XIX


Les oreilles bourdonnantes, Zeke donna des coups de pied dans la trappe jusqu’à ce que l’ouverture soit assez large pour qu’il puisse se glisser dans la ville, ce qui était exactement l’endroit qu’il aurait voulu éviter. Mais tout bien considéré, il préférait être à l’extérieur dans le Fléau qu’à l’intérieur avec des pirates de l’air, lesquels se détachaient lentement de leur siège en grognant alors qu’ils s’examinaient.

Le silencieux et imperturbable Fang semblait avoir disparu, jusqu’à ce que Zeke le repère à côté du capitaine, le surveillant d’un œil.

— Où crois-tu aller ? demanda le géant.

— C’était bien sympa, mais il est l’heure pour moi de m’en aller, répondit-il en essayant de mettre une pointe d’humour et de ne pas avoir l’air trop secoué.

Il avait pensé les laisser sur un beau discours, mais la trappe n’était pas suffisamment ouverte pour lui permettre de passer. Il la repoussa des pieds, se servant de ses jambes comme de leviers.

Le capitaine se déplia du siège où il était installé et murmura quelque chose à Fang qui acquiesça. Puis il demanda :

— Comment tu t’appelles, fiston ?

Zeke ne répondit pas. Il arracha le rebord de l’ouverture, laissant des empreintes sanglantes sur tout ce qu’il touchait.

— Fiston ? Fang, attrape-le, il est blessé ! Fiston ?

Mais Zeke était déjà dehors. Il sauta au sol et appuya ses épaules contre la trappe, la bloquant suffisamment longtemps pour pouvoir filer à travers la cour.

Derrière lui, à l’intérieur du dirigeable accidenté, Zeke aurait juré qu’il avait entendu quelqu’un crier son nom.

Mais c’était ridicule. Il ne leur avait jamais dit qui il était.

Ils avaient dû crier autre chose, un mot que ses oreilles avaient confondu avec son prénom.

Il regarda de gauche à droite, ce qui lui fit tourner la tête, mais il ne reconnut presque rien. Il y avait des murs ; ceux de la ville, pensa-t-il tout d’abord, mais non, ceux-ci étaient plus petits et fabriqués à l’aide de grands rondins détrempés surmontés de pointes. Les espaces qui les séparaient avaient été comblés à l’aide d’autre chose, ce qui faisait qu’ils présentaient une surface uniforme.

Quelqu’un à bord du dirigeable avait parlé d’un fort.

Il rassembla ses souvenirs pour visualiser ses plans et se souvint vaguement du Decatur, où les colons avaient l’habitude de se retrancher en temps de troubles contre les indigènes. Est-ce que c’était ça ?

Les murs en bois qui l’entouraient donnaient l’impression de pouvoir être abattus d’une chiquenaude. Cela faisait une centaine d’années qu’ils se tenaient là, pourrissant dans l’air humide et toxique, pensa Zeke devant leur état de délabrement. Une centaine d’années, et ils se décomposaient en éclats spongieux, mais ils tenaient toujours, et il n’y avait pas de poignée à portée de vue.

Autour de lui, le Fléau emplissait l’air, et il ne voyait plus rien au-delà de quelques mètres. Il haletait à nouveau, perdant le contrôle de sa respiration mesurée à l’intérieur du masque et luttant contre les filtres. Les joints lui faisaient mal et chaque bouffée d’air qu’il aspirait avait un goût de bile et de ce qu’il avait mangé en dernier.

Derrière lui, quelque part dans ce brouillard épais comme de la purée de pois, quelqu’un donnait des coups de pied dans la porte du ballon échoué. Bientôt, l’équipage serait dehors. Bientôt, ils viendraient le chercher.

Tous ces « bientôt » ne lui disaient rien qui vaille, et tous les tronçons du murs en bois étaient froids et nus sous ses mains alors qu’il cherchait son chemin en tâtonnant. Il tendit les paumes et les doigts, même si ceux-ci lui faisaient mal ; il ne savait pas s’ils étaient simplement abîmés, ou bien cassés, ou seulement meurtris et fatigués. Il les avança et tapota chaque lézarde, en essayant de trouver une fissure, ou une porte, ou n’importe quel autre moyen de sortir. Il n’était pas bien épais. Il pouvait passer par un tout petit espace s’il le fallait, sans bruit et sans prévenir…

L’occasion ne se présenta pas.

