2 Deux capitaines

À environ une lieue de la cité, en grosses capitales rouges visibles depuis la route, soit à cent pas de distance, une enseigne vantait la Grande Ménagerie Itinérante de Valan et son « spectacle extraordinaire ». Pour les illettrés, ça signalait en tout cas la présence de quelque chose de fabuleux. La plus grande ménagerie itinérante du monde, si on en croyait Luca.

Le bonhomme n’en était pas à une énormité près, mais sur ce point, il devait avoir raison. Solidement ancré dans le sol, le mur de toile de dix pieds de haut qui entourait la ménagerie aurait pu contenir un village de bonne taille.

Remplissant sa fonction, l’enseigne géante attirait le regard de tous les passants. Mais les fermiers et les marchands avaient du pain sur la planche et les colons, en route pour leur avenir, ne pensaient pas à de telles futilités. Du coup, nul ne se détournait de son chemin, et le passage délimité par des cordes censé canaliser la foule jusqu’à l’arche d’entrée, sous l’enseigne, restait désespérément vide – surtout à cette heure. Ces derniers temps, même à de meilleurs moments de la journée, ce n’était pas l’affluence.

Après la chute d’Ebou Dar, une fois les gens convaincus qu’il n’y aurait pas de mise à sac et qu’ils ne seraient pas obligés de fuir, la fréquentation n’avait pas faibli. Avec le Retour et l’afflux de navires chargés de colons, les citadins avaient décidé de garder leur argent en prévision d’éventuels coups durs.

Devant l’entrée, emmitouflés dans un manteau mité et miteux, deux costauds, l’un au nez crochu et à l’épaisse moustache, l’autre borgne, s’assuraient que des petits malins ne viendraient pas jeter un coup d’œil à l’intérieur sans payer. Mais les resquilleurs eux-mêmes se faisaient rares. Désœuvrés, les cerbères, assis dans la poussière, jouaient aux dés pour passer le temps.

Bizarrement, Petra Anhill, l’homme le plus fort du monde – à voir ses énormes bras croisés sur son torse démesuré, on n’en doutait pas une seconde –, regardait jouer les deux types qui, en plus de monter la garde, s’occupaient entre autres tâches des chevaux de la troupe.

Plus petit que Mat, mais au moins deux fois plus large, Petra menaçait en permanence de faire craquer les coutures de la veste bleue rembourrée que sa femme l’obligeait à porter en hiver. Alors qu’il semblait fasciné par le jeu, ce type n’aurait pas risqué un sou aux dés ou aux cartes. Avec Carine, sa chère et tendre, dresseuse de chiens de son état, ils économisaient âprement dans l’espoir de se payer un jour une auberge.

Détail plus surprenant encore, debout près de son mari, Clarine aussi semblait passionnée par la partie de dés.

Quand il aperçut Mat et Egeanin, bras dessus bras dessous, Petra jeta un coup d’œil à l’entrée par-dessus son épaule. Aussitôt, le jeune flambeur se tendit. Les coups d’œil par-dessus l’épaule, ce n’était jamais bon… Mais Clarine, elle, eut un grand sourire. Comme la plupart des femmes de la ménagerie, elle prenait Mat et la Seanchanienne pour un couple.

Le type au nez crochu, un Tearien nommé Col, eut un sourire égrillard et se pencha pour ramasser les mises – quelques pièces de cuivre, bref trois fois rien.

À part Domon, personne n’aurait pu trouver belle l’austère Egeanin. Mais pour certains idiots, le rang l’emportait sur le charme. L’argent aussi, et une noble dame devait sûrement en avoir. Parmi les mâles, quelques-uns pensaient qu’une dame capable d’abandonner son mari pour un type comme Mat pouvait tomber sous le charme d’un troisième larron, et le faire profiter de sa fortune.

Pour expliquer leur besoin d’éviter les Seanchaniens, Mat et ses compagnons avaient inventé une fumeuse histoire de mari jaloux et de fugue amoureuse. Les sornettes de ce genre, popularisées par les trouvères et les romans à trois ronds, passaient sans difficulté auprès des esprits faibles – comme celui de Col, par exemple. Cela dit, il n’insista pas outre mesure. Egeanin, ou plutôt Leilwin, pour ces gens, avait déjà menacé avec son couteau un bellâtre qui jonglait avec des épées. Tout ça parce qu’il l’avait invitée à boire une coupe de vin dans sa roulotte. Sans insister lourdement, sinon, nul n’en doutait, il aurait reçu dix pouces d’acier dans le ventre.

Dès que Mat fut à son niveau, Petra souffla :

— À l’intérieur, des soldats seanchaniens parlent avec Luca. Une vingtaine d’hommes… En réalité, ils laissent parler leur officier, mais ça revient au même.

