40 Un héros dans la nuit

Accoudé au bastingage, Mat regardait les fortifications d’Aringill grossir à vue d’œil à mesure que les rames propulsaient la Mouette Grise vers le long quai aux poteaux revêtus de goudron. Protégé par de hauts murs de pierre latéraux qui s’enfonçaient dans la rivière, cet embarcadère grouillait de monde. Et ça n’allait pas s’arranger, car des dizaines de voyageurs débarquaient des navires qui avaient déjà accosté.

Certains de ces gens poussaient des brouettes ou tiraient des charrettes à larges roues. Dans tous les cas, les véhicules étaient lestés de meubles et de coffres de rangement solidement arrimés les uns aux autres.

Beaucoup de réfugiés portaient tout simplement de lourds baluchons sur leur dos. Et parmi eux, un grand nombre ne s’agitaient pas dans tous les sens. Pas mal d’hommes et de femmes, désorientés, se serraient les uns contre les autres et des dizaines d’enfants s’accrochaient à leurs jambes en pleurant.

Des soldats en uniforme rouge et plastron étincelant tentaient de forcer les nouveaux arrivants à désencombrer les quais. Hélas, la plupart de ces malheureux étaient bien trop effrayés pour obéir.

Mat se retourna, mit une main en visière et sonda le fleuve que la Mouette Grise allait laisser pour un temps derrière elle. Sur cette section de l’Erinin, le trafic était bien plus dense qu’autour de Tar Valon. Une demi-douzaine de navires montaient et descendaient le cours d’eau, le plus gros – une sorte de destrier aquatique – fendant fièrement l’onde de sa proue profilée tandis que le plus poussif, un cargo au ventre grotesquement rebondi, se traînait pathétiquement derrière lui.

Une bonne moitié des navires que repéra Mat n’avaient rien à voir avec le commerce. Deux grands trois-mâts, tous leurs ponts vides, se dirigeaient vers une petite ville, sur la rive opposée, tandis que trois autres revenaient vers la cité, des gens se pressant sur le pont comme une cargaison de tonneaux de saumure. Le soleil couchant, toujours assez haut dans le ciel, cependant, éclairait encore pour un court moment l’étendard qui flottait au-dessus de l’autre petite ville. Cette rive-là appartenait au Cairhien, et pourtant, le Lion Blanc d’Andor s’affichait fièrement sur ce drapeau.

Dans les quelques villages où la Mouette Grise avait fait escale, du côté andorien, les gens s’ébaubissaient de la générosité des « occupants ».

Mat haussa les épaules, agacé. La politique ne l’intéressait pas le moins du monde.

Tant qu’on n’essaie pas de me convaincre que je suis un Andorien, tout ça à cause de quelques lignes tracées sur une carte… Que la Lumière me brûle ! ces gens risquent même de m’enrôler de force dans leur maudite armée. Suivre les ordres, quelle galère ! Au nom de la Lumière ! ce n’est pas une sinécure…

Avec un frisson glacé dans le dos, Mat se tourna vers Aringill. Toujours pieds nus, pour ne pas glisser, plusieurs marins de la Mouette s’apprêtaient à lancer les amarres aux marins et aux dockers responsables du quai.

Debout près du timonier, le capitaine Mallia lorgnait régulièrement Mat. Depuis le début du voyage, il tentait de se gagner les grâces de ses passagers « presque » clandestins – tout ça pour en apprendre plus sur leur mission secrète, bien entendu. De guerre lasse, Mat lui avait montré la lettre cachetée, indiquant qu’il la tenait de la Fille-Héritière en personne. Un message privé d’une fille à sa mère, voilà de quoi il s’agissait. Mais Mallia avait surtout retenu que le destinataire était la reine Morgase, rien que ça !

Mat eut un petit sourire. Dans la poche de sa veste, il gardait désormais deux bourses bien plus pansues qu’à son arrivée sur le vaisseau. Et un peu partout sur lui, il avait assez de pièces pour en remplir deux de plus. Si sa chance était moins insolente que durant cette nuit où les dés – et tout le reste – avaient paru être pris de folie, elle restait très au-delà de la normale. Après trois soirées, Mallia avait renoncé à jouer contre le jeune homme pour lui témoigner son « amitié ». Mais ses économies en avaient pris un sacré coup ! Et ça ne s’arrangerait pas après cette escale, parce que le capitaine devait renouveler ses réserves de nourriture – à n’importe quel prix, s’il parvenait à trouver quelque chose à acheter.

Repensant à la lettre d’Elayne, Mat se rembrunit. Avec une lame chauffée au rouge, soulever le sceau au lilas d’or avait été un jeu d’enfant. Dans la missive, le jeune homme n’avait rien trouvé d’intéressant. Elayne étudiait avec acharnement, elle progressait et sa soif d’apprendre ne se démentait pas. Elle restait une fille respectueuse, autant vis-à-vis de sa mère que par rapport à la Chaire d’Amyrlin. Celle-ci l’ayant punie à cause de son escapade, en exigeant qu’elle ne reparle plus jamais du sujet, Morgase comprendrait à coup sûr sa discrétion.