Une main si forte qu’elle semblait irréelle se plaqua sur la bouche de Zeke recouverte par le masque, le tirant par le cou et le faisant décoller du sol, pour le conduire jusqu’à un recoin le long du mur où l’obscurité était si épaisse qu’elle cachait presque tout.

Elle les dissimula l’un comme l’autre, le garçon et la main qui l’avait agrippé. L’homme qui le tenait avait des bras qui auraient pu être en fer, vu la douceur dont ils faisaient preuve.

Zeke ne lutta pas pour deux raisons. D’abord, il savait déjà que cela ne servirait à rien : la personne qui le tenait était plus forte et un peu plus grande que lui, et elle respirait sans donner l’impression qu’elle allait vomir ou s’évanouir à tout moment. Sur ce point, clairement, son adversaire avait l’avantage. Et ensuite, cet homme tentait peut-être de l’aider. Après tout, il ne voulait pas que les pirates le retrouvent, or, ils s’extirpaient du dirigeable, jurant et braillant tandis qu’ils examinaient les dégâts à une cinquantaine de mètres de là.

Juste au moment où Zeke se mit à penser qu’ils allaient peut-être se remettre à le chercher, le trouver et le ramener jusqu’au vaisseau échoué, les mains qui le tenaient commencèrent à le tirer en arrière, sur le côté.

Zeke fit de son mieux pour coopérer, mais cela impliquait tout un ensemble de faux pas et d’hésitations sur le chemin qui menait à leur destination. Un léger craquement se fit entendre dans l’obscurité, et il sentit un courant d’air froid lui balayer les épaules.

Encore quelques pas, encore quelques croche-pieds… Et une porte se referma derrière lui. Il était enfermé dans une petite pièce avec un escalier et deux bougies brûlant faiblement au-dessus d’une rampe.

Son ravisseur, ou son sauveteur, il ne savait pas encore comment le qualifier, le relâcha et lui permit de faire demi-tour.

Comme Zeke n’était pas bien sûr de sa position ou du danger, il espéra que tout irait pour le mieux et tenta :

— Merci, monsieur. Je crois que ces types allaient me tuer !

Deux yeux marron clignèrent lentement en le regardant. Ils étaient sombres, dotés d’une l’intelligence calme, mais parfaitement indéchiffrables. Leur propriétaire ne disait rien. Il regardait le garçon de haut, car il était plus grand que Zeke de plusieurs centimètres, il était élancé et avait de longs bras croisés sur sa poitrine. Il portait quelque chose que l’adolescent aurait volontiers qualifié de pyjama, mais cette tenue était propre et impeccable, et plus blanche que tout ce que Zeke avait vu jusqu’alors dans les murs de la ville.

Et, comme l’homme ne disait toujours rien, Zeke murmura :

— Ils allaient me tuer, n’est-ce pas ? Et vous… vous n’allez pas… si ?

— Comment est-ce que tu t’appelles ? demanda l’homme, avec une très légère trace d’accent étranger.

— C’est une question à la mode, aujourd’hui, lança Zeke, puis, comme il était coincé dans la pénombre avec cet homme fort et étrange, il ajouta : Zeke. Zeke Wilkes. Je ne veux pas poser de problèmes. Je voulais seulement sortir de la ville. Mon masque se bouche et je ne crois pas que je pourrai tenir ici beaucoup plus longtemps. Est-ce que… Est-ce que vous pouvez m’aider ?

Il y eut à nouveau un long silence, puis l’homme répondit :

— Je peux t’aider, oui. Suis-moi, Zeke Wilkes. Je crois que je connais quelqu’un qui aimerait te rencontrer.

— Moi ? Pourquoi moi ?

— À cause de tes parents.

Zeke se raidit et tenta de calmer les battements de son cœur.

— Qu’est-ce qu’ils viennent faire là-dedans ? demanda-t-il. Je ne suis pas là pour causer des problèmes. Je cherchais seulement… Je voulais simplement… Écoutez. Je sais que mon père a créé des problèmes et que ce n’est pas exactement un héros par ici, mais…

— Tu risques d’être étonné, répondit l’homme d’un ton léger. Par ici, Zeke.

Il indiquait les escaliers et le couloir qui se trouvait au bout.

Zeke le suivit sur des jambes qui tremblaient de fatigue, de douleur et de peur.

— Que voulez-vous dire ? Je risque d’être étonné ? Qui êtes-vous ? Est-ce que vous connaissiez mon père ?

— Je m’appelle Yaozu, et je n’ai pas connu l’homme qui s’appelait Leviticus Blue. Mais je connais le Dr. Minnericht qui peut, j’en suis sûr, t’en dire beaucoup.