Sans trahir de peur, Petra plissait le front et il posa une main protectrice sur l’épaule de sa femme. Son sourire disparu, Clarine mit une main sur celle de son mari. Sans contester le jugement de Luca, ces deux-là savaient quels risques il leur faisait courir. Enfin, ils croyaient le savoir. Ce qu’ils imaginaient était assez moche comme ça…

— Que veulent-ils ? demanda Egeanin en s’écartant de Mat.

Elle ne semblait pas se soucier de son avis sur la question – comme tous les autres, d’ailleurs.

— Garde ça pour moi, dit Noal en tendant au cerbère borgne sa canne et son panier.

Alors que le type le regardait avec de grands yeux, le vieil homme passa une main sous sa veste, où il cachait deux coutelas.

— Petra, pouvons-nous atteindre nos chevaux ?

Le mari de Clarine le regarda, plus que dubitatif. Mat n’était donc pas le seul à se demander si Noal avait toute sa raison ?

— Ils ne paraissent pas vouloir fouiller partout, précisa Clarine en gratifiant Egeanin d’une esquisse de révérence.

Toute la troupe était censée traiter Mat et les autres comme des collègues, mais avec la Seanchanienne, ça coinçait souvent.

— L’officier est dans la roulotte de Luca depuis une bonne demi-heure. Tout ce temps, les soldats sont restés près de leurs chevaux.

— Ce n’est pas vous qu’ils cherchent, fit Petra d’un ton respectueux.

À l’intention d’Egeanin, bien sûr. Pourquoi aurait-il dû être différent des autres ? En outre, il s’entraînait à accueillir des nobles dans sa future auberge.

— Nous vous attendions pour que vous ne soyez pas surprise ou inquiète en voyant ces soldats. Je suis sûr que Luca s’en sortira très bien avec eux.

Malgré ses propos, Petra ne cessa pas de plisser le front. Quand sa femme jouait les filles de l’air, un homme l’avait mauvaise, et un noble pouvait vouloir faire payer son humiliation à des innocents. La troupe d’une ménagerie itinérante, dans cet ordre d’idées, faisait une cible tentante.

— Vous ne devez pas craindre que quelqu’un en dise trop, ma dame. Pas vrai, Col ?

Le Tearien acquiesça, les yeux rivés sur les dés qu’il faisait s’entrechoquer dans sa paume. Bien que costaud, il n’arrivait pas à la cheville de Petra, capable de déplier un fer à cheval à mains nues.

— Cracher sur les bottes d’un noble fait toujours plaisir, marmonna le borgne, les yeux baissés sur le panier de Noal.

Presque aussi grand et musclé que Col, il était plus âgé, comme en témoignaient ses rides et sa denture encore plus clairsemée que celle de Noal. Avec un coup d’œil pour Egeanin, il ajouta :

— Avec toutes mes excuses, ma dame… Cela dit, grâce à vous, on se fera tous un peu d’argent, et les pièces ne courent pas les rues, ces derniers temps. Pas vrai, Col ? On dit que les Seanchaniens pourraient nous arrêter tous, et peut-être nous pendre comme les Atha’an Miere. Ou nous forcer à nettoyer les canaux, de l’autre côté du port.

Dans la ménagerie, Col et son copain écopaient de toutes les corvées. Pourtant habitués à collecter le crottin, à nettoyer les cages et à ériger l’enceinte de toile, ils semblaient tenir le drainage des canaux, dans le Rahad, pour un sort pire que la pendaison.

— Ai-je menacé de tout déballer aux soldats ? se défendit Col, les mains écartées. Je voudrais seulement savoir combien de temps on devra rester ici. Et qu’on me dise quand nous verrons la couleur de cet argent.

— Nous resterons tant que je n’aurai pas dit de partir, répondit Egeanin.

Sans élever la voix, elle parvenait à être aussi menaçante qu’une lame qui jaillit en sifflant d’un fourreau.

— L’argent, vous l’aurez quand nous serons à destination. Et il y aura un petit bonus pour ceux qui m’auront servie loyalement. Pour les traîtres, en revanche, ce sera une tombe glacée…

Col resserra sur son torse les pans de son manteau troué et roula de gros yeux pour avoir l’air indigné – ou innocent, peut-être. Effet raté, quoi qu’il en soit. Il avait juste l’air d’espérer qu’Egeanin approcherait, histoire de pouvoir lui subtiliser sa bourse.

Mat grinça des dents. Primo, c’était son or qu’elle promettait de distribuer si largement. Elle en avait bien un peu, mais pas assez pour une opération pareille. Secundo, elle essayait encore de prendre le commandement. Pourtant, sans lui, elle aurait encore été à Ebou Dar, des Chercheurs collés aux basques – ou déjà acharnés à lui tirer les vers du nez. Sans lui, aurait-elle songé à rester près d’Ebou Dar pour brouiller sa piste ? Se serait-elle cachée au sein de la ménagerie ?

