XI


En bas des marches, Briar déboula dans une salle pratiquement vide qui avait été creusée sous les fondations d’origine. Du charbon s’empilait dans de grands chariots de mines au fond de la pièce, provenant directement d’un tunnel découpé dans la brique.

Celui-ci était étonnamment bien éclairé, et puisque aucune autre direction ne se présentait à elle, Briar passa de l’autre côté des chariots.

Le tunnel ne comportait pas de rails, mais le sol avait été tassé et recouvert de pierres, ce qui permettait de faire rouler les chariots, probablement avec l’aide de machines, conclut Briar à la vue des chaînes et des manivelles qui étaient disséminées le long des murs et au sol.

D’une poutre à l’autre, de longs segments de cordes pendaient du plafond, et des lanternes y étaient suspendues dans des cages en acier.

Briar les suivit aussi vite qu’elle le put, comme si elles étaient une piste de miettes de pain. Elle gardait toujours le fusil de Maynard à portée de main, prête à épauler ou à tirer, et celui-ci pendait sous son bras tandis qu’elle courait. Elle ne vit personne dans un sens ou dans l’autre et, si les Chinois la suivaient, ils étaient très silencieux. Elle n’entendait aucun écho de pas derrière elle, et ne détectait aucune voix, toux ou rire provenant de sa destination.

Environ cinquante mètres plus loin, sous les salles des activités qui occupaient la zone, le tunnel se sépara en quatre, chaque passage fermé par les mêmes longs rideaux en cuir ou recouverts de caoutchouc qui protégeaient la voie qui sortait de la salle des soufflets.

Elle les écarta légèrement, juste assez pour jeter un coup d’œil de l’autre côté.

Deux des chemins étaient éclairés ; les deux autres étaient plongés dans le noir. Dans l’un des couloirs éclairés, Briar pouvait entendre une dispute au loin. L’autre était silencieux. Elle se dépêcha de l’emprunter en priant pour que tout aille bien. Mais au bout de quelques mètres, le passage était bloqué par une grille qui aurait pu retenir une horde d’éléphants.

Elle émergeait du sol, dans lequel sa base avait été enterrée très profondément, plus loin qu’il n’y paraissait à première vue. Elle était inclinée selon un certain angle, dans le but de repousser une force extraordinaire avec les bouts pointus de ses piques les plus hautes. De l’autre côté de la grille, Briar aperçut un mur en bois entouré de fils barbelés. Les planches semblaient avoir autrefois été utilisées à même le sol, faisant office de traverses de voie ferrée, mais il y avait un immense loquet en bois qui pouvait être soulevé. Lorsqu’elle se rapprocha pour regarder de plus près, Briar discerna des fentes à un endroit où une porte avait été découpée, enfoncée ou bloquée.

Elle empoigna la grille, tâtonnant le long des barres jusqu’à ce que ses doigts trouvent un verrou. Il n’avait pas été fermé, seulement posé, et il était donc facile de le soulever.

Elle agrippa ensuite le loquet de la porte en bois, mais celle-ci ne bougea pas.

Alors elle se mit à pousser. Le battant grinça en s’ouvrant et une bouffée d’air entra dans la salle souterraine. Briar n’eut pas besoin de sentir le gaz à travers le masque ni de regarder à travers son fragment de verre polarisant pour savoir qu’il était là.

De l’autre côté, un escalier en pierre l’attendait. Il permettait de grimper et de sortir, mais pas de continuer à descendre.

Elle ne prit pas le temps de changer d’avis ou de chercher une autre issue. Dans la rue, elle pourrait retrouver son chemin. Elle longea le mur et se glissa de l’autre côté d’une porte en bois. Elle referma le battant en le poussant avec son dos et leva à nouveau le fusil, obligeant ses mains à ne plus trembler et se concentrant, car cette fois elle était bel et bien dans Seattle… À l’intérieur du mur, avec les terribles choses qui y étaient piégées, et également, pour autant qu’elle sache, ses terribles habitants.

Le Spencer lui procura un sentiment de sécurité. Elle le serra de toutes ses forces et remercia silencieusement son défunt père pour ses choix d’armes à feu.

En haut des marches, elle ne voyait rien à l’exception d’un rectangle d’un gris intense qui se détachait, et ce n’était même pas le gris du ciel. C’était le crépuscule permanent qu’imposait la hauteur du mur, dont l’ombre bloquait même les faibles rayons du soleil qui perçaient pendant quelques heures chaque jour de l’hiver.

— Dans quelle rue est-ce que je suis ? se demanda Briar. (Sa voix ne lui apportait pas autant de réconfort que le fusil.) Quelle rue ?

Il y avait quelque chose d’étrange avec cette porte, se dit-elle, mais cela ne lui sauta aux yeux qu’une fois qu’elle l’eut franchie : il n’y avait pas de loquet, de poignée, ou même de verrou à l’extérieur. Elle était conçue pour empêcher les gens d’entrer, sauf s’ils avaient la permission de ceux qui étaient déjà à l’abri à l’intérieur.

Ce constat la fit presque paniquer car elle comprit que, même si elle en avait besoin, elle ne pourrait pas revenir en arrière. Mais, de toute façon, faire demi-tour ne faisait pas partie du plan.

Son but, c’était de monter. Atteindre la rue, trouver où elle était, s’orienter, puis aller à…

Où ? Eh bien. Il y avait toujours la maison.

Elle n’avait pas longtemps habité le pavillon qui se trouvait à flanc de colline, seulement quelques mois ; et maintenant qu’elle savait qu’il y avait des gens à l’intérieur du mur, elle était prête à parier que les biens qu’il contenait avaient été volés. Mais il restait peutêtre quelque chose d’utile. Leviticus avait fabriqué énormément de machines, et il avait caché beaucoup de ses créations favorites dans des pièces secrètes qui avaient peut-être échappé au pillage.

Et, de plus, la seule chose qu’elle savait des plans d’Ezekiel était qu’il voulait voir le laboratoire de son père et qu’il comptait y trouver une preuve de l’innocence de ce dernier.

Est-ce que son fils avait seulement la moindre idée d’où se trouvait la maison ?

Briar pensait que non ; mais elle était également persuadée qu’il ne pourrait jamais aller à l’intérieur de la ville et, sur ce point, elle s’était plutôt trompée. C’était un garçon plein de ressources, il fallait le reconnaître. Le plus judicieux était peut-être de partir du principe qu’il avait réussi.

Tandis qu’elle se tapissait en bas de l’escalier en pierre abîmé, se terrant dans l’obscurité comme si elle était assise au fond d’un puits, Briar reprit lentement son souffle et réussit à retrouver son calme. Personne n’avait ouvert la porte et ne l’avait trouvée. Aucun son ne lui parvenait, pas même le tintamarre des machines dans le bâtiment qui se trouvait derrière elle.

La situation n’était peut-être pas désespérée.

Elle posa son pied calmement devant elle, sur la marche la plus proche, puis gravit la deuxième avec la même lenteur et le même silence. Autant que le lui permettait sa vision latérale rétrécie par le masque, Briar regarda la porte derrière elle diminuer au fur et à mesure qu’elle montait.