La Fille-Héritière annonçait aussi qu’elle avait accédé au rang d’Acceptée, une promotion rapide qui n’avait pas que des avantages. Chargée de missions plus importantes, désormais, elle allait devoir quitter Tar Valon durant quelque temps – un ordre de la Chaire d’Amyrlin en personne. Dans ce contexte, sa mère ne devait surtout pas s’inquiéter…

Facile à dire, n’est-ce pas ? Surtout quand on envoyait quelqu’un d’autre dans le chaudron, histoire qu’il y cuise à la place d’une certaine future tête couronnée ! Si Mat avait des tueurs à ses trousses, c’était sans nul doute à cause de cette stupide lettre. Mais malgré sa passion des codes, du chiffre et du « Grand Jeu des maisons », Thom lui-même avait été incapable de tirer un jus plus intéressant de ce triste citron.

Le sceau remis en place, Mat conservait la lettre dans la doublure de sa veste. Personne ne pourrait la lui voler, et si quelqu’un la voulait assez fort pour le tuer – eh bien, les paris étaient ouverts !

J’ai juré de délivrer le message, Nynaeve, et je le ferai en dépit de tous les obstacles.

Certes, mais il aurait néanmoins deux ou trois mots à dire, la prochaine fois qu’il croiserait les trois agaçantes jeunes femmes.

Si je les revois… Par la Lumière ! le contraire est bien possible…

En tout cas, ce n’étaient pas des aménités qu’il gardait en réserve pour cet infernal trio…

Alors que les marins lançaient les amarres vers le quai, Thom fit irruption sur le pont, les étuis de ses instruments en bandoulière, et son baluchon à la main. S’arrangeant pour que sa cape multicolore batte au vent derrière lui – un peu le principe de la queue d’un paon –, il approcha majestueusement du bastingage en soufflant dans ses imposantes bacchantes blanches.

— Thom, personne ne regarde… De toute façon, ces gens n’ont pas besoin d’un trouvère, mais de quelque chose à se mettre sous la dent.

L’artiste balaya les quais du regard.

— Par la Lumière ! j’avais entendu dire que c’était grave, mais à ce point, je ne l’aurais pas cru ! Les pauvres crétins… La moitié de ces misérables ont l’air de crever de faim… Pour avoir une chambre, ce soir, nous risquons de devoir sacrifier une de tes bourses. Et l’autre pour nous remplir l’estomac, surtout si tu continues à manger comme douze ! Te regarder me rendrait presque malade, mon garçon. Si tu t’empiffres comme ça sous le regard de ces malheureux, ils te fracasseront le crâne, c’est couru d’avance.

Mat se contenta de sourire à son compagnon.

Mallia émergea à son tour sur le pont. Tirant sur sa barbe pointue, il regarda la Mouette Grise achever sa manœuvre d’accostage. Lorsque les marins eurent installé une passerelle, Sanor vint y monter la garde, les bras croisés sur son impressionnante poitrine – une précaution au cas où les miséreux du quai tenteraient de monter à bord. Mais aucun d’eux ne s’y aventura.

— Ainsi, tu vas m’abandonner ici, dit Mallia à Mat. (Le sourire du capitaine avait quelque chose de forcé, un détail qui n’échappa pas au jeune homme.) Tu es sûr que je ne peux rien faire de plus pour toi ? Que la Lumière consume mon âme ! je n’ai jamais vu un désordre pareil ! Les soldats devraient dégager les quais, à la pointe de l’épée, si nécessaire ! Comme ça, les honnêtes commerçants pourraient faire leur travail. Sanor pourrait vous ouvrir un chemin dans cette vermine, vous servant de poisson pilote jusqu’à votre auberge.

Pour que tu saches où nous sommes descendus ? Bien essayé, mon ami !

— J’avais envisagé de manger avant de descendre à terre, et peut-être de faire une partie de dés pour passer le temps… (Mallia blêmit.) Mais tout compte fait, j’ai bien envie de dîner sur le bon vieux plancher des vaches. Nous allons donc te faire nos adieux, capitaine. Ce fut un voyage des plus agréables.

Alors que la déception et le soulagement se livraient une rude bataille chez Mallia, Mat ramassa ses affaires. Utilisant son bâton de combat comme une canne, il se dirigea vers la passerelle, Thom sur les talons. Le capitaine accompagna un moment ses passagers, se lamentant de les voir partir si tôt – des regrets à moitié sincères, estima Mat, parce que le bonhomme aurait aimé se faire mousser devant son Haut Seigneur Samon en apprenant tous les détails du « pacte secret » signé entre le royaume d’Andor et Tar Valon.

Alors que son compagnon et lui se frayaient un chemin dans la foule, Thom marmonna :

— Ce type est détestable, je sais, mais pourquoi as-tu passé ton temps à le houspiller ? Il n’a pas suffi que tu dévores ses réserves personnelles de nourriture ? Le pauvre pensait en avoir assez jusqu’à Tear, mais avec un ogre à bord…

— Voilà deux jours que je ne mange plus autant…, dit Mat.

