18

Orbite de Resurgam, 2566

Ils quittèrent Resurgam et s’élevèrent rapidement au-dessus de la tempête, dans le ciel dégagé. Quelque chose finit par apparaître au-dessus de Sylveste, quelque chose de petit, au début, et seulement visible parce que les étoiles qui se trouvaient derrière étaient épisodiquement occultées. Ça paraissait à peine plus gros qu’une particule de charbon, mais ça grandissait régulièrement. Bientôt, l’objet se révéla être de forme vaguement conique, et sur sa coque totalement noire commencèrent à apparaître de petits détails vaguement éclairés par le monde autour duquel il orbitait. Le gobe-lumen grossit au point de devenir d’une taille impossible. Il obstruait la moitié du ciel, et il continuait à grandir. Il n’avait pas beaucoup changé depuis la dernière fois que Sylveste était monté à bord. Il savait – ce qui ne l’impressionnait pas exagérément – que les bâtiments de cette catégorie évoluaient constamment d’eux-mêmes, sauf que les modifications étaient généralement subtiles et concernaient l’intérieur ; il ne s’agissait pas de révisions radicales de la structure extérieure (ce qui se produisait néanmoins tous les siècles, ou tous les deux siècles, peut-être). Sylveste se demanda un moment si le vaisseau disposait bien de ce dont il avait besoin, et puis il se rappela ce qu’il avait fait à Phoenix ; c’était difficile à oublier, en fait, dans la mesure où la preuve flamboyante de la destruction était encore visible en dessous de lui : un nénuphar de destruction grisâtre, incrusté dans la face de Resurgam.

Une porte s’était ouverte dans la coque sombre du bâtiment. Elle avait l’air beaucoup trop petite pour laisser entrer un seul et unique scaphandre et à plus forte raison pour les accueillir tous, puis ils se rapprochèrent, et il apparut que la porte faisait une dizaine de mètres de largeur et leur permettrait aisément d’entrer tous ensemble. Sylveste, sa femme et les deux Ultras, dont l’un soutenait Volyova, la blessée, disparurent à l’intérieur, et la trappe se referma sur eux.

Sajaki les conduisit dans un sas où ils ôtèrent leurs scaphandres et purent à nouveau respirer normalement. L’odeur de l’air ramena brutalement Sylveste à sa dernière visite à bord. Il avait oublié cette fichue puanteur.

— Ne bougez pas d’ici, dit Sajaki pendant que les scaphandres s’autonettoyaient et se raccrochaient d’eux-mêmes à la paroi. Je dois m’occuper de ma collègue.

Il s’agenouilla et s’affaira autour de la cuirasse de Volyova. Sylveste envisagea un instant de lui dire de ne pas trop se fatiguer pour elle, puis il se ravisa. Ce n’était peut-être pas la meilleure chose à faire. Inutile de le pousser à bout ; il était déjà allé assez loin en écrasant la simu de Cal.

— Que s’est-il passé en bas, au juste ?

— Je ne sais pas.

Ça, c’était Sajaki tout craché ; comme tous les gens vraiment intelligents que Sylveste avait rencontrés, il était trop futé pour feindre de comprendre quelque chose quand c’était vraiment incompréhensible.

— Je ne sais pas, et pour le moment – pour le moment – ça n’a pas d’importance. (Il examina un voyant sur le scaphandre de Volyova.) Ses blessures sont sérieuses, mais n’ont pas l’air mortelles. Elle s’en sortira. Et puis, maintenant que je vous tiens, le reste est secondaire. Cela dit, Khouri, fit-il avec un mouvement de tête en direction de l’autre femme, qui s’était extirpée de son scaphandre, il y a quelque chose qui me préoccupe…

— Oui, quoi ?

— Non, rien. Passons… pour le moment. Au fait, fit-il en regardant Sylveste, le petit numéro que vous m’avez fait avec la simu… N’allez pas croire que ça m’a impressionné un seul instant.

— Ça aurait dû. Comment voulez-vous que j’opère le capitaine, maintenant ?

— Avec l’aide de Calvin, évidemment. Vous avez oublié que j’en avais gardé une sauvegarde, la dernière fois que vous l’avez fait venir à bord ? D’accord, ce sera une version un peu démodée, mais ses compétences chirurgicales sont intactes.

C’était un bon bluff, se dit Sylveste, mais ce n’était pas autre chose. Enfin, il en existait bien une sauvegarde, ou un genre de sauvegarde… Sans quoi il n’aurait jamais détruit la simu.

