5 Hay Problemas

Les rêves du messager sont faits de métal brûlant, d’ombres qui courent dans tous les sens en criant, de montagnes couleur béton. Ils enterrent les orphelins sur un versant de colline. Cercueils en plastique bleu pâle. Nuages dans le ciel. Le prêtre a un chapeau tout en hauteur. Ils ne voient pas le premier obus qui vient des montagnes de béton. Il fait un trou dans tout le paysage : le versant de colline, le ciel, un cercueil bleu, le visage de la femme.

Un bruit trop vaste pour être vraiment un bruit. Mais par-dessus lui, ils entendent quand même, arrivant seulement maintenant, la pétarade festive des mortiers, et voient les petits nuages de fumée proprette qui s’élèvent des flancs gris clair de la montagne.

Il se dresse soudain seul dans le grand lit, et veut hurler, avec des mots tirés d’un langage qu’il ne s’autorise plus à parler.

Il a des élancements dans la tête. Il boit de l’eau plate à même le broc en inox posé sur la tablette. Les murs tournent, se brouillent, redeviennent nets. Il se force à se lever et marche tout nu, jusqu’à la haute fenêtre à l’ancienne. Il écarte les lourdes tentures. San Francisco. L’aube a la couleur de l’argent terni. C’est mardi. Et ce n’est pas Mexico.

Dans la salle de bains immense, plissant les yeux dans la lumière trop crue, il s’asperge le visage d’eau froide. Le rêve s’est éloigné, mais laisse un résidu. Il frissonne. Le carrelage froid est déplaisant sous ses pieds nus. Les putes, à la fête. Ce Harwood. Complètement décadent. Le messager désapprouve ce qui est décadent. Son travail le met en contact avec de vrais riches, le vrai pouvoir. Il rencontre des gens qui ont de la substance. Harwood est un riche sans substance.

Il éteint la lumière de la salle de bains et retourne sur la pointe des pieds dans son lit, sans trop bouger la tête à cause de sa migraine.

Le duvet rayé remonté jusqu’au menton, il essaie de faire de l’ordre dans les événements de la veille. Il y a des trous. Il s’est laissé aller. Il désapprouve ceux qui se laissent aller. La fête chez Harwood. La voix au téléphone, qui lui demande d’y aller. Il a déjà plusieurs verres dans le nez. Il voit le visage d’une jeune femme. Colère. Mépris. Ses cheveux courts sont taillés en pointes.

Ses yeux lui donnent l’impression d’être trop grands pour leurs orbites. Quand il les frotte, de grands éclairs malsains l’entourent. L’eau froide qu’il a bue lui donne la sensation d’une pierre dans l’estomac.

Il se souvient d’avoir été assis derrière le grand bureau d’acajou, un verre à la main. C’était avant le coup de téléphone, avant la fiesta. Il y a deux étuis ouverts devant lui, identiques. Le premier, c’est celui où il la range. Le deuxième, c’est pour ce qui lui a été confié. Tout cela représente beaucoup d’argent, mais il ne doute pas que les informations à l’intérieur soient particulièrement précieuses. Il replie les petits oculaires en graphite et ferme l’étui d’une pression des doigts. Puis il pose la main sur l’autre étui, celui qui contient tous les mystères et tous les soulagements qu’elle lui offre, avec la maison blanche sur la colline. Il glisse l’étui dans la poche de son veston…

Il se tend soudain sous le duvet, l’estomac en proie à un spasme d’anxiété.

Il portait ce veston à la fiesta dont il a presque tout oublié par ailleurs.

Ignorant les battements dans sa tête, il se relève en agrippant fébrilement la tablette du lit et trouve le veston en boule par terre au pied d’une chaise.

Son cœur bat trop fort.

Là, le paquet qu’il doit livrer. Dans la poche intérieure à fermeture Éclair. Mais les poches extérieures sont vides.

Elle a disparu.

Il fouille ses autres vêtements. À quatre pattes sur le carrelage, une pulsation de douleur derrière les yeux. Il regarde sous la chaise. Rien.

Elle peut être remplacée, elle, au moins, se dit-il, à genoux, le veston entre les mains. Il trouvera un vendeur spécialisé dans ce genre de programme. Depuis peu, il le reconnaît maintenant, elle commençait à perdre de la résolution.

Tout en se faisant ces réflexions, il regarde ses mains qui défont la fermeture Éclair de la poche intérieure et sortent l’étui dont il a la charge temporaire et dont il doit assurer la livraison. Il l’ouvre.

Les rectangles noirs de plastique élimé. L’étiquette sur la cassette, effacée, illisible. La transparence jaunie des perles audio.

Il entend un son faible, dans l’aigu, qui sort du fond de sa gorge. Comme lorsque le premier obus est arrivé, il y a des années.

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