L’homme qui se nommait lui-même Bors, du moins en ce lieu, eut un rictus méprisant lorsque des murmures étouffés coururent dans toute la salle surmontée d’un dôme, rappelant les piaillements continus d’un troupeau d’oies. Sa grimace demeura invisible sous le masque de soie noire qui dissimulait son visage. Autour de lui, également cachées sous un masque, cent paires d’yeux tentaient de distinguer ce qui se tapissait dans les ombres.
Si on n’y regardait pas de trop près, la grande salle, avec ses cheminées de marbre, ses lampes dorées pendant du plafond, ses tapisseries raffinées et son sol en mosaïque, aurait pu être le hall d’apparat d’un palais. Mais un examen plus attentif démentait cette impression. Pour commencer, alors que de grosses flammes léchaient les bûches, les cheminées ne produisaient pas de chaleur. Derrière les tapisseries et très haut au-dessus des têtes, les cloisons et la voûte étaient en pierre brute presque noire. Les fenêtres brillaient par leur absence, et seules deux entrées, à chaque extrémité de la salle, se découpaient dans la pénombre. On eût dit que le concepteur des lieux avait voulu leur donner l’apparence d’une salle de réception royale – mais en se contentant d’en restituer les grandes lignes, sans aucun souci du détail.
L’homme qui se nommait lui-même Bors ignorait où était située la pièce. Selon lui, ses compagnons ne le savaient pas davantage. De toute façon, il préférait ne pas y penser. Y avoir été appelé était déjà bien assez grave. À dire vrai, il n’aimait pas non plus penser à cet aspect des choses. Aux convocations de ce type, même un homme comme lui était obligé de répondre, et cela en disait assez long en soi…
Il ajusta le pli de sa longue cape et se félicita que les feux ne produisent pas de chaleur. Sinon, il aurait étouffé sous le vêtement – noir comme tous ses autres habits, et parfait lorsqu’il s’agissait de dissimuler sa véritable taille (car il voûtait en permanence les épaules) et sa réelle corpulence. Autour de lui, bien d’autres « invités » s’enveloppaient ainsi dans des plis et des replis de tissu.
En silence, Bors observa ses compagnons. La patience était un des thèmes dominants de sa vie. Immanquablement, s’il attendait assez longtemps, observateur impassible, quelqu’un finissait par commettre une erreur. La majorité des femmes et des hommes qui l’entouraient devait partager cette philosophie. Le regard sans cesse en alerte, ils tendaient l’oreille et ne perdaient pas une miette du jacassement des bavards invétérés. Certaines personnes ne supportaient pas d’attendre et encore moins de se taire. En palabrant, elles livraient une incroyable quantité d’informations précieuses à ceux qui savaient écouter.
Des jeunes gens blonds comme les blés et minces comme une liane circulaient entre les invités, leur servant du vin avec un sourire figé et une révérence sans âme. Garçons comme filles, ces serviteurs tout de blanc vêtus portaient un pantalon moulant et une chemise très ample. Quel que fût leur sexe, ils se déplaçaient avec une grâce troublante. En fait, ils se ressemblaient comme un reflet dans un miroir ressemble à son modèle, mâles et femelles ayant en commun une saisissante beauté. Même au prix d’un gros effort, Bors aurait été incapable de distinguer ces serviteurs les uns des autres. Pourtant, il avait un don proverbial pour mémoriser les visages.
Une jeune fille proposa à Bors un plateau lesté de coupes de cristal. Il en prit une sans avoir l’intention de boire, ni même de tremper les lèvres dans le vin. Refuser le nectar aurait pu passer pour de la méfiance. Ne pas boire risquait aussi d’être dangereux, mais considérant tout ce qu’on avait loisir de verser dans une coupe, en plus du vin… Les connaissant hélas fort bien, Bors ne doutait pas un instant que certains de ses compagnons n’auraient eu aucune répugnance à éclaircir ainsi les rangs de leurs rivaux. Et sans se soucier des victimes qu’ils feraient au hasard, bien entendu !
Distraitement, Bors se demanda si les serviteurs seraient exécutés après la réunion.
Les domestiques entendent tout…
Alors que la jeune fille se relevait après l’avoir salué bien bas, Bors croisa son regard. Des yeux vides. Morts comme ceux d’une poupée. Et plus froids que le regard de la Faucheuse elle-même.
Bors frissonna alors que la jeune servante s’éloignait avec cette grâce qui ne se démentait jamais. Perturbé, il porta la coupe à ses lèvres mais se reprit à temps. Son trouble n’avait en réalité rien à voir avec ce qu’on avait pu infliger à la jeune fille. Mais, chaque fois qu’il croyait détecter une faiblesse chez les maîtres qu’il servait à présent, il en était pour ses frais, la prétendue faiblesse étant éradiquée avec une précision impitoyable qui ne manquait jamais de le stupéfier. Depuis toujours, sa première règle consistait à traquer les lacunes des autres, parce que trouver le défaut de leur cuirasse restait le meilleur moyen de les dominer puis de les manipuler à sa guise. Si ses maîtres actuels – ou, plutôt, provisoires – étaient sans faille, ça n’augurait rien de bon.