Elle avait entendu parler des Pourris et elle en avait vu quelquesuns lors des premiers jours qui avaient suivi l’arrivée du Fléau, mais combien pouvait-il y en avoir à l’intérieur de la ville ? Il fallait bien qu’à un moment donné ils meurent, disparaissent, se décomposent, ou tout simplement qu’ils succombent aux éléments. Ils devaient être dans un état déplorable et aussi faibles que des chatons s’ils étaient encore en train de ramper ou de se traîner depuis tout ce temps.

Du moins, c’est ce qu’elle se dit alors qu’elle grimpait les marches.

En pliant les genoux pour rester accroupie, elle arriva à garder la tête cachée sous le sommet de l’escalier jusqu’au dernier moment, puis elle tendit le cou pour pouvoir regarder sans s’exposer à ce qui pouvait l’attendre au-dehors.

Bien que maussade, la ville n’était pas sombre au point qu’elle ait besoin de lumière, mais les épaisses ombres des murs et des toits n’allaient pas tarder à plonger les lieux dans l’obscurité la plus profonde.

La rue au niveau des yeux de Briar était complètement délabrée, glissante et boueuse à cause de l’eau de pluie et du ruissellement du Fléau. Les pavés qui avaient été utilisés pour sa construction se fendillaient. Toute la surface était inégale, bosselée, et jonchée de débris. Des chariots étaient renversés et brisés ; des cadavres de chevaux et de chiens démembrés et décomposés depuis belle lurette étaient éparpillés et formaient des piles d’os poisseux, vaguement reliés par des tissus filandreux vert-de-gris.

Briar tourna lentement la tête vers la gauche, puis vers la droite. Elle ne pouvait pas voir bien loin dans un sens comme dans l’autre.

Entre la pénombre et l’air épais et concentré, il était impossible de distinguer plus de la moitié d’un pâté de maisons. Impossible de dire dans quel sens partaient les rues. Nord ou sud, est ou ouest, cela n’avait aucun sens sans le soleil pour s’orienter.

Pas la moindre brise souleva les cheveux de Briar, et elle ne pouvait entendre ni l’eau ni les oiseaux. Ces derniers avaient été des milliers longtemps auparavant, en grande majorité des corbeaux et des mouettes, tous étant très bruyants. Les différentes espèces faisaient autrefois un véritable raffut de froissements de plumes et de claquements de becs, et le silence, sans eux, était étrange. Pas d’oiseaux, pas de gens. Pas de machines, ni de chevaux.

Rien ne bougeait.

Sa main gauche tendue devant elle, Briar sortit de son trou sans faire aucun bruit susceptible de déranger l’étrange calme qui régnait.

Finalement, elle se retrouva en plein air, tout contre le bâtiment qui jouxtait les marches.

Le seul son provenait du frottement de ses cheveux contre les sangles et les côtés de son masque et, lorsqu’elle arrêta de bouger, même ce très léger bruit cessa.

Elle se tenait en haut d’une côte et avait vue sur un quartier en contrebas, où la rue plongeait et sortait ensuite de son champ de vision. Sur les côtés, des emplacements étaient remplis de poubelles vides. Et, en hauteur, alors que Briar passait le lieu en revue, elle vit les restes d’un panneau à moitié effondré et une énorme horloge sans aiguilles.

Ce devait être…

— Le marché. Je suis près de Pike Street.

Elle faillit le dire à voix haute, mais se contenta de souffler les mots. La rue se terminait en impasse au marché et, de l’autre côté, il y avait le détroit, ou du moins cela aurait été le cas si la muraille ne s’était pas dressée au milieu.

Le bâtiment qui était derrière elle devait donner sur Commercial Avenue, la rue qui avait autrefois longé l’océan et suivait à présent le mur.

Sur les quelques pâtés de maisons suivants, n’importe laquelle des rues situées parallèlement à Pike Street la conduirait plus ou moins dans la direction voulue.

Elle resta à proximité du bâtiment, le fusil et les yeux se déplaçant vers le haut, puis vers la rue en bas tandis qu’elle avançait en crabe. Respirer à travers le masque n’était pas plus facile qu’avant, mais elle s’y habituait et, de toute façon, elle n’avait pas d’autre solution. Sa poitrine lui faisait mal à cause de l’effort supplémentaire qu’elle devait imposer à ses muscles pour gonfler ses poumons et, en bas des verres, la vue se brouillait sous l’effet de la condensation.

En grimpant lentement vers la colline, elle s’écartait du mur qu’elle ne voyait même pas. Briar savait que son immense ombre montait dans le ciel, mais il disparaissait de la vue bien avant, et il était facile de l’oublier, en particulier en s’en éloignant.

Dans sa tête, elle se livrait à des calculs sans fin. À quelle distance était-elle de la maison lavande sur la colline ? Combien de temps faudrait-il pour y arriver en courant ? Et en marchant ? Et si elle avançait prudemment comme ça, se faufilant entre les volutes du brouillard puant qui restait près du sol ?

Elle fit jouer sa mâchoire en essayant de secouer la condensation pour qu’elle s’accumule et coule.

Son effort ne servit à rien. La vapeur resta dans le masque.

Elle soupira, et un second soupir lui fit écho.

Surprise, elle secoua la tête. Il s’agissait sans doute des sangles, ou le frottement du masque contre son front. C’était peut-être ses cheveux qui avaient frôlé quelque chose. Ou alors ses bottes, raclant sur une pierre saillante. Le bruit pouvait venir de n’importe où. Mais c’était tellement silencieux. Il n’y avait vraiment aucun bruit.

Ses pieds refusaient de bouger. Ses bras ne répondaient plus, pas plus que ses mains, serrées autour du fusil. Elle eut même du mal à tourner la tête, par peur de reproduire le bruit, ou, au contraire, de ne pas le refaire. La seule chose pire que l’entendre à nouveau serait de l’entendre en sachant qu’il ne provenait pas de ses propres mouvements.

Évoluant si lentement que même son long manteau ne frotta pas contre ses jambes, Briar battit en retraite, devinant le sol à tâtons, priant pour qu’il n’y ait rien derrière elle. Sa botte rencontra une bordure et s’y arrêta.

Elle la grimpa doucement.

Et elle entendit à nouveau le son. C’était presque comme un chuintement, ou peut-être bien une respiration étranglée. Mais par-dessus tout, c’était un bruit étouffé qui semblait ne venir de nulle part.

Un murmure.

Briar essaya de situer le son et détermina, maintenant qu’elle l’avait à nouveau entendu et pouvait être sûre qu’elle ne l’avait pas imaginé, qu’il provenait d’un endroit sur sa gauche, en bas, en direction du mur. Il venait des emplacements de la rue où rien n’avait été acheté ni vendu depuis presque seize ans.

Le murmure se fit un peu plus fort, puis cessa.

Briar s’arrêta également, ou se serait arrêtée si ce n’avait pas déjà été fait. Elle aurait voulu s’immobiliser encore davantage, pour ne plus être entendue et devenir invisible, mais il n’y avait pas d’endroit pour se cacher, du moins pas à proximité. Les anciennes écuries se trouvaient derrière elle. Toutes les portes étaient barricadées à l’aide de planches clouées et, tout autour, les fenêtres avaient été condamnées de la même façon. Elle appuya son épaule contre l’angle d’un bâtiment en pierre en s’éloignant du marché.