À son grand soulagement, la faim dévorante avait simplement disparu un matin, comme par miracle. Du coup, il avait eu l’impression que Tar Valon venait de perdre tout ce qui lui restait d’emprise sur lui.

— Mais j’ai jeté le surplus par-dessus bord – pas facile à faire sans être vu, tu peux me croire !

Au milieu de tant de gens affamés, beaucoup étant des enfants, la plaisanterie semblait beaucoup moins drôle.

— Mallia mérite d’être houspillé… Tu te souviens de ce bateau, hier ? Celui qui était pris dans un banc de sable, ou je ne sais trop quoi. Il aurait pu s’arrêter pour donner un coup de main, mais il a fait semblant de ne pas entendre les appels au secours.

Devant les deux amis, une femme aux longs cheveux noirs – sans son extrême maigreur, elle aurait sans nul doute été jolie – dévisageait tous les passants comme si elle cherchait désespérément quelqu’un. Un garçon qui lui arrivait à la taille et deux petites filles s’accrochaient à sa jupe, tout en pleurs…

— Ce discours au sujet des pirates et des pièges… Du vent, oui ! C’était bel et bien un bateau en détresse !

Thom contourna une charrette sur laquelle reposait une cage contenant deux cochons affolés, et faillit trébucher sur une autre charrette tirée par un couple de paysans.

— Parce que toi, Matrim Cauthon, tu fais de grands détours pour aider les gens ? Désolé, mais ce détail m’avait échappé…

— Je secours ceux qui ont les moyens de payer… Seuls les imbéciles, dans les anciens récits, agissent autrement.

Si les deux fillettes sanglotaient, le garçon luttait courageusement contre ses larmes, mais il semblait avoir perdu d’avance. La mère étudia un moment Mat – elle aussi paraissait au bord des larmes – puis elle baissa tristement la tête.

Cédant à une impulsion, Mat prit une poignée de pièces dans sa poche – sans regarder leur valeur – et les posa dans la paume de la malheureuse. Sursautant, elle regarda l’or et l’argent qui brillaient désormais dans sa main. D’abord stupéfaite, elle sourit bientôt aux anges, puis ouvrit la bouche, sans doute pour remercier son bienfaiteur.

— Nourrissez vos enfants, dit Mat, accélérant le pas avant que la femme ait pu se répandre en remerciements. (Il remarqua que Thom le regardait bizarrement.) Quelque chose ne va pas ? L’argent arrivera tout seul dans mes poches tant que je trouverai quelques idiots disposés à jouer aux dés contre moi.

Le trouvère acquiesça, mais Mat douta qu’il ait vraiment compris sa position.

Voir ces gamins pleurnicher m’a tapé sur les nerfs, voilà tout ! Cet idiot de trouvère va s’attendre à me voir distribuer de l’argent à toutes les souillons de rencontre, à présent ! Espèce de crétin !

Un instant, très bref mais pénible, Mat se demanda si la dernière imprécation s’adressait à Thom… ou à lui-même.

Se ressaisissant, il s’obligea à ne regarder personne assez longtemps pour céder à de douteuses fantaisies. Au moins jusqu’à ce qu’il trouve la personne qu’il cherchait, au bout du quai. Tête nue, le soldat chargé de pousser les voyageurs dans les rues, afin de désengorger le port, avait la chevelure grisonnante d’un vétéran – le genre sous-officier couturé de cicatrices et bardé d’expérience. Le voyant plisser les yeux à cause du soleil couchant, Mat pensa à Uno, bien que ce sergent-là ne fût pas borgne.

L’air presque plus fatigué que les malheureux qu’il aiguillonnait de la voix, il beuglait toutes les cinq secondes :

— Bougez-vous, bon sang ! On vous a dit que vous ne pouviez pas rester là ! Allez en ville, nom d’un chien !

Mat se campa devant le soldat et lui sourit.

— Veuillez m’excuser, capitaine, mais savez-vous où nous pouvons trouver une auberge décente ? Et des écuries où acheter de solides montures ? Demain matin, nous partirons pour un long voyage.

Le vétéran examina Mat, étudia Thom, plus que visible dans sa cape multicolore, puis s’intéressa de nouveau au jeune homme :

— Capitaine, que tu dis ? Eh bien, mon garçon, tu auras la chance du Ténébreux en personne si tu te trouves des écuries où dormir. La plupart des réfugiés dorment sous des chariots. Et si par hasard tu déniches un cheval qui ne soit pas en train de rôtir, tu devras te battre contre son propriétaire pour le forcer à te le vendre.

— Manger des chevaux ? s’écria Thom, révulsé. Les choses vont si mal que ça, de ce côté du fleuve ? La reine ne vous fait pas envoyer des vivres ?

