31. LE PRODIGE D’ORVIETO

— Bonne nuit, Otto, dit David Brown à l’amiral qui sortait de sa hutte. À demain matin.

Il bâilla, s’étira, puis regarda sa montre. Si leurs prévisions étaient exactes, les soleils se rallumeraient dans guère plus de huit heures.

Il retira sa combinaison et but un verre d’eau. Il venait de s’allonger quand Francesca entra.

— Nous avons de nouveaux problèmes, David, dit-elle avant de lui donner rapidement un baiser. Je viens de discuter avec Janos. Nicole sait que nous avons drogué Valeriy.

— Quoi ! s’exclama Brown en s’asseyant sur son lit. Comment l’a-t-elle découvert ? Il était impossible…

— Les sondes de Borzov ont détecté des modifications de son métabolisme et elle a correctement interprété ces indications. Elle vient d’en informer Tabori.

— J’espère que tu ne t’es pas trahie ? Il est impératif que…

— Pour qui me prends-tu ? Janos ne se doute de rien.

— Maudite fouineuse et maudites sondes, grommela Brown en se massant le visage. Quelle journée ! D’abord cet imbécile de Wilson qui joue au héros et maintenant ceci… Je t’avais dit qu’il fallait détruire tous les enregistrements de l’intervention chirurgicale. Il aurait été facile de les effacer et rien…

— Elle disposerait malgré tout des données biométriques, qui suffisent pour nous faire incriminer. Seul un génie pourrait reconstituer les faits à partir des mémoires de RoChir.

Elle s’assit et attira la tête de l’homme contre sa poitrine.

— Nous avons agi avec bon sens. Toute intervention de notre part aurait certainement éveillé les soupçons de l’A.S.I. Non, notre seule erreur a été de sous-estimer Nicole Desjardins.

Le Dr Brown se dégagea et se leva. Il se mit à faire les cent pas.

— Bordel, c’est ta faute, Francesca. Je n’aurais jamais dû t’écouter. Je savais…

— Tu savais que tu ne participerais pas à la première sortie dans Rama, l’interrompit-elle sèchement. Tu savais que les millions de marks promis te passeraient sous le nez si tu restais à bord de Newton.

Il interrompit ses allées et venues pour se tourner vers Francesca, qui ajouta sur un ton moins agressif :

— Tu savais aussi que j’avais intérêt à ce que tu nous accompagnes et que je ferais tout pour t’aider.

Elle prit ses mains et l’attira vers le lit.

— Assieds-toi, David. Nous en avons déjà discuté je ne sais combien de fois. Nous ne sommes pas responsables de la mort du général. Le produit que nous lui avons administré reproduisait simplement les symptômes d’une appendicite. Cette décision, nous l’avons prise ensemble. Si Rama ne s’était pas déplacé au même instant et si le robot-chirurgien avait fonctionné correctement, tout se serait déroulé comme nous l’avions prévu. Borzov se remettrait de cette opération à bord de Newton et nous mènerions l’exploration de Rama à notre guise.

Il dégagea ses mains.

— Je me sens… malpropre. Je n’avais jamais rien fait de répréhensible, auparavant. Que ça nous plaise ou non, nous portons notre part de responsabilités dans le décès de Borzov, et peut-être aussi dans celui de Wilson. On pourrait nous inculper.

Il secoua la tête, désemparé.

— Je suis un chercheur, ajouta-t-il. Que m’est-il arrivé ? Comment ai-je pu me laisser entraîner dans une histoire pareille ?

— Épargne-moi ces salades sur ton intégrité, tu veux ? rétorqua-t-elle sèchement. Et cesse un peu de te mener en bateau. Tu oublies que tu as volé la plus importante découverte astronomique de la décennie à une de tes étudiantes, que tu as ensuite épousée pour la réduire au silence. Si tu as été un jour honnête, ça remonte à un lointain passé.

— Tu es injuste. J’ai toujours respecté les principes, sauf…

— Quand le jeu en valait la chandelle. Arrête tes conneries !

Elle se leva et fit à son tour les cent pas.

— Les hommes sont tous des hypocrites. Vous vous cherchez des justifications abracadabrantes pour préserver l’image que vous avez de vous-mêmes. Vous refusez de vous voir tels que vous êtes et d’admettre vos véritables buts. La plupart des femmes sont plus sincères. Nous reconnaissons nos ambitions, nos désirs, même nos besoins les plus vils. Nous admettons nos faiblesses. Nous nous voyons telles que nous sommes, pas telles que nous voudrions être.