Il regarda par-dessus son épaule, cherchant à croiser le regard de Zeke.

— Qu’est-ce qui vous fait croire que j’ai des questions à lui poser ?

— Tu es un jeune homme d’un certain âge, répondit Yaozu. Si j’en crois mon expérience, les jeunes hommes d’un certain âge commencent à remettre le monde en question, ainsi que ce qui leur a été dit. Je pense que notre étrange docteur sera… très utile dans ta quête.

— On m’a déjà parlé de lui, lança Zeke prudemment.

— Depuis combien de temps es-tu ici ? demanda Yaozu.

Il tourna à un angle avant de s’arrêter devant une large porte déformée, encadrée de tentures et de joints. Il souleva un loquet et tira de toutes ses forces, et le battant s’ouvrit dans un grincement.

— Je ne sais pas. Pas longtemps. Un jour. Deux, peut-être, supposa Zeke, même s’il avait l’impression que cela faisait au moins une semaine.

Yaozu maintint la porte ouverte et lui fit signe de passer. Il y avait de la lumière de l’autre côté, alors il laissa la bougie dans une fente du mur.

— Si tu étais là depuis pas plus longtemps qu’une heure, je suis sûr que tu aurais déjà entendu parler de lui.

Zeke avança face à un courant d’air qui arrivait par à-coups et, une fois qu’il fut à l’intérieur de la pièce suivante, Yaozu le suivit.

— C’est quelqu’un d’important ?

— Très important, oui, répondit l’homme, sans pour autant avoir l’air particulièrement impressionné.

— Et vous travaillez pour lui ?

Il ne répondit pas immédiatement mais, lorsqu’il le fit, ce fut pour dire :

— En quelque sorte. Nous sommes partenaires, d’une certaine façon. Il est excellent lorsqu’il s’agit d’électricité, de mécanismes et de vapeur.

— Et vous ? demanda Zeke.

— Moi ? (Il poussa une petite exclamation qui aurait pu être un « hum ! » ou un « oh ! ».) Je suis un homme d’affaires, en quelque sorte. Mon rôle est de maintenir la paix et l’ordre de façon que le docteur puisse travailler sur ses projets. (Et il changea immédiatement de sujet.) Encore une porte et tu pourras enlever ton masque. Elles sont isolées, tu comprends. Nous devons conserver propre l’air que nous faisons entrer.

— Bien sûr.

Zeke regarda une nouvelle porte s’ouvrir au milieu des tentures. De l’autre côté, il n’y avait pas de nouveau couloir, mais une petite pièce remplie de lampes qui l’éclairaient entièrement.

— Alors vous êtes un homme de loi, ici, commenta-t-il. Quelque chose comme ça ?

— Quelque chose comme ça.

— Mon grand-père était un homme de loi.

— Je sais, répondit Yaozu.

Il ferma la porte derrière eux et retira son masque, révélant une tête parfaitement chauve et un visage lisse qui aurait aussi bien pu avoir vingt-cinq que cinquante-cinq ans. Zeke fut incapable de le deviner.

— Tu peux retirer le tien, dit-il en pointant du doigt la tête du garçon. Mais fais attention, on dirait que tu t’es blessé.

— Alors c’est une bonne chose que vous ayez un docteur ici, hein ?

— C’est une bonne chose, oui. Suis-moi. Je vais te conduire jusqu’à lui, maintenant.

— Maintenant ?

— Maintenant, répondit-il.

Cela n’avait pas été formulé comme une demande, mais plutôt comme un ordre, et Zeke ne voyait pas comment refuser. Bien entendu, il avait peur, il se rappelait ce qu’Angeline lui avait dit dans sa fureur déchaînée. Et il était également nerveux, car il y avait quelque chose chez ce Chinois impassible qui le mettait profondément mal à l’aise, même s’il n’arrivait pas à savoir quoi précisément. L’homme avait été extrêmement poli, mais la force de ses bras et l’insistance de son ton n’étaient pas les arguments d’un négociateur amical.

Il avait l’habitude qu’on lui obéisse, et Zeke n’était pas un garçon qui avait l’habitude d’obéir.

Mais la boule dans son ventre ne voulait pas savoir ce qui se passerait s’il tentait de lutter, où s’il se mettait à courir, et sa poitrine lui faisait mal rien qu’avec l’effort qu’il faisait pour respirer. Il décida qu’il pourrait y réfléchir par la suite. Il trouverait un plan d’évasion plus tard, pour le moment, il pouvait enlever son masque. Et cela lui suffisait.

