc, Couladin aurait dû attendre encore un jour que son frère revienne. Que Rand ait vu Muradin après qu’il s’était arraché les yeux ne changeait rien ; dix jours étaient le délai fixé. Partir plus tôt, c’était abandonner quiconque était entré dans Rhuidean. Pourtant, Couladin avait ordonné aux Shaidos de plier leurs tentes dès qu’il avait constaté que l’on chargeait les bêtes de somme des Jindos. Les Shaidos s’étaient maintenant mis en marche avec leurs propres éclaireurs et arrière-garde, apparemment ne s’occupant pas des Jindos, mais l’espace entre les deux clans ne dépassait jamais beaucoup plus que trois cents pas. C’était l’usage d’avoir des témoins de peut-être une demi-douzaine de clans les plus importants quand un homme cherchait à obtenir les insignes d’un chef de clan, et la suite de Couladin était au moins deux fois plus nombreuse que les Jindos. Rand subodorait que le troisième groupe, à mi-chemin entre Shaidos et Taardads, était la raison pour laquelle cet intervalle ne diminuait pas subitement et violemment.
Les Sagettes allaient à pied, comme tous les autres Aiels, y compris ces hommes et ces femmes étranges vêtus de coules blanches que Rhuarc appelait des gai’shains et qui conduisaient leurs bêtes de somme. Pas exactement des serviteurs, mais Rand craignait fort de n’avoir pas bien compris les explications de Rhuarc à propos d’honneur, d’obligation et de captifs ; Heirn avait été encore plus déroutant, comme s’il s’efforçait d’expliquer pourquoi l’eau était mouillée. Moiraine, Egwene et Lan chevauchaient en compagnie des Sagettes, ou du moins c’est ce que faisaient les deux jeunes femmes. Le Lige maintenait son destrier un peu à l’écart du côté des Shaidos, les surveillant d’aussi près que le paysage tourmenté. De temps en temps, Moiraine ou Egwene, ou bien encore les deux, mettaient pied à terre pendant un moment pour s’entretenir avec les Sagettes. Rand aurait donné jusqu’à son dernier sou pour entendre ce qu’elles disaient. Elles regardaient souvent dans sa direction, des coups d’œil rapides qu’il n’était sans doute pas censé remarquer. Pour une quelconque raison, Egwene s’était coiffée en deux tresses, où des bouts de ruban rouge étaient entrelacés comme les porte une fiancée le jour des noces. Il ne savait pas pourquoi. Il avait émis une remarque à leur sujet avant de quitter le Chaendaer – il les avait simplement mentionnées – et elle lui avait quasiment rabattu le caquet de la belle manière.
« Élayne est la femme qu’il vous faut. »
Interdit, il regarda Aviendha. Dont les yeux pers avaient repris leur expression de défi avec toujours sous-jacente une antipathie déclarée. Elle attendait devant la tente quand il s’était réveillé ce matin et ne s’était guère éloignée de lui de plus de trois pas depuis. Visiblement, les Sagettes l’avaient placée là pour l’espionner, et visiblement il n’était pas censé s’en rendre compte. Elle était jolie et il était jugé assez bête pour ne pas voir plus loin. Sans doute était-ce la véritable raison qui l’avait incitée à porter une jupe maintenant et à n’être armée que d’un petit poignard à la ceinture. Les femmes semblaient croire les hommes naïfs. À la réflexion, aucun Aiel n’avait commenté son changement de vêtements, mais même Rhuarc évitait de la regarder trop longtemps. Ils connaissaient probablement pourquoi elle était là, ou ils se doutaient du plan des Sagettes et ne désiraient pas en parler.
Rhuidean. Il ignorait toujours pourquoi elle s’y était rendue ; Rhuarc avait murmuré « affaires de femmes », répugnant manifestement à en discuter à portée des oreilles d’Aviendha. Étant donné la façon dont elle restait collée au côté de Rand, cela impliquait de ne pas en discuter du tout. Aucun doute que le chef de clan écoutait à présent, ainsi que Heirn et tous les Jindos à distance suffisante pour entendre. Difficile parfois d’en juger avec les Aiels, mais il pensait qu’ils avaient l’air amusés. Mat sifflait entre ses dents, regardant avec ostentation n’importe quoi sauf eux deux. Même ainsi, c’était la première fois qu’elle lui adressait la parole.
