2

Bras dessus bras dessous, ils sortirent du tube flexible accroché aux flancs du navire de plaisance, Quinn avec son barda jeté sur l’épaule, Miles tenant un bagage à main. Dans le hall de débarquement de la station de transfert orbital, des têtes se tournèrent. Miles jeta un regard satisfait vers sa compagne tandis que tous les mâles présents la contemplaient avec envie.

Quinn semblait particulièrement en forme, et en formes, ce matin, ayant à moitié retrouvé son personnage habituel. Elle avait transformé son pantalon d’uniforme gris aux poches plaquées en accessoire de mode, en l’enfonçant dans des bottes de daim rouge (les pointes d’acier sous les orteils restaient invisibles). En haut, elle ne portait qu’un minuscule boléro écarlate. Sa peau blanche offrait un contraste saisissant avec le gilet et ses courtes boucles brunes. Ce contraste empêchait l’œil de se rendre compte de sa puissance musculaire, puissance bien réelle quand on savait le poids de ce sacré barda.

Ses yeux marron brillaient d’intelligence. Mais c’étaient les traits parfaitement sculptés de son visage qui faisaient que les hommes s’arrêtaient de parler en le voyant. Un visage dû au génie extraordinaire d’un artiste-chirurgien qui avait à l’évidence coûté très cher. Un observateur neutre pouvait deviner que ce visage avait été payé par le petit homme laid pendu à son bras et se dire que la femme aussi avait été achetée. Cet observateur neutre ne devinerait jamais le prix qu’elle avait payé : son ancien visage complètement brûlé dans un combat sur Tau Verde. Le premier combat perdu au service de l’amiral Naismith dix ans plus tôt. Dieu, déjà dix ans. L’observateur neutre était un salopard, décida Miles.

Ils venaient de rencontrer un représentant de cette espèce, un riche cadre supérieur en qui Miles avait reconnu une version blonde et civile de son cousin Ivan et qui avait passé les deux semaines de voyage entre Sergyar et Escobar à nourrir de telles incompréhensions à l’égard de Quinn qu’il avait essayé de la séduire. Miles l’apercevait à présent, chargeant ses bagages sur une palette flottante, l’air frustré et déconfit. En dehors du fait qu’il lui rappelait Ivan, Miles ne lui en voulait guère. En fait, il était presque désolé pour lui car le sens de l’humour de Quinn était aussi exécrable que ses réflexes mortels.

Du menton, il désigna l’Escobaran qui s’éloignait et murmura :

— Que lui as-tu dit finalement pour te débarrasser de lui ?

Quinn chercha l’homme du regard et éclata de rire.

— Tu vas être horriblement gêné.

— Mais non, allez, dis-le.

— Je lui ai dit que tu pouvais me porter avec ta langue. Il a dû se dire qu’il n’était pas de taille.

Miles rougit.

— Je ne l’aurais pas mené en bateau aussi longtemps, ajouta-t-elle sur un ton d’excuse, mais, au début, j’avais peur qu’il ne soit un agent quelconque.

— Et maintenant, tu es sûre qu’il ne l’est pas.

— Ouais. Dommage. Ça aurait été encore plus amusant.

— Pas pour moi. J’avais besoin de ces petites vacances.

— Oui. D’ailleurs elles t’ont fait du bien. Tu as l’air reposé.

— J’ai vraiment apprécié de voyager sous cette couverture, remarqua-t-il. Faire semblant qu’on est mariés, ça me convient parfaitement. Puisqu’on a eu notre lune de miel, pourquoi ne célébrerait-on pas le mariage qui va avec ?

— Tu n’abandonnes jamais, hein ?

Son ton restait léger mais le tressaillement de son bras sous le sien lui indiqua qu’il venait de la faire souffrir. Il se maudit en silence.

— Je suis désolé. J’avais promis de ne pas aborder ce sujet.

Elle haussa son épaule libre, ce qui eut pour résultat de séparer leurs coudes.

— Le problème c’est que tu ne veux pas faire de moi madame Naismith. Tu veux une lady Vorkosigan de Barrayar. C’est un emploi de rase-mottes. Même si j’épousais un suceur de boue, même si je me laissais enfoncer dans un puits de gravité pour ne jamais en sortir… Barrayar n’est pas le trou que je choisirais. Ceci dit sans vouloir insulter ta mère patrie.

Pourquoi pas ? Tous les autres le font.

— Tu plais à ma mère.

— Et je l’admire. Je l’ai rencontrée quatre fois, et à chaque fois, j’ai été encore plus impressionnée. Et pourtant… plus je suis impressionnée, plus je regrette le gâchis que Barrayar fait de ses talents. Elle serait surveillante générale de la Surveillance Astronomique de Beta maintenant, si elle était restée sur la Colonie Beta. Ou n’importe quoi d’autre, si elle en avait eu envie.

— Elle avait envie d’être la comtesse Vorkosigan.

— Elle avait envie de se laisser subjuguer par ton père, qui, je dois l’admettre, est un personnage fascinant. Elle se fout pas mal du reste de la caste des Vors.