Des soldats ici ? S’ils pensaient y trouver Tuon, les Seanchaniens auraient envoyé cent hommes – non, mille ! Et s’ils étaient à la recherche des Aes Sedai… Là encore, impossible. Petra et Clarine ignoraient qu’ils aidaient à cacher des sœurs, mais ils auraient mentionné les sul’dam et les damane de rigueur – les soldats n’auraient jamais traqué des Aes Sedai sans leur aide.

Mat tâta sous sa chemise le médaillon qu’il portait nuit et jour et qui l’aurait averti en cas de danger.

Filer n’était pas une option. Pas seulement parce que Col et une dizaine d’autres types seraient allés tout déballer aux Seanchaniens avant qu’il ait fait cent pas. Vis-à-vis d’Egeanin et lui, ces gens n’avaient aucune hostilité – Rumann, le jongleur trop entreprenant, avait fini par se consoler avec une contorsionniste – mais très peu renonceraient à se faire de l’argent en les dénonçant.

Point positif, les dés ne roulaient pas dans sa tête. De plus, dans la ménagerie, il y avait des gens qu’il ne pouvait pas laisser derrière lui.

— S’ils ne fouinent pas partout, affirma-t-il, nous n’avons rien à craindre. Merci de nous avoir prévenus, Petra. Je n’ai jamais aimé les surprises.

Le colosse fit un petit geste, comme si ce n’était rien. Egeanin et Clarine, elles, regardèrent le jeune flambeur avec de grands yeux. Idem pour Col et son copain borgne. Mal à l’aise, Mat dut s’empêcher de grincer à nouveau des dents.

— Je vais traîner près de la roulotte de Luca pour voir ce qui se passe… Leilwin, avec Noal, trouvez Olver et restez près de lui.

Comme tout le monde, Egeanin et le vieux fou adoraient le gamin. Et comme ça, ils ne lui traîneraient pas dans les pattes. Pour espionner, rien de mieux qu’être seul. Et s’il fallait filer, au bout du compte, Egeanin et Noal pourraient au moins sauver le gosse. Mais si on en arrivait là, quel désastre !

Lumière, fais en sorte que ce malheur nous soit épargné.

— Eh bien, fit Noal, personne n’est immortel, j’imagine…

Le vieil homme récupéra sa canne et son panier. Que la Lumière le brûle ! Comparée à lui, une chèvre prise de coliques aurait paru de bonne humeur.

Petra se rembrunit. L’inquiétude, le pain quotidien des hommes mariés… Une raison, parmi d’autres, pour ne pas être pressé de renoncer au célibat.

Alors que Noal s’éloignait, le borgne regarda mélancoliquement le panier plein de poissons. Encore un type qui ne semblait pas disposer de tous ses moyens intellectuels. Sans doute parce qu’il avait une femme quelque part…

Mat enfonça son bonnet jusqu’à ses yeux. Toujours pas de roulement de dés… Certes, mais combien de fois avait-il failli se faire égorger ou fracasser le crâne sans avoir entendu cet avertissement ? Cela dit, s’il y avait eu du danger, les dés l’auraient prévenu, non ? Bien sûr que oui !

Au moment où il franchissait l’arche, Egeanin le rattrapa et lui passa un bras autour de la taille. Il s’arrêta net et la regarda, les yeux ronds. À ses ordres, elle résistait comme une truite se bat contre l’hameçon, mais là, on frisait l’insubordination.

— Quelle mouche te pique ? Et si l’officier te reconnaissait ?

C’était aussi vraisemblable que de voir Tylin gambader dans la ménagerie, mais si ça pouvait chasser la fâcheuse…

— La probabilité qu’il me connaisse ? De ce côté de l’océan, je n’ai pas… je n’avais pas beaucoup d’amis, et aucun à Ebou Dar.

La Seanchanienne caressa du bout des doigts une mèche de sa perruque noire.

— Avec ça, ma propre mère ne me reconnaîtrait pas.

Une constatation amère énoncée sur un ton sinistre…

S’il continuait à serrer les dents, Mat risquait de s’en casser une. Polémiquer ne servirait à rien, mais il se souvint de la façon dont Egeanin avait regardé les soldats, un peu plus tôt.

— D’accord, mais ne foudroie personne du regard. Mieux encore, garde les yeux baissés.

— Comme une femme timorée d’Ebou Dar, oui… Tu tiendras le crachoir.

Une déclaration de soumission faite sur un ton de défi. Quand une femme refusait de simplifier les choses, elle les rendait rudement compliquées. Simplifier, Egeanin ? Une des dents de Mat allait y rester, c’était couru…

Dans la ménagerie, la « rue » principale serpentait entre des roulottes très semblables à celles des Zingari – de petites maisons mobiles – et des tentes de grande taille. Dans les deux cas, les couleurs vives dominaient, et on ne répugnait pas aux rayures…

Un peu partout, des scènes décorées de guirlandes ternies et sales permettaient aux divers artistes de se produire.