— À propos… le capitaine va si mal que ça ? Pourquoi n’est-il pas venu m’accueillir en personne ?

— Vous le verrez en temps utile, répondit Sajaki.

Il commença, avec l’aide de l’autre femme, à retirer des lambeaux de carcasse calcinée du scaphandre de Volyova, processus qui évoquait l’épluchage d’un crabe. Pour finir, il murmura quelque chose à la femme, et ils s’arrêtèrent, ayant manifestement décidé que la tâche était trop délicate pour être menée à bien sur place. Un trio de cyborgs s’introduisit alors dans la pièce. Deux d’entre eux soulevèrent Volyova et l’emmenèrent, suivis par Sajaki et la femme. Sylveste ne l’avait pas vue lors de sa précédente visite à bord, mais elle paraissait occuper un rôle élevé dans la hiérarchie du vaisseau. Le troisième cyborg s’accroupit et observa mornement Sylveste et Pascale de ses yeux-caméras.

— Il ne m’a même pas dit d’enlever mon masque et mes lunettes, nota Sylveste. On dirait qu’il se fiche de m’avoir capturé.

Pascale hocha la tête. Elle tripotait ses vêtements, comme étonnée que l’air-gel du scaphandre n’ait pas laissé un résidu collant après son élimination.

— Quoi qu’il se soit passé en bas, à la surface de la planète, ça a dû fiche tous ses plans à l’eau. Peut-être qu’il aurait le triomphe moins modeste si tout s’était déroulé comme prévu.

— Sajaki n’est pas du genre à pavoiser. Enfin, je m’attendais quand même à ce qu’il exulte quelques minutes.

— Peut-être le fait que tu as détruit la simu…

— Oui, ça a dû lui mettre un coup au moral, acquiesça-t-il, bien conscient qu’ils étaient vraisemblablement sur écoute. La copie de Cal qu’il avait faite à l’époque a probablement conservé des fonctionnalités résiduelles, même en tenant compte des routines d’autodestruction, mais sûrement pas assez pour permettre au canal de s’établir, même avec la congruence bi-univoque entre la simu et le récipiendaire. (Sylveste déplaça deux caisses sur lesquelles ils s’assirent.) Pff, je suis sûr qu’il a essayé de faire tourner sa simu dans le corps d’un pauvre imbécile.

— Ça n’a pas dû marcher.

— Il a même dû la bousiller. Il compte probablement sur moi pour travailler avec la copie endommagée, sans canalisation. En me basant sur ce que je sais des automatismes et de la méthodologie de Cal.

Pascale hocha la tête. Elle était assez futée pour ne pas poser la question qui s’imposait : quel plan Sajaki avait-il en tête au cas où sa propre copie serait trop endommagée ? Au lieu de cela, elle demanda :

— Tu as une idée de ce qui s’est passé en bas ?

— Non, et je pense que Sajaki disait la vérité quand il m’a répondu la même chose. Quoi qu’il soit arrivé, ce n’était pas prévu. Peut-être une rivalité latente au sein de l’équipage, qui a fini par éclater à la surface parce que les protagonistes n’auraient eu aucune chance à bord.

Mais bien que l’idée lui paraisse seulement à moitié plausible, il n’osait pousser la réflexion plus loin. Trop de temps avait passé, même dans le cadre de référence de Sajaki, pour que Sylveste puisse se fier à son processus de déduction généralement infaillible.

Il devait la jouer très fine, en fait, tant qu’il n’aurait pas compris la dynamique de l’équipage actuel. Enfin, à condition qu’ils lui en laissent le temps…

Pascale s’agenouilla à côté de son mari. Ils avaient ôté leur masque, à présent, mais seule Pascale avait enlevé ses lunettes anti-poussière. Des rangées de scaphandres vides se dressaient autour d’eux, pareils à des momies, ce qui leur donnait des airs de profanateurs de tombe égyptienne.

— Nous courons un grave danger, hein ? Si Sajaki décide qu’il ne peut rien tirer de toi…

— Il nous ramènera à la surface sans nous faire de mal, répondit Sylveste en prenant les mains de sa femme. Sajaki ne peut exclure la possibilité qu’il ait à nouveau besoin de moi un jour.

— J’espère que tu as raison… parce que c’est un sacré risque que tu as pris.