Autour des joints, sa peau lui faisait mal. Elle était brûlée et irritée comme s’il avait versé du poivre dessus, mais soudain, lorsqu’il détacha une boucle et une agrafe, la visière et les filtres libérèrent son visage. Zeke le laissa tomber au sol et se mit à gratter sa peau rougie du bout des ongles.

Yaozu attrapa fermement le bras du garçon et l’écarta.

— Ne gratte pas. Cela ne ferait qu’empirer. Le docteur va te donner un onguent et l’irritation va disparaître rapidement. C’est la première fois que tu portais un masque ?

— Pendant plus de quelques minutes ? Oui, reconnut le garçon en baissant les mains et luttant pour ne pas céder à la tentation.

— Je vois. (Il ramassa le masque de Zeke et l’examina, le retourna puis tripota les filtres et la visière.) C’est un ancien modèle, observa-t-il. Et il a besoin d’être nettoyé.

— Sans blague ? dit Zeke en faisant la moue. Où allons-nous ?

— En bas. Sous la vieille gare qui n’a jamais servi. (Il évalua le garçon d’un regard, observant ses vêtements abîmés et sa coiffure négligée.) À mon avis, tu vas trouver le lieu assez exceptionnel.

— Exceptionnel ?

— Oui. Nous avons créé une vraie maison, là-dessous. Tu seras peut-être étonné.

— La plupart des choses que j’ai vues ici avaient l’air assez mal en point et minables, indiqua Zeke.

— Ah, mais tu n’as pas encore vu la gare, n’est-ce pas ?

— Non, monsieur.

— Bien. Laisse-moi te faire les honneurs.

Il se dirigea vers le mur, où il tira sur un autre levier.

Dans un endroit qui échappait à la vue de Zeke, des chaînes crissèrent et des engrenages se mirent à tourner. Devant lui, le mur coulissa le long d’un rail, révélant une superbe pièce remplie de lumière.

Il y avait également du marbre et du laiton, ainsi que des sièges en bois poli recouverts de coussins de velours. Au sol s’étendait une mosaïque de carreaux et de métal. Mais plus Zeke regardait les lumières, plus il se disait que ce n’était peut-être pas des flammes, après tout : cela ressemblait à quelque chose d’autre. De toute évidence, le joli plafond incurvé n’était ni brûlé ni sali par de la suie.

Une fois qu’il eut repris son souffle et que le mur derrière lui eut retrouvé sa position de départ, il demanda :

— Qu’est-ce que c’est que ces lumières, là-haut ? Comment ça fonctionne ? Ça ne sent pas le gaz et je ne vois pas de fumée.

— Ce sont l’avenir. (La réponse était mystérieuse, mais n’avait pas pour but de le taquiner.) Par ici. Je vais te préparer une chambre et un bain. Je vais demander au docteur si nous avons des vêtements, et peut-être de quoi manger et boire. Tu as eu de longues journées qui ne t’ont rien épargné.

— Merci, répondit-il par simple politesse. (Mais l’idée de manger un morceau lui plaisait et il n’avait jamais eu aussi soif de toute sa vie, même s’il ne s’en était pas rendu compte avant d’en entendre parler.) Cet endroit est magnifique, ajouta-t-il. Vous avez raison. Je suis étonné. Je suis… impressionné.

— C’était facile d’en faire un bel endroit. Personne ne l’a jamais considéré comme une gare. Elle n’était même pas terminée lorsque le Fléau est arrivé. Le docteur et moi avons aménagé quelques pièces, comme cette salle d’attente, avec les matériaux qui avaient déjà été apportés là pour sa construction. C’était presque parfait, il n’y avait que quelques modifications à faire.

Il indiqua le plafond, où trois gigantesques tuyaux munis de ventilateurs étaient alignés. Ces derniers ne tournaient pas pour le moment, mais Zeke se dit que le bruit devait être étourdissant quand ils étaient en marche.

— C’est pour l’air ?

— En effet, oui. C’est pour l’air. Les ventilateurs ne fonctionnent que quelques heures par jour, car il ne nous en faut pas davantage. Nous prenons l’air par-delà le Fléau, au-delà de la ville. Les tuyaux passent par-dessus le mur, expliqua-t-il. C’est pour cela que tu peux respirer ici. Mais nous ne vivons pas dans cette pièce. Les chambres, les cuisines et les salles de bains sont de ce côté-là.