Quinn s’interrompit car ils arrivaient à portée de voix des inspecteurs des douanes d’Escobar. Miles attendit à ses côtés. Ils évitaient de se regarder.

Un peu plus tard, elle reprit :

— Malgré toutes ses capacités, c’est une femme fatiguée. Barrayar l’a sucée jusqu’à la moelle. Barrayar est son cancer. Il la tue à petit feu.

Muet, Miles secoua la tête.

— Et vous aussi, lord Vorkosigan, ajouta Quinn, l’air sombre.

Cette fois-ci, ce fut au tour de Miles de tressaillir. Elle le sentit.

— J’aime les fous comme l’amiral Naismith. Par contraste, lord Vorkosigan est ennuyeux, coincé, trop respectueux de son devoir. Je t’ai vu chez toi sur Barrayar, Miles. On dirait que tu es la moitié de toi-même. Réduit, rabougri. Même ta voix est moins forte. C’est très bizarre.

— Je ne peux pas… Je dois m’adapter. Il y a à peine une génération de cela, un type avec un corps aussi étrange que le mien aurait été tué parce qu’on l’aurait pris pour un mutant. Je ne peux pas aller trop loin, trop vite. Je suis une cible trop reconnaissable.

— C’est pour cela que la Sécurité Impériale de Barrayar ne cesse de l’envoyer en mission aux quatre coins de l’espace ?

— Cela fait partie de mon apprentissage d’officier. Pour élargir mes connaissances, approfondir mon expérience.

— Et, un jour, ils te ramèneront à la maison pour t’y coincer à jamais et profiter de cette fameuse expérience à leur service. Ils vont te presser comme une éponge.

— Je suis déjà à leur service, Elli, lui rappela-t-il doucement d’une voix si grave et si sourde qu’elle dut se pencher pour l’entendre. Maintenant, avant et à jamais.

Elle détourna les yeux.

— C’est ça… et quand ils te cloueront les bottes sur Barrayar, je veux ton boulot. Je veux être l’amiral Quinn, un jour.

— Je n’ai rien contre ça.

Le boulot, oui. Il était temps que lord Vorkosigan et ses désirs personnels retournent dans leur placard. Il fallait qu’il se décide à arrêter ces conversations masochistes à propos d’un mariage avec Quinn. Quinn était Quinn. Il ne voulait pas qu’elle devienne quelqu’un d’autre… même pas pour lord Vorkosigan.

Après ce moment de déprime qu’il venait de s’infliger, l’impatience de retrouver les Dendariis lui fit hâter le pas. Ils en terminèrent très vite avec les formalités de la monstrueuse station de transfert. Quinn avait raison. Il sentait Naismith lui emplir la peau à nouveau, renaissant des profondeurs de sa psyché pour venir lui chatouiller le bout des doigts. Au revoir à l’ennuyeux lieutenant Miles Vorkosigan, agent de la Sécurité Impériale Barrayarane (et à qui on devait une promotion depuis bien longtemps) ; bonjour à l’éblouissant amiral Naismith, mercenaire de l’espace et soldat de fortune.

Ou d’infortune. Il ralentit l’allure devant une rangée de cabines de comconsoles. Il hocha la tête vers les portes-miroirs.

— Prenons d’abord des nouvelles de l’escadron rouge. S’ils sont suffisamment rétablis, j’aimerais bien descendre leur parler personnellement.

— D’accord.

Quinn laissa tomber son barda dangereusement près du pied de Miles chaussé d’une simple sandale, s’introduisit dans la plus proche cabine, inséra sa carte et tapa un numéro.

Miles posa son bagage à main, s’assit sur le barda et l’observa depuis l’extérieur de la cabine. Il se vit en tranches dans la mosaïque de miroirs de la porte levée. Le pantalon sombre et la chemise blanche qu’il portait ne donnaient guère d’indications sur sa planète d’origine mais convenaient parfaitement à sa couverture actuelle. Ils lui donnaient un air civil, détendu. Pas mal.

Il y avait eu un temps où il ne portait que des uniformes, telles des carapaces de tortue, comme pour protéger son corps vulnérable par ce signe extérieur de pouvoir. C’était une armure qui disait : Ne m’emmerdez pas. J’ai des copains. Quand avait-il cessé d’en avoir si désespérément besoin ? Il ne se le rappelait plus trop.

À ce sujet, quand avait-il cessé de haïr son corps ? Cela faisait deux ans qu’il n’avait pas été gravement blessé… depuis cette mission de sauvetage d’otages qui avait suivi cette incroyable pagaille sur Terre avec son frère. Il était parfaitement guéri depuis un bon moment déjà. Il fit fonctionner ses mains, remplies d’os en plastique : elles étaient autant les siennes que celles d’avant. En fait, elles fonctionnaient encore mieux qu’avant. Cela faisait des mois qu’il n’avait pas eu d’inflammation osseuse. Pour la première fois de sa vie, il ne ressentait plus aucune douleur. Et ce n’était pas seulement à cause de Quinn même si elle avait eu sur lui une influence très… thérapeutique. La raison me viendrait-elle avec l’âge ?