Elle revint vers le lit pour reprendre les mains de David dans les siennes.

— Ne vois-tu pas, mon chéri ? Toi et moi, nous sommes semblables. Notre alliance est basée sur le plus solide des liens… l’intérêt réciproque. Nos objectifs sont les mêmes… puissance et célébrité.

— C’est ignoble…

— Mais vrai. Même si tu refuses de l’admettre. Ne vois-tu pas que tes hésitations sont dues à ton incapacité d’admettre quelle est ta véritable nature ? Regarde-moi. Je sais ce que je veux et donc ce que je dois faire. J’obéis à la logique qui découle de mes choix.

Le physicien américain resta assis sans rien dire pendant un long moment. Finalement, il se tourna et baissa la tête pour la laisser reposer sur l’épaule de la femme.

— D’abord Borzov, et à présent Wilson. Je regrette tant tout ce qui est arrivé.

— On ne peut pas réécrire le passé, David. Nous sommes allés trop loin pour renoncer, et la réussite est désormais à notre portée.

Elle se pencha et lui retira sa chemise.

— La journée a été longue et éprouvante, fit-elle. Essayons d’oublier nos soucis.

Il ferma les yeux. Francesca caressa son visage et sa poitrine.

Elle l’embrassa lentement, puis se redressa soudain afin de retirer ses propres vêtements.

— Vois-tu, ajouta-t-elle, tant que nous serons unis, nous nous communiquerons nos forces.

Elle l’obligea à rouvrir les yeux.

— Vite, dit-il avec impatience. J’étais déjà…

— Ne t’inquiète pas, répondit-elle en faisant lascivement glisser sa culotte. Avec moi, tu n’as jamais eu de problèmes.

Ce fut en souriant qu’elle écarta les genoux de son partenaire et attira sa tête entre ses seins.

— Je ne suis pas Elaine, conclut-elle en tirant sur le caleçon de Brown avec sa main libre.


* * *

Elle dévisagea l’homme qui dormait près d’elle. Le sourire insouciant d’un adolescent remplaçait la tension et l’angoisse qui tendaient ses traits quelques minutes plus tôt. Tout est si simple, pour eux, pensa-t-elle. Il leur suffit d’atteindre l’orgasme pour oublier tous leurs soucis. J’aimerais que ce soit aussi facile pour nous.

Elle se leva et s’habilla en veillant à ne pas faire de bruit pour ne pas le réveiller. Mais nous voici confrontés à un grave problème qu’il convient de régler au plus tôt. Et cette fois la tâche est bien plus délicate car nous avons affaire à une femme.

Elle sortit dans les ténèbres de Rama. Quelques lumières brillaient près de la hutte où ils stockaient leur matériel, à l’autre bout du camp, mais le reste de ce monde était plongé dans l’obscurité. Tous dormaient.

Elle alluma sa torche et s’éloigna vers le sud, en direction de la mer Cylindrique.

Que voulez-vous, madame Nicole Desjardins ? Et quelle est votre faiblesse, quel est votre talon d’Achille ? Francesca consacra quelques minutes à dresser la liste de ce qu’elle savait sur cette femme, à la recherche de quelque chose qu’elle pourrait exploiter. Ce n’est ni l’argent ni le sexe. Pas avec moi, tout au moins. Elle rit. Et pas non plus avec David. La répulsion qu’il lui inspire est évidente.

Le chantage ? se demanda-t-elle en atteignant la falaise. Elle se rappela la réaction de Nicole lorsqu’elle l’avait interrogée sur l’identité du père de Geneviève. Ce serait sans doute la solution… mais il faudrait pour cela que je connaisse la réponse à cette question.

Elle se retrouvait dans une impasse. Il n’existait aucun moyen de réduire Nicole Desjardins au silence. D’ici, les lumières du camp étaient à peine visibles. Elle éteignit sa torche et s’assit au bord de la paroi verticale.