Le bruit avait cessé.

Ce nouveau calme était encore plus effrayant que l’ancien, qui était simplement vide. À présent, c’était pire, parce que le paysage brumeux n’était pas simplement silencieux : il retenait son souffle et guettait.

Briar retira sa main gauche du fusil et recula jusqu’à toucher l’angle. Elle le trouva, le sentit, et se guida jusqu’à l’autre bout du bâtiment. Ce n’était pas vraiment une protection, mais cela la plaçait hors de vue du marché.

Le masque s’enfonçait dans son visage. La condensation sur un côté la déconcentrait et l’odeur de caoutchouc et de brûlé lui prenait la gorge.

Elle avait envie d’éternuer, mais se mordit la langue pour faire passer la sensation.

De l’autre côté du bâtiment, la respiration sifflante troubla à nouveau le silence.

Elle s’arrêta, puis recommença, plus fort. Elle fut rejointe par un deuxième murmure, puis un troisième, puis il y en eut trop pour continuer de compter.

Briar aurait voulu fermer les yeux et se cacher loin des bruits, mais elle ne pouvait même pas prendre un moment pour regarder de l’autre côté du bâtiment la source de cette cacophonie, parce que celle-ci prenait de l’ampleur. Il n’y avait rien d’autre à faire que s’enfuir.

Comme le milieu de la route avait l’air dégagé, elle s’y jeta, se frayant un chemin parmi les chariots retournés et sautant au-dessus des débris des murs que le tremblement de terre avait fait s’effondrer dans la rue.

Il n’y avait plus de raison d’être silencieuse.

Ses pieds martelèrent les pavés et son fusil battait ses hanches tandis qu’elle descendait la colline, alors qu’elle aurait voulu aller dans l’autre sens. Elle ne pouvait pas courir en remontant la pente, elle n’avait pas assez de souffle pour supporter la montée. Alors elle partit de l’autre côté. Vers le bas, mais pas complètement dans la mauvaise direction, pensa-t-elle avec une lueur d’espoir. Elle courait le long du mur, et le long de l’eau qui se trouvait derrière celui-ci. Commercial Avenue descendait, oui, mais elle était à flanc de colline et Briar pouvait la suivre autant que nécessaire.

Elle risqua un regard en arrière, puis un second, et ne recommença pas : c’était une terrible erreur et ils arrivaient vite.

Ces deux rapides coups d’œil lui avaient permis d’apprendre tout ce qu’elle devait savoir : courir, et ne s’arrêter sous aucun prétexte.

Ils n’étaient pas tout à fait sur ses talons. Ils passaient à peine l’angle en boitant de façon ridicule, mais ils étaient affreusement rapides en dépit de leur étrange allure. Plus nus qu’habillés, et plus gris que couleur chair, les Pourris s’étaient bruyamment lancés à ses trousses. Ils dévalaient la pente, passant par-dessus, à côté, ou autour de tout ce qui aurait pu les ralentir.

Sans ressentir la peur ou la douleur, ils lançaient leurs corps ravagés contre les débris qui jonchaient la rue et rebondissaient sans que cela ne les arrête ni ne les dévie. Ils écrasaient le bois gorgé d’eau et foulaient les cadavres des animaux, et si d’autres Pourris trébuchaient ou tombaient, ils passaient sans sourciller sur les corps de leurs semblables.

Briar se souvenait parfaitement bien de ces premiers individus tristes et traînants qui avaient été empoisonnés par le Fléau. Beaucoup étaient décédés immédiatement, mais quelques-uns avaient subsisté, puis ils s’étaient mis à grogner, haleter et dévorer. Il s’agissait d’ailleurs d’une idée fixe pour ces êtres qui ne souhaitaient rien d’autre que de la chair fraîche et sanglante. Les animaux pouvaient faire l’affaire, mais ils préféraient les humains, pour autant que les Pourris aient des goûts définis.

Et à ce moment-là, ils n’avaient de préférence pour personne d’autre que Briar.

La première fois qu’elle avait regardé derrière elle, elle en avait vu quatre. La seconde fois, quelques secondes plus tard, il y en avait huit. Briar n’osait pas imaginer combien ils étaient maintenant, alors qu’elle rejoignait une nouvelle route qui descendait.

Elle trébucha sur une bordure et déboula sur la voie en courant.

Elle aperçut une inscription gravée au bord de la route, mais elle allait trop vite pour la lire et ne sut donc pas quelle route perpendiculaire elle venait de passer. Cela n’avait pas d’importance. Ladite rue remontait la colline et elle ne s’en serait jamais sortie.

Elle avait déjà du mal à respirer alors qu’elle venait de parcourir un chemin relativement court et incliné dans le bon sens. Sa gorge brûlait de l’effort accompli et elle ne savait pas combien de temps elle pourrait encore tenir. Elle perdait peu à peu son avance, s’enfonçant dans le brouillard.

Une barre en fer défila rapidement à côté d’elle, suivie de près par une seconde.

Elle comprit que c’était une échelle servant à s’échapper en cas d’incendie, mais il était déjà trop tard pour l’empoigner et se mettre à grimper.

Elle ne savait pas si cette occasion manquée avait ou non de l’importance. Peut-être que le fait d’essayer de s’échapper directement au-dessus de la mêlée n’aurait fait que la fatiguer davantage, mais il aurait également pu la sauver. Est-ce que les Pourris pouvaient la suivre si elle grimpait ?

Leurs gargouillements de rage semblaient de plus en plus proches et elle savait qu’ils gagnaient du terrain. Pas seulement parce qu’ils étaient rapides. Le problème venait aussi du fait qu’elle ralentissait, et elle ne pouvait rien faire pour aller plus vite. Elle avait beau essayer, elle n’arrivait pas à respirer et ne pouvait pas courir plus rapidement.

La brume ne disparaissait jamais, mais elle s’éclaircissait par endroits et s’épaississait à d’autres. Durant une fraction de seconde, un bâtiment apparut dans son champ de vision et, avec lui, une nouvelle échelle en fer.

Briar faillit ne pas la voir. La buée devant son œil gauche la lui masquait presque.

Elle n’avait pas le temps de peser une nouvelle fois le pour et le contre ; elle se contenta de saisir l’échelle et de freiner sa course. Elle agrippa les montants et tira de toutes ses forces.

Ses pieds frappèrent le mur et les barreaux les plus bas, puis ils trouvèrent une prise suffisante pour monter d’un cran.

Le Pourri le plus proche manqua ses bottes, mais attrapa le manteau de son père et tira d’un coup sec.

Les mains gantées de Briar glissaient et dérapaient sur les barreaux, mais elle se cramponna et réussit à se maintenir. Elle passa les bras sous les barres rouillées et s’agrippa de façon à pouvoir se défendre de ses pieds, et elle ne s’en priva pas. Elle n’espérait pas faire mal à ces choses, mais elle pouvait les repousser ou leur casser les doigts. N’importe quoi pour les obliger à lâcher prise.

Elle ne pouvait pas grimper avec le poids du Pourri accroché à son manteau. Ils restaient donc tous les deux suspendus, alors que le reste de la horde se regroupait pour la mise à mort.

Briar se balança, essayant d’obliger la chose à lâcher. Les coudes et le crâne de celle-ci rebondirent faiblement contre le mur et émirent un petit écho nasillard lorsqu’ils cognèrent contre l’échelle métallique.