Large d’une trentaine de pas, sa terre tassée par des multitudes de semelles, la rue principale en croisait bien d’autres au fil de la promenade. Vite chassée par le vent, de la fumée montait des cheminées en étain des roulottes et de certaines tentes. À cette heure, la plupart des artistes prenaient leur petit déjeuner ou traînaient encore au lit. Ils se levaient tard – une règle de vie que Mat approuvait – et qui, par un temps pareil, aurait voulu être assis autour d’un feu de cuisson ?

Du coup, le jeune flambeur ne vit personne, à part Aludra. Les manches de sa robe vert foncé remontées, elle pilait quelque chose dans un mortier posé sur un plan de travail rabattable fixé au flanc de sa roulotte bleu vif.

Concentrée sur son ouvrage, la mince Tarabonaise ne remarqua pas Mat et sa compagne. Le jeune homme, en revanche, ne put s’empêcher de la regarder. Avec ses cheveux noirs tressés piqués de perles, Aludra était sans conteste la plus exotique « merveille » de Valan Luca. Il la présentait comme une Illuminatrice, et pour une fois, c’était vrai, contrairement aux fantaisies qu’il déclamait sur ses autres artistes. Quant à savoir s’il y croyait lui-même…

Mat se demanda ce qu’Aludra était en train de piler. Une substance susceptible d’exploser ? S’il parvenait à résoudre une énigme, elle avait promis de lui révéler tous les secrets des feux d’artifice. Pour l’instant, il calait, mais ça changerait un jour ou l’autre.

— Nous sommes censés nous adorer, dit Egeanin en lui enfonçant un index dans les côtes. Qui le croira si tu regardes cette femme avec des yeux de loup affamé ?

Mat s’autorisa un sourire lascif.

— Je regarde toujours les jolies femmes… Tu n’avais pas remarqué ?

Grognant d’agacement, Egeanin ajusta son foulard avec une vigueur un peu excessive. Mat en but du petit-lait. De temps en temps, le puritanisme de cette femme était du pain bénit.

Même si elle luttait pour sa peau, Egeanin restait une Seanchanienne, et elle en savait déjà beaucoup trop long sur lui. Pas question qu’il lui confie tous ses secrets. En particulier ceux qu’il ne connaissait pas encore…

La roulotte de Luca trônait au milieu de la ménagerie, aussi loin que possible des cages des animaux et des lignes de piquets des chevaux. Donc, hors de portée de narines de la puanteur. Même au milieu des autres, le véhicule laqué rouge et bleu constellé d’étoiles et de comètes était extravagant. En lignes d’argent, les représentations des phases de la lune piquaient les yeux. Jusqu’à la cheminée, peinte en bandes rouges et bleues alternées… Un Zingaro en aurait été embarrassé !

D’un côté du véhicule, deux rangées de soldats seanchaniens attendaient à côté de leurs chevaux, lances inclinées selon le même angle. Un des hommes tenait les rênes d’une monture excédentaire – un hongre puissant aux attaches solides. Comparées à la roulotte de Luca, les armures bleu et vert des Seanchaniens seraient passées pour des modèles de sobriété.

Mat ne fut pas surpris de voir que quelqu’un d’autre s’intéressait aux Seanchaniens. Un bonnet noir enfoncé sur le crâne, Bayle Domon, assis sur les talons, s’adossait à une roue de la roulotte verte de Petra et Clarine. Dessous, les petits chiens de la dresseuse dormaient collés les uns contre les autres.

Domon faisait mine de sculpter un morceau de bois, alors qu’il se contentait de le débiter en copeaux pour se donner une contenance. Mat aurait voulu que l’Illianien se laisse pousser la moustache pour cacher sa lèvre supérieure, ou qu’il rase le reste de sa barbe. Quelqu’un risquait de faire le lien entre Egeanin et un Illianien. Blaeric Negina, un grand type originaire du Shienar qui tenait compagnie à Domon, n’avait pas hésité à sacrifier son toupet national pour passer inaperçu. Cela dit, il passait la main sur son crâne aussi souvent qu’Egeanin tripotait sa perruque. Porter un bonnet ou un chapeau aurait été une idée judicieuse…

En veste noire élimée et bottes fatiguées, les deux hommes pouvaient passer pour des membres de la troupe – des hommes de peine, par exemple – sauf aux yeux du vrai personnel de la ménagerie. Pour l’heure, ils épiaient les Seanchaniens l’air de rien – avec un grand succès, en ce qui concernait Blaeric, mais quoi de plus normal pour un Champion ? Paraissant concentré sur Domon, il jetait de temps en temps un regard distrait aux soldats, alors qu’en réalité il ne les quittait pas des yeux. Quand il ne fixait pas son bout de bois, comme pour lui ordonner de devenir une jolie figurine, Domon scrutait les Seanchaniens, et ce n’était pas bon. En d’autres termes, il mettait trop de conviction dans son rôle de so’jhin.