— C’est une catastrophe, trouvère… (Le soldat fit mine de cracher de dégoût.) Les réfugiés arrivent trop vite pour que les moulins aient le temps de fabriquer assez de farine – et les chariots de nous la faire parvenir. Mais ce sera bientôt terminé… Les ordres sont arrivés. À partir de demain, nous ne laisserons plus personne traverser. Et les gens qui essaieront seront refoulés.

L’homme regarda les misérables, autour d’eux, comme s’ils étaient là uniquement pour l’embêter.

— Mais vous aussi, vous devez circuler ! Allez, du vent, tous ! Vous ne pouvez pas rester là ! Dégagez, bon sang !

Mat et Thom se joignirent à la colonne (pas si large que ça) de réfugiés et de véhicules qui se dirigeait vers les portes de la ville.

Les rues d’Aringill étaient pavées, mais avec le nombre de gens qui les arpentaient, il devenait difficile de voir les rectangles de pierre grise qu’on foulait aux pieds.

Beaucoup de réfugiés erraient sans but, l’air hagards. Ayant renoncé à donner le change, d’autres s’étaient assis sous les porches ou sur les trottoirs, les plus chanceux s’accrochant encore au maigre baluchon qui contenait leurs ultimes possessions. Mat vit trois hommes qui trimballaient chacun une horloge, et plusieurs qui transportaient de la vaisselle en argent. Les femmes, en revanche, portaient presque toutes des bébés dans les bras.

Alors qu’un murmure angoissé semblait courir dans toute la cité, Mat se fraya un chemin dans cette misère, cherchant désespérément l’enseigne d’une auberge. Mais il ne vit rien sur la façade des bâtiments, qu’ils fussent en bois, en brique ou en pierre…

— Ça ne ressemble pas à Morgase…, dit Thom, se parlant tout haut.

— Quoi donc ? demanda Mat, intrigué par l’évidente perplexité du trouvère.

— Refouler les réfugiés… Elle a toujours eu un caractère de feu, mais un cœur d’or dès qu’il s’agit d’aider les pauvres…

Mat aperçut soudain une enseigne. L’Homme de la Rivière, annonçait-elle au-dessus de l’image d’un type torse nu et sans chaussures qui dansait la gigue. Le jeune homme obliqua dans cette direction, son bâton l’aidant à s’ouvrir un passage.

— Pourtant, l’ordre doit bien venir d’elle… Qui d’autre aurait pu le donner ? Oublie Morgase, Thom… Nous sommes encore loin de Caemlyn. En attendant, essayons de savoir combien il nous en coûtera pour passer une nuit au chaud.

La salle commune de l’auberge se révéla tout aussi bondée que les rues. Quand Mat eut formulé sa demande, le patron éclata de rire.

— Les gens dorment à quatre par lit, minimum… Si ma propre mère arrivait, je ne pourrais pas lui proposer une couverture au coin du feu.

— Comme vous l’avez sans doute remarqué, dit Thom en amplifiant sa voix, je suis un trouvère. Si je divertis vos clients, vous me trouverez bien une paillasse dans un coin, je parie ?

L’aubergiste rit de plus belle.

Tandis que Mat le tirait vers la sortie, Thom reprit sa voix normale et marmonna :

— Tu ne m’as pas laissé l’occasion de demander s’il avait de la place dans ses écuries…

— Depuis mon départ de Champ d’Emond, j’ai fréquenté assez d’écuries et de granges pour le reste de mes jours. Idem en ce qui concerne les buissons. Je veux dormir dans un lit !

Mais dans les quatre auberges suivantes, la réponse fut la même. Les deux derniers aubergistes faillirent même éjecter Mat à coups de pied dans les fesses lorsqu’il leur proposa de jouer une chambre aux dés. Lorsque le cinquième déclara qu’il n’aurait pas pu offrir une paillasse à la reine en personne – et ce dans un établissement baptisé La Bonne Souveraine – le jeune homme se résigna enfin à demander :

— Et vos écuries, dans ce cas ? Combien pour un coin tranquille dans la paille ?

— Je réserve mes écuries aux chevaux, même s’il n’en reste pas beaucoup en ville.

L’homme cessa d’astiquer une coupe en argent, ouvrit la porte d’un placard posé sur un grand coffre à tiroir et rangea le récipient à côté de tout un service dont pas un seul élément n’était assorti aux autres. Un godet à dés en cuir ouvragé était posé sur le rebord du coffre, juste devant une des portes.

— Je n’y admets pas de gens qui risqueraient d’effrayer les bêtes ou de détaler avec. Les clients qui me paient pour que je prenne soin de leur monture s’attendent à ce qu’elle soit bien traitée. De plus, deux des pensionnaires m’appartiennent… Alors, n’escomptez pas dormir dans mes écuries !

Mat regarda le godet d’un air songeur, puis il sortit de sa poche une couronne d’or andorienne et la posa sur le coffre. Il ajouta une pièce d’argent de Tar Valon, sa sœur en or et une couronne d’or de Tear.