« Que voulez-vous dire ? » questionna-t-il.
Sa jupe volumineuse ne la gênait pas dans sa marche à côté de Jeade’en. Non, elle ne marchait pas. Elle avançait de l’allure de qui traque une proie. Si elle avait été un félin, elle aurait fouetté l’air de sa queue. « Élayne est une native des Terres Humides, votre propre race. » Elle secoua la tête avec arrogance. La courte mèche de cheveux que portaient les guerriers aiels sur la nuque était absente chez elle. L’écharpe enroulée autour de ses tempes dissimulait presque entièrement sa chevelure. « Exactement la femme qu’il vous faut. N’est-elle pas belle ? Son dos est droit, ses membres souples et forts, ses lèvres pareilles à des pommes d’amour mûres. Ses cheveux sont de l’or filé, ses yeux des saphirs bleus. Sa peau est plus douce que la soie la plus fine, sa poitrine ronde et bien dessinée. Ses hanches sont… »
Il l’interrompit fébrilement, les joues enflammées. « Je sais qu’elle est jolie. Qu’est-ce que vous faites ?
— Je la décris. » Aviendha leva vers lui un visage réprobateur. « L’avez-vous vue dans son bain ? Je n’ai pas besoin de la décrire si vous l’avez vue…
— Je ne l’ai pas vue ! » Il aurait aimé ne pas avoir une voix aussi étranglée. Rhuarc et les autres écoutaient de toute évidence, leur absence d’expression trop marquée pour ne pas masquer de l’amusement. Mat roula les yeux avec un large sourire espiègle.
La jeune femme se contenta de hausser les épaules et de rajuster son châle. « Elle aurait dû l’organiser. Par contre, moi je l’ai vue et j’agirai comme sa proche-sœur. » L’insistance qu’elle y mit semblait dire que sa « proche-sœur » à lui aurait agi de même ; les coutumes aielles étaient bizarres, mais cela c’était aberrant ! « Ses hanches…
— Arrêtez ça ! »
Elle lui décocha du coin de la paupière un regard indigné. « Elle est la femme qu’il vous faut. Élayne a déposé son cœur à vos pieds en guise de couronne de mariée. Croyez-vous que quelqu’un dans la Pierre de Tear l’ignore ?
— Je ne veux pas parler d’Élayne », lui répliqua-t-il d’un ton énergique. Sûrement pas si elle avait l’intention de continuer dans le même registre. À cette idée, son visage s’enflamma de nouveau. Peu importait donc à cette jeune femme ce qu’elle disait ou qui l’entendait !
« C’est approprié pour vous de rougir alors que vous la repoussez quand elle vous a dévoilé son cœur. » La voix d’Aviendha était dure et méprisante. « Deux lettres qu’elle vous a écrites, révélant tout comme si elle s’était dévêtue sous le toit de votre mère. Vous l’attirez dans les coins pour des baisers, puis la rejetez. Elle pensait chaque mot de ces lettres, Rand al’Thor ! Egwene me l’a affirmé. Elle pensait chaque mot. Quelles sont vos intentions à son égard, natif des Terres Humides ? »
Rand se passa la main dans les cheveux, ce qui l’obligea à redraper sa shoufa. Élayne pensait vraiment chaque mot ? Dans les deux lettres ? L’une contredisait l’autre pratiquement point par point ! Tout à coup, il sursauta. Egwene l’avait mise au courant ? Au courant des lettres d’Élayne ? Les femmes discutaient donc de ces choses-là entre elles ? Combinaient-elles ensemble la meilleure méthode pour désorienter un homme ?
Il se rendit compte que Min lui manquait. Min ne lui avait jamais donné l’impression qu’il était un imbécile. Oh, bon, pas plus d’une ou deux fois. Et elle ne l’avait jamais insulté. Oui, d’accord, elle l’avait traité plusieurs fois de « berger ». Néanmoins, il se sentait à l’aise en sa compagnie, en paix, d’une curieuse façon. Elle ne lui inspirait jamais le sentiment d’être le dernier des idiots, comme Élayne et comme Aviendha.
Son silence parut augmenter – si c’était possible – l’irritation de la jeune Aielle. Parlant entre ses dents, avançant du pas dont elle aurait voulu piétiner quelque chose, elle ajusta et rajusta son châle une demi-douzaine de fois. Finalement, ses bougonnements cessèrent. À la place, elle commença à le regarder fixement. Tel un vautour. Il se demanda comme elle s’y prenait pour ne pas trébucher et tomber sur le nez.