Alors que Mat cherchait une idée pour approcher de la roulotte et entendre ce qu’on y disait, mais sans se faire remarquer des soldats, la porte s’ouvrit, à l’arrière du véhicule, et un officier blond descendit les quelques marches tout en vissant sur sa tête un heaume orné d’une plume bleue.

En veste écarlate brodée de soleils étincelants, Luca apparut derrière le Seanchanien puis le salua avec toute la grâce et la servilité d’un courtisan. Le patron de la ménagerie possédait au moins vingt vestes, toutes rouges et incroyablement criardes. Une chance que sa roulotte soit très grande, sinon, il n’aurait pas eu de place pour sa garde-robe.

Ignorant le bouffon, l’officier enfourcha son hongre, rectifia la position de son épée et cria des ordres. Avec un bel ensemble, ses hommes se hissèrent en selle, se mirent en colonne par deux et se dirigèrent vers la sortie.

Toujours humblement incliné, au cas où quelqu’un se retournerait, Luca les regarda s’éloigner avec un sourire idiot.

Imitant sa stratégie, Mat s’écarta du chemin des soldats et ouvrit de grands yeux, comme s’il était pétri d’admiration. Regard rivé devant eux, l’officier et ses hommes ne lui accordèrent pas l’ombre d’un coup d’œil. Normal… Personne ne s’intéressait à un péquenaud ébahi, et nul ne s’en souvenait.

Miracle des miracles, une main sur le nœud de son foulard, Egeanin contempla ses pieds jusqu’à ce que le dernier cavalier soit passé. Puis elle leva les yeux et fit la moue.

— On dirait que je connais ce gamin… Je l’ai amené à Falme sur mon navire… Son domestique est mort au milieu de la traversée, et il a cru pouvoir réquisitionner un de mes marins. J’ai dû le remettre à sa place. À le voir s’indigner, on aurait cru qu’il était du Sang.

— Par le fichu sang et les fichues cendres ! marmonna Mat.

Combien d’autres personnes Egeanin avait-elle maltraitées ainsi, les incitant à graver ses traits dans leur mémoire ? Des centaines, la connaissant… Et il la laissait évoluer en liberté avec une perruque et un vague déguisement ? Des centaines ? Des milliers, oui ! Cette femme aurait tapé sur les nerfs d’une brique !

Bon, pour cette fois, l’officier était parti… Mat relâcha lentement son souffle. La chance était toujours avec lui, à l’évidence. La seule chose qui l’empêchait de chouiner comme un bébé, se disait-il parfois. À présent, il fallait aller voir Luca et apprendre ce que ces soldats voulaient.

Domon et Blaeric rejoignirent aussi le patron de la ménagerie. Les yeux rivés sur le bras de Mat, autour des épaules d’Egeanin, l’Illianien se rembrunit. À l’en croire, il approuvait la mascarade en cours, mais il aurait voulu, à l’évidence, que les deux « amoureux » évitent même de se prendre la main.

Mat retira son bras. Dans cette histoire, tout était clair depuis le début, et Domon le savait. Egeanin fit elle aussi mine de lâcher son « soupirant ». Après un coup d’œil à Domon, figé comme une statue, elle laissa son bras autour de la taille de Mat.

L’Illianien eut un regard furibard qu’il braqua… sur le sol. Fataliste, Mat songea qu’il risquait de comprendre les Seanchaniens longtemps avant d’avoir compris les femmes. Ou les Illianiens…

— Des chevaux…, marmonna Luca avant même que Mat se soit arrêté devant lui.

D’humeur à foudroyer tout le monde du regard, il semblait avoir choisi Mat comme cible prioritaire. Un peu plus petit que le jeune flambeur, il dut se hisser sur la pointe des pieds pour le toiser.

— C’était ça qu’il voulait… Je lui ai montré la notification d’exemption de la loterie des équidés – signée par la Haute Dame Suroth ! – mais ça ne l’a pas impressionné. Ce rustre se fiche que j’aie sauvé une Seanchanienne de très haut rang.

La femme en question n’était pas « de très haut rang » et en guise de sauvetage, Luca lui avait permis de voyager avec la troupe comme si elle en faisait partie. Toujours les mêmes vantardises…

— L’ennui, c’est que j’ignore combien de temps cette exemption sera valable. Les Seanchaniens ont besoin de chevaux. Ce passe-droit peut m’être retiré à tout instant.

Rouge comme une pivoine, Luca braqua un index vengeur sur Mat.

— À cause de toi, on va me prendre mes chevaux. Comment déplacer ma ménagerie, sans eux ? Réponds, si tu en es capable. Dès que j’ai vu la folie, dans le port, j’ai voulu partir, mais tu m’as forcé la main. Par ta faute, je finirai décapité ! Si tu n’avais pas déboulé en pleine nuit avec tes plans idiots, je serais à quarante lieues d’ici, à l’heure actuelle. Ici où je ne gagne pas un sou, au cas où tu aurais oublié. Ces trois derniers jours, il n’y a pas eu assez de visiteurs pour payer la nourriture des animaux. Même pas une seule journée, ni la moitié ! Voilà un mois que j’aurais dû partir. Et même plus que ça !