Profites-en tant que tu peux. Il avait vingt-huit ans, ce qui signifiait qu’il devait être au sommet de sa forme physique. Il sentait ce sommet, la sensation exaltante de l’apogée. Désormais, il ne ferait que descendre.

Les voix dans la cabine de com le firent revenir au présent. Quinn avait Sandy Hereld en ligne et disait :

— Salut, me revoilà.

— Salut, Quinnie, je t’attendais. Que puis-je faire pour toi ?

Sandy avait encore fait des machins curieux avec ses cheveux, remarqua Miles de là où il était posté. Elle ne pouvait pas le voir.

— Je viens d’arriver à la station de transfert. Le saut s’est bien passé. Je voudrais faire un petit détour. Je veux une navette pour ramener les survivants de l’escadron rouge sur le Triumph. Où en sont-ils ?

— Attends une seconde…

Le lieutenant Hereld consulta une autre console sur sa gauche.

Dans la foule qui se pressait autour de lui, Miles aperçut un homme portant l’uniforme gris des Dendariis. Celui-ci le vit et eut un hochement de menton hésitant, prudent comme si les vêtements civils de l’amiral signifiaient qu’il pouvait être en mission secrète. Miles lui répondit d’un geste rassurant et l’homme sourit avant de poursuivre son chemin. Dans le cerveau de Miles, des rouages se mirent en branle. Cet homme se nommait Travis Gray, c’était un tech normalement en poste sur le Peregrine, embauché six ans plus tôt, expert en équipement de communication ; il collectionnait les enregistrements de musique classique de la Terre d’avant le Saut… Combien de rapports équivalents Miles transportait-il dans son crâne ? Des centaines ? Des milliers ?

Hereld récitait ce qu’elle avait appris.

— Ives est sorti, il est en permission de convalescence là en bas et Boyd est revenu à bord du Triumph pour poursuivre sa thérapie. Le Centre de Vie Beauchêne nous signale que Durham, Vifian et Aziz peuvent être emmenés mais ils veulent d’abord parler à un responsable.

— D’accord.

— Ils veulent aussi parler de Kee et Zelaski.

Les lèvres de Quinn se durcirent.

— Oui, acquiesça-t-elle platement. Dis-leur qu’on descend les voir.

Le ventre de Miles se noua : cette conversation ne serait sûrement pas agréable.

— Oui, cap’taine. (Hereld consulta d’autres fichiers sur son vid.) Quelle navette veux-tu ?

— La plus petite du Triumph suffira amplement, à moins qu’il n’y ait une cargaison à prendre chez Beauchêne.

— Non, rien. Je peux envoyer la navette Deux au quai J-26 dans trente minutes. Tu pourras partir immédiatement pour la planète, nous avons l’accord des contrôleurs d’Escobar.

— Merci. Quelle heure est-il à Beauchêne ?

Hereld regarda vers sa gauche.

— 0906. La journée fait 2607 heures.

— Le matin. Très bien. Et le temps ?

— Superbe. Ils se baladent en manches courtes.

— Alors, je n’ai pas besoin de me changer. On se recontactera quand on quittera Port Beauchêne. Quinn, terminé.


Miles, assis sur le barda, contemplait ses sandales. Cette mission de contrebande avait été une des plus déplaisantes effectuées par les Mercenaires Dendariis. Ils avaient déchargé du matériel et des conseillers militaires sur Marilac afin de soutenir la résistance locale contre l’invasion cetagandane. La navette de combat A-4 avait essuyé le feu de l’ennemi lors de son dernier voyage de retour à bord du Triumph. À son bord, se trouvaient l’escadron rouge et plusieurs notables marilacans. Le pilote, le lieutenant Durham, bien que mortellement blessé, était parvenu à ramener sa navette trouée et en flammes suffisamment près et à une vitesse suffisamment faible pour que les équipes de secours du Triumph puissent l’arrimer au vaisseau. Ils avaient fixé un tube flexible sur la navette, avaient percé sa paroi et extirpé tout le monde. Puis ils avaient expulsé la navette juste avant qu’elle n’explose, ce qui avait bien sûr attiré l’attention des Cetagandans. Le Triumph avait quitté l’orbite juste à temps pour éviter des représailles. Ainsi une mission qui avait débuté de façon simple s’était terminée en chaos héroïque. Miles détestait ça. Le chaos, pas l’héroïsme.

Résultat de cette équipée : douze blessés graves ; sept dont l’état dépassait les ressources de remise en vie du Triumph et qu’on avait cryogénisés dans l’espoir de les aider plus tard ; trois morts irrémédiables. À présent, Miles n’allait pas tarder à apprendre combien de victimes de la deuxième catégorie étaient passées dans la troisième. Les visages, les noms, des centaines de souvenirs ou d’informations à leur sujet cascadaient dans son esprit. Il aurait dû être à bord de cette navette mais avait dû partir plus tôt pour s’occuper d’un autre problème ailleurs…

— Ils s’en sont peut-être tirés, dit Quinn en lisant dans ses pensées.

