VI


Il y avait deux façons de franchir la muraille qui encerclait entièrement l’ancien centre ville de Seattle. Quiconque voulait se rendre de l’autre côté pouvait soit passer au-dessus, soit en dessous. D’après Rector, Zeke avait opté pour la seconde solution.

Rector ne savait pas exactement ce qu’il avait emporté avec lui pour ce voyage ; il était quasiment sûr qu’il avait pris un peu de nourriture, des munitions et l’ancien revolver de service de son grandpère, volé dans le tiroir de la table de chevet de Maynard, où il était resté inutilisé pendant seize ans. Il avait également emporté quelques menus objets appartenant à son grand-père afin de pouvoir faire un peu de troc : une paire de boutons de manchettes, une montre à gousset et une cravate américaine. Rector l’avait aidé à se procurer un ancien masque à gaz cabossé.

L’une des dernières choses que le rouquin avait dites avant que Briar soit expulsée de l’orphelinat était :

— Je vous parie un dollar qu’il sera sorti dans dix heures. De toute façon, il le faut. Le masque ne le protégera pas plus longtemps et, s’il ne trouve pas un endroit sécurisé, il sait qu’il doit faire demitour et ressortir. Vous devriez patienter encore un peu. Attendez ce soir et, s’il n’est pas revenu, alors vous pourrez vous inquiéter pour lui. Il ne mourra pas là-bas, c’est certain.

Alors qu’elle s’éloignait de l’orphelinat dans le sombre crachin, Briar eut envie de crier, mais elle avait besoin de toute son énergie pour avancer. L’inquiétude et la rage l’avaient épuisée, et elle essaya de se convaincre que Zeke avait tout prévu.

Il n’avait pas simplement escaladé le mur pour retomber dans le cœur de la ville, où grouillaient des hordes de Pourris titubants, des bandes de criminels ou des vagabonds. Il avait pris ses précautions. Il avait emporté des provisions. Il était toujours possible que tout se passe bien, n’est-ce pas ? Dix heures avec un masque et, si le danger était trop grand, il ferait demi-tour et rentrerait. Il n’était pas stupide au point de persister. S’il avait réussi à entrer, il réussirait à sortir.

L’entrée qu’il avait utilisée était en bordure de l’océan, avec les autres canalisations. Elle était presque masquée par les rochers érodés qui protégeaient la voie d’évacuation contre le martèlement du ressac. Briar n’aurait jamais imaginé que les anciennes conduites d’égout puissent encore remonter sous la terre jusqu’à la ville. Elles faisaient partie de l’ancien système souterrain qui s’était effondré et qui avait par la suite été fermé, au cas où. Mais Rector lui avait assuré que la population restée de l’autre côté avait déblayé les débris laissés par le Boneshaker lors du tremblement, et que la porte pouvait être ouverte plus facilement qu’il n’y paraissait.

Dix heures d’attente, cela l’emmenait plus ou moins vers neuf heures.

Briar décida de rester à l’extérieur. Rentrer chez elle n’était pas une bonne idée, elle y deviendrait folle d’inquiétude, et partir tout de suite à la recherche de son fils n’était pas judicieux. Si elle entrait dans l’enceinte de la ville maintenant, elle risquerait de se retrouver à l’intérieur au moment même où il sortirait, et alors ils se manqueraient et elle ne saurait toujours pas ce qu’il était advenu de lui.

Non, Rector avait raison. La seule chose à faire était d’attendre. Il ne restait plus longtemps de toute façon, juste quelques heures.

Elle avait tout le temps pour marcher jusqu’à l’autre côté du détroit ; elle allait se frayer un passage parmi les rochers, contourner les cuvettes où l’eau arrivait à hauteur des cuisses, et passer les crevasses déchiquetées des falaises qui cachaient le système d’évacuation abandonné aux regards des habitants des Faubourgs.

La nuit était tombée, noire et humide, mais Briar portait toujours ses vêtements de travail et des bottes suffisamment robustes pour protéger ses pieds tout en étant assez souples pour lui permettre de bien trouver ses appuis sur les rochers. Dieu merci, la marée était basse, mais le vent rabattait toujours les embruns. Elle était presque trempée lorsqu’elle contourna la dernière bande de sable et de pierres et aperçut les mécanismes recouverts d’algues qui permettaient autrefois de régler les canalisations.