« Pourquoi me dévisagez-vous de cette façon ? questionna-t-il d’un ton bref.
— J’écoute, Rand al’Thor, puisque vous désirez que je garde le silence. » Elle étira les lèvres dans un sourire autour de dents serrées. « N’êtes-vous pas content que je vous écoute ? »
À Mat, qui se trouvait de l’autre côté d’Aviendha, il jeta un coup d’œil auquel Mat répondit en secouant la tête. Comprendre les femmes était impossible. Rand essaya d’envisager ce qui l’attendait, mais c’était difficile de se concentrer avec les yeux de la jeune femme rivés sur lui. De beaux yeux, s’ils n’avaient pas été remplis d’animosité, mais il souhaitait du fond du cœur qu’elle porte son attention sur autre chose.
Abritant ses yeux de l’éclat aveuglant du soleil, Mat s’efforçait de son mieux d’éviter de regarder Rand et l’Aielle qui marchait entre leurs chevaux. Il n’arrivait pas à comprendre pourquoi Rand la tolérait. Aviendha était assez jolie, certes – plus que simplement jolie, surtout maintenant où elle était habillée d’un semblant de vêtements convenables – mais avec une langue de vipère et un caractère qui faisaient paraître Nynaeve douce. Il était bien content que ce soit Rand qui l’ait sur le dos et pas lui.
Il retira le mouchoir qui était sur sa tête, essuya la sueur sur sa figure, puis le renoua en place ? La chaleur et cet éternel soleil dans les yeux commençaient à lui taper sur les nerfs. N’existait-il donc nulle part dans ce pays ce qu’on appelle de l’ombre ? La sueur irritait ses blessures. Il avait refusé la Guérison la veille au soir, quand Moiraine l’avait réveillé après qu’il s’était enfin endormi. Quelques entailles étaient un prix modique pour éviter que le Pouvoir s’exerce sur soi et la tisane au goût infect des Sagettes avait apaisé son mal de tête. Bon, plus ou moins, en tout cas. Ce dont il souffrait d’autre, il ne pensait pas que Moiraine pouvait y remédier et il n’avait pas l’intention de lui en parler avant de l’avoir bien compris lui-même. S’il y parvenait. Il n’avait même pas envie d’y réfléchir.
Moiraine et les Sagettes l’observaient. Observaient Rand en réalité, il le supposait, mais cela revenait au même pour lui. Chose surprenante, la blonde aux reflets roux, Mélaine, était montée sur Aldieb, en croupe derrière l’Aes Sedai, se tenant gauchement en équilibre les bras passés autour de la taille de Moiraine tout en lui parlant. Il ne savait pas que les Aiels montaient même à cheval. Une très jolie femme, Mélaine, avec ces yeux verts pleins de feu. À part, évidemment, qu’elle canalisait. Il faudrait être complètement stupide pour s’empêtrer dans des relations avec une de ces femmes qui canalisent. Changeant d’assiette sur la selle de Pips, il se remontra que ce que faisaient les Aielles ne le concernait pas.
Je suis allé à Rhuidean. J’ai accompli ce que ces espèces de créatures serpentines m’ont dit que je devais accomplir. Et qu’en avait-il tiré ? Cette sacrée lance, un médaillon en argent et… je pourrais partir maintenant Si j’ai le moindre bon sens, je partirai.
Il pourrait partir. Essayer de trouver le chemin pour sortir du Désert – avant de mourir de soif ou d’insolation. Il le pourrait si Rand ne l’attirait pas toujours à lui, ne le retenait. Le moyen le plus facile de s’en assurer était simplement d’essayer de partir. Examinant le morne paysage, il esquissa une grimace. Du vent se leva – il donnait l’impression d’avoir passé au-dessus d’un fourneau de cuisine surchauffé – et de petits tourbillons engendraient des nuages de poussière jaune en forme d’entonnoir courant sur le sol fendillé. Dans le lointain, les montagnes miroitaient dans la brume de chaleur. Peut-être valait-il mieux demeurer ici un peu plus longtemps.
