51. UNE AUTRE SOLUTION

Richard bouillait d’impatience. Ils se dressaient sur les remparts de New York et scrutaient le ciel depuis plus d’une heure dans l’espoir d’apercevoir un hélicoptère.

— Où diable sont-ils passés ? grommela-t-il. Il ne faut qu’un quart d’heure pour aller du bas de l’escalier Alpha au camp Bêta en V.L.R.

— Ils nous cherchent peut-être dans un autre secteur, suggéra Nicole.

— C’est ridicule. Ils doivent nécessairement passer à Bêta en premier lieu… et même s’ils ne réussissent pas à réparer le relais de télécommunications ils trouveront le message que j’ai laissé là-bas. J’ai précisé que je comptais utiliser le canot pour venir ici.

— Ils savent qu’un hélicoptère ne peut se poser dans la ville et ils vont sans doute prendre un des voiliers.

— Sans s’assurer au préalable que nous sommes dans New York par une reconnaissance aérienne ? C’est improbable.

Richard se tourna vers la mer et y chercha une voile.

— Un bateau. Un bateau. Mon royaume pour un bateau.

Elle rit, mais il se contenta de sourire.

— Deux hommes peuvent assembler un des voiliers remisés dans la hutte du camp Bêta en moins d’une demi-heure. Merde, qu’est-ce qu’ils fabriquent ?

Par frustration, il utilisa son com.

— Écoutez-moi bien, les gars ! Si vous êtes à proximité de la mer Cylindrique, adressez-nous une confirmation. Et ensuite grouillez-vous de venir nous chercher. Nous sommes sur les remparts et nous commençons à en avoir assez de vous attendre. Pas de réponse. Nicole s’assit sur le mur.

— Que fais-tu ? lui demanda-t-il.

— Tu te tracasses pour deux. Et rester debout pour agiter les bras me fatigue.

Elle regarda les flots et ajouta :

— Tout serait bien plus simple si nous avions des ailes. Richard inclina la tête et la fixa.

— Mais c’est une excellente idée, pourquoi n’y as-tu pas pensé plus tôt ?

Il s’assit et utilisa son ordinateur pour effectuer quelques calculs.

— Le lâche meurt maintes fois de peur avant de passer de vie à trépas, marmonna-t-il. L’homme brave ne connaît qu’une seule mort.

Elle le regarda taper sur le clavier.

— Que fais-tu, mon chéri ? s’enquit-elle en jetant un coup d’œil à l’écran par-dessus son épaule.

— Trois ! s’écria-t-il. Trois devraient suffire.

Il leva les yeux sur Nicole. Elle était déconcertée.

— Veux-tu connaître le projet le plus insensé de tous les temps ? s’enquit-il.

— Pourquoi pas ?

— Nous allons confectionner des harnais avec les cordes du filet et demander aux aviens de nous transporter sur l’autre berge de la mer Cylindrique.

Elle resta à le fixer pendant plusieurs secondes.

— En supposant qu’il soit possible de fabriquer ces nacelles, comment réussirons-nous à convaincre ces drôles d’oiseaux de nous aider ?

— Nous les persuaderons que c’est leur intérêt… ou nous utiliserons la menace. Je ne sais pas encore, tu pourrais t’en charger.

Elle n’en croyait pas ses oreilles.

— Quoi qu’il en soit, ajouta-t-il en prenant sa main pour redescendre de la muraille, ça vaut mieux que de rester ici à attendre les secours.


* * *

Cinq heures plus tard leurs sauveteurs n’étaient toujours pas là. Lorsqu’ils avaient eu terminé de se confectionner des harnais, Richard était retourné dans la salle Blanche pour utiliser le système de surveillance pendant que Nicole montait la garde sur les remparts. Il revint lui annoncer qu’il pensait avoir vu les humains à proximité du camp Bêta, sans pouvoir toutefois l’affirmer tant la qualité de l’image laissait à désirer. Comme convenu, Nicole avait lancé des appels par com toutes les demi-heures. En vain.

— Richard, dit-elle alors qu’il programmait des séquences graphiques sur son ordinateur, pourquoi penses-tu que nos collègues sont descendus par l’escalier ?

— Qui sait ? Le télésiège est peut-être en panne, et ils n’ont plus de techniciens parmi eux.

— C’est étrange.

Une chose m’ennuie, se dit-elle, mais je n’ose pas lui en parler avant d’avoir trouvé une explication rationnelle. Il ne croit pas en l’intuition. Elle regarda sa montre. Heureusement que nous avons rationné la pastèque. Si les secours n’arrivent pas et que ce projet insensé échoue, nous devrons attendre demain pour partir à la nage.

— Ébauche terminée, annonça Richard avec emphase avant de lui faire signe d’approcher. Si tu l’approuves, je m’attaquerai aux détails.

Il lui désigna le moniteur. Elle vit sur l’écran trois aviens qui survolaient la mer en formation. Chacun d’eux avait une corde nouée autour du corps et une silhouette humaine filiforme était suspendue au bout de trois filins.

