Un général de brigade moderne

Et puis un beau jour, un dimanche, je découvris la retraite du fugitif recherché par la Justice, du fabricant de modèles réduits, du grand Dieu Jéhovah Belzébuth des insectes et des bocaux à cornichons : Franklin Hoenikker. Il était vivant !

J’appris cette nouvelle par un supplément spécial du Sunday Times. Ce supplément était payé par une république bananière fantoche. La couverture présentait de profil la femme la plus belle, la plus bouleversante que je puisse jamais souhaiter voir.

Derrière la jeune femme, des bulldozers abattaient des palmiers pour ouvrir une large avenue au bout de laquelle s’élevaient les squelettes métalliques de trois immeubles neufs.

« La république de San Lorenzo est en marche ! proclamait le texte de couverture. Saine, heureuse, progressiste, éprise de liberté, cette belle nation attire irrésistiblement les investissements et les touristes américains. »

Je ne me hâtai pas de lire l’intérieur du magazine. La fille de la couverture me suffisait amplement – plus qu’amplement, puisque je venais de rencontrer le coup de foudre. Elle était très jeune, très grave aussi – lumineusement compatissante et pleine de sagesse.

Elle était chocolat, avec des cheveux de lin dorés.

Elle s’appelait, disait la couverture, Mona Aamons Monzano, et c’était la fille adoptive du dictateur de l’île.

J’ouvris le supplément dans l’espoir d’y voir d’autres photos de cette sublime madone métisse.

Au lieu de ce que j’attendais, je trouvai un portrait du dictateur lui-même, Miguel « Papa » Monzano, un gorille frisant l’octogénariat.

À côté du portrait de « Papa », une photo montrait un jeune homme aux épaules étroites, au visage vulpin et à l’expression enfantine. Il portait une tunique militaire d’un blanc immaculé ornée d’un crachat incrusté de pierres précieuses. Ses yeux rapprochés étaient cernés. Il avait manifestement répété toute sa vie aux coiffeurs de lui tondre les côtés et la nuque, mais de ne pas porter les ciseaux plus haut. Sa tête se terminait en une tignasse raide, une sorte de perruque cubique et ondulée qui s’élevait à une hauteur incroyable.

Cet antipathique enfant n’était autre, disait la légende, que le général de brigade Franklin Hoenikker, ministre de la Science et du Progrès de la République de San Lorenzo. Vingt-six ans.

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