Une des Vierges de la Lance qui était partie devant en éclaireur, revint au pas gymnastique et se plaça à la hauteur de Rhuarc pour lui parler à l’oreille. Elle décocha un sourire rapide à Mat quand elle eut fini et il s’affaira à extirper une bardane de la crinière de Pips. Il ne se souvenait que trop bien d’elle, une jeune femme rousse nommée Dorindha, ayant environ l’âge d’Egwene. Dorindha était une de celles qui l’avaient entraîné à découvrir ce qu’était le Baiser des Vierges. Elle avait recueilli le premier gage. Ce n’est pas qu’il ne tenait pas à soutenir son regard, et certes pas qu’il en était incapable ; débarrasser votre cheval des bardanes et autres gratterons était important.
« Des colporteurs, annonça Rhuarc quand Dorindha fut repartie en courant d’où elle était venue. Des chariots de colporteurs, venant dans cette direction. » Il n’en paraissait pas enchanté.
Par contre, Mat se rasséréna considérablement. Un colporteur offrait peut-être la chance qu’il guettait. Si le bonhomme connaissait le chemin pour entrer, il connaissait celui pour sortir. Il se demanda si Rand se doutait de ses réflexions ; l’expression de Rand était devenue aussi impénétrable que celle de n’importe quel Aiel.
Les Aiels avaient légèrement accéléré l’allure – les compagnons de Couladin imitèrent pratiquement sans tergiverser les Jindos et le groupe des Sagettes ; leurs propres éclaireurs avaient dû probablement les avertir aussi –une allure assez rapide pour que les chevaux soient obligés de se maintenir à un pas plus vif. Le soleil ne gênait pas du tout les Aiels, pas même les gai’shains enfouis sous leur coule blanche. Ils avançaient avec souplesse sur le terrain accidenté.
Moins d’une demi-lieue suffit pour qu’apparaissent en vue les chariots, une douzaine et demie, en file les uns derrière les autres. Tous portaient les marques d’un voyage pénible, avec des roues de rechange attachées partout. En dépit d’une couche de poussière jaune, les deux premiers ressemblaient à des boîtes peintes en blanc sur roues, ou à de petites maisons, y compris avec un escalier de bois à l’arrière et une cheminée de métal sortant du toit. Les trois derniers, tirés par des attelages de vingt mulets, n’avaient l’air que d’énormes barriques, blanches aussi, sans doute remplies d’eau. Les chariots qui se trouvaient entre ceux-ci et ceux de tête auraient aisément passé pour des chariots de colporteur des Deux Rivières, avec de hautes roues aux rayons robustes et des grappes de marmites tintinnabulantes et de choses dans de grands sacs en filet suspendues tout le long des hautes capotes rondes en toile.
Les charretiers tirèrent sur les rênes dès qu’ils aperçurent les Aiels, attendant que les colonnes s’approchent. Un homme corpulent en surcot gris clair avec un chapeau noir à large bord descendit de l’arrière du premier chariot et resta planté à regarder, ôtant son chapeau à calotte plate de temps en temps pour s’essuyer le front avec un grand mouchoir blanc. S’il était nerveux en voyant peut-être quinze cents Aiels déferlant vers lui, Mat ne l’en blâmait pas. Ce qu’il y avait d’étrange, c’étaient les expressions des Aiels les plus proches de Mat. Rhuarc, qui avançait au pas gymnastique devant le cheval de Rand, avait un air menaçant et Heirn des traits durs qui auraient cassé des pierres.
« Je ne comprends pas, dit Mat. On croirait que vous allez tuer quelqu’un. » Ce qui aurait certes réduit ses espoirs à néant. « Je pensais qu’il y avait trois sortes de gens que vous les Aiels laissez venir ici dans le Désert ; les colporteurs, les ménestrels et le Peuple Voyageur.
— Les colporteurs et les baladins sont les bienvenus », répliqua sèchement Heirn. Si c’était là un accueil amical, Mat ne tenait pas à voir des Aiels se montrer le contraire d’accueillants.
« Et le Peuple Voyageur ? » questionna-t-il avec curiosité. Comme Heirn demeurait silencieux, il ajouta : « Les Rétameurs ? les Tuatha’ans ? » Le visage du chef se fit encore plus dur avant qu’il reporte son attention sur les chariots. Aviendha jeta à Mat le coup d’œil qu’elle aurait adressé à un idiot.
Rand approcha Jeade’en de Pips. « Si j’étais toi, je ne parlerais pas des Rétameurs aux Aiels, conseilla-t-il à voix basse. C’est… un sujet délicat.