Mat faillit éclater de rire pendant que Luca vitupérait. Des chevaux, ce n’était donc que ça… Quant aux quarante lieues en cinq jours, avec les roulottes et les chariots surchargés de la ménagerie, c’était du pur délire. N’était le désir de détrousser les habitants d’Ebou Dar et leurs « alliés », Luca serait parti un ou deux mois plus tôt. D’ailleurs, le convaincre de rester, six nuits auparavant, s’était révélé un jeu d’enfant.

Au lieu de rire grassement, Mat posa une main sur l’épaule de Luca. Vaniteux comme un paon et cupide, cet homme ne valait pas grand-chose, mais s’en faire un ennemi aurait été une erreur.

— Si tu étais parti ce soir-là, mon ami, tu crois que ça n’aurait pas éveillé les soupçons ? Les Seanchaniens t’auraient rattrapé après deux lieues – et encore – et tes roulottes auraient fini en petit bois. Tu devrais me remercier de t’avoir épargné ce sort.

Luca fulmina de plus belle. Certaines gens, vraiment, avaient du mal à voir plus loin que le bout de leur nez.

— Quoi qu’il en soit, cesse de t’inquiéter… Dès que Thom sera revenu de la ville, nous mettrons deux cents lieues entre les Seanchaniens et nous, si ça te chante.

Luca sauta si soudainement que Mat recula. Mais le propriétaire de la ménagerie se contenta de sautiller en rond en riant. Domon parut ne pas en croire ses yeux, et même Blaeric sourcilla. Parfois, Luca se comportait comme un crétin fini.

Sans crier gare, Egeanin s’écarta de Mat.

— Dès que Merrilin sera revenu ? J’avais ordonné que personne ne bouge d’ici !

Dans sa rage froide, la Seanchanienne foudroya du regard Mat et Luca.

— J’entends qu’on m’obéisse !

Cessant de faire l’andouille, Luca lui coula un regard en biais puis la gratifia d’une révérence si appuyée que son nez faillit tracer une ligne dans la poussière. Ce type croyait savoir y faire avec les femmes…

— Vous commandez, douce dame, et je m’empresse d’obéir. (Se relevant, il haussa les épaules.) Mais l’or, c’est maître Cauthon qui le détient, et c’est au métal précieux que je dois allégeance.

La vision du coffre plein de pièces d’or que Mat cachait dans sa roulotte avait suffi à « forcer la main » du saltimbanque. Le statut de ta’veren de Mat avait peut-être aidé, mais pour une belle somme, Valan Luca aurait participé à l’enlèvement du Ténébreux.

Prête à continuer sa tirade, Egeanin prit une grande inspiration. Hélas, l’objet de son ire se détourna, gravit le marchepied de sa roulotte, y entra et brailla :

— Latelle ! Latelle ! Tout le monde doit se mettre en mouvement, et sans tarder. On file enfin d’ici ! Dès que Merrilin sera là, nous lèverons le camp.

Quelques instants plus tard, le patron de la ménagerie réapparut et descendit les marches, sa femme sur les talons. Drapée dans un manteau de velours constellé de paillettes, Latelle, d’un naturel peu amène, plissa le nez en voyant Mat – à croire qu’il sentait mauvais – et jeta à Egeanin le genre de regard qui terrorisait ses ours savants. Même en sachant que c’était une fable, Latelle détestait l’idée qu’une femme puisse fuir son mari. Par bonheur, elle adorait Luca – la Lumière seule savait pourquoi – et partageait son amour immodéré de l’or.

Partant chacun d’un côté, ils allèrent tambouriner à la porte d’une roulotte.

Sans intérêt pour la suite, Mat s’engouffra dans une « ruelle » qui serpentait elle aussi au milieu de tentes et de roulottes hermétiquement closes. Ici, on ne trouvait aucune scène, mais une corde à linge pendait entre certains véhicules et des jouets de bois gisaient dans la poussière. Dans ce coin, on se contentait de vivre en tenant à l’écart les intrus.

La marche ayant soulagé sa hanche, le jeune flambeur partit d’un bon pas. Pourtant, Domon et Egeanin ne tardèrent pas à le rattraper. Blaeric n’était plus en vue – sans doute parti dire aux sœurs qu’elles ne risquaient rien et qu’il faudrait bientôt se mettre en chemin. Se faisant passer pour des servantes mortes d’angoisse à l’idée que le mari de leur maîtresse déboule, les Aes Sedai en avaient assez d’être confinées dans leur roulotte – d’autant plus qu’elles la partageaient avec les sul’dam. Une judicieuse initiative de Mat. Ainsi, les sœurs surveillaient les sul’dam – qui empêchaient les sœurs de lui casser les pieds.