Sourcils froncés sous son masque, Bors recommença à étudier ses compagnons. Au moins, à ce jeu-là, la cueillette était bonne ! Même ceux qui se révélaient assez malins pour tenir leur langue étaient trahis par leur nervosité. Il suffisait d’un rien pour en être sûr : une posture un peu trop raide chez l’un, un tic chez l’autre, une façon un peu maladroite de relever l’ourlet de sa jupe chez une troisième…
Un bon quart des invités, estima Bors, s’étaient contentés du masque en matière de déguisement. Leurs vêtements en disaient bien plus long qu’ils croyaient. Campée devant une tenture or et pourpre, une femme parlait à une silhouette – impossible de dire s’il s’agissait d’un homme ou d’une femme – vêtue d’une cape à capuche grise. À l’évidence, la femme avait choisi cet endroit parce que les couleurs de la tenture s’harmonisaient avec celles de sa tenue. Attirer ainsi l’attention sur elle était doublement révélateur ! Dans sa robe pourpre au décolleté bien trop généreux, l’ourlet étant assez haut pour laisser voir de délicats escarpins dorés, l’imbécile proclamait qu’elle venait de l’Illian et qu’elle appartenait à la haute société – voire à la noblesse, tout simplement.
Pas très loin de l’Illianienne, une autre femme, solitaire, celle-ci, se murait dans un admirable silence. Sa superbe crinière brune cascadant sur son long cou de cygne, puis sur ses épaules jusqu’à atteindre sa taille, elle se tenait dos au mur et ne ratait rien de ce qui se passait autour d’elle. Pas de nervosité, ici, mais bien au contraire une maîtrise de soi de tous les instants. Encore une caractéristique admirable, pas vrai ? Sauf que la peau cuivrée de la gente dame, alliée à sa robe crème à ras du cou – un vêtement qui ne dévoilait que ses mains, mais assez serré pour tout suggérer de ses formes sans rien en révéler, comme s’il était transparent sans l’être vraiment –, claironnait son appartenance au tout premier sang d’Arad Doman. Et, sauf si l’homme qui se nommait lui-même Bors se trompait du tout au tout, le large bracelet d’or qu’elle arborait au poignet gauche devait être gravé du véritable emblème de sa maison. Bouffi d’orgueil, aucun Domani, homme ou femme, n’aurait eu l’humilité de porter l’emblème d’une autre maison afin de préserver son identité. Quelle incroyable stupidité !
Sanglé dans un manteau bleu ciel à haut col du Shienar, un homme passa à côté de Bors et l’étudia de la tête aux pieds à travers les fentes de son masque. La posture de ce type proclamait qu’il s’agissait d’un soldat. La façon de tenir ses épaules, son regard qui ne restait jamais longtemps fixé au même endroit, sa main droite prête à se refermer sur la poignée d’une épée qu’il ne portait pas pour l’instant… Tout le trahissait, il suffisait de le regarder pour s’en apercevoir. Comme de juste, il n’accorda qu’une attention distraite à l’homme qui se nommait lui-même Bors. Pour un idiot de ce genre, des épaules et un dos voûtés n’étaient pas menaçants…
Bors ricana tandis que le militaire s’éloignait, sa main refermée sur une arme imaginaire et ses yeux déjà en quête d’une autre source éventuelle de danger.
Qu’il était facile de percer à jour ces gens, de quelque pays qu’ils viennent et à quelque caste qu’ils appartiennent ! Marchands, guerriers, roturiers, hobereaux… Originaires du Kandor, du Cairhien, du Saldaea et du Ghealdan… Tous les royaumes du monde et presque toutes ses ethnies…
Bors plissa soudain le nez de dégoût. Il y avait même un Zingaro repérable à dix lieues de distance avec son pantalon vert et son manteau jaune vif.
Lorsque viendra le Jour, nous nous passerons volontiers de ces gens-là…
Les invités déguisés, pour la plupart, n’étaient guère plus mystérieux que les autres. Sous une longue tunique noire censée ne rien révéler, Bors aperçut le bout revêtu d’argent des bottes d’un haut seigneur de Tear. Sous un autre ourlet, il identifia des éperons d’argent à tête de lion – un équipement exclusivement réservé aux officiers supérieurs des Gardes de la Reine du royaume d’Andor.
Ne parvenant pas à dissimuler sa minceur sous une longue tunique noire et une cape grise parfaitement passe-partout tenue par une broche d’argent des plus banales, un homme épiait l’assistance depuis les ombres insondables de sa capuche. Un camouflage très réussi, n’était l’étoile à six branches tatouée à la base du pouce de sa main droite. Un membre du Peuple de la Mer, donc… Un coup d’œil sur sa main gauche aurait suffi pour identifier l’emblème de son clan et de sa lignée. Blasé, l’homme qui se nommait lui-même Bors ne consentit même pas à cet effort.