Finalement, une heureuse combinaison de coups de pied et de secousses fit retomber la bête parmi ses semblables. Les autres Pourris essayèrent de lui monter dessus pour atteindre plus facilement leur proie en tendant leurs mains osseuses et rongées, mais Briar était assez haut pour qu’ils ne puissent pas l’atteindre sans grimper les barreaux.

Mais le pouvaient-ils ?

Elle ne savait pas et ne regarda pas. Elle se concentra sur son ascension, une main vers le haut, un pied vers le haut, et ainsi de suite. Elle fut bientôt hors de portée de la plus grande des monstruosités. Mais il n’était pas encore question de s’arrêter. Pas quand le tremblement de l’échelle suggérait que oui, ils allaient la suivre, ou que, s’ils ne la suivaient pas, ils arracheraient la structure métallique et la feraient tomber directement parmi eux. En ce qui concernait les Pourris, rien ne semblait être un obstacle.

De chaque côté, les boulons commençaient à couiner, tout en se fendillant et se détachant de leurs points d’accroche.

— Oh, Seigneur, gémit-elle.

Elle aurait certainement juré si elle avait eu plus de souffle. En haut, le sommet de l’échelle était caché par le brouillard jaunâtre. Briar ne savait pas s’il fallait prévoir encore quelques mètres, ou davantage.

S’il restait plusieurs étages, elle n’y arriverait pas.

Saisie d’une terrifiante secousse, l’échelle se balança et produisit un bruit sec. L’un des montant se détacha. Avant d’être projetée dans la rue, Briar passa une main sur le montant de la fenêtre la plus proche et s’accrocha… Mais sa main glissa entre le large rebord en pierre et le montant de l’échelle. Celle-ci se balançait et se courbait. Elle ne supporterait plus son poids bien longtemps.

Sous son bras, le fusil cogna contre le rebord.

Elle s’appuya autant qu’elle l’osait sur les barreaux branlants, relâcha sa prise et fit tournoyer l’arme qui brisa la vitre. Briar avait tout juste assez d’équilibre pour s’accrocher alors qu’elle sautait à l’intérieur du bâtiment.

Elle avait mal calculé son coup et seule sa jambe droite passa par l’ouverture.

Des tessons s’enfoncèrent à l’intérieur de sa jambe, mais elle les ignora et contracta ses muscles pour ne pas tomber.

Bloquée ainsi, à moitié à l’intérieur et à moitié à l’extérieur, elle reprit son fusil et le pointa vers le bas. Une tête chauve et profondément balafrée était en vue. Briar remercia le ciel d’avoir pensé à recharger son fusil quand elle en avait eu l’occasion.

Elle tira. La tête explosa et des morceaux marron clair s’écrasèrent sur son masque à gaz. Jusqu’au moment où ces petites fragments d’os sanglants glissèrent le long de ses verres, elle n’avait pas imaginé que la chose avait réussi à s’approcher autant.

Un second Pourri arrivait juste derrière, montant encore plus haut.

Il n’alla pas bien loin. Son œil gauche éclata en une giclée jaunâtre de cervelle et de bile, et il retomba, laissant l’une de ses mains à demi décomposée derrière lui, toujours accrochée au barreau. Le troisième était bien plus bas sur l’échelle, et il fallut deux tirs à Briar pour s’en défaire. La première balle s’enfonça dans le front de la chose et la seconde lui traversa la gorge, lui brisant les cervicales. La mâchoire se décrocha et tomba au moment où la tête partait en arrière et se détachait du reste.

Dans sa chute, le Pourri numéro trois entraîna avec lui le numéro quatre, et le visage du numéro cinq éclata lorsqu’une balle lui arriva en plein nez.

D’autres arrivaient, mais l’échelle était dégagée. Briar profita du bref répit pour se traîner à travers la fenêtre brisée. De petits éclats de verre restèrent enfoncés dans sa jambe, mais elle n’avait pas le temps de les retirer. Pas alors que d’autres Pourris découvraient les joies de l’escalade.

Elle se pencha et tendit son fusil à l’extérieur, non pas pour tirer à nouveau, mais pour l’utiliser comme un levier afin de faire sauter les boulons à demi rongés qui maintenaient en place la structure en fer. Un côté était déjà parti, et le second grinça et se tordit alors qu’elle remuait le fusil dans tous les sens, agitant les vieilles pièces métalliques jusqu’à ce qu’elles lâchent. Lentement, mais sans vraiment protester, l’échelle s’écarta du bâtiment, jusqu’à ce que l’angle fut trop prononcé pour tenir plus longtemps, et elle s’écroula.

Les Pourris six à huit chutèrent avec elle, mais se relevèrent et furent rejoints par un grand nombre de congénères.

Ils grouillaient et grognaient, trois étages plus bas d’après le calcul de Briar.

Elle s’éloigna de la fenêtre et essaya de reprendre son souffle, ce qui était à présent un effort permanent, puis elle se contorsionna pour ôter le verre qui s’était logé dans sa jambe.

Elle fit la grimace lorsqu’elle toucha l’arrière de son pantalon. Elle détestait l’idée d’exposer la moindre parcelle de peau au Fléau, mais elle ne pouvait pas évaluer les dégâts sans retirer ses gants. Elle enleva donc celui qui recouvrait sa main droite et fit de son mieux pour ignorer l’air visqueux.

Cela aurait pu être pire.

L’éclat le plus gros avait la taille d’une graine de tournesol. Il n’y avait pas beaucoup de sang, mais le tissu déchiré laissait le Fléau irriter les plaies, et elles piquaient plus qu’elles ne l’auraient dû. Si elle avait eu des compresses ou des bandages, ou n’importe quel autre morceau de tissu propre, elle aurait pansé la blessure. Mais elle n’avait rien, et il n’y avait rien à faire, à part s’assurer qu’il n’y avait plus de verre.

Cela étant fait, elle prit un moment pour examiner les environs.

Elle n’avait pas atterri au dernier étage de l’immeuble, comme en attestait l’escalier qui se trouvait contre le mur opposé. Avant, l’endroit avait presque certainement été un hôtel. Sur le sol, devant la fenêtre, s’accumulait une importante quantité de verre brisé, dont une partie était tombée sur un vieux lit délabré, orné d’une tête de lit en laiton qui avait pris une vilaine teinte marron. Une table de nuit à moitié cassée était collée contre un mur, deux tiroirs avaient été jetés au sol, tandis qu’une cuvette et un pichet ébréchés avaient été renversés dans l’angle.

Le plancher craqua lorsqu’elle avança, mais le bruit n’était pas pire que le vacarme étourdissant à l’extérieur, là où s’amassaient de plus en plus de Pourris, attirés par les cris des autres. Ils allaient finir par trouver un moyen d’arriver jusque-là, et les filtres du masque de Briar finiraient par se boucher et elle allait suffoquer.

Mais elle pourrait s’inquiéter de tout cela plus tard. Pour le moment elle était en sécurité, ou du moins l’était-elle plus qu’elle ne l’avait été quelques instants auparavant. Sa définition du mot « sécurité » était de plus en plus souple.