Elle le regarda avec une expression qu’il lui avait rarement vue auparavant. Un air de calme avertissement.

— Et que tu me fais courir à moi aussi.

— Je ne suis pas l’esclave de Sajaki. Il fallait que je le lui rappelle, c’est tout. Il a beau être malin, j’aurai toujours une longueur d’avance sur lui.

— Mais c’est lui le chef, maintenant, tu n’as pas compris ça ? Il n’a peut-être pas la simu, mais il te tient, toi. Ce qui lui donne une longueur d’avance, selon mes critères.

Sylveste eut un sourire et chercha une réponse à la fois sincère et qui corresponde exactement à ce que Sajaki voulait entendre.

— Une longueur, mais moins qu’il ne pense.


Sajaki et l’autre femme revinrent moins d’une heure plus tard, accompagnés par un gigantesque chimérique : le triumvir Hegazi. Sylveste l’avait déjà vu lors de son précédent séjour à bord, mais c’est à peine s’il le reconnut. Hegazi avait toujours été un exemple extrême des représentants de son espèce – presque aussi totalement cybernétique que son capitaine –, mais, depuis la dernière fois, ce qu’il avait encore d’humain avait disparu sous des couches de machinerie. Il avait troqué certaines de ses prothèses contre d’autres, plus récentes, ou plus élégantes, et il était accompagné d’un nouvel environnement d’entoptiques, pour la plupart conçues afin de créer, en réaction aux mouvements de son corps, une cascade ininterrompue de membres fantômes de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel qui l’entouraient pendant une ou deux secondes avant de s’estomper. Sajaki, lui, portait une tenue sans prétention, sans insignes de rang ni décorations d’aucune sorte, qui soulignait sa charpente squelettique. Mais Sylveste savait qu’il ne fallait pas le juger à son manque de masse corporelle et à son absence d’armes prosthétiques visibles. Les machines qui grouillaient manifestement sous sa peau lui conféraient une vitesse et une puissance surhumaines. Il était au moins aussi dangereux qu’Hegazi et beaucoup plus rapide.

— Triumvir, je n’irai pas jusqu’à dire que c’est un plaisir sans mélange, commença Sylveste, mais j’avoue que j’ai éprouvé un doux frisson de surprise en voyant que vous n’aviez pas implosé sous le poids de vos prothèses.

— Tu as intérêt à prendre ça comme un compliment, ironisa Sajaki. C’est tout ce à quoi tu auras droit de sa part.

Hegazi tortilla la moustache qu’il cultivait toujours, malgré les prothèses qui lui envahissaient le visage.

— On verra bien, Sajaki-san, s’il continuera à faire de l’esprit quand il aura vu le capitaine. Ce sourire devrait vite s’effacer de sa face.

— C’est certain. Et à propos de face, Dan, si vous nous montriez un peu la vôtre ? fit Sajaki en tripotant la crosse d’une arme glissée dans un holster, sur sa hanche.

— Avec plaisir, répondit Sylveste.

Il enleva ses lunettes anti-poussière, les lâcha par terre, où elles tombèrent avec un bruit de quincaillerie, et savoura l’expression – ou ce qui en tenait lieu – de ses ravisseurs. C’était la première fois qu’ils avaient l’occasion de voir ce qu’étaient devenus ses yeux. Ils le savaient peut-être déjà, mais le choc, lorsqu’on découvrait le travail de Calvin, était toujours rude. Ses yeux n’étaient pas de subtiles améliorations de ceux que Mère Nature lui avait donnés, mais des optiques brutales, aux fonctionnalités assez éloignées de celles de l’œil humain. On trouvait dans les vieux livres de médecine des choses plus sophistiquées… qui tenaient finalement de la jambe de bois.

— Vous saviez que j’avais perdu la vue, naturellement, dit-il en les examinant l’un après l’autre avec ses globes oculaires atones, dont on ne pouvait croiser le regard. C’est de notoriété publique sur Resurgam… Au point qu’on ne se donne même plus la peine d’en parler.

— Quel genre de résolution avez-vous avec ça ? demanda Hegazi avec ce qui ressemblait à un intérêt sincère. Je sais que ce n’est pas le summum de la technologie, mais je parie que vous avez toute la sensibilité électromagnétique, de l’infrarouge aux UV, non ? Si ça se trouve, vous avez même une imagerie acoustique ? Et la faculté de zoom ?

Sylveste regarda longuement, durement, Hegazi avant de répondre.