— Si tu le dis. » Pourquoi les Rétameurs seraient-ils un sujet délicat ? « À ce qu’il me semble à moi, ils se montrent déjà assez chatouilleux avec ce colporteur. Colporteur ! Je me souviens de négociants qui arrivaient au Champ d’Emond avec moins de chariots.
— Il est entré dans le Désert », dit Rand avec un petit rire intérieur. Jeade’en secoua la tête et se mit à danser sur place. « Je me demande s’il en sortira ? » Le sourire sarcastique de Rand ne se reflétait pas dans ses yeux. Parfois Mat en venait presque à souhaiter que Rand décide une fois pour toutes s’il était fou ou non. Presque.
À trois cents pas des chariots, Rhuarc ordonna d’un signe une halte et lui et Heirn continuèrent seuls. Du moins, c’est ce qui semblait avoir été l’idée de Rhuarc mais Rand incita du talon son étalon pommelé à avancer derrière eux, et l’inévitable garde du corps de cent Jindos suivit. Mat les accompagna sans hésiter. Si Rhuarc renvoyait ce bonhomme, il ne voulait pas rater la chance de partir avec lui.
Couladin jaillit au pas de course d’entre les Shaidos. Seul. Peut-être voulait-il agir comme Rhuarc et Heirn en avaient eu l’intention, mais Mat soupçonnait qu’il tenait à souligner qu’il allait seul là où Rand avait besoin de cent gardes. Au début, on aurait cru que Moiraine viendrait aussi, mais il y eut un échange de paroles entre elle et les Sagettes, et toutes demeurèrent où elles étaient. Observant, néanmoins. L’Aes Sedai mit pied à terre, jouant avec quelque chose de petit qui scintillait, et Egwene et les Sagettes se groupèrent autour d’elle.
En dépit de sa façon de s’éponger la figure, le gros bonhomme en surcot gris n’avait, de près, pas l’air inquiet, bien qu’ayant sursauté quand des Vierges de la Lance se dressèrent soudain comme jaillissant du sol et encerclèrent ses chariots. Les charretiers, des hommes au masque dur avec plus que leur content de cicatrices et de nez cassés, paraissaient prêts à ramper sous leur siège ; c’étaient des chiens errants en comparaison des loups aiels. Le colporteur se ressaisit aussitôt. Il n’était pas gras en dépit de ses dimensions ; cette corpulence était du muscle. Rand et Mat sur leurs chevaux eurent droit à des coups d’œil empreints de curiosité, mais il repéra immédiatement Rhuarc. Le bec crochu qu’il avait pour nez et des yeux sombres obliques donnaient à sa face carrée basanée un air de prédateur qui ne s’adoucit pas quand il arbora un grand sourire et ôta son chapeau à large bord d’un geste circulaire pour s’incliner dans un salut. « Je suis Hadnan Kadere, déclara-t-il, colporteur. Je cherche les Rocs Froids, mes bons sires, mais je suis prêt à commercer avec tout le monde. J’ai beaucoup de belles… »
Rhuarc l’interrompit comme avec un couperet glacé. « Vous vous dirigez bien loin des Rocs Froids ou de n’importe quelle place forte. Comment se fait-il que vous soyez venu à cette distance du Rempart du Dragon sans avoir pris un guide ?
— Je ne le sais vraiment pas, messire. » Kadere ne perdit pas son sourire, mais les coins de sa bouche se crispèrent quelque peu. « J’ai voyagé au vu et au su de tous. Ceci est ma première visite à la Terre Triple aussi loin au sud. J’ai pensé qu’ici il n’y avait peut-être pas de guides. » Couladin émit un reniflement sonore de dédain, fit tournoyer avec indolence une de ses lances. Kadere voûta le dos comme s’il sentait déjà l’acier se glisser dans son corps massif.
« Il y a toujours des guides, reprit sèchement Rhuarc. Vous avez de la chance d’être parvenu aussi loin sans en avoir eu un. De la chance de n’être pas mort ou de ne pas retourner à pied vers le Rempart du Dragon vêtu de votre seule peau. » Un sourire contraint découvrit brièvement les dents de Kadere, et le chef de clan poursuivit : « De la chance de nous rencontrer. Auriez-vous continué encore un jour ou deux dans cette direction que vous seriez arrivé à Rhuidean. »
Le visage du colporteur devint blême. « J’avais entendu dire… » Il s’arrêta pour déglutir. « Je l’ignorais, mes bons sires. Vous devez le croire. Je n’aurais pas agi ainsi délibérément. Ni par hasard, ajouta-t-il précipitamment. Que la Lumière illumine la vérité de mes paroles, mes bons sires, je ne l’aurais pas voulu !