En regardant par la fenêtre, elle vit un carrefour. Commercial Avenue croisait une autre route qui descendait de la colline. Les Pourris accouraient en masse à l’endroit où était certainement indiqué le nom de la rue. Peu importait son nom, peu importait qu’elle arrive à lire l’inscription qui l’aurait renseignée plus précisément. Il n’était plus envisageable de passer par là, maintenant. Peutêtre que cela n’était plus possible depuis seize ans. Mais elle avait essayé et avait tout donné. Elle avait été silencieuse et prudente, et cela n’avait pas suffi. Alors elle en était là. Il en allait des rues comme du mur.

Il fallait passer par-dessus ou par-dessous. Les emprunter directement était trop risqué.

Briar se dirigea vers l’escalier et écarta la porte qui était sortie de ses gonds. Il ne restait certainement plus qu’un ou deux étages à monter. Elle allait d’abord grimper, puis voir à quoi cela ressemblait de là-haut.

La cage d’escalier était plongée dans le noir absolu. Le bruit des Pourris à l’extérieur était étouffé au point d’être presque inaudible, et elle aurait pu occulter leur présence, alors qu’ils l’attendaient bruyamment et trépignaient à l’idée de lui croquer les os.

Mais elle ne pouvait pas les oublier complètement. Leurs cris résonnaient encore dans ses oreilles et retenaient son attention, même si elle s’efforçait de les ignorer. Derrière ses paupières, elle revoyait trop clairement les doigts gris et décharnés qui étaient restés accrochés à l’échelle, même détachés du corps, insistant jusqu’au bout.

Elle reprit ses esprits et, dans le même temps, sa respiration ralentit alors qu’elle arrivait à se calmer. Elle gravit les marches à une vitesse modérée qui permettait à son corps de se remettre et de retrouver un rythme normal.

Une fois au sommet de l’escalier, elle tomba sur une porte qui donnait sur le toit. Celui-ci montrait quelques signes d’un récent passage. Une paire de lunettes cassée avait été expédiée dans un coin. Un sac avait été déchiré et abandonné dans une mare de goudron et d’eau. Des empreintes charbonneuses se croisaient ici et là.

Elle les suivit jusqu’au bord du toit. Elles disparaissaient sur la corniche et Briar se demanda si leurs propriétaires avaient sauté ou étaient tombés. Puis elle vit le bâtiment voisin, tout proche. C’était une structure plus haute d’un étage, et il y avait une fenêtre parfaitement parallèle à l’endroit où elle se tenait. Celle-ci avait été barricadée à l’aide de deux portes rassemblées pour ne plus former qu’une seule longue planche, laquelle était fixée contre l’autre bâtiment, disposée là tel un pont-levis que l’on pouvait baisser ou relever en fonction de la nécessité ou du danger.

Au-dessous, l’un des Pourris l’avait suivie jusqu’au côté opposé. Il leva les yeux avec un ignoble grognement et fut rapidement rejoint par d’autres morts vivants mus par les mêmes intentions hostiles. Dans quelques minutes, ils encercleraient entièrement le bâtiment.

L’autre immeuble semblait inoccupé. Certaines fenêtres étaient barricadées, d’autres n’avaient que de fins rideaux tirés à la va-vite et rien ne bougeait derrière eux.

Peut-être qu’elle aurait plus de chance en bas. Elle était arrivée dans les rues par un souterrain, alors, la meilleure façon de se déplacer était peut-être de rester sous terre.

Pas très loin, directement sous elle, quelque chose tomba et se brisa. Les grognements avaient redoublé d’intensité du fait du nombre grandissant de Pourris et de l’agitation qui les gagnait.

Elle chercha dans sa sacoche de quoi recharger rapidement son arme. Si les Pourris avaient réussi à entrer dans le bâtiment, il se pourrait qu’elle ait à se frayer un chemin parmi eux à coups de fusil pour atteindre le sous-sol.

Ses mains s’arrêtèrent très brièvement sur la boîte de cartouches.

Si elle descendait et qu’ils la suivaient, elle serait coincée.

Elle rechargea le fusil. Piégée en bas, piégée en haut. La différence était minime et elle était condamnée quoiqu’il arrive. Il valait mieux garder son arme à portée de main et maximiser ses chances.

La cacophonie s’amplifiait, et Briar se demanda si elle n’avait pas déjà perdu la possibilité de chercher une sortie par le bas. Elle s’assura que les cartouches étaient bien en place et jeta un autre coup d’œil par-dessus le rebord.

Dans la rue, les monstres s’étaient massés. Le nombre de Pourris avait au moins triplé, remplaçant sans peine la petite poignée dont elle s’était débarrassée en grimpant à l’extérieur de l’hôtel.

Ils ne semblaient pas avoir trouvé une entrée pour l’instant. Ils ne disparaissaient pas les uns après les autres, ni même en groupes, pour continuer leur poursuite ; au lieu de cela, ils se jetaient sur les briques et les planches, sans grand succès.

Un bruit d’effondrement se fit à nouveau entendre, ainsi que le craquement du bois humide fracassé.

Où était-ce ? Et qu’est-ce qui le provoquait ?

Les Pourris rugissaient et avançaient en chancelant. Eux aussi avaient entendu le bruit et en cherchaient la source, mais ils n’avaient aucune envie de laisser partir Briar, qui se sentait comme un ours obligé de se réfugier dans un arbre.

Vous, en haut de l’Hôtel du Littoral ! Est-ce que vous portez un masque ?

La voix la surprit plus que ne l’avaient fait les Pourris. Elle résonnait haut et fort, avec une légère déformation qui lui donnait à la fois un accent étranger et un timbre puissant. Les mots provenaient d’un endroit en aval, mais pas au niveau de la rue.

Je répète, vous, là-haut, sur le Littoral ! Vous, sur le toit ! Est-ce que vous portez un masque où est-ce que vous êtes en train de mourir ?

Briar n’avait rien repéré qui indiquerait qu’elle se trouvait sur le Littoral, mais elle ne voyait pas à qui d’autre la voix pouvait s’adresser. Alors elle répondit, aussi fort qu’elle le pouvait :

— Oui, j’ai un masque !

— Quoi ?

— J’ai un masque !

— Je vous entends, mais je ne comprends pas un traître mot de ce que vous dites, alors j’espère que cela signifie que vous avez un masque ! Qui que vous soyez, baissez-vous et bouchez-vous les oreilles !

Elle chercha du regard, parmi le flot de Pourris, d’où venaient les instructions.

— Où êtes-vous ? essaya-t-elle de crier, mais c’était une tentative ridicule parce qu’elle savait que, quel que soit l’endroit où se trouvait son interlocuteur, il ne comprendrait jamais la question à travers le brouhaha des morts vivants grouillant dans la rue.

Je répète, dit la voix avec un timbre métallique, baissez-vous et bouchez-vous les oreilles !

Briar détecta le mouvement de quelqu’un qui regardait par une autre fenêtre brisée depuis un autre bâtiment délabré. Quelque chose de bleu étincela, puis disparut et laissa la place à une lumière encore plus vive et un vrombissement aigu. Celui-ci traversa le Fléau et siffla dans les cheveux de Briar, imprimant un avertissement directement à son cerveau.

Il ne fut pas nécessaire de lui répéter une troisième fois les consignes.