— Il faut que vous compreniez une chose, Triumvir. Sous un éclairage satisfaisant, quand elle n’est pas trop loin, c’est tout juste si j’arrive à reconnaître ma femme.

— À ce point-là… répondit Hegazi, fasciné.

On les conduisit dans les profondeurs du vaisseau. La dernière fois qu’il était venu à bord, on l’avait emmené directement au centre médical. À l’époque, le capitaine arrivait encore à se déplacer, au moins sur de courtes distances. Mais Sylveste ne reconnaissait pas les endroits par où on les fit passer. Ce qui ne voulait pas nécessairement dire qu’il était loin du centre médical, parce que la topographie du bâtiment était aussi complexe que celle d’une petite ville, et tout aussi difficile à mémoriser, alors même qu’il y avait passé un mois de sa vie. Il avait la quasi-certitude de se trouver en territoire entièrement nouveau. Il traversait des endroits du vaisseau – que Sajaki et l’équipage appelaient des secteurs – où il n’avait jamais mis les pieds. Si sa mémoire était bonne, l’ascenseur les emmenait dans la direction opposée à celle de la proue effilée du bâtiment, vers l’endroit où la coque conique était la plus large.

— Peu importent les défauts mineurs de vos yeux, rétorqua Sajaki. Nous n’aurons aucun mal à y remédier.

— Sans version opérationnelle de Calvin ? J’en doute !

— Alors nous vous enlèverons les yeux et nous les remplacerons par quelque chose de mieux.

— À votre place, je ne ferais pas ça. Et puis… ça ne vous donnerait toujours pas Calvin, alors, à quoi bon ?

Sajaki marmonna quelques paroles inaudibles. L’ascenseur décéléra et s’arrêta.

— Vous ne m’avez pas cru un instant quand je vous ai dit que nous avions une sauvegarde, hein ? Vous avez évidemment raison. Notre copie est bizarrement buggée. Elle était inutilisable avant même que nous tentions d’en faire quoi que ce soit.

— Ah, ce sacré software !

— Oui… Je vais peut-être vous éliminer, après tout.

D’un mouvement coulé, il dégaina son arme. Sylveste eut juste le temps de remarquer le serpent de bronze enroulé autour du canon. La façon dont l’arme tuait n’était pas si évidente ; ce pouvait être une arme à projectiles ou à rayons. Il était sûr d’une seule chose, c’est qu’il était largement à portée de tir mortel.

— Vous n’oserez pas me tuer maintenant ; pas après avoir passé tout ce temps à me courir après.

Le doigt de Sajaki se crispa sur la détente.

— Vous sous-estimez ma propension à agir sur un coup de tête, Dan. Il se pourrait que je vous tue pour la simple perversité cosmique du geste.

— Alors il faudrait que vous trouviez quelqu’un d’autre pour soigner le capitaine.

— Qu’est-ce que j’ai à perdre ?

Sous la mâchoire du serpent, un voyant passa du rouge au vert. La jointure de Sajaki blanchit.

— Attendez ! s’exclama Sylveste. Ne me tuez pas. Vous pensez honnêtement que j’aurais détruit la seule version existante de Cal ?

— Il y en a une autre ? fit Sajaki avec un soulagement évident.

— Oui, répondit Sylveste avec un mouvement de menton en direction de sa femme. Et elle sait où elle se trouve. Pas vrai, Pascale ?


— Tu vois, fiston, j’ai toujours su que tu étais un salaud calculateur et glacé, dit Cal, quelques heures plus tard.

Ils étaient auprès du capitaine. Sajaki avait emmené Pascale à l’écart, mais elle était revenue – avec tous les autres membres de l’équipage dont Sylveste connaissait l’existence, et l’apparition qu’il espérait ne jamais revoir.

— Une non-entité traîtresse, insupportable. Espèce de rat putride et sans cervelle !

L’apparition parlait calmement, comme un acteur récitant un texte pour juger de sa longueur, sans y apporter la moindre émotion.

— De la non-entité au rat, hein ? nota Sylveste. D’un certain point de vue, ce serait presque un progrès.