L’aubergiste regarda cette petite fortune en se léchant les babines. Après avoir ajouté deux couronnes d’argent de l’Illian et une autre d’Andor, Mat défia un moment le type du regard, puis il tendit la main, comme s’il voulait récupérer son argent. Le commerçant fut bien plus rapide que lui.

— Deux gentilshommes ne dérangeraient peut-être pas tant que ça nos amis à quatre pattes…

— Puisque nous parlons d’équidés, combien pour les deux vôtres, mon brave ? Avec toute la sellerie, bien entendu.

— Mes chevaux ne sont pas à vendre, dit l’aubergiste en serrant les pièces contre son cœur.

Mat s’empara du godet et fit tinter les uns contre les autres les dés qu’il contenait.

— Deux fois le prix de la nuit pour les chevaux et la sellerie… (Il secoua sa poche histoire de montrer qu’il avait de quoi couvrir les enjeux.) Je lance une fois et vous deux, et vous gardez votre meilleur résultat.

La cupidité qui fit briller le regard du commerçant manqua arracher un sourire au jeune homme de Champ d’Emond…


Lorsqu’il entra dans les écuries, un peu plus tard, Mat commença par inspecter les stalles à la recherche de deux hongres bruns. Des canassons parfaitement ordinaires, constata-t-il, mais qui lui appartenaient, à présent. S’ils avaient un besoin urgent d’être étrillés, ils semblaient en assez bon état, surtout quand on songeait que tous les garçons d’écurie, sauf un, avaient fichu le camp. L’aubergiste ne s’était pas alarmé d’apprendre qu’ils ne parvenaient plus à vivre avec le salaire qu’il leur versait. Dans la même eau, il jugeait indécent que son dernier employé, épuisé après avoir assumé le travail de trois hommes, ait décidé de rentrer dormir chez lui.

— Un quintuple « six », rien que ça…, marmonna Thom dans le dos de Mat.

Les regards dégoûtés qu’il jetait sur les lieux semblaient un peu déplacés, étant donné qu’il s’agissait à l’origine de sa suggestion. La propreté laissait à désirer, ça ne faisait aucun doute, et les cordes qui servaient à haler les ballots de paille pendaient des poulies comme des lianes dans la forêt.

— Quand il a tiré quatre « six » et un « cinq », la seconde fois, l’aubergiste était sûr d’avoir gagné, et je partageais son avis. Ces derniers temps, tu ne gagnes plus à chaque coup…

— Oui, mais ça reste suffisant…

En fait, Mat était plutôt rassuré de perdre de temps en temps. Avoir de la chance, oui, mais quand même… Le seul souvenir de cette nuit hors du commun le faisait frissonner. Pourtant, un bref instant, avant de lancer les dés, il avait eu comme un doute sur le résultat. Mais c’était absurde, parce qu’il ne perdait jamais quand l’enjeu était vraiment important.

Au moment où il propulsait son bâton dans le grenier à paille, le tonnerre gronda, annonçant un orage.

En gravissant l’échelle, Mat se tourna vers son compagnon :

— C’était une très bonne idée… Cette nuit, tu te réjouiras d’être à l’abri de la pluie.

La plupart des ballots, pas encore défaits, étaient rangés contre le mur du fond, mais Mat trouva assez de paille sur le sol pour se confectionner une couche douillette, sa cape servant de couverture. Dès qu’il eut rejoint son jeune ami, Thom sortit de son sac deux miches de pain et un gros morceau de fromage persillé. L’aubergiste, nommé Jeral Florry, avait cédé cette nourriture aux deux voyageurs pour ce qui aurait été le prix d’un cheval, en des temps moins troublés. Alors que la pluie commençait à marteler le toit, Mat et Thom se restaurèrent. Un bien triste repas – et arrosé d’eau, car Florry n’aurait pas pu leur fournir du vin pour tout l’or du monde. Après ce dîner, Thom sortit sa pipe de sa poche, tapota le tabac qui emplissait le fourneau, l’embrasa et se plaça confortablement pour profiter de ce moment de détente.

Étendu sur le dos, Mat contempla le plafond déjà noyé dans les ombres en se demandant si la pluie consentirait à s’arrêter au matin. Pressé de se débarrasser de la maudite lettre, il espérait que rien ne le retarderait.

Soudain, il entendit quelque chose grincer en bas. Comme l’axe d’une roue… Roulant jusqu’au bord du grenier, il tenta de voir ce qui se passait.

Dans la pénombre, il vit une femme lâcher le bras de la charrette qu’elle avait tirée à l’abri, puis retirer sa cape et marmonner tout en essayant de l’essorer au maximum. Les cheveux tressés, l’inconnue portait une robe de soie – verte, aurait-on dit – joliment brodée sur la poitrine. Naguère de très bonne qualité, le vêtement était à présent froissé et taché. Épuisée, la femme se massa le creux des reins tout en parlant à voix basse – pour elle-même, à l’évidence – puis elle alla se camper sur le seuil du bâtiment pour sonder la nuit à travers le rideau de pluie. Ensuite, elle se pencha, manipula des objets invisibles… et alluma la lanterne qu’elle tenait dans une main. Regardant autour d’elle, elle trouva un crochet à sa convenance, y suspendit la lanterne et alla fouiller sous la bâche de toile goudronnée qui protégeait la cargaison de la charrette.