Et là, partiellement enterré sous le gravier, les coquillages et les morceaux de bois refoulés par l’océan, se tenait le tunnel fissuré en brique qui remontait sous les rues de la ville.

Rincé par l’eau salée et par la pluie, usé par les orages et battu par les vagues, la conduite était délabrée. Briar avait le sentiment qu’elle pouvait s’effondrer à la moindre pression, mais elle y appuya une main et poussa de toutes ses forces sans que le tunnel ne bouge ou ne s’affaisse.

Elle passa la tête sous le surplomb et suivit le chemin que lui ouvrait sa lanterne. Celle-ci contenait suffisamment d’huile pour tenir encore plusieurs heures, et Briar n’avait rien d’autre à craindre qu’une inondation ou une forte averse pour l’éteindre. Toutefois, à l’intérieur du tunnel aussi noir que du charbon et bien plus sombre que la nuit, sa lueur semblait faible et minuscule. Le halo projeté par la flamme n’éclairait pas bien loin.

Briar tendit l’oreille autant qu’elle le pouvait, s’efforçant d’entendre au-delà du faible écoulement de l’eau qui allait et venait, de la brume et de la pluie incessante qui s’infiltrait par les fissures des briques.

Elle n’était plus venue aussi près de la ville depuis plus de seize ans.

Quelle longueur faisait le tunnel ? Huit cents mètres tout au plus, même s’il paraissait certainement plus long et plus fatigant à quiconque évoluait, plié en deux, en le remontant dans l’obscurité. Briar tenta d’imaginer son fils, une lanterne dans une main et le pistolet dans l’autre. Est-ce qu’il tenait l’arme ? Ou l’avait-il rangée dans son étui ?

Savait-il seulement comment l’utiliser s’il en avait besoin ?

Elle en doutait. Mais peut-être l’avait-il seulement emportée pour pouvoir l’échanger, et elle se dit que c’était astucieux de sa part. Si son grand-père était un héros local, alors des vêtements, des effets personnels et autres choses de ce genre auraient peut-être assez de valeur pour lui permettre d’acheter des informations.

En s’enfonçant encore dans le tunnel, elle trouva un bout de mur recouvert d’une mousse qui était relativement sèche, et elle s’y assit. D’un revers de main, elle dégagea un espace sur les briques pour y poser la lanterne et déplaça celle-ci jusqu’à avoir la certitude qu’elle resterait bien droite. Elle s’appuya contre le mur en essayant d’ignorer le froid et l’humidité de la paroi arrondie qu’elle sentait à travers son manteau ; et, malgré la peur, la colère et le froid, malgré une inquiétude qui la rongeait au point de la rendre malade, elle sombra dans un sommeil agité.

Et soudain, elle fut réveillée.

Violemment.

Sa tête fut projetée en arrière et elle se cogna contre les briques concaves.

Elle était perdue et assommée. Elle ne se souvenait pas s’être assoupie, et le réveil en sursaut fut doublement un choc. Il lui fallut un moment pour comprendre où elle était et ce qu’elle faisait là, et encore plus de temps pour réaliser que le monde tremblait. Un pan de brique se détacha et tomba près d’elle et de la lanterne, faisant presque voler cette dernière en éclats.

Briar s’en saisit et la mit à l’abri avant qu’une masse de pierre ne s’écrase dessus.

À l’intérieur du tunnel, l’écho était assourdissant : le bruit des briques qui s’effondraient et des morceaux de mur qui se brisaient au sol résonnait aussi fort que si une guerre avait éclaté dans un bocal.

— Non, non, non, supplia-t-elle, en proie à la panique. Pas maintenant. Pas maintenant, Seigneur, pas maintenant !

Les tremblements de terre étaient assez fréquents, mais ils étaient rarement dévastateurs. Ici, dans l’espace bas et étroit de l’ancien système d’évacuation, il lui était difficile de juger de la férocité de celui-ci.

Briar sortit du tunnel en trébuchant et fut engloutie par la nuit noire. Elle eut un mouvement de recul en découvrant que la marée était presque remontée jusqu’à l’endroit qu’elle avait choisi pour attendre son fils. Elle n’avait pas de montre, mais elle devait avoir dormi plusieurs heures et il était certainement plus de minuit.