Il fronça soudain les sourcils, le regard rivé sur une femme enveloppée de noir au point qu’on ne distinguait rien d’autre que ses doigts. À la main droite, elle portait un anneau représentant un serpent qui se mord la queue. Une Aes Sedai ! Ou, au minimum, une femme formée à Tar Valon par des Aes Sedai. Personne d’autre au monde n’aurait osé arborer une telle bague… Alors, une authentique Aes Sedai, ou une renégate ? La réponse laissant Bors de marbre, il détourna le regard de la femme en noir… et en repéra presque aussitôt une autre, vêtue à l’identique et exhibant le même genre d’anneau. Les deux sorcières ne semblaient pas se connaître, du moins à première vue… Dans la Tour Blanche, à Tar Valon, leurs sœurs, assises en cercle au milieu de leur toile comme des araignées, tiraient les ficelles reliées aux membres des rois et des reines qu’elles faisaient danser à leur guise.
Qu’elles soient à jamais condamnées à croupir dans la mort !
Bors s’avisa qu’il grinçait des dents. Si les rangs devaient s’éclaircir – et il le fallait, avant l’avènement du Grand Jour –, les Aes Sedai seraient encore moins regrettées que les Zingari…
La note unique d’un carillon retentit soudain dans la salle, venant de partout à la fois et dominant sans aucune peine le brouhaha des conversations.
Les lourdes portes, au fond de la pièce, s’ouvrirent pour laisser passer deux Trollocs vêtus d’une longue cotte de mailles hérissée de pointes. D’instinct, tous les invités reculèrent et l’homme qui se nommait lui-même Bors ne fit pas exception à la règle.
Plus grands de deux bonnes têtes que n’importe quel invité présent, les Trollocs, un répugnant mélange d’humanité et de bestialité, arboraient une gueule-visage atrocement distordue. À la place du nez et de la bouche, le premier était affublé d’un énorme bec et des plumes remplaçaient les cheveux sur sa tête. Le second monstre avait des sabots en guise de pieds et des cornes de chèvre dominaient le museau poilu qui lui tenait lieu de visage.
Ignorant les invités, les monstres se tournèrent vers la porte et s’inclinèrent avec une répugnante servilité, les plumes de l’hybride aviaire formant une sorte de crête.
Quand un Myrddraal entra, les deux créatures se jetèrent à genoux. Les vêtements du Blafard, plus noirs que la nuit, donnaient par contraste l’impression que les masques des humains et les cottes de mailles des monstres brillaient de mille feux. Et, tandis que le Demi-Humain avançait avec une grâce de reptile, pas un pli de sa tenue ne bougeait, comme toujours…
L’homme qui se nommait lui-même Bors sentit ses lèvres dessiner un rictus à moitié méprisant – et à demi terrorisé, il devait bien l’admettre, même si ça l’emplissait de honte.
Le visage découvert, le Myrddraal affichait sa proche parenté avec l’humanité – n’étaient une incroyable pâleur et l’absence d’yeux au-dessus de son nez qui le faisaient ressembler à un ver rampant dans une tombe.
Le Blafard tourna lentement la tête, comme s’il sondait l’assistance – et c’était exactement ça, car il était malgré tout doté d’une vue d’aigle. Sous ce regard aveugle, les hommes et les femmes ne purent s’empêcher de frémir. Ravi de l’effet qu’il faisait aux invités, le Myrddraal eut un petit sourire – en tout cas, une sorte de rictus qui étira ses lèvres anormalement fines et exsangues.
Obéissant aux yeux invisibles du Blafard, les humains formèrent un demi-cercle face à la porte.
Bors ne résista pas davantage que ses compagnons.
Un jour prochain, Demi-Humain, le Grand Seigneur des Ténèbres reviendra. Alors, il choisira ses Seigneurs de la Terreur, et tu devras te prosterner devant eux. Oui, il te faudra t’humilier devant des hommes. Devant moi ! Bon sang ! pourquoi ne parles-tu pas ? Cesse de me fixer et parle enfin !
— Votre Maître est là, annonça le Myrddraal, sa voix évoquant le crissement d’une peau de serpent rampant dans la poussière. À terre, vermine humaine ! Rampez, immondes limaces, si vous ne voulez pas que son sombre rayonnement vous aveugle et vous consume !
Révolté par le ton et les propos du monstre, Bors sentit une rage dévorante déferler en lui. Mais l’air ondula au-dessus de la tête du Blafard, et il devint évident qu’il ne parlait pas pour ne rien dire.
C’est impossible ! Impossible !
Déjà étendus à plat ventre, les Trollocs gigotaient sur le sol comme s’ils essayaient de s’y enfouir.
