Je ne réponds pas assez vite

— Quel cynisme ! m’écriai-je, le souffle coupé. (Je levai les yeux de la note et contemplai le cirque comblé par la mort.) Est-il là, lui, au moins ?

— Je ne le vois pas, dit doucement Mona. (Elle n’était ni triste ni contrariée. À vrai dire, elle semblait sur le point d’éclater de rire.) Il disait toujours qu’il ne suivrait jamais ses propres conseils, sachant que ceux-ci ne valaient rien.

— Il vaudrait mieux pour lui qu’il soit là, dis-je amèrement. Quand je pense au culot de cet homme, qui conseille à tous ces gens de se suicider !

Et Mona, en effet, éclata de rire. Je ne l’avais jamais entendue rire. Son rire était étonnamment profond et à vif.

— Vous trouvez que c’est drôle ? fis-je.

Elle leva paresseusement les bras.

— C’est si simple. C’est tout. Ça résout tant de choses, pour tant de personnes, si simplement.

Et, riant toujours, elle continua à errer parmi les milliers de pétrifiés. À mi-chemin de la pente, elle s’arrêta, se tourna vers moi et me lança ces mots :

— Si c’était possible, souhaiteriez-vous que tous ces gens ressuscitent ? Répondez-moi vite.

Une demi-minute s’écoula.

— Vous ne répondez pas assez vite, dit-elle gaiement.

Et, avec un petit rire, elle effleura le sol de son index, se redressa, passa son doigt sur ses lèvres et mourut.

Ai-je pleuré ? C’est ce qu’on m’a dit. H. Lowe Crosby, sa Hazel et le petit Newton Hoenikker me trouvèrent sur la route, marchant comme un homme ivre. Ils étaient dans l’unique taxi de Bolivar, épargné par les tempêtes. Ils me dirent que je pleurais. Hazel pleurait aussi, de joie de me savoir vivant.

Ils m’attirèrent dans le taxi.

Hazel passa son bras autour de moi.

— Vous êtes avec votre maman maintenant. Ne pensez plus à rien.

Je laissai le vide se faire dans mon esprit. Je fermai les yeux. Et ce fut avec un soulagement profond et imbécile que je pris appui contre cette vieille dinde empâtée et moite.

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