— C’est très explicite, déclara-t-elle.

Mais elle ne songea pas un seul instant qu’elle pourrait véritablement occuper la place du petit personnage.

— Je n’arrive pas à croire que nous allons tenter une pareille folie, dit-elle en pressant la plaque d’ouverture de l’antre des aviens pour la deuxième fois.

Leur première tentative avait donné lieu à une fin de non-recevoir. Richard s’avança pour crier dans le puits d’une voix menaçante :

— Écoutez-moi, bande de piafs ! J’ai à vous parler. Tout de suite ! Rappliquez ici, et au trot !

Nicole dut faire un effort pour ne pas rire. Il jeta des objets noirs dans le vide.

— Tu vois, je savais bien que ces machins nous serviraient un jour.

Ils entendirent finalement des signes d’activité au fond du conduit vertical. Les deux aviens qu’ils connaissaient grimpèrent vers le sommet de leur abri et les invectivèrent, sans prêter attention au moniteur que Richard leur présentait. Lorsqu’ils eurent fini de piailler, ils passèrent au-dessus du char-sentinelle et la trappe se referma.

— C’est inutile, Richard, déclara Nicole lorsqu’il lui demanda de retourner presser la commande. Même nos amis nous rejettent. Que ferons-nous, s’ils décident d’attaquer ?

— Ils ne s’en prendront pas à nous, répondit-il en lui faisant signe d’appuyer sur la plaque. Mais il est plus prudent que tu restes où tu es. Je me charge de ces emplumés.

Ils entendirent jacasser dès que la trappe se rouvrit pour la troisième fois. Richard cria et lança des boules et des cubes noirs dans le puits. Un de ces objets atteignit la sentinelle mécanique et il se produisit une petite explosion accompagnée d’une détonation.

Leurs vieilles connaissances montèrent jusqu’à l’ouverture pour l’assourdir avec leurs cris de reproche, suivis par trois ou quatre de leurs congénères. Le vacarme était impensable, mais Richard ne recula pas. À force de vociférer lui aussi et de désigner l’écran de l’ordinateur, il réussit à attirer leur attention.

Ils regardèrent cette illustration graphique d’un survol de la mer Cylindrique et Richard leur montra un des harnais qu’ils avaient confectionnés pendant que la démonstration recommençait. Il s’ensuivit un échange frénétique de jacassements et Richard comprit que c’était sans espoir. Alors que deux autres aviens franchissaient le niveau du char-sentinelle, il descendit malgré tout jusqu’à la première corniche de leur antre.

— Fermez-la ! hurla-t-il à pleins poumons.

Le compagnon de l’être de velours noir plongea vers lui pour le menacer de son bec, à moins d’un mètre de son visage. Le vacarme était assourdissant. Richard ne se laissa pas intimider et descendit au niveau inférieur en dépit des protestations des maîtres des lieux. Désormais, il n’aurait pas le temps de ressortir si la trappe se refermait.

Il montra à nouveau le harnais et désigna le moniteur. Un chœur de cris aigus lui fournit la réponse. Puis un autre son se fit entendre, comme une sirène annonçant un exercice d’évacuation dans une école ou un hôpital. Les créatures ailées se turent aussitôt. Elles allèrent se poser sur les corniches et baissèrent les yeux vers le char-sentinelle.

L’antre était étrangement silencieux. Quelques secondes plus tard Richard entendit des battements d’ailes puis vit un nouvel avien s’élever dans le passage vertical. Il ne s’arrêta qu’une fois à sa hauteur et voleta sur place juste en face de lui. Il avait un corps de velours gris, des yeux perçants assortis et deux larges bandes rouge cerise autour du cou.

Il dévisagea Richard puis se posa sur la corniche située du côté opposé du puits. La créature qui occupait ce perchoir s’envola aussitôt. Quand l’être de velours gris parla, ce fut distinctement et avec douceur. À la fin de son discours, son semblable noir vint se poser à son côté, sans doute pour lui expliquer les raisons du tumulte. Ils regardèrent Richard en hochant la tête et, pensant que c’était peut-être une invitation, ce dernier montra à nouveau le harnais et lança le programme de démonstration graphique. L’oiseau aux colliers rouges approcha pour regarder de plus près.

Il fit un mouvement brusque. L’homme sursauta de frayeur et manqua basculer dans le puits. Ce qui était peut-être un rire fut interrompu par un cri du chef qui resta ensuite muet plus d’une minute, comme pour réfléchir. Finalement, il tendit une de ses serres pour désigner l’intrus, déploya ses larges ailes et prit son envol. Il sortit de son antre.

Richard demeura immobile. La grande créature ailée monta haut dans le ciel, suivie par les deux aviens du début. Nicole pencha la tête dans l’ouverture.

— Tu viens, chéri ? lui demanda-t-elle. Je ne sais pas comment tu t’y es pris, mais j’ai la nette impression que nos amis sont parés au décollage.

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