— Elle s’est précipitée, marmonna Thom. En utilisant comme ça son silex et son morceau de fer, elle aurait pu flanquer le feu au bâtiment.

La femme sortit de sous la bâche un croûton de pain qu’elle entreprit de dévorer, si dur et si rassis qu’il parût.

— Il nous reste un peu de fromage ? murmura Mat.

Thom secoua la tête.

L’inconnue commença à humer l’air – sans doute parce qu’elle sentait le tabac du trouvère, comprit Mat. Il allait se relever et annoncer leur présence quand un des battants de la porte se rouvrit.

La femme se ramassa sur elle-même, prête à s’enfuir, lorsque quatre hommes entrèrent, enlevant leur cape trempée pour révéler des vestes claires aux manches larges et à la poitrine ornée de broderies. Avec leur pantalon à galon, ils auraient pu passer pour un rien grotesques, mais leurs larges épaules et leur expression sinistre ne donnaient pas envie de sourire.

— Ainsi, Aludra, dit un type en veste jaune, tu n’as pas couru aussi vite et aussi loin que tu le pensais ?

L’homme avait un étrange accent, du moins selon l’oreille de Mat.

— Tammuz…, soupira la femme comme si ce nom était un juron. Il ne t’a pas suffi de me faire renvoyer de la guilde, voilà que tu me traques, à présent ?

L’homme éclata de rire.

— Tu es une imbécile heureuse, Aludra, mais ça, je l’ai toujours su ! Si tu étais partie, tout simplement, tu aurais pu mener une longue et heureuse existence. Mais tu n’as pas pu oublier tous ces secrets, pas vrai ? Croyais-tu nous cacher longtemps que tu gagnais ta vie en piétinant les plates-bandes de la guilde ? (Un couteau apparut dans la main de Tammuz.) T’égorger sera un plaisir pour moi, Aludra.

Mat s’aperçut qu’il s’était levé lorsqu’il referma les mains sur une des cordes de halage, juste avant de sauter du grenier comme un diable qui jaillit de sa boîte.

Quelle triple buse de crétin je suis !

Sur cette forte pensée, il fondit sur les quatre types, les renversant comme des quilles au gré de ses oscillations au bout de la corde. Celle-ci lui glissant des mains, il finit par tomber, des pièces d’or et d’argent volant hors de sa poche, et atterrit juste devant une stalle. Alors qu’il se relevait, il constata que ses adversaires faisaient de même. Et tous brandissaient un couteau, à présent…

Crétin fini ! Tête de pioche d’idiot ! Que la Lumière me consume !

— Mat !

Le jeune homme leva les yeux juste à temps pour voir Thom lui lancer son bâton. Le rattrapant au vol, il fit sauter le couteau de Tammuz de sa main d’assassin, puis le frappa à la tempe, le mettant hors d’état de nuire. Mais les trois autres tueurs restaient d’attaque. Pendant un long moment, le jeune homme dut se contenter de les tenir à distance, leur taquinant les genoux, les poignets et les chevilles sans jamais leur porter un coup décisif.

Puis ils fatiguèrent, et les coups de bâton se firent plus précis. Un tueur assommé. Un autre… Le troisième enfin…

Quand il en eut terminé, Mat se tourna vers la femme et la foudroya du regard.

— Tu n’aurais pas pu venir te faire assassiner ailleurs ?

L’inconnue rengaina la dague qu’elle avait tirée au clair pour se défendre.

— Je t’aurais bien aidé, dit-elle, mais j’ai eu peur que tu me confondes avec l’un de ces bouffons, et que tu m’assommes pour le compte. Si j’ai choisi ces lieux, c’est parce que la pluie mouille, figure-toi, et qu’il n’y avait personne pour m’empêcher d’entrer.

Plus âgée qu’il l’avait d’abord cru – entre dix et quinze ans de plus que lui –, l’inconnue restait très jolie avec ses grands yeux noirs et sa bouche sensuelle qui semblait sur le point de faire la moue.

Ou de se préparer à un baiser…

Mat eut un rire nonchalant et s’appuya à son bâton.

— Bon, ce qui est fait est fait… J’imagine que tu ne cherchais pas à nous attirer des ennuis…

Assez maladroitement, à cause de sa jambe, Thom finissait de descendre l’échelle, attirant le regard de la femme. Très attentif à toujours paraître pour ce qu’il était, il avait remis sa cape à carreaux.

— C’est comme dans les légendes ! s’exclama Aludra. Je suis secourue par un trouvère et un jeune héros qui m’ont arrachée aux griffes de quatre maudits fils de truie !

