24

Nausée et douleur. Mark gémit.

— Tu vas lui donner de la synergine ? s’étonna une voix. J’pensais pas que le baron voulait qu’on le ménage.

— C’est toi qui vas nettoyer s’il vomit ? marmonna une autre voix.

— Ah…

— Le baron fera ce qu’il voudra. Il a juste spécifié qu’il le voulait vivant. Il l’est.

Un hypospray siffla.

— Pauvre gars, dit la première voix, pensive.

Grâce à la synergine, Mark se remit des effets du neutralisateur. Il ignorait combien de temps et d’espace le séparaient de la clinique Durona. Ils avaient changé au moins trois fois de véhicules depuis qu’il avait repris conscience, une fois pour un engin plus grand et plus rapide qu’un aérocar. Ils s’étaient arrêtés quelque part pour passer tous dans une chambre de décontamination. Les soldats qui l’avaient amené disparurent et il fut confié à la garde de deux autres hommes. Des bonshommes solides au visage plat en pantalon noir et tunique rouge.

Les couleurs de la maison Ryoval. Oh.

Ils l’avaient allongé face contre terre, pieds et poings liés, à l’arrière d’une vedette. Les nuages gris, noircissant dans le crépuscule ne lui donnaient aucune indication sur la direction qu’ils suivaient.

Miles est vivant. Il en était tellement soulagé qu’il en riait d’exaltation même avec le visage écrasé sur le plastique poisseux. Il avait été tellement heureux de voir cette petite crapule maigrelette ! Debout et en vie. Il en aurait pleuré. Ce qu’il avait fait était défait. Il pouvait vraiment être lord Mark à présent. Tous mes péchés sont effacés.

Presque. Il pria le Ciel pour que ce docteur Durona ait dit la vérité à propos de sa convalescence. Miles avait un regard effrayant. Et il n’avait pas reconnu Quinn. La pauvre avait failli en mourir. Tu vas guérir. On va te ramener à la maison et tu iras mieux. Il allait ramener Miles chez lui et tout irait à nouveau pour le mieux et même mieux que ça. Ça allait être merveilleux.

Dès que cet idiot de Ryoval comprendrait son erreur. Mark était prêt à l’étriper pour avoir gâché sa réunion de famille. La SecImp s’occupera de lui.

Ils pénétrèrent dans un garage souterrain sans qu’il puisse apercevoir quoi que ce soit. Les deux gardes le posèrent brutalement sur ses pieds, dénouèrent les liens de ses chevilles. Il avait des fourmis dans les jambes. Ils passèrent dans une chambre de surveillance électronique, après quoi on lui enleva ses vêtements. Ils le conduisirent à travers… l’endroit. Ce n’était pas une prison. Ce n’était pas non plus un des fameux bordels de la maison Ryoval. L’air transportait une odeur déplaisante vaguement médicale. Les installations étaient beaucoup trop utilitaires pour convenir à ces blocs opératoires où ils effectuaient de la sculpture corporelle à la demande. Elles étaient beaucoup trop secrètes et protégées : ce n’était pas ici qu’on venait commander des esclaves, qu’on transformait des êtres humains en choses inhumaines, impossibles. Ce n’était pas très grand. Il n’y avait pas de fenêtres. Un sous-sol ? Où suis-je, bon Dieu ?

Il ne paniquerait pas. Pour s’amuser, il imagina ce que Ryoval ferait à ses soldats en découvrant qu’ils avaient enlevé le mauvais jumeau. Il joua avec l’idée de cacher son identité un moment si Ryoval ne se rendait pas immédiatement compte de son erreur en le voyant. Histoire de donner à Miles et aux Dendariis un peu d’avance. Ils n’avaient pas été pris. Ils étaient libres. Je l’ai trouvé ! Ils allaient venir le chercher. Et sinon eux, la SecImp. La SecImp ne devait pas avoir plus d’une semaine de retard sur lui. Et elle allait le combler très vite. J’ai gagné, bon sang, j’ai gagné !