— C’est bien, lui dit Rhuarc. Les sanctions sont sévères. Accompagnez-moi jusqu’aux Rocs Froids. Il ne faudrait pas que vous vous perdiez de nouveau. La Terre Triple est dangereuse pour ceux qui ne la connaissent pas. »
La tête de Couladin se dressa dans un mouvement de défi. « Pourquoi pas avec moi ? s’exclama-t-il d’une voix coupante. Les Shaidos sont les plus nombreux ici, Rhuarc. Selon la coutume, il voyage avec moi.
— Es-tu devenu chef de clan sans que je l’aie vu ? » Le Shaido roux flamboyant s’empourpra, mais Rhuarc n’en témoigna aucune satisfaction, il continua simplement à parler de ce même ton calme. « Le colporteur veut se rendre aux Rocs Froids. Il voyagera avec moi. Les Shaidos qui t’accompagnent pourront traiter avec lui en cours de route. Les Taardads ne sont pas privés de colporteurs au point de tenter de les garder pour eux-mêmes. »
La face de Couladin devint d’un ponceau plus accentué, pourtant il modéra sa voix, quand bien même l’effort la fit grincer. « J’installerai mon camp près des Rocs Froids, Rhuarc. Celui qui Vient avec l’Aube concerne tous les Aiels, pas uniquement les Taardads. Les Shaidos, eux aussi, suivront Celui qui Vient avec l’Aube. » Il n’avait pas reconnu que ce « Celui » était Rand, Mat en eut conscience. Rand qui examinait les chariots ne paraissait pas écouter.
Rhuarc resta silencieux un instant. « Les Shaidos seront les bienvenus sur les terres des Taardads, s’ils arrivent pour suivre Celui qui Vient avec l’Aube. » Et cela aussi pouvait s’interpréter de deux façons.
Pendant tout ce temps, Kadere s’était épongé la figure, se voyant probablement pris au milieu d’une bataille entre Aiels. Il ponctua d’un profond soupir de soulagement l’invitation de Rhuarc. « Merci, mes bons sires. Merci. » Vraisemblablement pour ne pas l’avoir tué. « Peut-être aimeriez-vous voir ce que mes chariots ont à offrir ? Quelque chose en particulier qui vous plairait ?
— Plus tard, répliqua Rhuarc. Nous nous arrêterons pour la nuit à la Halte d’Imre, alors vous aurez le loisir de montrer vos marchandises. » Couladin s’éloignait déjà à grandes enjambées, dès qu’il avait entendu le nom de la Halte d’Imre, quoi qu’ai représenté ce nom. Kadere s’apprêta à se recoiffer de son chapeau.
« Un chapeau », dit Mat en rapprochant Pips du colporteur. S’il était contraint de rester un peu plus longtemps dans le Désert, du moins pouvait-il abriter ses yeux de ce maudit soleil. « Je donnerai un marc d’or pour un chapeau comme celui-ci.
— D’accord ! » s’écria une voix féminine mélodieuse et voilée.
Mat jeta un coup d’œil alentour et sursauta. La seule femme en vue à part Aviendha et les Vierges de la Lance venait du deuxième chariot, mais elle n’avait certes rien de commun avec cette voix, une des plus enchanteresses qu’il avait entendues. Rand la regarda en fronçant les sourcils et secoua la tête, non sans raison. D’un pied plus petite que Kadere, elle devait peser autant sinon davantage. Des bourrelets de graisse masquaient presque ses yeux, empêchant de distinguer s’ils étaient obliques ou non ; quant à son nez, c’était une hache qui rapetissait par contraste celui du colporteur. En robe de soie crème tendue à craquer sur son corps massif, avec une mantille de dentelle blanche soulevée au-dessus de sa tête par des peignes d’ivoire sculpté plantés dans de longs cheveux noirs dépourvus de finesse, elle se déplaçait avec une légèreté déconcertante, presque comme une des Vierges de la Lance.