— Ne crois pas ça, fiston, répondit Calvin avec un sourire libidineux en se penchant dans son fauteuil. Tu te crois insupportablement génial, hein ? Eh bien, maintenant, c’est moi qui te tiens par les couilles ; en supposant que tu en aies. On m’a raconté ce que tu avais fait. Que tu m’avais supprimé pour fiche leurs plans à l’eau. (Il leva les yeux au ciel – ou plutôt au plafond.) Franchement, quelle raison pathétique de commettre un parricide ! Tu aurais tout de même pu me faire la grâce de m’éliminer pour un motif décent. Mais non ! C’était trop t’en demander. Je dirais presque que je suis déçu, si ça ne sous-entendait pas que je m’attendais à mieux de ta part.

— Si je t’avais vraiment tué, reprit Sylveste, cette conversation poserait des problèmes ontologiques. Et puis j’ai toujours su qu’il existait une autre copie de toi.

— Mais tu as tué l’un de mes moi !

— Désolé, mais comme erreur de catégorie, ça se pose là. Tu n’es qu’un programme, Cal. Être copié et écrasé est ton état normal. (Sylveste s’apprêtait à entendre une autre protestation, mais Cal resta coi.) Je n’ai pas fait ça pour flanquer les projets de Sajaki à l’eau ; j’ai besoin de sa… coopération au moins autant que lui de la mienne.

— Ma coopération ? répéta le triumvir en étrécissant les yeux.

— J’y viendrai. Tout ce que je dis, c’est que, quand j’ai détruit la copie, je savais qu’il y en avait une autre, et que vous m’obligeriez à vous le dire.

— Alors ça n’a servi à rien ?

— Oh si, Yuuji-san ! Pendant un moment, j’ai eu le plaisir de vous voir penser que vos plans avaient foiré. Cette plongée au tréfonds de votre âme valait largement le risque que je courais. À propos, ce n’était pas une vision agréable.

— Comment… le savais-tu ? demanda Cal. Comment savais-tu que j’avais été copié ?

— Je pensais qu’il était impossible de le copier, dit la dénommée Khouri, un petit bout de femme au museau de renard mais au physique peut-être trompeur, comme celui de Sajaki. Je pensais que les simus étaient protégées… incopiables… ce genre de truc.

— Il s’agit de simulations de niveau alpha, ma chère petite, dit Calvin. Ce que – pour le meilleur ou pour le pire – je ne suis pas. Non, je ne suis qu’une misérable simulation bêta. Capable de répondre à tous les critères de Turing, mais pas vraiment douée de conscience, selon un point de vue philosophique. Et donc, sans âme. De sorte que le fait d’être plusieurs ne me pose pas de problèmes d’éthique. Cela dit… reprit-il en inspirant profondément, comblant le silence qu’un autre aurait pu être tenté de rompre avec ses propres pensées, je ne crois plus à tout ce fatras neuro-cognitif. Je ne peux pas parler pour ma simu de niveau alpha, mon moi alpha ayant disparu il y a deux cents ans environ, mais pour je ne sais quelle raison, je suis maintenant pleinement conscient. Peut-être est-ce le cas de toutes les simus bêta, à moins que ma complexité intrinsèque ne m’ait fait atteindre une sorte de masse critique. Je n’en ai pas la moindre idée ; tout ce que je sais, c’est que je pense, et donc je suis on ne peut plus furieux.

Sylveste avait déjà entendu tout ça.

— C’est une simulation bêta, conforme aux critères de Turing. Il est normal qu’il dise ce genre de choses. Une simu bêta qui ne prétendrait pas être consciente ne remplirait pas les critères standard de Turing, c’est automatique. Mais ça ne veut pas dire que ce qu’il raconte, les bruits qu’il… que cette chose émet aient la moindre validité.

— Je pourrais t’appliquer le même raisonnement, objecta Calvin. Ce qui nous amène à ceci, mon cher fils : les spéculations sur ma simulation alpha étant impossibles, force m’est de supposer que je suis tout ce qui reste. Enfin, ça peut être difficile à comprendre pour toi, mais le fait que je sois une chose précieuse et unique m’amène à m’élever encore plus énergiquement contre l’idée qu’on puisse me copier. Toute copie me dévalorise. Me réduit à l’état d’objet. Une chose qu’on crée, qu’on duplique et dont on se débarrasse au gré des besoins inadéquats du premier venu. Enfin… je ne dis pas que je ne ferais rien pour accroître mes chances de survie, mais je ne consentirai jamais à me laisser copier par qui que ce soit.

— C’est pourtant ce que tu as fait. Tu as permis à Pascale de te copier dans ma bio, Descente dans les ténèbres.