— Pourquoi voulaient-ils te tuer ? demanda Mat. Le type a parlé de « secrets »…

— Sauf si je me trompe, intervint Thom, il s’agit des secrets de fabrication des feux d’artifice. Tu es une Illuminatrice, n’est-ce pas ? (Il fit une des révérences dont il avait le secret.) Je suis Thom Merrilin, trouvère de son état, comme tu peux le voir.

Comme s’il avait failli oublier, il ajouta :

— Et je te présente Mat, un jeune gars très doué pour se fourrer dans les ennuis.

— J’étais bien une Illuminatrice, confia Aludra, mais ce porc de Tammuz a saboté un spectacle commandé par le roi du Cairhien, et il a failli détruire notre complexe capitulaire. Mais comme j’étais sa supérieure, c’est moi que la guilde a punie.

Elle changea de ton, passant à la plaidoirie :

— Je n’ai jamais trahi les secrets de la guilde, Tammuz est un menteur ! Mais je ne crèverai pas sans un sou alors que je sais fabriquer des fusées de feu d’artifice. Puisqu’on m’a expulsée de la guilde, son règlement intérieur ne me concerne plus, pas vrai ?

— Galldrian…, souffla Thom, presque aussi tendu qu’Aludra. C’est un roi défunt, à présent, et qui ne verra plus jamais de feu d’artifice…

— La guilde me rendrait presque responsable de la guerre civile, au Cairhien, comme si cette nuit désastreuse avait provoqué la mort du roi…

Thom fit une étrange grimace.

— Quoi qu’il en soit, continua Aludra, je ne peux plus rester ici… Tammuz et les autres gorilles se réveilleront bientôt. Et cette fois, ils m’accuseront peut-être auprès des soldats d’avoir volé ce que j’ai en réalité fabriqué…

Elle regarda Thom et Mat, réfléchit et sembla parvenir assez vite à une décision.

— Il faut que je vous récompense, mais je n’ai pas d’argent… Cela dit, certaines choses ont plus de valeur que l’or… Nous verrons bien ce que vous en penserez.

Alors qu’Aludra allait fouiller sous sa bâche, Mat consulta Thom du regard.

J’aide les gens qui ont les moyens de payer…

Le trouvère semblait attendre la suite avec une joyeuse anticipation.

Aludra sortit de sous la bâche un paquet oblong environ du diamètre de son bras. Le posant sur la paille, elle dénoua la corde qui le tenait fermé, puis écarta le tissu pour dévoiler quatre rangées de poches superposées de tailles croissantes. Dans chacune était glissé un cylindre de papier enduit de cire juste assez large pour son diamètre et au bout duquel pendait une mèche noire.

— Des fusées…, murmura Thom. Je sais ce que c’est… Aludra, tu ne dois pas t’en défaire… En les vendant, tu auras de quoi te loger et manger dix jours d’affilée dans une auberge luxueuse. Enfin, dans un endroit normal, je ne parle pas d’Aringill…

S’agenouillant près du présentoir à fusées, Aludra défia Thom du regard.

— Tu vas te taire, espèce de vieil idiot ? (Bizarrement, l’expression, dans sa bouche, n’avait rien d’insultant.) Je n’aurais pas le droit de vous témoigner ma gratitude ? Tu crois que je vous offrirais ces fusées si je n’en avais pas d’autres dans ma charrette ? Maintenant, ouvrez bien vos yeux et vos oreilles.

Mat s’agenouilla à côté de l’Illuminatrice déchue. Dans sa vie, il avait vu deux fois des fusées de ce genre. À prix d’or, pour les chiches finances du Conseil, des colporteurs les avaient apportées à Champ d’Emond. À dix ans, il avait tenté d’ouvrir une fusée, et déclenché un cataclysme. Bran al’Vere lui avait flanqué une trempe, et Doral Barran, la Sage-Dame de l’époque, lui avait fait tâter de la badine. Pour couronner le tout, son père lui avait donné le fouet, une fois de retour à la maison. Un mois durant, pas un villageois ne lui avait adressé la parole – à part Rand et Perrin, bien sûr, mais essentiellement pour le traiter d’abruti congénital.

Fasciné, le jeune homme tendit une main vers les fusées… et récolta une tape d’Aludra.

— D’abord, vous écoutez et vous regardez, ai-je dit ! Les plus petites fusées, celles de la taille de ton petit doigt, Mat, feront un boucan d’enfer, mais rien de plus. La taille du dessus produit pas mal de bruit et une lumière très brillante. La catégorie suivante génère du bruit, de la lumière et des étincelles. La dernière, ces fusées plus grosses que ton pouce, donne le même résultat, mais avec des étincelles de couleurs. Comme une rosace nocturne, mais pas dans le ciel…

Une rosace nocturne ? répéta mentalement Mat.

— Il faut être très prudent avec ces modèles-ci… Le cordon est très long.

Voyant l’air perplexe du jeune homme, Aludra précisa :

— La mèche ! Ce truc noir, là !

— Le machin qu’on enflamme, c’est ça ?

Thom ricana et se lissa la moustache pour dissimuler un fin sourire.