Ses pieds se balançaient dans le vide et de rester ainsi avec les jambes pendantes au-dessus des flots gelés de la mer Cylindrique lui rappela son enfance, à Orvieto. Elle avait fumé sa première cigarette à l’âge de onze ans, malgré les innombrables mises en garde qui lui étaient adressées. Ensuite, chaque jour après l’école, elle descendait les ruelles de la ville jusqu’à la plaine qui s’étendait en contrebas et allait s’asseoir sur la berge du cours d’eau pour fumer : un acte de rébellion solitaire. Au cours de ces instants d’oisiveté elle se réfugiait dans un monde imaginaire plein de châteaux et de princes, un lieu situé à des millions de kilomètres de sa mère et de son beau-père.

Ces souvenirs réveillèrent en elle un irrésistible besoin de fumer. Les pilules de nicotine qu’elle prenait depuis le début de la mission ne comblaient que le manque physique. Elle rit et glissa la main dans une poche de sa combinaison. Francesca avait emporté trois cigarettes dans un étui spécial qui assurait leur parfaite conservation. Elle avait pris cette précaution avant de quitter la Terre, « en prévision d’un cas d’urgence »…

Fumer à onze ans était un acte de rébellion envers son entourage, en faire autant à bord d’un vaisseau spatial extraterrestre représentait un défi encore plus grand. Elle eut envie de hurler de joie lorsqu’elle rejeta sa tête en arrière et souffla la fumée dans l’atmosphère raméenne. Cet acte lui procurait une sensation de liberté et rendait moins préoccupante la menace que Nicole Desjardins faisait peser sur eux.

Elle se rappela la solitude profonde de cette jeune fille qui descendait furtivement les pentes du vieil Orvieto, avec l’horrible secret qu’elle gardait scellé au fond de son cœur. Francesca n’avait jamais parlé à personne des agissements de son beau-père, surtout pas à sa mère, et elle n’y pensait plus que rarement. Mais à présent qu’elle restait assise au bord de la mer Cylindrique les angoisses de son enfance revenaient l’assaillir.

C’était peu après mon onzième anniversaire, pensa-t-elle en remontant le temps de dix-huit années. Au début, je ne comprenais même pas ce qu’il me voulait. Elle tira sur sa cigarette. Pas même lorsqu’il a commencé à m’offrir des cadeaux sans raison.

Son beau-père était le directeur de leur nouvelle école et il ne lui avait jamais accordé la moindre attention jusqu’au jour où elle avait passé sa première série de tests d’aptitude et obtenu les meilleurs résultats d’Orvieto. Elle se situait en dehors des normes, elle entrait dans la catégorie des prodiges. Cet homme avait épousé sa mère dix-huit mois plus tôt et eu depuis des jumeaux avec elle. Pour lui, Francesca n’avait été jusqu’alors qu’une gêne, une bouche inutile à nourrir, un élément du mobilier de sa femme.

Il est devenu attentionné envers moi. Puis maman est partie voir tante Clara. Des souvenirs pénibles s’engouffrèrent dans son esprit, comme l’eau d’un torrent. Elle se remémora l’haleine vineuse de son beau-père, le contact de son corps moite de sueur contre le sien, ses pleurs après qu’il fut ressorti de sa chambre.

Le cauchemar avait duré plus d’un an. Il lui imposait ses volontés chaque fois que sa mère s’absentait. Puis un soir, alors qu’il remettait ses vêtements et regardait ailleurs, Francesca avait abattu sur son crâne une batte de baseball en aluminium. Son beau-père s’était effondré sur le sol, le cuir chevelu ensanglanté et inconscient. Elle l’avait tiré dans le séjour et laissé dans cette pièce.

Il n’a plus jamais osé me toucher, ensuite. Elle écrasa son mégot. Nous sommes devenus des étrangers qui vivaient dans la même maison et j’ai passé de plus en plus de temps avec Roberto et ses copains. J’attendais une opportunité. J’étais prête à la saisir, quand Carlo est arrivé.


* * *

C’était l’été 2184. Âgée de quatorze ans, Francesca flânait à longueur de journée dans les parages de la grand-place. Son cousin Roberto venait d’être agréé en tant que guide de la cathédrale d’Orvieto. Le vieux Duomo, la principale attraction touristique de la ville, avait été construit par phases successives à partir du XIVe siècle. Cette église était un chef-d’œuvre artistique et architectural. Les fresques de Luca Signorelli qui ornaient la chapelle San Brizio étaient considérées comme les plus beaux exemples de la peinture imaginative du XVe siècle hors du musée du Vatican.