Sans tenter de voir ce que faisaient les autres, Bors se jeta face contre terre, grognant lorsque son visage heurta durement la pierre. Des mots jaillirent de ses lèvres comme une incantation destinée à repousser le danger – c’était bien ça, en réalité, mais face à ce qui menaçait, le charme risquait de plier comme un roseau dans la tempête – et il entendit cent autres voix, tremblantes de peur, réciter les mêmes mots que lui.
— Le Grand Seigneur des Ténèbres est mon maître et je mets à son service jusqu’à l’ultime fil de mon âme…
Dans un recoin obscur de son esprit, une petite voix terrorisée rappela à Bors d’antiques vérités.
Le Ténébreux et tous les Rejetés sont emprisonnés…
Frissonnant, l’homme qui se nommait lui-même Bors tenta de réduire la voix au silence. Il s’était écarté de ce chemin-là depuis si longtemps…
— Mon maître est le seigneur de la mort ! Sans rien demander en retour, je le sers en attendant le jour de son Avènement, certain d’être à ce moment-là récompensé par la vie éternelle.
Emprisonnés dans le mont Shayol Ghul par le Créateur, à l’instant même de la Création… Non, j’ai changé d’allégeance, désormais !
— Car le Fidèle doit être loué dans tout le pays et placé au-dessus du mécréant – supérieur aux têtes couronnées, je servirai pourtant humblement jusqu’au retour de mon maître.
La main du Créateur nous abrite tous et sa Lumière nous protège des Ténèbres… Non, non, j’ai changé d’allégeance !
— Que son Retour vienne vite et que le Berger de la Nuit nous guide, régnant sur le monde pour les siècles des siècles.
Bors acheva sa prière le souffle court, comme s’il venait de courir sur une bonne lieue. Les halètements qui retentissaient autour de lui indiquèrent qu’il n’était pas le seul dans cet état.
— Levez-vous tous ! Levez-vous !
La voix étrangement suave fit sursauter l’homme qui se nommait lui-même Bors. Aucun de ses compagnons n’avait pu parler, car ils étaient toujours prosternés, leur visage masqué plaqué contre la pierre. Pourtant, ce n’était pas le timbre qu’il aurait attendu… Très lentement, Bors leva la tête pour y voir au moins d’un œil.
La silhouette d’un homme en longue tunique rouge sang flottait au-dessus du Myrddraal, l’ourlet du vêtement à environ un pied de la tête du Demi-Humain. Comme les invités, l’apparition était masquée, mais de rouge sang, également. Le Grand Seigneur des Ténèbres se serait-il manifesté devant ses Suppôts sous une forme humaine ? et avec un masque sur le visage ? Cela semblait peu probable, pourtant le Myrddraal tremblait de tous ses membres dans l’ombre écrasante de son maître.
Bors chercha une réponse susceptible de ne pas faire imploser son pauvre cerveau.
Un des Rejetés, peut-être…
Cette hypothèse était à peine moins douloureuse. Pour qu’un Rejeté soit ainsi en liberté, il fallait que l’Avènement soit très proche – terriblement proche, même…
Les Rejetés… Les Rejetés…
Les treize plus grands manipulateurs du Pouvoir de l’Unique, en un Âge où les détenteurs de ce don abondaient, avaient été emprisonnés dans le mont Shayol Ghul où croupissait déjà le Ténébreux. Treize fléaux vivants coupés du reste de l’humanité par le Dragon en personne et ses Cent Compagnons. À cause de la riposte du Père des Mensonges, la moitié masculine de la Source Authentique avait été souillée, plongeant dans la démence tous les Aes Sedai mâles. Maudits jusqu’à la fin des temps, les anciens héros avaient disloqué le monde, éventrant jusqu’aux montagnes dans leur colère aveugle. Avant de mourir, déjà pourris de l’intérieur, ils avaient ainsi mis un terme à l’Âge des Légendes…
Une fin appropriée pour des Aes Sedai, selon Bors. Un épilogue parfait à leur ignoble existence – si seulement les femmes n’avaient pas été épargnées !
Non sans peine, l’homme qui se nommait lui-même Bors repoussa sa panique tout au fond de sa tête, érigeant aussitôt une digue trop solide pour qu’elle puisse la briser. Impossible de faire mieux que ça ! Mais c’était déjà pas mal, puisque aucun de ses compagnons ne s’était redressé, l’immense majorité des invités n’ayant même pas encore eu l’audace de relever un tant soit peu la tête.
— Debout ! répéta l’apparition. Allons, debout, et plus vite que ça !
L’homme en rouge ponctua son ordre d’un geste impérieux des deux mains. Alors qu’il était déjà à genoux, Bors hésita à continuer. Les mains qui faisaient signe aux invités de se lever étaient atrocement brûlées, des crevasses laissant apercevoir une chair presque aussi écarlate que le masque et la tunique du maître.
Le Ténébreux se montrerait-il ainsi ? Ou même un Rejeté ?