— J’ai trop passé de temps dans les hôpitaux, je ne peux pas m’empêcher de m’identifier à eux, répondit-il, absent.

Une mission parfaite. Que ne donnerait-il pas pour une seule mission parfaite, une mission au cours de laquelle rien n’irait de travers ? Peut-être que la prochaine allait enfin être celle-ci.


L’odeur frappa Miles dès que Quinn et lui franchirent les portes du Centre de Vie Beauchêne, la clinique spécialisée dans la cryothérapie où se faisaient soigner les Dendariis sur Escobar. Ce n’était ni une puanteur, ni même une mauvaise odeur, juste une nuance bizarre dans le système d’air conditionné. Mais c’était une odeur si profondément associée à la douleur dans son esprit que son cœur se mit à battre plus vite. Il prit une longue inspiration et regarda autour de lui. Le hall était typique des techno-palaces en vogue sur Escobar, propre mais chichement meublé. L’argent était en fait entièrement investi dans les étages supérieurs, dans les cryoéquipements, les labos de régénération… là où on en avait vraiment besoin.

L’un des patrons de la clinique, le Dr. Aragones, descendit les accueillir pour les escorter jusqu’à son bureau à l’étage. Miles aimait ce bureau bourré de disques, de dossiers et même de feuilles imprimées sur papier pelure qui indiquaient un technocrate passionné par ce qu’il faisait. Il aimait aussi Aragones lui-même, un grand type bourru avec une peau de bronze, un nez noble et des cheveux gris.

Le Dr. Aragones n’était pas heureux des résultats qu’il allait annoncer : ils heurtaient sa fierté.

— Vous nous apportez des catastrophes en espérant des miracles, se plaignit-il gentiment en s’installant dans sa chaise tandis que Miles et Quinn s’asseyaient en face de lui. Si vous voulez des miracles, il faut vous en occuper plus tôt, dès les premiers soins donnés à mes pauvres patients.

Aragones ne les appelait jamais les morts-vivants, ne leur donnait jamais un de ces surnoms nerveux que leur attribuaient les soldats. Pour lui, ils étaient toujours "ses patients". C’était encore quelque chose que Miles appréciait chez le médecin escobaran.

— En général, et malheureusement, nous devons parer au plus pressé, répondit Miles comme pour s’excuser à son tour. Dans ce cas, vingt-huit personnes sont arrivées en même temps à l’infirmerie, toutes souffrant de multiples blessures : traumatismes extrêmes, brûlures, contamination chimique… Toutes en même temps. Le triage a été brutal, en tout cas au début, jusqu’à ce qu’on sache à quoi s’en tenir. Mes hommes ont fait de leur mieux. (Il hésita.) Pensez-vous qu’il faudrait donner quelques cours de recyclage à nos méd-techs ? Et dans ce cas, seriez-vous d’accord pour diriger un séminaire ?

Aragones écarta les mains d’un air pensif.

— On peut essayer… Discutez-en avec Margara, notre administrateur, avant votre départ.

Miles hocha le menton et Quinn prit une note sur son agenda électronique.

Aragones consulta sa comconsole.

— D’abord, les mauvaises nouvelles. Nous n’avons rien pu faire pour votre M. Kee et votre Mme Zelaski.

— Je… j’ai vu la blessure à la tête de Kee. Ça ne m’étonne pas. (Ecrasée comme un melon.) Mais nous avions une cryo-chambre disponible, alors nous avons tenté le coup.

Aragones acquiesça.

— Mme Zelaski avait un problème similaire mais moins visible extérieurement. Son système d’irrigation cervicale a été complètement détruit lors du traumatisme. On n’a pas pu drainer tout son sang du cerveau et injecter proprement les cryo-fluides. Entre la cristallisation par le froid et les hématomes, la destruction des neurones a été complète. Je suis désolé. Leurs corps sont à votre disposition dans notre morgue.

— Kee souhaitait que son corps soit rapatrié à sa famille pour ses funérailles. Pouvez-vous le faire expédier par le canal habituel ? Nous vous donnerons l’adresse. (Un nouveau signe vers Quinn. Une nouvelle note.) Zelaski n’a pas signalé de familles ou de proches. Certains Dendariis n’en ont pas ou ne veulent pas en parler et nous n’insistons pas. Mais, une fois, elle a dit à ses compagnons de combat qu’elle aimerait qu’on dispose de ses cendres. Pouvez-vous passer ses restes au crématoire et les envoyer à notre département médical ?

— Très bien.

Aragones effaça ces données du plateau et elles disparurent comme par enchantement, aussitôt remplacées par d’autres.

— M. Durham et Mme Vifian sont à présent en partie guéris de leurs blessures originelles. Ils souffrent tous les deux d’un traumatisme neurologique et d’une cryoamnésie que j’estime normaux. La perte de mémoire de M. Durham est plus profonde, en partie en raison des complications dues à ses implants neuraux de pilote de saut que nous avons dû, hélas, enlever.