Devenir un guide officiel du Duomo relevait de l’exploit, surtout à dix-neuf ans. Elle était fière de Roberto, qui l’autorisait parfois à l’accompagner si elle s’engageait à ne pas le mettre dans l’embarras par ses traits d’esprit.

Un jour d’août, en début d’après-midi, une limousine s’était arrêtée sur la piazza et le chauffeur avait demandé un guide à l’office du tourisme. Son passager n’avait pas pris de réservation et seul Roberto était disponible. Ce fut avec une vive curiosité que Francesca regarda l’homme élégant, en fin de trentaine ou début de quarantaine, qui descendit de l’arrière de la voiture et alla se présenter à son cousin. Les véhicules automobiles étaient interdits depuis près d’un siècle dans le haut Orvieto, sauf sur autorisation spéciale, et il en découlait que ce visiteur sortait de l’ordinaire.

Comme toujours, Roberto commença la visite par les bas-reliefs de Lorenzo Maitani qui ornaient les portails de l’église. Toujours curieuse, Francesca se tenait de côté et fumait sans rien dire pendant que son cousin fournissait des explications sur les personnages démoniaques ciselés au pied d’une des colonnes.

Il désigna un groupe de figures dantesques.

— C’est une des premières représentations de l’enfer. Au XIVe siècle, on s’imaginait un tel lieu en fonction d’une interprétation littérale de la Bible.

— Ah ! s’exclama Francesca.

Elle laissa tomber sa cigarette sur les pavés pour venir vers Roberto et le touriste séduisant.

— C’était surtout une vision typiquement masculine de l’enfer. Vous pouvez noter que la plupart des démons ont des seins et que la majorité des péchés représentés sont à caractère sexuel. Les hommes sont depuis toujours convaincus qu’ils ont été créés parfaits et que leurs instincts les plus vils leur sont inspirés par les femmes.

Le visiteur semblait sidéré par l’apparition de cette adolescente dégingandée qui soufflait de la fumée par sa bouche. Sa beauté et son esprit paraissaient le fasciner. Qui était-elle ?

— Je vous présente ma cousine Francesca, dit Roberto, rendu nerveux par son intervention.

— Carlo Bianchi, déclara l’homme en présentant sa main.

Sa paume était moite. Francesca le dévisagea et sut qu’elle l’intéressait. Elle sentit son cœur s’emballer.

— Si vous vous en tenez à Roberto, vous n’aurez droit qu’à la version officielle. Il a pour instructions de censurer les détails les plus croustillants.

— Et vous, mademoiselle…

— Francesca.

— Et vous, Francesca, avez-vous autre chose à me proposer ?

Elle lui adressa le plus enjôleur de ses sourires.

— J’ai beaucoup lu et je connais par cœur la vie des artistes qui ont travaillé ici, surtout celle de Luca Signorelli. Elle fit une brève pause puis ajouta :

— Saviez-vous par exemple que Michel-Ange est venu à Orvieto pour étudier les nus de ce peintre avant de débuter le plafond de la chapelle Sixtine ?

— Non, je l’ignorais, avoua Carlo qui se mit à rire, déjà sous son charme. Mais cette lacune est désormais comblée. Venez. Joignez-vous à nous. Vos commentaires compléteront ceux de votre cousin.

Elle se sentait flattée par les regards qu’il lui adressait. Il semblait l’évaluer, comme une toile de maître ou un collier de pierres précieuses. Il laissait ses yeux s’attarder sur la silhouette de la jeune fille qui était aiguillonnée par ses rires et s’autorisait des remarques de plus en plus audacieuses.

— Voyez-vous la malheureuse qui est à califourchon sur le dos de ce démon ? demanda-t-elle alors qu’ils admiraient l’incroyable ménagerie de génies des fresques de Signorelli à l’intérieur de la chapelle San Brizio. Elle semble faire la bête à deux dos avec lui, n’est-ce pas ? Eh bien, savez-vous de qui il s’agit ? Cette fille nue n’est autre que la petite amie du peintre. Il travaillait ici jour après jour, et comme elle commençait à s’ennuyer ferme elle s’est envoyé un ou deux ducs pour se changer les idées. Luca n’a pas apprécié et a décidé de régler ses comptes avec elle en la condamnant à chevaucher un démon jusqu’à la fin des temps.