Les fentes du masque rouge se rivèrent sur Bors, qui cessa de s’interroger et se releva vivement. De la chaleur semblait se déverser des yeux de l’apparition, comme s’ils avaient été les portes d’un four.
Aussi maladroits et aussi terrifiés que Bors, les autres invités se levèrent les uns après les autres. Quand tous furent debout, la silhouette parla enfin :
— Je suis connu sous bien des noms, mais, pour vous, j’entends m’appeler Ba’alzamon.
Bors serra les mâchoires pour s’empêcher de claquer des dents. Ba’alzamon… En trolloc, ça signifiait le « Cœur des Ténèbres ». Même le pire mécréant n’ignorait pas que c’était, pour les monstres, le nom que portait le Grand Seigneur des Ténèbres.
Celui dont le nom ne devait pas être prononcé, ni même murmuré.
Pas « Shai’tan », non, mais un mot tout aussi interdit. Ba’alzamon.
Pour les hommes et les femmes réunis ici – et pour tous leurs semblables –, souiller ces syllabes en les laissant jaillir d’une gorge humaine était un blasphème.
Bors s’avisa de sa respiration sifflante, sous le masque, puis il entendit qu’il n’était pas le seul à haleter ainsi. Regardant autour de lui, il constata que les serviteurs s’étaient volatilisés – tout comme les Trollocs, bien qu’il ne les eût pas vus sortir.
— L’endroit où vous êtes se niche dans les ombres du mont Shayol Ghul…
Des gémissements ponctuèrent cette révélation. L’homme qui se nommait lui-même Bors n’aurait pas juré que sa voix était absente de ce chœur de lamentations.
Les bras en croix, Ba’alzamon continua sa harangue avec dans la voix quelque chose qui ressemblait fort à de l’ironie :
— N’ayez crainte, le jour de l’Avènement de votre maître est tout proche ! Le Retour est imminent ! Ne saisissez-vous pas que c’est pour ça que je me montre aux privilégiés que vous êtes parmi vos légions de frères et de sœurs ? Bientôt, la Roue du Temps sera brisée. Le Grand Serpent mourra, et, grâce au pouvoir qu’il puisera dans cette fin – celle du temps lui-même –, votre maître remodèlera le monde à son image afin qu’il soit son fidèle reflet tout au long de cet Âge et de tous ceux qui restent à venir. Mes serviteurs les plus fidèles et les plus loyaux, assis à mes pieds au cœur du ciel, parmi les étoiles, régneront alors à tout jamais sur le monde des hommes. C’est ce que j’ai promis, et il en sera ainsi pour l’éternité. Car vous vivrez et exercerez le pouvoir pour l’éternité.
Des murmures excités coururent dans les rangs de fidèles, certains allant jusqu’à faire un pas vers la silhouette écarlate qui flottait toujours au-dessus du Myrddraal.
Bors lui-même se sentit transporté d’enthousiasme par cette promesse – l’avenir radieux au nom duquel il avait vendu son âme une bonne centaine de fois.
— Le Retour est proche, continua Ba’alzamon, mais il y a encore beaucoup à faire. Oui, beaucoup…
Sur la gauche du maître, l’air scintilla puis sembla se solidifier, dessinant la silhouette d’un jeune homme dont les traits se précisèrent peu à peu. Troublé, Bors lui-même ne parvint pas à déterminer s’il s’agissait d’une illusion ou d’un être vivant. Ce campagnard – à ses vêtements, on ne pouvait avoir de doutes – aux yeux marron brillant d’espièglerie affichait un demi-sourire, comme s’il était en train de se rappeler (ou de préparer) une bonne blague. Sa peau semblait bel et bien vivante, mais sa poitrine ne se soulevait pas et son regard demeurait anormalement fixe.
Sur la droite de Ba’alzamon, l’air scintilla également, donnant très vite naissance à une autre apparition qui flottait comme la première très légèrement au-dessous du niveau où se tenait le maître. Costaud comme un forgeron, il n’était qu’un autre jeune péquenot, mais aux cheveux bouclés, celui-ci. Bizarrement, une hache de guerre était glissée à sa ceinture, son tranchant en demi-lune brillant comme un soleil miniature. Mais il y avait plus étrange encore, constata Bors en tendant le cou pour mieux voir. Des yeux jaunes ! Un fichu péquenot aux yeux jaunes !
Aux pieds de Ba’alzamon, une troisième silhouette apparut. Encore un paysan, très grand, ses yeux gris aux reflets presque bleus, selon l’incidence de la lumière, semblant lancer un défi sous sa tignasse d’un roux foncé.
Là encore, une surprise attendait l’homme qui se nommait lui-même Bors. Mais, au fond, au nom de quoi se serait-il attendu à des choses banales, en ces lieux et en cette compagnie ?
Sur la hanche gauche, le fermier portait une épée à la longue poignée ornée d’un héron de bronze, tout comme le fourreau dans lequel elle reposait.