— Pourra-t-on lui en implanter d’autres plus tard ?

— Il est trop tôt pour le dire. À mon avis, le diagnostic dans ces deux cas est assez favorable mais ils ne pourront reprendre leurs activités militaires avant au moins un an. Et ils auront besoin d’un réentraînement intensif. Dans les deux cas, je recommanderais qu’ils soient renvoyés dans leur foyer et environnement familial, si cela est possible. Un entourage familier facilitera sans doute le retour de leurs souvenirs.

— Le lieutenant Durham a de la famille sur Terre. Nous veillerons à ce qu’il y retourne. La tech Vifian vient de la Station Kline. Nous verrons ce qu’il est possible de faire.

Quinn hocha vigoureusement la tête et prit d’autres notes.

— Je peux vous les remettre aujourd’hui, si vous le désirez. Nous avons fait tout ce qui était en notre pouvoir. Des conditions de convalescence normales feront le reste. Bon… nous en arrivons à M. Aziz.

— Le soldat Aziz, acquiesça Miles.

Depuis trois ans avec les Dendariis, il avait demandé avec succès à suivre l’entraînement d’officier. Vingt et un ans.

— M. Aziz est… à nouveau en vie. C’est-à-dire que son corps se subvient à lui-même sans aide artificielle en dehors d’un problème de régulation thermique interne qui semble se régler petit à petit.

— Mais Aziz n’avait pas de blessure à la tête. Que s’est-il passé ? s’enquit Miles. Etes-vous en train de me dire qu’il va être transformé en légume ?

— J’ai bien peur que M. Aziz n’ait été victime d’une mauvaise prép. Son sang a été apparemment hâtivement drainé mais pas complètement, en tout cas pas assez. Son tissu cérébral était rongé d’hémokystes gelés. Nous les avons enlevés. La cicatrisation génétique s’est bien déroulée. Mais sa personnalité est à jamais perdue.

— Tout ?

— Il se peut qu’il garde quelques fragments frustrants de souvenirs. Des rêves. Mais il ne retrouvera pas son ancien moi car les tissus eux-mêmes ont disparu. Le nouveau M. Aziz sera pratiquement un enfant. Il a perdu le langage, entre autres choses.

— Retrouvera-t-il son intelligence, avec le temps ?

Aragones hésita un peu trop avant de répondre.

— Dans quelques années, il devrait être capable d’effectuer des tâches simples qui lui permettront de subsister.

— Je vois, soupira Miles.

— Que voulez-vous faire de lui ?

— Lui non plus n’a pas de parents enregistrés.

(Miles souffla bruyamment.) Transférez-le dans un centre de soins à long terme ici sur Escobar. Un qui possède un bon département de thérapie. Je vous fais confiance pour le choisir. Je vais ouvrir un compte pour couvrir tous les frais jusqu’à ce qu’il puisse se débrouiller seul. Aussi longtemps qu’il le faudra.

Aragones acquiesça.

Ils réglèrent d’autres détails administratifs et financiers et la réunion prit fin. Miles insista pour passer voir Aziz avant d’aller chercher les deux convalescents.

— Il ne vous reconnaîtra pas, le prévint Aragones quand ils pénétrèrent dans la petite chambre.

— Ça ira.

Au premier regard, et malgré l’ingrate chemise d’hôpital, Aziz ne paraissait nullement avoir vu la mort de près. Son visage avait des couleurs et de la chaleur et son teint naturel lui évitait la pâleur des pensionnaires d’hôpital. Mais il gisait tordu dans ses couvertures, apathique et décharné. Les côtés du lit étaient remontés, évoquant un cercueil. Quinn s’adossa au mur et croisa les bras. Elle aussi avait trop bien connu les hôpitaux et les cliniques et ne les supportait pas.

— Azzie, appela doucement Miles en se penchant vers lui. Azzie, tu m’entends ?

Les yeux d’Aziz se fixèrent un moment puis se remirent à errer dans le vague.

— Je sais que tu ne me connais pas mais tu te souviendras peut-être de ceci, plus tard. Tu étais un bon soldat, intelligent et fort. Tu possédais cette discipline qui sauve des vies. (Celles des autres, pas la tienne.) Demain, tu iras dans un autre établissement où on t’aidera à t’en sortir. Ne t’inquiète pas pour l’argent. Je m’en occupe. Tu en auras tant que tu en auras besoin. (Il ne sait pas ce qu’est l’argent.) Je repasserai te voir de temps en temps dès que j’en aurai l’occasion, promit-il.

À qui s’adressait cette promesse ? À Aziz ? Aziz n’existait plus. À lui-même ? Il se tut.

Cette stimulation auditive fit qu’Aziz se tordit dans son lit et émit des gémissements informes et assourdissants. Il ne contrôlait pas encore le volume de sa voix, apparemment. Cela n’avait rien d’une tentative de communication. Il s’agissait plutôt d’une sorte de réflexe animal.

— Soigne-toi bien, chuchota Miles avant de se retirer.