Un étrange mélange d’exaltation et de terreur lui tournait la tête. Elle tournait encore quand on le livra à Ryoval. Cela se passa dans un bureau luxueux, en fait un appartement. Le baron séjournait sans doute ici parfois : il aperçut un salon de l’autre côté d’une double porte ouverte. Mark n’eut aucun mal à reconnaître Ryoval. Il l’avait vu sur les enregistrements faits au cours de la première mission de l’Ariel : une conversation où il avait promis à l’amiral Naismith d’accrocher sa tête au mur. Chez tout autre, cela aurait pu passer pour une hyperbole mais Mark avait la désagréable sensation que c’était très précisément ce que Ryoval avait voulu dire. Le baron était à moitié assis sur sa comconsole. Sa chevelure noire et brillante était coiffée en bandes compliquées. Le nez était fort et la peau lisse. Jeune et solide pour un centenaire.

Il est dans un clone. Mark eut un sourire torve. Il espérait que Ryoval ne confondrait pas ses tremblements dus à la décharge reçue en pleine tête avec de la peur.

Les gardes l’attachèrent sur une chaise en lui bloquant les poignets dans deux bandes métalliques.

— Attendez dehors, leur ordonna le baron. Ce ne sera pas long.

Ils sortirent.

Les mains de Ryoval tremblaient légèrement. Une pellicule de sueur recouvrait son visage bronzé. Quand il se décida à regarder Mark, ses yeux luisaient : c’était le regard d’un homme dont les visions lui emplissaient tellement le crâne qu’il ne voyait plus la réalité. Enragé, Mark s’en foutait. Bouffeur de clone !

— Amiral, commença joyeusement Ryoval, je vous avais promis que nous nous rencontrerions à nouveau. C’était inévitable, fatal, devrais-je dire. (Il l’examina de la tête aux pieds et haussa un sourcil.) Vous avez pris du poids, en quatre ans.

— J’ai bien vécu, ricana Mark, mal à l’aise de se voir ainsi rappeler sa nudité.

Malgré sa haine de l’uniforme dendarii, celui-ci lui allait plutôt bien. Quinn l’avait personnellement retaillé pour cette mascarade et il aurait bien aimé le récupérer. C’était sans doute ce qui avait trompé ses kidnappeurs au moment de ce fol accès d’héroïsme.

— Je suis si content que vous soyez vivant. Au début, j’ai souhaité votre mort dans l’un de vos petits combats. Après réflexion, j’ai commencé à prier pour que vous surviviez. J’ai eu quatre ans pour préparer cette rencontre, réfléchir et élaborer. Je n’aurais pas aimé que vous la manquiez.

Ryoval ne se rendait pas compte qu’il n’était pas Naismith. En fait, Ryoval ne le voyait pas. Il semblait regarder à travers lui. Le baron se mit à faire les cent pas, déversant ses plans comme un amant nerveux, des plans de vengeance très compliqués qui allaient de l’obscène à l’impossible en passant par l’irrationnel.

Ça aurait pu être pire : Ryoval aurait pu faire ses menaces à un petit amnésique maigre et hébété qui ne savait même pas son propre nom, qui ignorait tout des raisons pour lesquelles on lui infligeait ce traitement. L’idée rendit Mark malade. Ouais. Mieux vaut moi que lui, pour l’instant. Sans blague.

Il cherche à te terroriser. Ce ne sont que des mots. Qu’avait dit le comte ? Ne laisse pas l’ennemi prendre le dessus avant, dans ta tête…

Merde, Ryoval n’était même pas son ennemi. Tous ces sinistres scénarios avaient été taillés sur mesure pour Miles. Non, même pas pour Miles. Pour l’amiral Naismith, un homme qui n’existait pas. Ryoval pourchassait un fantôme, une chimère.

Interrompant sa tirade, Ryoval s’immobilisa devant lui. Curieusement, il toucha le corps de Mark d’une main moite, ses doigts suivant avec précision le contour des muscles sous la couche de graisse.

— Savez-vous, soupira-t-il, que j’avais prévu de vous affamer. Mais j’ai changé d’avis. Je crois que je vais vous gaver au contraire. Le résultat risque d’être encore plus amusant.

Pour la première fois, Mark frissonna de malaise. Ryoval le sentit sous ses doigts et ricana. Cet homme avait un instinct terrifiant pour deviner ses proies. Mieux valait lui rappeler sa chimère. Mieux valait foutre le camp d’ici.

Il prit une aspiration.

— Désolé de vous interrompre, baron, mais j’ai une mauvaise nouvelle pour vous.