Un bouseux avec une épée au héron ? C’est impossible ! Une chose pareille n’a aucun sens. Mais que dire d’un garçon aux yeux jaunes ?
Du coin de l’œil, Bors nota que le Myrddraal lorgnait les trois apparitions. Et, s’il tremblait toujours, ce n’était plus de terreur, mais de haine.
Avant de continuer, Ba’alzamon laissa s’approfondir encore le silence de mort qui s’était abattu sur l’assistance.
— Un jeune homme arpente le monde, et c’est lui qui fut le Dragon. Bientôt, il le sera de nouveau, mais ce n’est pas encore le cas.
Des exclamations houleuses montèrent de l’assistance.
— Le Dragon Réincarné ! s’écria le militaire du Shienar, sa main volant vers la poignée de son épée imaginaire. Nous allons devoir le tuer ?
— Ce n’est pas exclu, répondit Ba’alzamon, mais pas certain non plus, car il pourrait m’être utile. En fin de compte, c’est ce qu’il adviendra, dans cet Âge ou dans un autre.
L’homme qui se nommait lui-même Bors tressaillit.
Dans cet Âge ou dans un autre ? Je croyais que le Retour était imminent… Que m’importe ce qui se passera dans un nouvel Âge, si je vieillis et finis par mourir dans celui-ci ?
— La Trame s’infléchit déjà : un des multiples croisements où celui qui deviendra le Dragon peut s’engager sur le chemin qui le conduira à me servir. Il faut que ça arrive ! Je préférerais l’avoir vivant plutôt que mort mais, mort ou vif, il devra passer dans mon camp. Regardez bien ces trois garçons, car tous sont des fils de la Trame que j’entends tisser, et il vous reviendra d’assurer qu’ils soient placés ainsi que je le désire. Gravez leurs traits dans votre mémoire, afin qu’ils n’en sortent plus jamais.
Un silence écrasant suivit la dernière phrase de Ba’alzamon. Mal à l’aise, car il lui semblait que tous les sons venaient de disparaître à jamais, Bors sauta nerveusement d’un pied sur l’autre. Du coin de l’œil, il vit que les autres invités l’imitaient – tous sauf l’Illianienne, constata-t-il, surpris. Les mains posées à plat sur sa poitrine, comme si elle entendait voiler la délicate rondeur de ses seins, elle écarquillait les yeux – un mélange d’extase et de terreur, semblait-il. De temps en temps, elle hochait la tête, comme si quelqu’un s’adressait à elle. Par moments, ses lèvres remuaient, comme si elle répondait à une question, mais pas un son n’en sortait. Soudain, se dressant sur la pointe des pieds, elle arqua le dos, basculant en arrière. En toute logique, elle aurait dû tomber, mais Bors supposa que quelque chose la retenait. Après quelques secondes, ses talons reprirent contact avec le sol et elle hocha de nouveau la tête, tremblant comme une feuille.
À l’instant même où l’Illianienne cessa de trembler, une des deux Aes Sedai sursauta puis se mit à son tour à hocher humblement la tête.
Ainsi, chacun de nous reçoit directement ses ordres et n’entend pas ceux que reçoivent les autres…
L’homme qui se nommait lui-même Bors en marmonna de désagrément. S’il avait connu les instructions d’un seul de ses compagnons, cela aurait sûrement pu lui être utile, mais le maître avait tout prévu… Bouillant d’impatience au point d’oublier de se ratatiner, Bors attendit que son tour vienne.
Tous les invités reçurent leurs ordres. Aucun ne parla, mais leurs réactions étaient autant d’indices faciles à interpréter – enfin, à condition d’avoir un minimum d’informations. L’homme à la peau noire qui appartenait au Peuple de la Mer – les Atha’an Miere, ainsi qu’ils s’appelaient eux-mêmes – se raidit comme s’il n’acquiesçait qu’à contrecœur. Le militaire du Shienar trahit son trouble du début à la fin de son « dialogue » avec le maître. La seconde Aes Sedai tressaillit comme si elle venait d’encaisser un terrible choc et la silhouette vêtue de gris au sexe indéfinissable secoua la tête, tomba à genoux et finit par acquiescer comme les autres.
À l’instar de l’Illianienne, des hommes et des femmes arquèrent le dos comme si la douleur les forçait à le faire.
— Bors…
L’homme qui se nommait lui-même ainsi sursauta lorsqu’un masque rouge sang emplit son champ de vision. Curieusement, il voyait toujours la salle, la silhouette de Ba’alzamon et les trois garçons qui l’entouraient. En même temps, il aurait juré que le masque rouge lui voilait le reste du monde. Mal assuré sur ses jambes, le crâne douloureux comme s’il allait imploser, Bors eut le sentiment que ses yeux menaçaient de jaillir de leurs orbites. Un instant, il crut voir des flammes derrière les fentes du masque.
— Bors, es-tu loyal ?
L’ironie de Ba’alzamon glaça les sangs de son suppôt.