Dans le couloir, il s’immobilisa, tremblant.

— Pourquoi t’infliges-tu ça ? demanda Quinn.

Ses bras qu’elle n’avait pas encore décroisés ajoutaient silencieusement : Et à moi ?

— Primo, il est mort pour moi, littéralement, et deuxièmement, ajouta-t-il d’une voix trop légère, ça me fascine de me retrouver face à ce que je crains le plus.

— C’est la mort que tu crains le plus ? s’enquit-elle, curieuse.

— Non. Pas la mort. (Il se massa le front, hésita.) La perte d’esprit. Toute la vie, il a fallu que je me batte pour faire accepter ça… (D’un geste vague, il engloba son corps difforme.) Et parce que je suis un petit salopard assez malin, j’y suis parvenu. Mais il faut sans cesse que je fasse mes preuves. Si ma cervelle me lâche…

Sans ma cervelle, je ne suis plus rien. Il se redressa, haussa les épaules et crispa les joues pour faire semblant de sourire.

— Allons-y, Quinn.


Durham et Vifian étaient nettement en meilleur état qu’Aziz. Ils pouvaient marcher et parler et Vifian reconnut même Quinn. Ils les emmenèrent au port dans la voiture de sol louée et, par égard pour leur condition, Quinn évita de conduire comme une folle comme à son habitude. Dans la navette, Miles envoya Durham s’asseoir aux côtés du pilote, un ancien compagnon d’armes. En arrivant au Triumph, Durham se souvenait non seulement du nom de son collègue mais aussi de quelques procédures de pilotage.

Un méd-tech les attendait derrière le sas et conduisit immédiatement les deux convalescents épuisés par ce court voyage à l’infirmerie. Après leur départ, Miles se sentit un peu mieux.

— Ça va coûter cher, remarqua Quinn.

— Oui, soupira Miles. Les programmes de réhabilitation commencent à engloutir une grosse part du budget médical. Je vais demander au comptable de les transférer sur le compte général de la Flotte, pour éviter que les méds ne manquent d’argent. Il n’y a pas d’autre moyen. Que veux-tu ? Mes troupes me sont plus que loyales, je ne peux pas les trahir. D’ailleurs… (Un bref sourire.) C’est Barrayar qui paie.

— Je croyais que ton patron de la SecImp t’avait fait un petit laïus à propos de tes factures ?

— Illyan doit expliquer chaque année pourquoi une somme assez importante pour financer une véritable petite armée privée disparaît sans jamais révéler l’existence de cette armée. C’est un exercice de haute voltige. Certains bureaucrates de l’Empire l’accusent de légèreté dans sa gestion, ce qui le fait beaucoup souffrir…

Le pilote, ayant verrouillé sa navette, se pencha pour franchir le sas et le sceller derrière lui. Il hocha la tête vers Miles.

— En vous attendant à Port Beauchêne, monsieur, j’ai vu une nouvelle intéressante sur le réseau local. Pour Escobar, c’était une nouvelle mineure mais je pense qu’elle vous intéressera.

Miles haussa un sourcil.

— Je vous écoute, sergent LaJoie.

— Les Cetagandans viennent d’annoncer qu’ils se retirent de Marilac. Ils appellent ça… comment déjà… : « Grâce aux grands progrès enregistrés en matière d’échange entre nos deux cultures, nous avons décidé de laisser les problèmes de police aux mains des autorités locales. »

Miles serra les poings de bonheur.

— En d’autres mots, ils lâchent leur gouvernement fantoche ! Ha ! (Il assena une claque sur le dos d’Elli.)

Tu as entendu ça, Elli ! On a gagné ! Je veux dire, ils ont gagné, les Marilacans.

Nos sacrifices ont servi à quelque chose… Il se força à retrouver sa maîtrise de soi avant de se mettre à pleurer ou de faire un truc aussi idiot.

— Accordez-moi une faveur, LaJoie. Faites passer le mot dans toute la Flotte. Dites-leur que je les remercie d’avoir fait un aussi bon boulot. Hein ?

— Oui, monsieur. Avec joie.

Le pilote les salua avec enthousiasme et s’en fut au trot dans le corridor.

Le sourire de Miles lui mangeait le visage.

— Tu vois, Elli ! Ce que ça va coûter à Simon Illyan n’est rien en comparaison de ce que cela aurait pu coûter. Une véritable invasion planétaire cetagandane mise en échec ! (Puis, dans un chuchotement féroce :) Je l’ai fait ! J’ai fait la différence.

Quinn souriait elle aussi mais un de ses sourcils parfaits se courba avec une sèche ironie.

— C’est bien joli mais si je sais bien lire entre les lignes, la Sécurité Impériale de Barrayar avait un autre but : forcer les Cetagandans à se débattre contre la guérilla sur Marilac. Indéfiniment. Afin de détourner leur attention des frontières barrayaranes et des points de saut.

Les lèvres de Miles se retroussèrent dans un sourire de loup.