Mat se félicita que Blaeric soit allé prévenir les Aes Sedai, lui épargnant la corvée de s’en charger. Depuis leur évasion d’Ebou Dar, ces fichues sœurs le « convoquaient » quatre ou cinq fois par jour. Il se dérobait aussi souvent que possible, mais quand il ne pouvait pas, c’était toujours un moment très désagréable.

Cette fois, Egeanin ne l’enlaça pas. Marchant près de lui, elle regardait droit devant elle et ne semblait pas tentée de tripoter sa perruque. Derrière, Domon avançait avec la lourdeur d’un plantigrade en marmonnant des aménités avec son lourd accent illianien. Pas assez enfoncé, son bonnet révélait que sa barbe noire s’interrompait net un peu derrière ses oreilles, cédant la place à des poils très courts. Une configuration qui lui donnait l’air… pas bien fini, en somme.

— Sur un navire, deux capitaines, c’est une recette infaillible pour aboutir à un désastre, fit Egeanin avec un calme forcé.

Son sourire compréhensif semblait lui coûter des efforts surhumains…

— Nous ne sommes pas sur un navire, riposta Mat.

— Cauthon, le principe est similaire ! Tu n’es qu’un fermier. Dans une situation tendue, je sais que tu t’en sors bien…

Egeanin glissa un regard noir à Domon, coupable de l’avoir mise en relation avec Mat, qu’elle avait d’abord pris pour un banal mercenaire.

— Mais dans cette affaire, il faut de l’expérience et un excellent jugement. Nous naviguons en eau trouble, et tu n’as aucune expérience du commandement…

— Détrompe-toi, très chère…

Réciter la liste des batailles qu’il avait dirigées dans ses souvenirs aurait pris des heures… Hélas, seul un historien aurait reconnu ces noms – et encore, pas dans leur totalité. De toute façon, personne ne l’aurait cru. Face à de telles rodomontades, il se serait montré sceptique aussi.

— Avec Domon, vous devriez aller faire vos bagages. Vous ne voudriez pas oublier quelque chose…

Les possessions de la Seanchanienne étaient déjà entreposées dans la roulotte qu’elle partageait avec Mat et Domon – une configuration inconfortable s’il en était. Espérant qu’Egeanin mordrait à l’hameçon, le jeune flambeur accéléra le pas. Sa destination, venait-il de voir, n’était plus très éloignée.

Nichée entre deux roulottes, l’une jaune vif et l’autre vert émeraude, la tente d’un bleu brillant était tout juste assez grande pour contenir trois paillasses. Pourtant, fournir un abri à tous ceux qu’il avait exfiltrés d’Ebou Dar avait coûté une fortune à Mat. Pour convaincre les occupants de libérer les lieux, mais aussi pour acheter le silence des voisins.

En matière de confort, il avait fallu faire avec les équipements que les propriétaires voulaient bien louer – au prix d’une très bonne auberge…

Le teint sombre, les cheveux courts, Juilin était assis devant la tente avec Olver. Moins rachitique qu’avant, le gamin restait filiforme et il faisait petit pour ses dix ans – l’âge qu’il revendiquait. Tous deux en chemise malgré le vent, Juilin et Olver disputaient une partie de Serpents et Renards sur le plateau de jeu que le défunt père du gamin lui avait dessiné sur un carré de toile rouge. Après avoir jeté les dés, Olver compta avec soin ses points puis réfléchit à ce qu’il allait faire sur l’entrelacs de flèches et de lignes noires.

Le pisteur de voleurs originaire de Tear était beaucoup moins concentré sur le jeu. Dès qu’il aperçut Mat, il se redressa d’un bond.

À cet instant, Noal déboula de derrière la tente, haletant comme s’il avait couru. Juilin le regarda, surpris, et Mat plissa le front. Il avait dit au vieux type de venir directement ici. Où était-il allé traîner ? En tout cas, il ne semblait ni coupable ni embarrassé – simplement avide d’entendre ce que le jeune flambeur avait à dire.

— Tu es au courant, pour les Seanchaniens ? demanda Juilin à Mat.

Sous la tente, une ombre bougea, puis les rabats s’écartèrent pour laisser passer un bras de femme. Assise sur une des paillasses, enveloppée dans un vieux manteau gris, Thera se pencha pour poser une main sur le bras de Juilin – et river un regard méfiant sur Mat.

Thera était jolie, si on aimait sa bouche qui semblait en permanence faire la moue. Juilin devait être dans ce cas, à en juger par la façon dont il sourit à sa compagne puis lui tapota la main.

Amathera Aelfdene Casmir Lounault, Panarch du Tarabon, était l’équivalent d’une reine. Enfin, avait été… Juilin le savait, Thom aussi, mais ils n’avaient pas cru bon d’en informer Mat avant qu’ils aient rejoint la ménagerie. Au fond, considérant tout le reste, ça n’était pas si grave que ça.