— Bien sûr, Grand Seigneur… Et je ne peux rien te cacher.
Je suis loyal, je le jure !
— C’est vrai, tu ne peux rien me cacher.
Une simple constatation, comme si ça coulait de source… La bouche sèche, Bors se força quand même à parler :
— Ordonne, Grand Seigneur, et je t’obéirai.
— Pour commencer, tu dois retourner au Tarabon et continuer ton œuvre salvatrice. À vrai dire, je t’ordonne même de redoubler de zèle.
Surpris, Bors sonda le regard de son maître. Des flammes crépitant de nouveau derrière les fentes du masque, il inclina humblement la tête – un excellent prétexte pour se dérober au contact visuel de Ba’alzamon.
— Il en sera fait selon ta volonté, Grand Seigneur.
— Ensuite, tu devras surveiller les jeunes gens et t’assurer que tes adeptes fassent de même. Mais sache que ces trois humains sont dangereux.
L’homme qui se nommait lui-même Bors jeta un coup d’œil aux trois images en suspension autour de Ba’alzamon.
Comment est-ce possible ? Je les vois, et pourtant le masque rouge est comme une muraille devant mes yeux.
— Dangereux, Grand Seigneur ? Des paysans ? L’un d’entre eux est-il… ?
— Une épée est dangereuse pour l’homme qui se trouve face à sa pointe, pas pour celui qui tient sa poignée. Sauf si c’est un crétin incompétent – dans ce cas, l’arme est deux fois plus dangereuse pour lui que pour quiconque d’autre. Contente-toi de savoir que je veux que tu les surveilles. Obéis, et tout ira bien.
— Il en sera fait selon ta volonté, Grand Seigneur !
— Enfin, il y a ceux qui ont accosté sur la pointe de Toman, et aussi les Domani… Mais tu ne parleras de ça à personne. Une fois de retour au Tarabon…
Alors qu’il écoutait, Bors prit conscience qu’il était bouche bée. Ces ordres n’avaient aucun sens !
Si je connaissais ceux des autres, au moins en partie, je pourrais reconstituer le puzzle…
Bors eut soudain le sentiment qu’un géant venait de refermer la main sur son crâne, lui écrasant les tempes. Le monde explosa en un kaléidoscope de couleurs, chaque éclair devenant une image qui passa devant son œil mental, souvent bien trop vite pour qu’il puisse la saisir dans toute sa complexité.
Un impensable ciel constellé de nuages striés de rouge, de jaune et de noir défila devant lui à une vitesse folle, comme s’il était propulsé par le vent le plus puissant que le monde ait jamais connu. Une femme ou une jeune fille vêtue de blanc se découpa dans les ténèbres et se volatilisa aussi vite qu’elle était apparue. Un corbeau plongea un œil dans le sien, lisant en lui comme dans un livre ouvert, puis se désintégra en une fraction de seconde. Vêtu d’une armure et d’un casque qui le faisaient ressembler à un insecte géant venimeux, un guerrier leva son épée et bondit sur le côté, hors de vue de Bors. Un cor doré fendit l’air, venant d’incroyablement loin, et une unique note aiguë en monta, déchirant l’âme de Bors. Au dernier moment, l’instrument explosa en une gerbe de lumière dorée qui traversa le corps de Bors, lui glaçant jusqu’à la moelle des os. Puis un loup bondit, s’arrachant à quelque incroyable puits de ténèbres, lui sautant à la gorge pour la déchiqueter. Incapable de crier, il se laissa emporter par les flots de la mort et du temps. Qui était-il ? Impossible de le dire ! Alors que des flammes pleuvaient du ciel, la lune et les étoiles les suivirent dans leur chute. Les fleuves saturés de sang débordèrent, les morts se relevèrent, la terre s’ouvrit et des geysers de lave en jaillirent…
L’homme qui se nommait lui-même Bors reprit conscience de son existence. Accroupi dans la grande salle, au milieu de ses compagnons, il était désormais l’objet de l’attention générale. Qu’il regarde en haut, en bas, à droite ou à gauche, le visage voilé de rouge de Ba’alzamon lui apparaissait, occultant toujours le monde. Les images qui avaient défilé dans son esprit s’effaçaient déjà, certaines étant sans doute gommées à tout jamais de sa mémoire.
— Grand Seigneur, que signifie… ? commença Bors en se relevant à demi, ignorant toujours si c’était la bonne chose à faire.
— Certains ordres sont trop importants pour être connus, y compris par ceux qui doivent les exécuter.
L’homme qui se nommait lui-même Bors se plia en deux – la plus profonde révérence qu’il eût jamais faite.
— Qu’il en aille selon ta volonté, Grand Seigneur, croassa-t-il.
Une fois debout, il se retrouva seul dans l’extraordinaire silence. Désormais, le haut seigneur de Tear menait une conversation qu’il était seul à entendre, et approuvait du chef des paroles qui ne concernaient que lui.