— Ils n’ont pas mis ça par écrit. Simon m’a simplement dit : « Aide les Marilacans autant que possible. » Tels étaient ses ordres. J’ai obéi.

— Mais tu sais pertinemment ce qu’il voulait en réalité.

— Quatre années de guerre, ça suffisait largement. Je n’ai pas trahi Barrayar. Ni personne d’autre.

— Ah ouais ? Alors, dis-moi un peu pourquoi entre la version de Simon Illyan et la tienne c’est la tienne qui a prévalu. Un de ces jours, Miles, à force de couper les cheveux en quatre avec ces gens, tu vas te retrouver complètement chauve. Que feras-tu alors ?

Il sourit, secoua la tête et évita de répondre.

Son exaltation à propos de Marilac durait encore quand il arriva à sa cabine. Il avait l’impression de marcher dans une demi-gravité. Après un coup d’œil furtif pour s’assurer qu’il n’y avait personne dans le couloir, il embrassa longuement Quinn. Longuement car ce baiser allait devoir leur durer longtemps. Elle rejoignit ses propres quartiers. Il se glissa dans sa cabine, écouta la porte glisser derrière lui. Il était à nouveau chez lui.

En tout cas, pour une bonne moitié de lui, ceci était chez lui, se dit-il en lançant son bagage sur le lit avant d’aller tout droit sous la douche. Dix ans plus tôt, dans des circonstances désespérées, lord Miles Vorkosigan avait de toutes pièces inventé l’amiral Naismith. Celui-ci avait alors pris le contrôle temporaire des Mercenaires Dendariis. La Sécurité Impériale de Barrayar avait par la suite découvert que ceux-ci pouvaient lui être très utiles. Non. Ce n’était pas exactement ça. En vérité, il avait tant et si bien persuadé, manipulé, démontré et contraint que la SecImp avait fini par accepter l’existence de cette armée secrète et de son mystérieux chef. Méfie-toi de ce que tu fais semblant d’être. Tu pourrais le devenir.

Quand l’amiral Naismith avait-il cessé d’être un faux ? Graduellement, sûrement, mais sans doute depuis que son mentor chez les mercenaires, le commodore Tung, avait pris sa retraite. Tung était un vieux singe. Il s’était rendu compte avant Miles que ce jeune homme prématurément nommé amiral n’avait plus besoin de ses services. Tout en se douchant, il passait en revue dans son esprit toutes sortes de diagrammes colorés concernant l’organisation de la Flotte des Mercenaires libres Dendariis. Il connaissait chaque navire, chaque soldat, chaque navette et chaque machine, maintenant. Il savait comment tout ça se mettait en place, ce qui devait être fait en premier, en deuxième, en dixième, afin d’exercer une force extrêmement précise en tel ou tel point de la galaxie. Voilà quel était son savoir-faire : être capable de regarder un navire tel que le Triumph et voir à travers ses parois chaque détail de sa machinerie, chacun de ses points forts ou vulnérables ; regarder un escadron commando ou une table de briefing réunissant les capitaines et les capitaines-actionnaires et savoir ce que chacun allait dire ou faire avant qu’eux-mêmes le sachent. Je suis au sommet. J’y suis finalement arrivé. Avec ce levier, je peux bouger des mondes. Il brancha la douche sur « sec » et se laissa envelopper par le souffle d’air chaud. Il quitta la cabine en gloussant de joie. J’adore ça.

Son gloussement se coinça dans sa gorge quand il ouvrit la porte de son placard et le trouva vide. Son ordonnance avait-elle tout envoyé à nettoyer ? Sa stupéfaction s’accrut après qu’il eut essayé tous les autres tiroirs. Il n’y trouva que quelques loques civiles qu’il ne portait que quand il voulait se déguiser en clochard et jouer les espions pour les Dendariis. Plus quelques-uns de ses sous-vêtements les plus informes. C’était une blague ou quoi ? Dans ce cas, il aurait le dernier mot. D’un geste brusque, il ouvrit le placard où était rangée son armure spatiale. Vide. C’en devenait choquant. Quelqu’un a dû la descendre à la Mécanique pour la recalibrer ou ajouter des programmes ou quelque chose. Mais son ordonnance aurait déjà dû la faire revenir. Et s’il en avait eu besoin sur-le-champ ?

Réfléchir. Ses seconds devaient être en train de se rassembler à présent. Quinn avait une fois prétendu qu’il pourrait faire son meeting entièrement nu. D’après elle, il réussirait à donner aux autres l’impression qu’ils étaient trop habillés. Il eut un instant envie de vérifier cette affirmation mais préféra renfiler le pantalon et la chemise qu’il portait en arrivant. Il n’avait pas besoin d’un uniforme pour asseoir son autorité. Plus maintenant.

En chemin vers la salle de réunion, il croisa Sandy Hereld qui avait achevé son service. Il lui adressa un petit salut amical. Elle sursauta et le contempla tout en continuant à marcher, le cou tordu.

— Vous êtes de retour, monsieur ! Vous avez fait vite.