« Une belle offre, reprit-elle avec ce timbre musical. Je suis Keille Shaogi, colporteuse. » D’un geste vif, elle ôta le chapeau des mains de Kadere et le leva vers Mat. « Solide, mon bon sire, et presque neuf. Vous aurez besoin d’un de ce genre pour survivre à la Terre Triple. Ici, un homme peut mourir… » Les doigts boudinés claquèrent avec une sécheresse de coup de fouet. « … comme ça. » Son soudain éclat de rire avait la même qualité caressante et profonde que sa voix. « Ou une femme. Un marc d’or, vous avez dit. » Quand il hésita, ses yeux à demi enfouis lancèrent des éclairs d’un noir de corbeau. « J’offre rarement à qui que ce soit deux fois de suite une bonne affaire. »
Une drôle de femme, pour dire le moins. Kadere ne protesta pas en dehors de la plus fugitive des grimaces. Si Keille était son associée, pas besoin de se demander qui avait le pas sur l’autre. Et si le chapeau évitait à la tête de Mat de griller, il valait bien ce prix-là en ce qui le concernait. Elle mordit le marc tairen qu’il lui donna avant de lâcher le couvre-chef. Ô miracle, il était de la bonne taille. Et, si sous ce large bord ne régnait pas plus de fraîcheur, au moins offrait-il un ombrage bienvenu. Le foulard alla dans la poche de son surcot.
« Quelque chose pour le reste d’entre vous ? » La grosse femme parcourut des yeux les Aiels, murmurant : « La belle enfant » à l’adresse d’Aviendha avec les dents se découvrant dans ce qui aurait pu être un sourire. À Rand, elle dit : « Et vous, bon sire ? » Cette voix émanant de ce visage produisait un contraste désagréable, surtout quand elle prenait ce ton d’une suavité de miel. « Rien pour vous protéger de cette terrible terre ? » Faisant tourner Jeade’en pour examiner les charretiers, Rand se contenta de secouer la tête. Avec cette shoufa autour de son visage, il avait vraiment l’air d’un Aiel.
« Ce soir, Keille, dit Kadere. Nous ouvrons notre commerce ce soir, dans un endroit appelé la Halte d’Imre.
— Nous commençons ce soir, tiens donc. » Elle contempla longuement la colonne des Shaidos et plus longuement encore le groupe des Sagettes. Elle pivota brusquement sur ses talons pour se diriger vers son chariot, disant pardessus son épaule à l’autre colporteur : « Alors pourquoi gardes-tu ces bons sires debout ici ? En route, Kadere. En route. » Rand la regarda s’éloigner en secouant de nouveau la tête.
Là-bas près de son chariot se trouvait un ménestrel. Mat cligna des paupières, pensant que la chaleur lui avait joué un tour, mais le personnage ne disparut pas, c’était un homme aux cheveux bruns, d’âge mûr, portant la traditionnelle cape de son métier aux pièces volantes multicolores. Il observait le rassemblement avec appréhension jusqu’à ce que Keille le pousse devant elle pour gravir les marches menant à l’entrée du chariot. Kadere regarda le chariot blanc de Keille avec moins d’expression qu’un des Aiels avant de se rendre à grands pas dans le sien. En vérité, de drôles de gens.
« As-tu vu le ménestrel ? » demanda Mat à Rand, qui acquiesça vaguement d’un signe de tête, absorbé dans l’examen de la file de chariots comme s’il en apercevait pour la première fois de sa vie. Rhuarc et Heirn retournaient déjà vers le reste des Jindos. Les cent qui entouraient Rand attendaient patiemment, partageant leur attention entre lui et tout ce qui pouvait dissimuler ne serait-ce qu’une souris. Les cochers commençaient à rassembler leurs rênes, mais Rand ne bougeait pas. « Bizarres, ces colporteurs, tu ne trouves pas, Rand ? Bah, je suppose qu’il faut être bizarre pour s’aventurer dans le Désert. Regarde-nous. » Ce qui provoqua une grimace chez Aviendha, mais Rand ne paraissait pas avoir entendu. Mat voulait qu’il dise quelque chose. N’importe quoi. Ce silence était démoralisant. « Est-ce que tu aurais imaginé qu’escorter un colporteur soit un tel honneur que Rhuarc et Couladin se disputent à ce sujet ? Est-ce que tu comprends quelque chose à ce ji’e’toh.