Elle se baissa, se réfugia dans l’angle le plus proche et entoura sa tête de ses bras. Ses coudes étaient serrés tout près de ses oreilles, étouffant les sons, mais cela n’était pas suffisant pour contrer le sifflement perçant et électrique. Elle saisit sa sacoche et la plaqua sur son crâne, maintenant cette position, visage baissé vers le sol, lorsqu’une explosion ébranla les bâtiments dans un fracas renversant qui dura trop longtemps pour être le résultat d’une arme à feu.

Une fois que le bruit assourdissant se fut un peu dissipé, Briar entendit la voix mécanique aboyer de nouvelles instructions. Mais elle ne les comprenait pas et elle n’arrivait pas à bouger.

Elle gardait les yeux fermés, les bras verrouillés autour de sa tête, les genoux bloqués sous son corps, incapable de remuer.

— Je ne peux pas, murmura-t-elle en essayant de répondre, je ne peux pas vous entendre.

Mais sa mâchoire était bloquée également.

— Levez-vous maintenant ! MAINTENANT !

— Je ne peux pas…

— Vous avez environ trois minutes pour bouger votre cul de là et descendre ici avant que les Pourris ne se relèvent, parce que, lorsque cela se produira, j’aurai disparu. Si vous voulez rester vivant, vous avez besoin de moi, espèce de pauvre type !

— Je ne suis pas un pauvre type, marmonna Briar en réponse à cette tirade clairement masculine.

Elle essaya de se servir de sa colère pour trouver les ressources qui lui permettraient de bouger. Cela ne fonctionna ni mieux ni moins bien que les ordres hurlés avec leurs étranges modulations.

Articulation après articulation, elle débloqua ses bras et ses jambes, les genoux tremblants.

Elle se baissa pour récupérer le fusil qui était tombé et força sur ses jambes pour se relever, replaçant la sangle sur son épaule. Le son épouvantable et les horribles cris de l’homme en bas, dans la rue, résonnaient encore dans ses oreilles. Il continuait de vociférer, même si elle avait perdu toute capacité de le comprendre. Elle n’arrivait pas à se tenir debout, à marcher et à écouter en même temps. Du moins pas dans l’état de choc où elle se trouvait.

Derrière elle, la porte qui donnait sur l’escalier était toujours ouverte, pendant sur son loquet.

Elle s’affala contre celle-ci, manquant de dévaler les marches qui se trouvaient juste derrière. Son élan et son équilibre lui permirent de continuer à avancer. Elle chancelait et menaçait de chuter, mais plus elle restait sur ses deux jambes, plus il était facile de rester stable. Quand elle arriva au premier étage, elle pouvait presque courir à nouveau.

Dans le hall, toutes les fenêtres étaient barricadées et il faisait plus sombre qu’en plein milieu de la nuit, à l’exception de quelques endroits qui reflétaient la faible lumière de l’après-midi. Les yeux de Briar s’habituèrent à l’obscurité et elle découvrit alors qu’il y avait une épaisse couche de poussière sur le comptoir de la réception et que le sol était couvert d’empreintes.

Il y avait une imposante porte d’entrée, barrée d’une grosse planche.

Briar la souleva et attrapa les poignées de la porte.

Elle était étonnée de ressentir une telle panique. Elle aurait juré qu’elle n’en avait plus en réserve mais, lorsque le battant refusa de bouger, elle sentit une nouvelle poussée d’adrénaline. Elle le secoua et tenta d’appeler à l’aide.

— Au secours ! Vous êtes là ?

Même à ses propres oreilles, le son était étouffé. Il n’était pas possible que qui que ce soit arrive à l’entendre de l’autre côté, et c’était une idée stupide. Elle aurait dû emprunter une autre échelle d’incendie. Pourquoi était-elle redescendue jusqu’au rez-dechaussée ? Où avait-elle donc la tête ?

Son crâne bourdonnait de douleur et elle avait des étoiles devant les yeux.

— Aidez-moi, s’il vous plaît, sortez-moi de là !

Elle cognait contre la porte avec la crosse de son fusil, provoquant un formidable vacarme.

Quelques secondes plus tard, un autre coup lui répondit de l’autre côté.

Mais qu’est-ce qui ne va pas chez vous ? Vous auriez dû descendre par l’extérieur ! cria son sauveur d’un ton accusateur.

— Sans blague, grommela-t-elle, soulagée d’entendre l’autre personne, même si elle ne savait pas encore s’il comptait l’aider ou la tuer.

Quelle que soit l’identité de cet homme, il s’était donné assez de mal pour établir le contact, et cela devait bien avoir une quelconque signification. Non ?

Elle répéta en forçant la voix :

— Sortez-moi de là !

— Éloignez-vous de la porte !

Ayant désormais compris qu’il fallait réagir rapidement, elle recula et fit le tour du comptoir. Un impact plia la porte vers l’intérieur, mais celle-ci ne céda pas. Un deuxième assaut fit sauter les charnières et un troisième la sortit enfin de ses gonds.

Un homme énorme entra à toute vitesse, puis s’arrêta net.

Vous… (Il la désigna et s’interrompit au beau milieu de sa réflexion.) Êtes une femme.

— Bien vu ! répondit Briar qui sortait en chancelant de son abri.

— D’accord. Venez avec moi et faites vite. Nous avons moins d’une minute avant qu’ils ne se relèvent.

L’homme à la voix métallique parlait à travers un casque qui donnait à son crâne la forme d’une tête de cheval croisée avec celle d’un calamar. Le masque se terminait par un amplificateur à l’avant et se séparait en deux filtres circulaires au niveau des narines. La protection avait l’air lourde, mais l’homme qui la portait n’était pas frêle.

Ce n’était pas qu’il était gros, mais il était presque aussi large que la porte, même si l’effet était sans doute renforcé par son armure. Des plaques d’acier recouvraient ses épaules, et un col rond et haut remontait derrière son cou pour s’accrocher au casque. Aux articulations des coudes et des poignets, un maillage faisait office de jointure. Sur son buste, d’épaisses sangles en cuir maintenaient l’ensemble en place.

C’était comme si quelqu’un avait pris une armure complète et l’avait transformée en veste.

— Madame, nous n’avons pas toute la nuit, lança-t-il.

Elle faillit répondre qu’il ne faisait pas encore nuit, mais elle était essoufflée, inquiète, et extraordinairement heureuse de se trouver en compagnie de cet homme armé jusqu’aux dents.

— Je viens, répondit-elle.

Elle trébucha et se cogna contre le bras de l’homme, puis se redressa.

Il ne l’empoigna pas pour l’aider, mais ne la repoussa pas non plus. Il se contenta de faire demi-tour et de repartir vers la porte.

— Qu’est-ce que c’était que cette chose ? demanda-t-elle en le suivant.

— Les questions attendront. Faites attention où vous posez les pieds.

La route et les trottoirs étaient jonchés des corps enchevêtrés, crispés et grognants des Pourris. Au début, Briar veilla à les éviter, mais comme son guide la distançait, elle abandonna toute précaution et passa d’un cadavre à l’autre sans se préoccuper d’eux. Ses bottes brisèrent des bras et enfoncèrent des cages thoraciques. Son talon atterrit si près du visage d’une morte qu’il lui fracassa le crâne et emporta avec lui un morceau de peau, laissant la chair étalée sur les pierres.