Bors posa une main tremblante sur son front, comme s’il tentait de retenir les images qui venaient de défiler sous son crâne. Mais tenait-il tant que ça à se souvenir ?
Se souvenir de quoi, pour commencer ?
Je sais qu’il y a eu quelque chose, mais quoi ? Allons, c’était là et bien là !
Bors se frotta les mains, eut une grimace de dégoût en sentant qu’elles étaient poisseuses de sueur sous ses gants, puis il tourna la tête vers les images si criantes de vérité des trois jeunes gens.
Le costaud aux cheveux bouclés, l’échalas armé d’une épée et l’éternel sale gosse espiègle… D’instinct, Bors leur avait déjà distribué des surnoms : le Forgeron, l’Escrimeur et le Farceur.
Quelle est leur place dans le puzzle ?
À l’évidence, ils étaient importants, sinon Ba’alzamon n’aurait pas fait d’eux le point focal de cette réunion. Mais si Bors se fiait à ses ordres, ils étaient susceptibles de mourir à n’importe quel moment, et d’autres invités, à coup sûr, avaient dû recevoir des instructions tout aussi radicales les concernant.
Quelle est leur importance ?
Les yeux gris-bleu évoquaient la noblesse d’Andor – mais dans de tels vêtements ? – et on trouvait des habitants des Terres Frontalières aux yeux clairs, ainsi que quelques ressortissants de Tear. Il y en avait aussi au Ghealdan, et… Non, cet indice-là ne menait à rien.
Mais les yeux jaunes ? Qui sont ces garçons ? Et que sont-ils ?
Sentant qu’on lui tapotait le bras, Bors leva les yeux et vit qu’un jeune serviteur se tenait à ses côtés. Les autres étaient de retour aussi, et même avec des renforts, puisqu’il y avait à présent un domestique par hôte. En revanche, Ba’alzamon s’était volatilisé. Le Myrddraal aussi – et la porte, dans le mur du fond, avait également disparu. Il ne restait plus que les trois silhouettes, et Bors aurait juré qu’elles le dévisageaient.
— Si vous voulez bien, mon seigneur Bors, je vous conduirai à votre chambre.
Évitant de croiser le regard mort du valet, Bors jeta un dernier coup d’œil aux trois péquenots, puis il emboîta le pas à son guide, se demandant comment il avait su par quel nom l’appeler. Une fois franchie la porte ornée d’étranges sculptures, et après avoir fait une dizaine de pas en compagnie du serviteur, Bors s’avisa qu’ils étaient seuls dans le couloir. Fronçant les sourcils sous son masque, il voulut parler, mais le domestique le devança :
— Les autres invités sont également guidés jusqu’à leur chambre, seigneur. Nous devrions d’ailleurs accélérer le pas, parce que le temps presse – et l’impatience de notre maître ne vous est sans doute pas inconnue.
Bors serra les dents, agacé par cette façon de noyer le poisson et d’impliquer – le « notre maître » – que le larbin et lui étaient sur un pied d’égalité. Il s’abstint cependant de tout commentaire. Seuls les imbéciles s’en prenaient aux domestiques, et, si on considérait le regard mort de celui-ci, ça risquerait d’être parfaitement inutile.
Mais comment a-t-il deviné la question que j’allais poser ?
Le serviteur eut un petit sourire.
L’homme qui se nommait lui-même Bors ne se sentit pas à l’aise avant d’avoir réintégré la pièce où il avait laissé ses affaires. Même là, il continua à éprouver une gêne indéfinissable. Constater que les sceaux apposés sur ses sacoches de selle étaient intacts ne parvint même pas à le réconforter.
Le serviteur s’arrêta sur le seuil de la chambre.
— Vous pouvez remettre vos vêtements personnels, si ça vous chante. Personne ne vous verra partir d’ici ni atteindre votre destination. Cependant, il serait sans doute préférable d’être vêtu de la façon appropriée, à ce moment-là. Quelqu’un viendra bientôt vous montrer le chemin…
Comme si une main invisible la poussait, la porte se referma toute seule.
Bors ne put s’empêcher de frissonner de la tête aux pieds. Brisant les sceaux et ouvrant les boucles d’une sacoche, il en sortit sa cape habituelle. Tout au fond de sa tête, une voix demandait si tout le pouvoir du monde – même avec l’immortalité en prime – méritait qu’il revive un jour une expérience comme celle-là.
Il réduisit au silence la voix impertinente.
Allons, pour un tel pouvoir, je serais capable de chanter les louanges du Ténébreux sous le Dôme de la Vérité !
Se remémorant les ordres de Ba’alzamon, Bors passa délicatement une main sur le soleil qui ornait le côté gauche de sa cape blanche – un astre étincelant superposé à un bâton de berger rouge sang.
L’emblème de sa charge dans le monde des hommes. Une charge écrasante, car il y avait encore du pain sur la planche pour lui au Tarabon et dans la plaine d’Almoth.