Lorsqu’il cessa de rire, Carlo lui demanda si elle pensait que cette punition était juste.

— Absolument pas, répliqua l’adolescente de quatorze ans. C’est un nouvel exemple du machisme du XVe siècle. Les hommes baisaient qui ils voulaient et on les qualifiait de virils, mais quand une femme avait l’audace d’assouvir ses besoins…

— Francesca ! l’interrompit sèchement Roberto. Tu vas trop loin. Ta mère te tuerait, si elle t’entendait…

— Ma mère n’a rien à voir dans cette histoire. Je parle d’une morale à deux vitesses qui est d’ailleurs toujours en vigueur à notre époque. Prenons…

Carlo Bianchi ne pouvait croire en sa bonne étoile. Ce riche créateur de mode milanais devenu mondialement célèbre avant d’avoir eu trente ans venait de décider, sans raison véritable, de louer une limousine pour aller à Rome au lieu de prendre le train comme à l’accoutumée. Sa sœur Monica lui parlait depuis longtemps de la beauté du Duomo d’Orvieto et s’y arrêter avait été une autre décision prise par simple caprice. Et à présent ! Mamma mia, cette fille était fantastique !

Il l’invita à dîner à la fin de la visite. Mais quand ils arrivèrent à l’entrée du restaurant le plus chic de la ville Francesca hésita. Il comprit et l’emmena dans une boutique. Il lui offrit une robe hors de prix, avec des chaussures et des accessoires assortis, et il fut sidéré de la voir si belle. À seulement quatorze ans !

Elle n’avait encore jamais eu l’occasion de goûter à un excellent vin. Elle le but comme de l’eau. Chaque plat était si délicieux qu’elle saluait sa découverte par de petits cris de joie. Carlo était sous le charme de cette femme-enfant. Il aimait la façon dont elle laissait sa cigarette pendre aux commissures de ses lèvres. C’était tellement naturel, si gauche[1].

Il faisait nuit noire, à la fin du repas. Francesca le raccompagna jusqu’à la limousine garée devant le Duomo. Dans une étroite ruelle, elle se pencha et mordilla son oreille. Il l’attira contre lui et eut droit à un baiser explosif. Ce qu’il éprouva le laissa pantelant.

Francesca en fut aussi émoustillée et n’hésita pas une seconde lorsqu’il lui proposa une promenade en voiture. Le temps d’atteindre les faubourgs d’Orvieto, elle le chevauchait sur la banquette arrière. Une demi-heure plus tard, lorsqu’ils eurent fait l’amour pour la deuxième fois, Carlo ne pouvait supporter la pensée de se séparer de cette fille extraordinaire. Il lui demanda si elle aimerait l’accompagner à Rome.

— Andiamo, lui répondit-elle en souriant.

Et nous sommes allés à Rome, puis à Capri, se rappela-t-elle. Ensuite, nous avons passé une semaine à Paris. À Milan, tu m’as installée chez Monica et Luigi pour sauver les apparences. Les hommes font toujours bien trop de cas des convenances.

Sa longue rêverie fut interrompue par un bruit. Elle croyait avoir entendu des pas dans le lointain. Elle se leva et tendit l’oreille, mais il n’y avait plus que les sifflements de son haleine. Puis elle remarqua à nouveau ce son, loin sur sa gauche. Elle en localisa le point d’origine, sur l’étendue de glace. La peur matérialisa dans son esprit des images de monstres qui venaient par la mer attaquer leur camp. Elle se concentra, mais ne remarqua plus rien.

Elle repartit vers le groupe de huttes. Je t’ai aimé, Carlo, pensa-t-elle. Si un homme m’a un jour inspiré de l’amour, c’est bien toi. Même après que tu as commencé à me partager avec tes amis. D’autres souffrances enfouies depuis longtemps au fond de son être revinrent l’assaillir et elle les repoussa en alimentant sa colère. Jusqu’à ce que tu deviennes violent. Tu as tout gâché. Tu m’as apporté la preuve que tu n’étais qu’un salaud.

Elle chassa ces souvenirs pénibles de son esprit. Où en étions-nous, déjà ? se demanda-t-elle en approchant de son abri. Ah, oui ! Nicole Desjardins. Que sait-elle vraiment ? Et que pouvons-nous faire pour éliminer la menace qu’elle représente ?

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