— Vous ai-je demandé de parler ? (Les doigts de Ryoval remontèrent pour lui pincer la joue.) Ceci n’est pas un interrogatoire. Ni une inquisition. Votre confession ne vous apportera rien. Même pas la mort.

C’était cette maudite hyperactivité contagieuse. Même les ennemis de Miles l’attrapaient.

— Je ne suis pas l’amiral Naismith. Je suis le clone fabriqué par Bharaputra. Vos sbires se sont trompés de type.

Ryoval se contenta de sourire.

— Bien essayé, amiral. Mais nous surveillions le clone bharaputran à la clinique Durona depuis plusieurs jours. Je savais que vous viendriez le chercher. Il ne pouvait en être autrement après ce que vous aviez fait pour lui la première fois. Je ne comprends pas la passion qu’il vous inspire… étiez-vous amants ? Vous seriez surpris de savoir le nombre de gens qui se font faire des clones pour cela.

Quand Quinn avait juré que personne ne les avait suivis, elle avait eu raison. Ryoval ne les avait pas suivis. Il les avait attendus. Génial. C’étaient ses actes, pas ses paroles ou son uniforme qui l’avaient convaincu qu’il se trouvait bien en présence de Naismith.

Ryoval haussa les épaules.

— Mais je l’aurai, lui aussi. Très bientôt.

Oh non, tu ne l’auras pas.

— Baron, je suis vraiment l’autre clone. Vous pouvez vous en assurer. Faites-moi examiner.

Ryoval gloussa.

— Que suggérez-vous ? Un scanner d’A. D. N. ? Même les Durona ne pourraient faire la différence. (Un soupir lourd.) Il y a tant de choses que je désire vous faire que je ne sais même pas par où commencer. Je dois y aller lentement. Et dans un ordre logique. Inutile de torturer un bras si on vous l’a déjà coupé. Je me demande combien d’années je parviendrai à vous faire durer. Une décennie ? Deux ? Trois ?

Mark perdait sa maîtrise de soi.

Je ne suis pas Naismith, dit-il d’une voix haut perchée.

Ironique, Ryoval lui attrapa le menton.

— Alors, je vais m’entraîner sur toi. Un coup d’essai. Après, ce sera le tour de Naismith. Il en profitera mieux.

Après ? Tu vas avoir une drôle de surprise, mon gars. La SecImp n’aura aucune hésitation, aucun scrupule – même au regard des normes jacksoniennes – à disséquer la maison Ryoval.

Pour sauver Miles.

Mais il n’était pas Miles.

Il réfléchit avec angoisse à cela tandis que les gardes, rappelés par Ryoval, revenaient.


Le premier passage à tabac fut assez déplaisant. Pas tant la douleur. C’étaient surtout la douleur sans espoir d’y échapper, la peur sans relâche qui lui travaillait l’esprit, lui contractaient le corps. Ryoval observait. Mark cria sans se retenir. Pas de mâle fierté pour lui ici, merci. Cela convaincrait peut-être Ryoval qu’il n’était pas Naismith. Tout ça était fou. Pourtant, les gardes ne lui brisèrent aucun os et terminèrent l’exercice pour la forme. Ils l’abandonnèrent nu dans une pièce minuscule, un placard très froid, sans fenêtre. L’arrivée d’air se trouvait à cinq centimètres de lui. Il ne pouvait même pas y enfoncer son poing.

Il essaya de se préparer, de se blinder. De se donner de l’espoir. Le temps jouait pour lui. Ryoval était un sadique suprêmement entraîné et c’était là sa faiblesse. Au moins au début, il le garderait vivant et relativement intact. Après tout, les nerfs devaient fonctionner pour transmettre la douleur. Un esprit devait être relativement clair pour reconnaître toutes les nuances de l’agonie. Des humiliations élaborées, voilà ce qui l’attendait plutôt qu’un toboggan vers la mort. Tout ce qu’il avait à faire, c’était survivre. Après… il n’y aurait pas d’après. Selon la comtesse, la venue de Mark sur l’Ensemble de Jackson forcerait Illyan à affecter plus d’agents à ce secteur, qu’il leveuille ou non. Cela seul valait la peine que Mark fasse le déplacement même s’il ne parvenait à aucun résultat par lui-même.