Zeke suivit presque impatiemment, curieux de voir la suite. Mais avant de sortir de la pièce lumineuse avec son haut plafond et ses fauteuils rembourrés, il remarqua qu’il y avait une porte tout au bout de la salle. Comme les autres, elle avait des joints, mais elle était également barricadée à l’aide de barres en fer et de gros verrous.

Yaozu l’entraîna jusqu’à une plate-forme de la taille d’un appentis et rabattit une grille, puis il tira une poignée au bout d’une chaîne. De nouveau, il y eut des bruits de métal au loin.

La plate-forme se mit à descendre rapidement, non pas comme le dirigeable accidenté qui plongeait, mais plutôt comme une machine dont c’était la finalité.

Zeke attrapa la grille et s’y accrocha.

Après l’arrêt de la plate-forme, Yaozu repoussa la grille et posa une main sur l’épaule de Zeke, le guidant à droite dans un couloir doté de quatre portes. Elles étaient toutes peintes en rouge et étaient équipées d’un judas aussi gros qu’une pièce, aussi bien pour voir à l’extérieur qu’à l’intérieur.

La dernière porte s’ouvrit sans qu’il soit nécessaire de la déverrouiller, ce qui surprit Zeke. Fallait-il trouver rassurant le fait qu’ils n’aient pas l’air de vouloir l’enfermer ? Ou bien est-ce que cela serait dérangeant, car il n’aurait pas l’assurance que son intimité serait respectée ?

Mais la chambre en elle-même était plus belle que toutes celles qu’il avait pu voir auparavant. Il y avait de moelleuses couvertures sur un lit équipé d’un épais matelas, et des lampes suspendues au plafond et installées sur les tables à côté du lit la rendaient lumineuse. De longs et lourds rideaux étaient accrochés à une tringle à l’autre bout de la pièce, ce qui étonna considérablement Zeke.

Il ne les quitta pas du regard jusqu’à ce que Yaozu précise :

— Non, bien sûr qu’il n’y a pas de fenêtres ici. Nous sommes à présent deux étages en dessous du sol. C’est simplement que le docteur aime bien les rideaux. À présent, mets-toi à l’aise. Il y a une cuvette dans l’angle. N’hésite pas à t’en servir. Je vais dire au docteur que tu es ici, et je suis sûr qu’il va s’occuper lui-même de ta blessure.

Zeke se nettoya le visage dans la cuvette, ce qui eut pour effet de transformer l’eau en une boue noirâtre. Lorsqu’il fut aussi propre que possible, il se mit à errer dans la pièce et à toucher toutes les jolies choses qu’il voyait, ce qui lui prit un moment. Yaozu avait raison : il n’y avait pas de fenêtre, pas même une peinture en trompe-l’œil, de l’autre côté des rideaux. C’était simplement un mur, recouvert de la même tapisserie qu’ailleurs.

Il vérifia la poignée de la porte.

Celle-ci tourna facilement. Le battant s’ouvrit et Zeke passa la tête dans le couloir. Il ne vit rien ni personne, à l’exception de quelques meubles contre le mur et d’un tapis qui couvrait toute la longueur du couloir. La plate-forme pour monter et descendre était toujours au même endroit et la grille était ouverte.

Le message était clair : il était libre de s’en aller s’il arrivait à trouver la sortie et s’il voulait partir. Ou du moins, c’était l’impression que le docteur voulait lui donner. Rien ne garantissait à Zeke que, une fois qu’il serait dans l’ascenseur, une alarme ne se déclencherait pas et que des volées de flèches empoisonnées ne seraient pas décochées d’un peu partout à la fois.

Il en doutait, mais pas suffisamment pour tenter quelque chose.

Puis il s’aperçut que Yaozu lui avait pris son masque, et la situation lui sembla un peu plus claire.

Zeke s’assit sur le rebord du lit. Celui-ci était plus doux et plus épais qu’un matelas de plumes, et il rebondissait sous son corps quand il bougeait. Il avait toujours très soif, mais il avait sali la seule eau qui se trouvait dans la pièce. Il avait mal à la tête, mais il ne voyait pas ce qu’il pouvait y faire. Il avait toujours faim, mais il n’y avait rien à manger et, quand il y songeait, il était finalement plus fatigué qu’affamé.

Il remonta ses pieds sur le lit sans même prendre la peine d’enlever ses chaussures. Il replia les genoux et se pelotonna contre l’oreiller le plus proche, puis il ferma les yeux.

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