— Vous êtes stupide, marmonna Aviendha. Cela n’a rien à voir avec le ji’e’toh. Couladin essaie de se conduire comme un chef de clan. Rhuarc ne peut l’admettre que jusqu’à ce qu’il – qu’à moins qu’il soit allé à Rhuidean. Les Shaidos voleraient des os à un chien – ils voleraient les os et le chien –néanmoins même eux méritent un véritable chef. Et à cause de Rand al’Thor nous devons permettre à un millier d’entre eux de planter leurs tentes sur nos terres.
— Ses yeux, dit Rand sans détacher son regard des chariots. Un homme dangereux. »
Mat fronça les sourcils. « Les yeux de qui ? De Couladin ?
— Les yeux de Kadere. Toute cette transpiration, ce teint qui devient blême. Pourtant ses yeux n’ont jamais changé. On doit toujours observer les yeux. Pas l’apparence générale.
— Bien sûr, Rand. » Mat raffermit son assiette sur sa selle, souleva à demi ses rênes comme pour se remettre en marche. Peut-être que le silence n’était pas si désagréable, finalement. « On doit observer les yeux. »
Rand porta son attention vers les sommets des aiguilles rocheuses et des buttes les plus proches, tournant la tête de côté et d’autre. « C’est le temps, le danger, murmura-t-il. Le temps pose des pièges. Je dois éviter les leurs tandis que je tends les miens. »
Il n’y avait rien là-haut de discernable pour Mat en dehors de quelques massifs de broussailles et çà et là un arbre chétif. Aviendha regarda en fronçant les sourcils les hauteurs, puis Rand en rajustant son châle. « Des pièges ? » répéta Mat. Ô Lumière, faites qu’il me donne une réponse qui ne soit pas absurde. « Qui tend des pièges ? »
Rand le dévisagea pendant un instant comme s’il ne comprenait pas la question. Les chariots des colporteurs s’ébranlaient, escortés au pas de course allongé par des Vierges de la Lance, tournant pour suivre les Jindos quand ils passèrent rapidement, imités par les Shaidos. D’autres Vierges partirent en avant comme éclaireurs. Seuls les Aiels autour de Rand ne bougèrent pas ; quant au groupe des Sagettes, il s’attardait en regardant et, d’après les gestes d’Egwene, Mat pensa qu’elle voulait les rejoindre pour savoir ce qui se passait.
« Tu ne peux pas le voir ni le sentir », finit par répondre Rand. Se penchant légèrement vers Mat, il déclara dans un chuchotement audible, comme s’il jouait la comédie : « Nous chevauchons avec le mal, à présent, Mat. Prends garde à toi. » Il avait de nouveau ce sourire crispé en regardant les chariots défiler lourdement devant lui.
« Tu crois que ce Kadere est néfaste ?
— Un homme dangereux, Mat – les yeux sont toujours révélateurs, toutefois, qui sait ? Bah, quelle raison ai-je de me mettre en souci avec Moiraine et les Sagettes qui exercent leur vigilance pour moi ? Et nous ne devons pas oublier Lanfear. Y a-t-il jamais eu d’homme sur qui tant d’yeux veillent ? » Brusquement, Rand se redressa sur sa selle. « C’est commencé, dit-il à mi-voix. J’aimerais avoir ta chance, Mat. C’est commencé et impossible de tourner bride maintenant, de quelque côté que s’abatte la hache. » Hochant la tête pour lui-même, il fit partir son pommelé derrière Rhuarc, Aviendha marchant à bonne allure à côté de lui, les cent Jindos leur emboîtant le pas.
Mat fut assez content de suivre aussi. Cela valait mieux que d’être laissé en plan ici, certes. Le soleil flamboyait haut dans un ciel bleu pur. Il y avait encore un bon bout de trajet à parcourir avant le coucher du soleil. Cela avait commencé ? Qu’est-ce que Rand voulait dire par là, ça avait commencé ? Cela avait débuté dans Rhuidean ; ou mieux au Champ d’Emond lors de la Nuit de l’Hiver l’an passé. « Chevaucher avec le mal ? » et « pas possible de tourner bride » ? Et Lanfear ? Rand marchait sur le fil du rasoir maintenant. Pas de doute à avoir là-dessus. Il fallait trouver un moyen de sortir du Désert avant qu’il soit trop tard. De temps en temps, Mat examinait les chariots des colporteurs. Avant qu’il soit trop tard. Si trop tard ce n’était pas déjà.