— Attendez ! supplia-t-elle.

Pas question. Regardez-les, dit-il alors que lui-même ignorait superbement les Pourris frémissants.

Briar se dit que c’était une instruction ridicule. Elle ne pouvait pas s’empêcher de les regarder : ils étaient partout, sous ses pieds et à même la route, aplatis contre les rebords et appuyés contre les briques, la langue pendante et les yeux hagards.

Mais elle comprit ce que voulait dire l’homme en armure. Les choses revenaient à elles. Leurs mains tremblantes se mettaient à bouger de façon plus déterminée. Leurs pieds se tordaient et se tournaient, dans leurs tentatives pour se remettre debout. Chaque seconde qui passait, elles reprenaient leurs esprits, ou du moins elles récupéraient leur sens intuitif du mouvement.

— Par ici ! Plus vite !

— J’essaie.

— Ce n’est pas suffisant.

Il lança sa main en arrière et saisit Briar par le poignet. Il la tira en avant, la soulevant aussi facilement qu’un nourrisson au-dessus d’un nouvel amoncellement de Pourris étendus et trépignants.

L’une de ses abominables choses leva une main et essaya de saisir la cheville de Briar.

Elle envoya un coup de pied contre le bras décharné, mais le rata, car l’homme au masque ajusta sa prise et la tira à nouveau, au-delà du dernier tas de corps où un Pourri était assis en grognant et essayait de réveiller ses camarades.

Bien, c’est tout droit maintenant, indiqua l’homme.

— Tout droit jusqu’à quoi ?

— Jusqu’au sous-sol. Dépêchez-vous. Par là.

Il indiqua une construction en pierre ornée de statues mélancoliques de hiboux. Une pancarte à l’entrée indiquait que le lieu avait autrefois été une banque. La porte était maintenue fermée par de vieux conteneurs et les fenêtres étaient barricadées.

— Comment allons-nous… ?

Ne vous éloignez pas. En haut, puis en bas.

Sur le côté, il n’y avait pas de sortie de secours avec une échelle suspendue, mais, lorsque Briar leva les yeux, elle vit le dessous d’un balcon branlant.

L’homme qui portait la veste en acier retira un vilain marteau crochu de sa ceinture et le lança en l’air. Une longue corde de chanvre y était attachée et, lorsque le dispositif s’accrocha quelque part au-dessus, il tira et un ensemble de marches se déplia. Elles descendirent avec la grâce d’un pont-levis qui s’abat trop vite.

Il attrapa la première marche et s’appuya dessus pour la maintenir le plus bas possible. Elle se retrouva au niveau de la taille de Briar.

— Montez.

Briar acquiesça et fit passer son fusil dans son dos, libérant ainsi ses deux mains.

Elle n’allait pas assez vite au goût de l’homme qui, de sa large paume, la poussa aux fesses. Cela permit à Briar de s’accrocher des mains et des pieds à la structure, et elle évita donc de commenter le geste un peu cavalier.

Son poids était suffisant pour maintenir les marches suspendues au-dessus de la rue. Avec celui de l’homme en plus, les escaliers rabattables se mirent à craquer et à vibrer, mais ne cédèrent pas. La structure n’avait pas envie de les supporter tous les deux et faisait connaître son mécontentement en émettant un grincement inquiétant à chaque pas.

Briar ignora le bruit et se mit à grimper tandis que l’escalier remontait sous elle comme un tape-cul et que l’homme était sur ses talons.

Il tapota l’arrière de sa botte pour attirer son attention.

— Ici. Deuxième étage. Ne cassez pas la fenêtre. Elle se soulève.

Elle acquiesça et s’extirpa des marches pour passer sur le balcon. L’ouverture était barrée mais pas bloquée. Tout en bas, elle aperçut un loquet en bois. Elle le remonta et la fenêtre s’ouvrit.

L’homme la rejoignit et les marches remontèrent derrière lui. Libérés de leur contrepoids, les ressorts qui permettaient de baisser et de remonter la structure reprirent leur position d’origine et se bloquèrent, maintenant l’escalier hors de portée des Pourris, même les plus grands dotés des bras les plus longs.

Briar baissa la tête, se tourna sur le côté, et se faufila à l’intérieur.

L’homme en armure la suivit. L’urgence dont il avait fait preuve jusque-là s’évanouit ; à présent qu’il se trouvait au-dessus des Pourris, en sécurité dans l’ancien établissement bancaire, il se détendit et prit un moment pour ajuster son accoutrement.

Il dégrafa son armure, étendit les bras et fit craquer son cou d’un côté puis de l’autre. Il fallait ranger la corde accrochée au marteau, et il se mit à l’enrouler entre sa paume et son coude jusqu’à obtenir une boucle qu’il suspendit à sa ceinture. Il passa la main pardessus son épaule pour atteindre un étui d’où il sortit un dispositif en forme de tube qui était plus long que sa cuisse. On aurait dit un immense fusil, mais la détente avait la forme d’une palette en laiton et le barillet était protégé par une grille comparable à celle de son masque.

— Est-ce que c’est ce qui a provoqué ce bruit ? demanda Briar. Ce qui a pétrifié les Pourris ?

Oui, madame, répondit-il. C’est le Doozy Dazer du Dr. Minnericht, ou la bonne vieille Daisy, pour faire court. C’est une arme puissante, dont je suis l’heureux propriétaire, mais qui a ses limites.

— Trois minutes ?

Trois minutes, à prendre ou à laisser. C’est exact. L’alimentation est à l’extrémité. (Il désigna la poignée, enveloppée de minuscules tuyaux en cuivre et de fins tubes en verre.) Ça prend une éternité pour recharger cette chose.

— Une éternité ?

— Environ un quart d’heure. Ça dépend.

— De quoi ?

Électricité statique, répondit-il. Ne m’en demandez pas plus, parce que je ne connais pas les détails.

Elle admira poliment l’appareil.

— Je n’ai jamais rien vu de semblable. Qui est ce Dr. Minnericht ?

C’est un salopard, mais parfois c’est un salopard utile. Maintenant, est-ce que vous voulez bien m’expliquer qui vous êtes et ce que vous venez faire dans notre répugnante petite ville ?

— Je cherche mon fils, répondit-elle en esquivant la première partie de la question. Je crois qu’il est venu ici hier, il est remonté par les conduits de l’ancien système d’évacuation des eaux.

Ils sont fermés, répondit-il.

— À présent oui, en effet. Tremblement de terre. (Elle s’appuya sur le rebord de la fenêtre et s’assit, trop épuisée pour faire de jolies phrases.) Je suis désolée, dit-elle en le pensant vraiment pour diverses raisons. Je suis tellement… Je savais comment c’était ici, je le savais, mais…

Oui, c’est ce « mais » qui risque de vous tuer si vous ne faites pas attention. Donc, vous recherchez votre fils. (Il la dévisagea de la tête aux pieds.) Quel âge avez-vous ? demanda-t-il directement, car il ne pouvait pas très bien voir son visage derrière son masque.

— Je suis suffisamment vieille pour avoir un fils assez idiot pour venir ici, rétorqua-t-elle. Il a quinze ans. Est-ce que vous l’avez vu ?