Répondant plus vite à son diminutif qu’à son vrai prénom, la jeune femme n’exigeait rien, à part que Juilin lui accorde un maximum d’attention. Ici, il y avait peu de risques que quelqu’un l’identifie. Quoi qu’il en soit, Mat espérait qu’elle n’éprouvait pas seulement de la reconnaissance pour son sauveur, parce que Juilin, lui, était fou d’elle. Qui aurait osé affirmer qu’une Panarch renversée ne pouvait pas aimer un pisteur de voleurs ? En ce monde, on voyait des choses plus étranges…

Certes, mais Mat, au débotté, aurait eu du mal à en citer une.

— Les Seanchaniens voulaient juste voir l’exemption de Luca, pour les chevaux.

Soulagé, Juilin acquiesça.

— Une chance qu’ils n’aient pas compté les canassons…

L’exemption précisait très exactement le nombre d’équidés auquel avait droit Luca. Généreux quand il s’agissait de récompenses, les Seanchaniens, en manque de chevaux de monte et de trait, n’étaient pas disposés à accorder une licence de vendeur à un saltimbanque.

— Au mieux, ils auraient réquisitionné les animaux excédentaires, fit Juilin. Au pire…

Il haussa les épaules et soupira. Encore un joyeux luron…

Avec un petit cri, Thera resserra sur son torse les pans de son manteau puis recula dans les ombres de la tente. Juilin regarda derrière Mat, les yeux soudain durs – dans ces moments-là, il n’avait rien à envier aux Champions. Comme si elle ne comprenait pas ce qui se passait, Egeanin foudroya la tente du regard. Debout à ses côtés, les bras croisés, Domon semblait plongé dans ses pensées.

— Démontez votre tente, Juilin Sandar, ordonna Egeanin. La ménagerie s’en ira dès que Merrilin sera revenu… Assurez-vous que votre… compagne ne nous pose pas de problèmes.

Sur ces mots, la Seanchanienne coula à Mat un regard quasi assassin. Comme s’il y était pour quelque chose.

Après avoir perdu le pouvoir, Thera avait servi auprès de la Haute Dame Suroth – da’covale jusqu’à ce que Juilin la vole à sa maîtresse. Pour Egeanin, cet acte était presque aussi répréhensible que libérer une damane.

— Je pourrai chevaucher Bourrasque ? demanda Olver en se levant d’un bond. Dis, Mat, j’aurai le droit ? Dis, Leilwin ?

Egeanin sourit au petit garçon. La première fois que Mat la voyait faire ça…

— Pas tout de suite, répondit-il.

Pour ça, il faudrait qu’ils soient loin d’Ebou Dar et de toute personne susceptible de se souvenir du cheval gris qui remportait des courses avec un garçonnet sur sa selle.

— Dans quelques jours, peut-être… Juilin, tu peux aller prévenir les autres. Blaeric est déjà au courant, donc, inutile de passer voir les sœurs.

Juilin prit quelques secondes pour aller rassurer Thera, qui semblait avoir souvent besoin de réconfort. Quand il sortit de la tente, tenant une veste noire tearienne élimée, il ordonna à Olver de ranger le jeu puis d’aider Thera à faire les bagages. Son chapeau conique rouge sur la tête, il s’éloigna en finissant d’enfiler sa veste. Sans jamais daigner accorder un regard à Egeanin. Pour un pisteur de voleurs, il n’y avait pas pire injure que d’être tenu pour un… voleur. De toute façon, la Seanchanienne ne lui avait jamais plu…

Mat voulut demander à Noal où il était passé, mais le vieux type emboîta le pas à Juilin en marmonnant qu’ils ne seraient pas trop de deux pour avertir tout le monde. En un sens, il n’avait pas tort. À un bout de la ménagerie, Vanin et les quatre Bras Rouges survivants partageaient une tente alors que Noal, à l’autre extrémité, cohabitait avec Thom et les deux serviteurs, Lopin et Nerim.

La question du jeune flambeur pouvait attendre. Sans doute Noal avait-il fait un détour pour mettre ses précieux poissons en sécurité. Au fond, ce détail n’avait aucune importance.

Des cris retentirent aux quatre coins de la ménagerie. Certains artistes demandaient aux palefreniers de leur amener leur attelage et d’autres voulaient savoir la raison de ce remue-ménage.

Adria, une mince jeune femme qui serrait les pans de sa robe verte sur son torse, déboula soudain, pieds nus, et s’engouffra dans la roulotte jaune vif qu’elle partageait avec les quatre autres contorsionnistes. Dans le véhicule vert, quelqu’un cria que des gens essayaient de dormir, ici !

Quelques enfants d’artistes, certains présentant déjà leur propre numéro, passèrent au pas de course. Quand il les vit, Olver cessa un instant de ranger le jeu. S’il ne s’était pas agi de son trésor, il aurait bien emboîté le pas aux gamins.

Avant que la ménagerie soit prête au départ, il faudrait encore du temps. Mais Mat ne grogna pas à cause de ça. Dans sa tête, les dés recommençaient à rouler…

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