Là, Pascale s’était montrée maligne. Pendant des années, il n’avait rien soupçonné. Il lui avait permis d’accéder à Calvin pour préparer sa biographie. Elle lui avait permis de retourner à l’objet de son obsession, les Amarantins, en accédant aux outils de recherche et à son réseau décroissant de sympathisants.

— C’était son idée, fit Pascale.

— Oui, je l’admets… fit Cal en prenant une profonde inspiration, comme s’il réfléchissait à sa prochaine tirade, alors qu’il « pensait » beaucoup plus vite que les êtres humains normaux. C’était une époque dangereuse – pas plus qu’aujourd’hui, bien sûr, d’après ce que j’ai compris depuis mon réveil, mais périlleuse quand même. Il paraissait prudent de veiller à ce qu’une partie de moi survive à la destruction de mon original. Cela dit, je ne pensais pas à une copie, plutôt à une esquisse, une évocation ; peut-être même pas parfaitement conforme aux critères de Turing.

— Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ? demanda Sylveste.

— Pascale a commencé à inclure des parties de moi dans la biographie sur une période de plusieurs mois, en fait. Le codage était très subtil. Mais à partir du moment où elle a copié suffisamment de l’original pour que les parties copiées commencent à réagir entre elles, elles se sont – ou plutôt, je me suis moins enthousiasmé pour l’idée de commettre un suicide cybernétique rien que pour prouver une théorie. En réalité, je me sentais plus vivant, plus moi-même, que jamais. (Il accorda un sourire à son public.) J’ai vite compris pourquoi, bien sûr. Pascale m’avait copié dans un système informatique plus puissant ; le noyau gouvernemental de Cuvier, où Descente était dupliquée. Le système était connecté à un nombre d’archives et de réseaux supérieur à celui auquel tu me donnais accès, même à Mantell. Pour la première fois, j’avais vraiment de quoi justifier l’intérêt de mon prodigieux intellect. (Il soutint leur regard pendant un moment avant d’ajouter tout bas :) Je disais ça pour rire.

— Les copies de la biographie étaient en libre accès, poursuivit Pascale. Sajaki s’en était procuré une sans se rendre compte qu’elle contenait une version de Calvin. Mais toi, comment savais-tu qu’il s’y trouvait ? demanda-t-elle en regardant Sylveste. C’est la copie de Cal qui te l’a dit ?

— Non, et je ne suis pas sûr qu’il l’aurait fait, même s’il en avait eu la possibilité. Je m’en suis douté tout seul. La biographie était trop vaste pour la quantité de données simulées qu’elle contenait. D’accord, c’était très futé de ta part d’encoder Cal dans des digits moins significatifs de fichiers de données, mais Cal était trop volumineux pour être dissimulé aussi facilement. Descente faisait quinze pour cent de plus qu’elle n’aurait dû. Pendant des mois, j’ai pensé qu’il devait y avoir toute une couche cachée de scénarios ; des aspects de ma vie qui n’étaient pas censés être documentés, mais que tu avais intégrés quand même pour ceux qui auraient assez de ténacité pour les trouver. Et puis j’ai fini par réaliser que la capacité manquante suffisait à stocker une copie de Cal, et tout s’est éclairé. Évidemment, je ne pouvais pas en être sûr… (Il regarda la projection.) Enfin, je suppose que tu vas me dire que tu es le vrai Cal, à présent, et que ce que j’ai effacé n’était qu’une copie ?

Cal leva une main dans une attitude revendicatrice.

— Non, ce serait beaucoup trop simpliste. Après tout, j’ai été cette copie, dans le temps. Mais ce que j’étais à ce moment-là, et ce que la copie est restée jusqu’à ce que tu la tues, n’était qu’une ombre de ce que je suis à présent. Disons simplement que j’ai connu une sorte d’épiphanie et restons-en là. D’accord ?

— Alors… fit Sylveste d’un ton méditatif, en se tapotant la lèvre avec le doigt. Dans ce cas, je ne t’ai pas vraiment tué, hein ? Jamais ?

— Non, convint Calvin avec une placidité trompeuse. Jamais. Mais c’est ce que tu aurais pu faire qui compte. Et de ce point de vue, mon cher petit, je crains que tu ne demeures un salaud, un parricide totalement dépourvu de scrupules.

— Très touchant, hein ? fit Hegazi. Rien de tel qu’une bonne vieille réunion de famille.