— Zeke ? cria-t-elle à tue-tête, au cas où il se trouverait à l’intérieur du tunnel et chercherait la sortie.

Elle l’appela encore une fois en essayant de couvrir le terrible grondement provoqué par le frottement du sable et le roulement des vagues.

Elle ne reçut pas d’autre réponse que le lourd fracas de l’océan qui venait s’écraser sur le rivage. Le tunnel vacilla. Briar n’aurait jamais pensé que quelque chose d’aussi imposant pouvait se montrer aussi léger et fragile qu’un jouet d’enfant, et pourtant ! Il se replia sur lui-même et sur l’ancien dispositif qui l’avait soutenu jusqu’à présent.

La masse volumineuse oscilla et s’écrasa, s’aplatissant aussi subitement qu’un château de cartes.

L’effondrement souleva un nuage de poussière qui fut aussitôt rabattu par l’humidité ambiante.

Briar resta figée. Ses jambes s’ajustaient aux mouvements du sol et elle réussissait à rester debout. Elle essaya de se répéter mille et une choses qui l’empêcheraient de céder à la panique.

Elle remercia Dieu d’être à l’extérieur, car elle avait déjà connu quelques méchantes secousses par le passé, et il était bien plus terrifiant de voir le plafond au-dessus de soi menacer de s’écraser. Elle murmura désespérément :

— Zeke n’était pas là-dedans. Il n’est pas encore sorti, sinon il m’aurait vue. Il n’était pas dans le tunnel quand celui-ci s’est écrasé, il n’y était pas.

Cela signifiait qu’il était encore à l’intérieur de la ville, quelque part, mort ou vif.

Si elle n’était pas persuadée qu’il allait bien, elle se serait mise à pleurer, et cela ne la ferait pas avancer. Zeke était maintenant coincé dans Seattle.

Il n’était plus question d’attendre.

Il fallait aller le sauver.

Comme il était désormais impossible de passer sous le mur, Briar allait devoir emprunter la voie des airs.

Le sol grondait toujours, mais il commençait à se calmer, et elle n’avait pas le temps d’attendre que le chemin soit parfaitement stable. Alors que les rochers s’entrechoquaient faiblement et que les bâtiments bas et hideux des Faubourgs vibraient dans leurs fondations, elle enfonça un peu plus son chapeau sur sa tête, leva sa lanterne et commença à remonter le rivage.

Il y avait deux méthodes pour franchir la muraille : par-dessus et par-dessous, c’est ce que Rector avait dit.

Il fallait oublier la solution souterraine, la voie des airs allait donc faire l’affaire.

Il était peut-être possible d’escalader la paroi, mais pas pour Briar. Peut-être qu’il y avait quelque part une échelle ou des escaliers dissimulés mais, si c’était le cas, Zeke serait passé par là plutôt que d’emprunter le tunnel.

Il ne restait donc plus qu’un seul moyen : un dirigeable.

Les marchands qui se rendaient sur la côte passaient au-dessus des montagnes quand ils le pouvaient. C’était dangereux, oui, car les courants d’air étaient imprévisibles et l’altitude rendait la respiration difficile ; mais franchir les cols à pied pouvait être mortel et rallongeait le temps de trajet. De plus, il fallait emporter des chariots et des animaux qui avaient besoin d’être soignés et protégés. Utiliser des dirigeables n’était pas la solution idéale mais, pour certains entrepreneurs, c’était encore la plus simple.

Sauf à cette époque de l’année.

Le mois de février était synonyme de pluie glaciale sur la côte. Et, de l’autre côté des montagnes, il y avait certainement de la neige, des orages, et des rafales qui auraient pu malmener un dirigeable.

Les seuls engins qui volaient en hiver étaient pilotés par des contrebandiers. Et, dès que Briar en prit conscience, elle comprit également autre chose : aucun commerçant respectueux de la loi n’irait positionner un précieux appareil au-dessus de Seattle ; aucun d’eux n’irait s’aventurer aussi près du Fléau acide et corrosif qui s’y amassait.