Après tout, que lui étaient quelques humiliations supplémentaires ? L’immense fierté de Miles aurait pu en souffrir. Pas la sienne. Il n’avait aucune fierté. La torture, ça n’avait rien de nouveau pour lui. O Ryoval, t’as vraiment choisi le mauvais type.

Et si Ryoval avait été vraiment un fin psychologue, il aurait aussi fait enlever les amis de Miles. Afin de les tourmenter devant lui. Voilà qui aurait magnifiquement marché avec Miles. Mais, bien sûr, pas avec lui. Il n’avait pas d’amis. Tu vois, Ryoval, je suis encore pire que toi, si je veux.

Peu importait. Les amis de Miles allaient venir à son secours. D’un moment à l’autre.

D’un moment à l’autre.

Il garda ses certitudes jusqu’à l’arrivée des techniciens.


Après, ils le ramenèrent dans sa cellule sans doute pour lui laisser le temps de réfléchir. Il ne réfléchit à rien du tout pendant un bon moment. Il gisait sur le côté, respirant par à-coups faibles, à demi conscient, les bras et les jambes se contractant lentement au rythme de la douleur qui coulait en lui.

Longtemps après, quelques nuages quittèrent son champ de vision et la douleur s’atténua en partie, pour laisser la place à une rage noire. Les techs l’avaient attaché, avaient enfoncé un tube dans sa gorge et lui avaient pompé un gel écœurant hautement calorique dans le ventre. Ils y avaient ajouté un antivomitif pour l’empêcher de tout rendre plus tard et un cocktail d’agents métaboliques pour accélérer la digestion et l’assimilation. C’était bien trop complexe pour avoir été mis au point en quelques minutes. La maison Ryoval devait garder ça en stock quelque part. Et lui qui s’était imaginé s’être trouve sa petite perversion privée, qui croyait s’être déjà fait mal. Les gens de Ryoval avaient poussé le processus bien au-delà du simple jeu avec la douleur. Et cela, sous l’œil de leur maître qui était venu regarder. Et l’étudier avec un sourire de plus en plus large. Ryoval savait. Il l’avait lu dans son regard satisfait.

Ryoval l’avait dépouillé de son unique moyen de rébellion. L’unique pouvoir somatique qu’il possédait sur lui-même, qu’il contrôlait, venait de lui être arraché. Ryoval l’avait coincé, lui avait fait la peau. Il ne lui avait pas fallu longtemps pour l’atteindre au plus profond de lui-même.

On peut vous torturer toute la journée mais ce n’est rien comparé à ça : ils l’obligeaient à se torturer lui-même. La différence entre la simple torture et la réelle humiliation résidait dans la participation de la victime. Galen, dont les tourments étaient physiquement beaucoup plus supportables que tout ce que Ryoval envisageait, le savait. Galen l’avait toujours obligé à se torturer ou à croire qu’il le faisait.


Ryoval ne tarda pas à prouver qu’il n’avait rien à envier à Galen. Il administra à Mark un violent aphrodisiaque avant de le donner à ses… gardes ? Ou bien s’agissait-il d’employés d’un de ses bordels ? Il participa ainsi, le regard vitreux, à sa propre dégradation. Ça devait faire aussi un sacré spectacle sur les enregistreurs holovids qui étaient disposés, bien visibles, tout autour de lui.


Ils le ramenèrent dans sa petite cellule pour qu’il digère cette nouvelle expérience comme il avait digéré la première séance de gavage. Il lui fallut un long moment pour que le choc et l’hébétude provoquée par la drogue se dissipent. Il oscillait lentement entre une lassitude épuisée et l’horreur. C’était curieux. La drogue avait court-circuité le conditionnement de la vibro-matraque. Il avait eu une brève crise de hoquets, c’était tout. Sans cela, le spectacle aurait été beaucoup plus court et ennuyeux. Ryoval avait regardé.

Non. Ryoval avait étudié.