Elle ne pouvait parler de son voyage de plusieurs semaines au Q. G. de la SecImp. Elle devait penser à son excursion sur la planète.

— Cela ne nous a pris que deux heures.

— Hein ?

Son nez se fronça comiquement. Il avait une salle remplie d’officiers supérieurs qui l’attendait. Il la salua à nouveau et emprunta le tube de descente.

La salle de réunion était agréablement familière, ainsi que les visages qui l’entouraient. Le capitaine Auson du Triumph. Elena Bothari-Jesek, récemment promue capitaine du Peregrine. Son mari ; le commodore Baz Jesek, ingénieur en chef de la Flotte et chargé, en l’absence de Miles, de toutes les réparations et problèmes d’intendance de la Flotte en orbite autour d’Escobar. Le couple, des Barrayarans eux aussi, était parmi les rares Dendariis avec Quinn à connaître le secret de sa double identité. Etaient aussi présents le capitaine Truzillo du Jayhawk, et une douzaine d’autres, tous sûrs et loyaux. Ses hommes.

Bel Thorne de l’Ariel était en retard. Voilà qui était inhabituel. Son insatiable curiosité était l’une des caractéristiques de Thorne : une nouvelle mission était comme un cadeau de Fête de l’Hiver pour l’hermaphrodite de Beta. Miles se tourna vers Elena Bothari-Jesek en l’attendant.

— Tu as pu rendre visite à ta mère sur Escobar ?

— Oui, merci. (Elle sourit.) C’était… agréable, d’avoir un peu de temps. On a pu bavarder de choses dont nous n’avions pas parlé la première fois.

Cela avait été bon pour toutes les deux, jugea Miles. Cette tension qui habitait en permanence ses yeux sombres avait quelque peu disparu. Elle allait de mieux en mieux, petit à petit.

— Bien.

Il leva les yeux quand la porte glissa mais ce n’était que Quinn se ruant à l’intérieur de la salle avec des dossiers de sécurité à la main. Elle avait remis son véritable uniforme d’officier et semblait très à l’aise et efficace. Elle tendit les dossiers à Miles qui les chargea dans la comconsole. Une nouvelle minute passa. Toujours pas de Bel Thorne.

Les conversations mouraient. Ses officiers le considéraient attentivement. Mieux valait arrêter de se tourner les pouces. Avant de brancher le plateau de la comconsole, il demanda à la cantonade :

— Y a-t-il une raison qui explique le retard du capitaine Thorne ?

Ils le regardèrent puis se contemplèrent les uns les autres. S’il y avait eu un problème avec Bel, on m’aurait déjà fait un rapport. Pourtant, son estomac se nouait.

— Où est Bel Thorne ?

Du regard, ils désignèrent Elena Bothari-Jesek comme leur porte-parole. C’était extrêmement mauvais signe.

— Miles, fit-elle d’une voix hésitante, Bel était-il censé rentrer avant toi ?

— Rentrer ? Où donc est-il allé ?

Elle le dévisageait comme s’il avait perdu la tête.

— Bel est parti avec toi sur l’Ariel, il y a trois jours.

Le visage de Quinn se redressa vivement.

— Impossible.

— Il y a trois jours de ça, nous étions encore en route pour Escobar, commença Miles.

Le nœud dans son estomac se transformait en bombe à neutrons. Il ne dominait pas du tout cette réunion. Il avait l’impression de trébucher.

— Tu as pris l’escadron vert avec toi. C’était le nouveau contrat, d’après Bel, ajouta Elena.

— Voilà le nouveau contrat.

Miles tapa sur la comconsole. Une hideuse explication commençait à poindre dans son esprit, née dans le trou noir de son ventre. Les visages autour de lui annonçaient clairement que l’assemblée se divisait en deux camps : la minorité qui avait pris part à cette affaire sur Terre deux ans plus tôt semblait effrayée, les autres qui n’y avaient pas été directement mêlés étaient complètement perdus…

— Où ai-je dit que j’allais ? s’enquit Miles.

Il avait utilisé un ton doux, pensait-il, mais plusieurs d’entre eux grimacèrent.

— L’Ensemble de Jackson.

Elena le regardait droit dans les yeux avec l’attention d’un zoologiste sur le point de disséquer un spécimen. Une subite perte de confiance…

L’Ensemble de Jackson. Plus aucun doute.

— Bel Thorne ? L’Ariel ? Taura ? Avec dix sauts jusqu’à l’Ensemble de Jackson ? s’étrangla Miles. Oh Seigneur !

— Mais si vous êtes-vous, dit Truzillo, qui était-ce il y a trois jours ?

Si tu es toi, répéta Elena d’un ton lugubre.

Les initiés faisaient tous cette tête méfiante.

— Vous voyez, expliqua Miles à Ceux-qui-ne-savaient-pas, certains possèdent un double démoniaque. Je n’ai pas cette chance. Mon double est idiot.

— Ton clone, dit Elena Bothari-Jesek.

— Mon frère, corrigea-t-il machinalement.

— Le petit Mark Pierre, dit Quinn. Oh… merde.

Загрузка...