Mais elle savait à présent autre chose sur le gaz toxique.

Il avait de la valeur.

Les chimistes en avaient besoin pour fabriquer le suc-citron. Et il provenait de l’intérieur de la ville. Il y avait donc des dirigeables qui passaient régulièrement au-dessus de la muraille, ou qui allaient de l’autre côté, même pendant les pires périodes de l’année. À cet instant précis, deux éléments se présentèrent à elle, conduisant à une conclusion tout aussi évidente et, pour finir, à une suite d’actions logique.

Une seconde vague de secousses suivit la première, mais passa rapidement. Dès que le sol eut retrouvé sa stabilité, Briar Wilkes se mit à courir.

Sur le chemin qui la ramenait chez elle, elle passa devant des débris dans la rue et des gens qui pleuraient ou se disputaient, debout sur les pavés en vêtements de nuit. Un peu partout, des choses étaient tombées et avaient pris feu. Au loin, les tintements métalliques des véhicules de fortune des pompiers résonnaient, tandis que les quartiers se réveillaient les uns après les autres dans la panique.

Personne ne remarqua ou ne reconnut Briar alors qu’elle courait, lanterne à la main, remontait les pentes escarpées et contournait les vastes places où de gros objets étaient tombés en bloquant le passage. Là-bas, sur la plage, le séisme ne lui avait pas paru si terrible que cela, mais la terre se comportait parfois bizarrement et bougeait sans logique. Ça n’avait pas été aussi catastrophique que le…

Et, dans son souvenir, l’abominable furie destructrice du Boneshaker fit à nouveau trembler la terre sous ses pieds, abattant les parois des caves et ravageant le sous-sol, pilonnant les roches et creusant, foudroyant et détruisant tout ce qui se trouvait sur son passage.


…Elle n’était pas la seule à y penser, elle le savait. La catastrophe était dans tous les esprits à chaque fois qu’une secousse agitait le sol.

Elle n’était pas inquiète pour la maison de son père ; elle avait résisté à pire. Et, une fois sur place, elle ne fut même pas soulagée de la voir encore debout, sans dégâts apparents. Rien d’autre que la présence de Zeke devant l’entrée n’aurait pu la ralentir.

Elle poussa la porte et entra en coup de vent ; l’intérieur froid et sec était aussi vide qu’elle l’avait laissé.

Sa main s’arrêta sur la poignée de porte de la chambre de son père.

Il y eut un bref instant d’hésitation, une résistance à rompre une habitude établie depuis longtemps.

Puis elle saisit la poignée et la tourna.

Dans la chambre, il n’y avait que des ombres, jusqu’à ce qu’elle y promène sa lanterne. Elle la posa sur la table de chevet et nota, sans y prêter véritablement attention, que le tiroir dans lequel Zeke avait volé l’ancien revolver mentionné par Rector était toujours ouvert. Elle aurait préféré qu’il ait pris autre chose. Le pistolet en question était une antiquité ayant appartenu au beau-père de Maynard. Ce dernier ne s’en était jamais servi et l’arme ne fonctionnait probablement même plus, mais, bien entendu, Zeke ne pouvait pas le savoir.

Elle sentit à nouveau une pointe de regret et s’en voulut de ne pas lui en avoir dit davantage. Une histoire. N’importe laquelle.

Quand elle l’aurait retrouvé, alors…

Quand il serait de retour à la maison, elle lui raconterait tout ce qu’il souhaitait savoir, toutes les anecdotes, tous les faits. Il saurait tout, si seulement il rentrait vivant. Peut-être que Briar avait été une mauvaise mère, ou qu’elle avait seulement fait de son mieux. Cela avait peu d’importance alors que Zeke se trouvait dans cette ville toxique et emmurée où des morts vivants, victimes du Fléau, rôdaient en quête de chair humaine et où des sociétés criminelles avaient établi leurs repaires au fond de maisons de fortune et de sous-sols nettoyés.

Mais pour toutes les choses qu’elle avait ratées, foutues en l’air, perdues, oubliées, les choses sur lesquelles elle avait menti ou l’avait trompé… elle s’apprêtait à le suivre là-bas.