— Il a quinze ans. Vous n’avez pas mieux comme description ?

— Combien de gamins de quinze ans viennent se perdre ici dans la même semaine ?

L’homme haussa les épaules.

— Vous seriez étonnée. Il y a beaucoup de gens des Faubourgs qui viennent ici, cherchant à voler ou à faire du troc, ou à apprendre comment traiter le Fléau pour en faire du suc-citron. Bien entendu, beaucoup ne survivent pas longtemps.

Même à travers le masque, l’homme vit les sourcils de Briar se froncer. Il ajouta donc rapidement :

— Je ne prétends pas que votre gamin est mort, ce n’est pas ce que j’ai dit. Il n’est arrivé ici qu’hier ?

— Oui.

— Bon, s’il a survécu jusqu’à maintenant, ça doit aller. Je ne l’ai pas vu, mais ça ne veut pas dire qu’il n’est pas dans le coin. Comment êtes-vous entrée ?

— J’ai profité d’une ballade en ballon avec un capitaine bienveillant.

— Lequel ?

— Écoutez, l’arrêta-t-elle en faisant un geste las de la main. Est-ce que nous pouvons discuter sérieusement ? Est-ce qu’on peut parler ailleurs ? J’ai besoin d’enlever ce masque, supplia-t-elle. Est-ce qu’il y a un endroit où je peux respirer librement ? Je suis en train d’étouffer.

Il prit le visage de Briar entre ses mains et le fit pivoter tout en examinant son masque.

C’est un vieux modèle. Un bon modèle, c’est vrai. Mais, si votre filtre est bouché, ça ne sert à rien d’avoir un bon masque. D’accord. Descendons. Nous avons un local isolé ici dans la banque, ainsi qu’un accès aux passages souterrains.

L’homme la guida dans l’escalier qui descendait, sans lui tenir la main ni la tirer, mais en attendant quand il la devançait.

À l’entrée de la voie principale, il n’y avait pas de fenêtres pour laisser passer la lumière et une lampe à huile avait été posée à côté de la porte. Il s’en saisit, l’alluma, et la leva pour éclairer le chemin qui menait au sous-sol.

Le regard posé sur l’imposant dos de l’homme qui avançait dans les allées et descendait les marches, elle dit :

— Merci. J’aurais dû vous le dire avant, mais merci, de m’avoir aidée là-bas.

— Je ne faisais que mon travail, répondit-il.

— Vous êtes le comité d’accueil de Seattle ?

Il secoua la tête.

— Non, mais je garde les yeux ouverts au cas où il y aurait de nouveaux arrivants bruyants comme vous. La plupart des gamins se faufilent facilement et gardent le silence. Mais quand j’entends des tirs et des choses qui se cassent, il faut bien que je vienne voir de quoi il s’agit. (La flamme de la lanterne vacilla. Il l’agita pour faire tourner l’huile.) Il arrive que ce soit quelqu’un dont nous ne voulons pas ici et dont nous n’avons pas besoin. Il arrive aussi que ce soit une petite femme armée d’un gros fusil. À chaque jour sa nouveauté.

Au rez-de-chaussée, il y avait une porte dont toutes les parties avaient été enduites de poix et dont toutes les fentes étaient protégées par des bandes en cuir traité.

— Nous y voilà. Quand j’ouvrirai la porte, entrez rapidement. (Il lui donna la lanterne.) Je serai juste derrière vous. Nous voulons simplement maintenir la porte fermée, si vous voyez ce que je veux dire.

— Je vois, répondit-elle en prenant la lanterne.

D’une poche de son pantalon, il retira un anneau avec une dizaine de clés en fer noir. Il en choisit une et l’inséra dans un joint en caoutchouc où Briar n’aurait jamais pensé trouver une serrure ; mais il tourna la clé qui libéra un mécanisme, et la porte se déverrouilla.

À trois. Un, deux… trois !

Il tira le loquet et le battant s’ouvrit vers l’extérieur dans un claquement.

Briar avança dans une obscurité totale et, comme promis, l’homme en armure se dépêcha de la rejoindre, puis il referma la porte et la verrouilla derrière eux.

— Un peu plus loin, dit-il.

Il reprit la lanterne et passa devant, à travers des bandes de cuir et de caoutchouc suspendues, et le long d’un autre bref couloir. Celui-ci se terminait par une étrange barrière qui ressemblait davantage à un écran en tissu qu’à une protection ordinaire. Les mêmes bandes traitées avaient été installées sur les côtés de façon à obtenir l’étanchéité dont disposaient déjà toutes les autres portes souterraines, sauf que celle-ci était poreuse.

Briar colla l’oreille contre la toile et sentit l’air qui la traversait.

— Attention. Mêmes règles qu’avant, soyez rapide. Un, deux… trois !

Cette fois, il n’eut pas besoin de déverrouiller quoi que ce soit. Le panneau coulissa sur le côté, s’escamotant dans le mur avec un crissement.

Elle le contourna rapidement et entra dans la pièce suivante, où des bougies se consumaient lentement en laissant des coulures sur une table. Autour de celle-ci, six fauteuils inoccupés avaient été regroupés, et derrière eux s’empilaient des caisses et d’autres bougies, tandis que s’ouvrait un nouveau couloir également équipé de ces fameux rideaux en cuir.

L’homme poussa le panneau et finit par le remettre à sa place.

Il traversa la pièce et commença à retirer son armure.

— N’enlevez pas votre masque tout de suite. Attendez une minute, indiqua-t-il. Mais mettez-vous à l’aise.

Les protections en métal de ses bras résonnèrent lorsqu’il les décrocha et les posa sur la table. Son arme tubulaire, Daisy, fit également un bruit sourd lorsqu’il la laissa tomber lourdement à côté de son armure.

Vous avez soif ? demanda-t-il.

— Oui, répondit-elle dans un murmure desséché.

— Nous avons de l’eau ici. Elle n’est pas très bonne, mais ça désaltère. Nous avons également de la bière. Vous aimez la bière ?

— Oui.

— Allez-y, vous pouvez enlever votre masque maintenant, si vous voulez. Je suis peut-être superstitieux, mais je n’aime pas enlever le mien tant que le panneau de filtrage n’a pas été refermé depuis une minute.

Il plongea sa main à l’intérieur d’une des caisses qui portaient l’inscription « Poterie », et il en retira une chope. Il y avait un gros tonneau dans un coin. Il en souleva le couvercle et remplit la chope d’eau.

Il la déposa devant Briar.

Elle jeta un regard avide sur le liquide, mais l’homme n’avait pas encore enlevé son masque, et elle ne voulait pas être la première à boire.

Il comprit et détacha les sangles qui maintenaient la protection élaborée autour de sa tête. Celle-ci glissa sur sa poitrine avec le raclement du cuir que l’on étire et que l’on desserre, révélant un visage large et banal qui n’était ni gentil ni méchant. C’était un visage intelligent, avec des yeux bruns pétillants et un nez plat, que venaient compléter deux lèvres pleines et serrées.

— Et voilà, dit-il en commentant sa propre apparence. Pas plus beau, mais nettement plus léger.

Sans l’assistance du masque mécanique, sa voix était grave, mais parfaitement humaine.

Jeremiah Swakhammer, à votre service, madame. Bienvenue dans les souterrains !

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