— Le machin qu’on enflamme, oui… Une fois que c’est fait, il ne faut jamais traîner dans le coin, mais avec les plus grosses fusées, on doit décamper dès que la mèche est allumée. C’est compris ?

Aludra referma le présentoir.

— Vous pouvez vendre ces fusées, ou les utiliser, comme il vous plaira. Mais souvenez-vous de ne jamais les entreposer près d’un feu. Elles exploseraient, et si elles sautent en même temps, il y a de quoi détruire une maison. (Aludra fit mine de renouer la corde, mais elle se ravisa.) Une dernière chose, très importante : ne tentez jamais de les ouvrir pour voir ce qu’il y a dedans, comme le font certains idiots du village. Exposé à l’air, le contenu de ces fusées explose parfois sans avoir besoin d’une flamme. On peut y perdre des doigts, voire toute une main…

— C’est ce que j’ai entendu dire…, lâcha Mat.

Aludra le regarda, se demandant s’il était assez stupide pour essayer quand même. Puis elle noua la corde et lui tendit sa récompense.

— Voilà… Maintenant, je dois filer avant que ces fils de chèvre se réveillent.

Aludra jeta un coup d’œil dehors, vit qu’il pleuvait toujours et soupira.

— Avec un peu de chance, je trouverai un autre refuge sec… Demain, je me mettrai en route pour Lugard. En principe, ces chiens penseront que je vais à Caemlyn, non ?

Lugard était encore plus loin que Caemlyn, songea Mat en pensant au misérable croûton de pain. Et Aludra n’avait pas d’argent, elle l’avait précisé. Sa marchandise lui permettrait d’acheter à manger, mais pour ça, il fallait que quelqu’un la lui paie… Elle n’avait même pas jeté un coup d’œil aux pièces tombées de la poche de Mat. Pourtant, dans la paille, elles étaient bien visibles.

Au nom de la Lumière ! je ne peux pas la laisser crever de faim…

Il ramassa le plus de pièces possible dans le bref laps de temps que lui laissait Aludra.

— Tu sais, j’en ai plus qu’il m’en faut… Alors, si tu veux celles-là… De toute façon, je peux en gagner d’autres.

La jeune femme s’immobilisa, la cape à demi sur ses épaules, puis sourit à Thom et finit de s’équiper.

— Il est bien jeune, pas vrai ?

— Oui, et la moitié moins méchant qu’il aimerait le croire… Parfois, il ne l’est même pas du tout.

Mat foudroya les deux « vieux » du regard et baissa les mains.

Saisissant le bras de sa charrette, Aludra l’orienta vers la porte et avança – non sans flanquer au passage un bon coup de pied dans les côtes de Tammuz, qui grogna dans son coma.

— Aludra, j’aimerais te poser une question, dit Thom. Comment as-tu fait à allumer si vite la lanterne dans le noir ?

L’Illuminatrice déchue s’arrêta sur le seuil du bâtiment et se retourna.

— Tu voudrais que je te révèle mes secrets ? Je vous suis reconnaissante, mais je ne meurs pas d’amour pour vous, messires ! La guilde elle-même ignore ce secret, car c’est une découverte qui n’appartient qu’à moi. Mais je vous dirai quand même ceci : quand elles fonctionneront exactement comme je le veux – et au moment où je le veux – mes allumettes feront ma fortune, vous pouvez en être sûrs.

Poussant de toutes ses forces, Aludra s’enfonça dans la nuit avec sa charrette.

— Ses allumettes ? répéta Mat.

Si sympathique qu’elle fût, Aludra n’avait peut-être pas toute sa tête…

Tammuz grogna de nouveau, et cette fois, personne ne lui avait taquiné les côtes.

— Nous ferions mieux de filer aussi, suggéra Thom. Sinon, il faudra nous résoudre à trancher quatre gorges – au risque de devoir nous en expliquer devant les Gardes de la Reine, si les choses tournent mal. Ces types sont du genre rancunier, et ils ont quelques raisons de nous en vouloir, si on veut être objectifs…

Un des compagnons de Tammuz s’agita comme s’il revenait à lui et murmura quelques propos incompréhensibles.

Le temps que les deux amis aient réuni leurs affaires et sellé les chevaux, Tammuz s’était relevé à quatre pattes et ses compagnons menaçaient de l’imiter.

Sautant sur sa monture, Mat regarda la pluie, de plus en plus drue.

— Héros à la manque ! maugréa-t-il. Thom, si tu me revois faire ce genre d’âneries, botte-moi les fesses, je t’en prie !

— Qu’est-ce que ça aurait changé ?

Mat jeta un regard noir à son compagnon, puis il releva la capuche de sa cape, s’arrangeant pour que le vêtement lui-même recouvre le précieux paquet attaché derrière sa selle. Même si le tissu était goudronné, une protection supplémentaire contre l’eau ne pouvait pas faire de mal.

— Botte-moi les fesses, c’est tout ce que je te demande !

Talonnant sa monture, le jeune homme de Champ d’Edmond s’enfonça à son tour dans la nuit.

Загрузка...