Une main sur la poignée de chaque porte, elle ouvrit brusquement l’immense armoire de Maynard et se planta devant elle, une expression déterminée marquant son visage. Le double fond se souleva lorsque Briar enfonça le pouce dans un trou.

Elle eut un nœud à l’estomac et se sentit soudain oppressée.

Tout était là, exactement comme elle l’avait laissé des années auparavant.

Elle avait enterré ces objets avec Maynard. À l’époque, elle n’aurait jamais imaginé vouloir les récupérer ou en avoir besoin un jour. Mais les officiers étaient venus et l’avaient déterré et, lorsqu’ils avaient rendu le corps, celui-ci avait été délesté de ce qu’elle avait utilisé pour l’habiller.

Six mois plus tard, Briar avait retrouvé les affaires dans un sac en rentrant chez elle. Elles avaient été déposées devant la porte. Elle ne sut jamais qui les avait ramenées, ni pourquoi. Cela faisait alors trop longtemps que Maynard était sous terre pour le déranger une seconde fois. Alors, les objets de sa vie, ces choses qu’il avait portées chaque jour, étaient retournés dans leur tiroir secret, sous le plancher de son armoire.

Elle les en retira un à un et les déposa sur le lit.

Le fusil. L’insigne. Le solide chapeau en cuir. La ceinture avec sa grosse boucle ovale et l’étui d’épaule.

Son manteau pendait comme un fantôme dans le fond de l’armoire. Elle s’en saisit et le mit dans la lumière. Plus noir que la nuit, le trench en laine feutrée était huilé pour résister à la pluie. Ses boutons en laiton avaient perdu leur éclat mais étaient solidement cousus et, dans l’une des poches, Briar trouva une paire de lunettes dont elle ignorait l’existence. Elle ôta son propre manteau et enfila celui de son père.

Le chapeau aurait dû être un peu trop grand pour elle, mais sa chevelure était bien plus fournie que celle de Maynard, aussi lui alla-t-il parfaitement. La ceinture était trop longue et la boucle ornée des initiales MW était immense, mais elle la glissa dans les passants de son pantalon, la serra bien contre elle, et ferma la grande plaque métallique un peu plus bas que sa taille.

Dans un coin, au fond de l’armoire, se trouvait une sobre malle marron remplie de munitions, de chiffons et d’huile. Briar n’avait jamais nettoyé le Spencer à répétition de son père, mais elle l’avait vu faire des milliers de fois, et connaissait donc les gestes. Elle s’assit sur le rebord du lit et les reproduisit. Lorsque l’arme fut suffisamment propre pour renvoyer la faible lumière de la lanterne, elle s’empara d’une boîte de cartouches Rimfire et les enfonça du pouce dans le fusil.

Elle prit des munitions supplémentaires au fond de la malle. Même si le couvercle de cette dernière avait accumulé quinze ans de poussière, son contenu paraissait en bon état. Elle attrapa donc la seconde boîte de cartouches et la glissa dans une sacoche qu’elle avait repérée sous le lit.

Elle y ajouta les lunettes de son père, le vieux masque à gaz qu’elle avait utilisé pendant l’évacuation, sa blague à tabac, et le maigre contenu d’un pot à café qu’elle cachait derrière la cuisinière, soit une vingtaine de dollars. Et encore, heureusement qu’elle venait de recevoir sa paie !

À travers les rideaux de la chambre de son père, Briar nota que le soleil était sur le point de se lever. Cela signifiait qu’elle aurait été en retard au travail si elle avait eu l’intention d’y aller. En dix ans, elle n’avait jamais manqué un jour, mais, en cette occasion, ils allaient devoir l’excuser ou la licencier, comme bon leur semblerait.

Elle n’irait pas.

Elle avait un ferry à attraper, vers l’île de Bainbridge, où étaient amarrés et ravitaillés les dirigeables qui effectuaient un commerce légal. Même si les contrebandiers et leurs marchandises ne partaient pas également de l’autre côté du détroit, quelqu’un là-bas pourrait très certainement lui indiquer la bonne direction.

Elle rangea le fusil dans l’étui qui pendait dans son dos, passa la bandoulière de la sacoche par-dessus sa tête et referma l’armoire de son père.

Puis, elle ferma la maison de Maynard, et la laissa sombre et vide.

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