Le regard de cet homme devenait une véritable obsession pour lui. L’intérêt de Ryoval n’avait pas été érotique. Mark sentait que le baron ne devait plus guère éprouver d’attrait pour la banalité stéréotypée de l’acte physique – sous toutes ses formes possibles et imaginables – depuis des décennies. Ryoval l’avait examiné pour surprendre ses… réflexes ? Ses plus infimes réactions trahissant l’intérêt, la peur, le désespoir. La séance n’avait pas été programmée pour provoquer de la douleur. Celle-ci n’avait pourtant pas manqué, loin de là, mais elle était pour ainsi dire accessoire.

Ce n’est pas encore la torture, comprit soudain Mark. Tout ça, ce ne sont que les préparatifs. Ils cherchent encore la torture adéquate.

Soudain, il vit ce qui l’attendait, tout ce qui l’attendait. D’abord, Ryoval allait le conditionner à ça, l’accrocher par des doses répétées. Alors seulement, il ajouterait la douleur. Et il le clouerait ainsi, vibrant, entre douleur et plaisir ; l’obligeant à se torturer lui-même, à mendier la sombre récompense. Puis, il supprimerait la drogue et laisserait Mark, totalement accro à ce scénario, poursuivre seul. Et il le ferait. Enfin, Ryoval lui offrirait sa liberté. Et il se mettrait à pleurer et à geindre, le suppliant de le garder comme esclave. Destruction par séduction. Fin de partie. Vengeance totale.

Tu vois en moi, Ryoval, mais je vois en toi, moi aussi.


Les séances d’alimentation forcée se répétèrent régulièrement toutes les trois heures. Sans cette horloge, la seule qu’il possédait, il aurait cru que le temps s’était arrêté. Il venait à coup sûr d’entrer dans l’éternité.


Il avait toujours cru que pour écorcher vif quelqu’un il fallait un couteau aiguisé. Ou ébréché. Les techniciens de Ryoval s’y prenaient chimiquement. À l’aide d’un aérosol, ils aspergeaient avec précaution des zones bien sélectionnées de son corps. Ils portaient des gants, des masques et des vêtements de protection. Il essaya, sans succès, d’arracher un masque pour que l’un d’entre eux partage ce qu’ils lui administraient. Il maudit sa petitesse et pleura tout en voyant les bulles qui gonflaient sa peau avant d’éclater. Le produit chimique n’était pas caustique : il devait s’agir de quelque bizarre enzyme. Ses nerfs restaient horriblement intacts, exposés. Toucher n’importe quoi ou être touché devint abominable, particulièrement quand il s’asseyait ou se couchait. Il resta debout dans sa cellule-placard, passant son poids d’un pied sur l’autre, ne touchant rien, pendant des heures, jusqu’à ce que ses jambes tremblantes cèdent sous lui.


Tout arrivait si vite. Où diable étaient les autres ? Depuis combien de temps était-il ici ? Un jour ?

Bon. J’ai survécu un jour. Je peux donc survivre un autre jour. Ils ne pouvaient rien lui faire de pire. Ils ne pouvaient qu’en faire plus.

Il s’assit, oscillant, l’esprit tétanisé de douleur. Et de rage. Surtout de rage. Depuis la première séance d’alimentation forcée, cette guerre n’était plus celle de Naismith. C’était personnel maintenant, entre Ryoval et lui. Mais pas encore assez personnel. Il n’avait jamais été seul avec Ryoval. Il y avait toujours eu trop de gardes, trop de liens, trop de précautions. L’amiral Naismith était traité comme un petit con salement dangereux. Même maintenant. Ce n’était pas bon.

Il leur aurait tout dit, à propos de lord Mark, de Miles, du comte, de la comtesse et de Barrayar. Et même à propos de Kareen. Mais le gavage lui avait bloqué la bouche et l’aphrodisiaque l’avait dépouillé de son langage et les autres choses l’avaient trop obligé à hurler pour dire quoi que ce soit. Tout ça, c’était la faute de Ryoval. Il observait. Mais il n’écoutait pas.

Je voulais être lord Mark. Je voulais juste être lord Mark. Etait-ce si mal ? Il voulait toujours être lord Mark. Il avait presque réussi. Il avait senti lord Mark entrer dans sa peau. Mais on la lui avait arrachée. Il pleura pour sa peau perdue, de grosses larmes chaudes qui venaient s’écraser et le brûler justement là où elle avait disparu. Il sentait lord Mark s’éloigner, arraché à lui, enterré vivant.

Je voulais juste être humain. C’est foutu, encore une fois.

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