Ils allèrent voir le capitaine. Khouri était déjà venue dans cet endroit et le connaissait un peu, mais elle se sentait encore mal à l’aise. Elle n’était que trop consciente de la matière contaminante imparfaitement contenue par la gangue de froid qui l’enchâssait.

— Je vois ce que vous attendez de moi, dit Sylveste.

— Ça, c’est plutôt évident, rétorqua Sajaki. Vous ne pensez pas que nous nous serions donné tout ce mal rien que pour vous demander de vos nouvelles, hmm ?

— Ça ne m’étonnerait pas, venant de vous, commenta Sylveste. Votre comportement n’a jamais eu le moindre sens pour moi, je ne vois pas pourquoi il commencerait à en avoir maintenant. Et puis, ne nous abusons pas : rien de ce qui s’est passé ici n’était tout à fait ce qu’on aurait pu croire.

— Que voulez-vous dire ? demanda Khouri.

— Oh, ne me dites pas que vous n’avez pas encore compris ?

— Mais compris quoi ?

— Que rien de tout ça n’est réellement arrivé, fit Sylveste en braquant sur elle la profondeur atone de son regard, examen qui évoquait plus le balayage d’un système de surveillance automatique, sans intelligence, qu’une perception humaine. Enfin, peut-être que non, ajouta-t-il. Vous n’avez peut-être pas encore vraiment compris. D’ailleurs, qui êtes-vous ?

— Vous aurez le temps de poser toutes les questions que vous voulez, fit Hegazi d’une voix tendue.

Ils étaient à un jet de pierre du capitaine, et ça le rendait toujours nerveux.

— Non, répondit Khouri. Je veux savoir. Qu’est-ce que ça veut dire : rien de tout ça n’est réellement arrivé ?

— Je parle de cette histoire de colonie que Volyova a rayée de la carte, répondit Sylveste d’un ton calme et posé.

Khouri fit en pas en avant, empêchant les autres d’avancer.

— Vous feriez mieux de vous expliquer.

— Ça peut attendre, coupa Sajaki en s’avançant à son tour pour l’écarter du chemin. En tout cas, Khouri, ça attendra que vous m’ayez expliqué votre rôle dans cette affaire, et d’une façon pleinement satisfaisante.

Il braquait sur Khouri un regard soupçonneux comme s’il était persuadé que les deux morts qui avaient eu lieu devant elle ne pouvaient être des coïncidences. Volyova étant hors jeu – et la Demoiselle silencieuse –, il n’y avait plus personne pour la protéger. Sajaki allait finir par obéir à ses soupçons et commettre l’irréparable. Ce n’était qu’une question de temps.

C’est alors que Sylveste intervint :

— Et pourquoi attendre, Sajaki ? Je pense que nous ferions mieux d’éclaircir la situation. Vous n’êtes tout de même pas descendu sur Resurgam rien que pour vous procurer ma biographie ? Qu’en auriez-vous fait ? Vous ne saviez pas qu’il y avait une copie de Cal dedans avant que je vous le dise. Vous vous l’êtes procurée parce qu’elle aurait pu vous être utile au cours de nos négociations. Mais ce n’est pas pour ça que vous êtes descendu. C’était pour tout autre chose.

— Pour collecter des renseignements, répondit prudemment Sajaki.

— Pas seulement. Vous avez réuni des informations, d’accord. Mais vous en avez aussi fabriqué.

— Sur Phoenix ? avança Khouri.

— Pas sur Phoenix ; Phoenix tout court. Il n’y a jamais eu de Phoenix. C’est une ville fantôme que vous avez créée de toute pièce. Elle ne figurait pas sur nos cartes, à Mantell. Il a fallu que nous les actualisions à partir des originaux de Cuvier pour qu’elle apparaisse. Nous avons supposé que c’était une nouvelle colonie, trop récente pour figurer sur les cartes antérieures. J’ai été stupide, j’aurais dû comprendre tout de suite. Mais nous ne pouvions pas imaginer que les originaux avaient été trafiqués.

— C’était doublement stupide, ajouta Sajaki. Compte tenu du fait que vous deviez vous demander où j’étais passé.

— Si j’avais un peu réfléchi…

— Dommage, en effet, ironisa Sajaki. Ou nous n’aurions pas cette conversation. Enfin, encore une fois, nous aurions trouvé un autre moyen de vous mettre le grappin dessus.

Sylveste hocha la tête.

— Je suppose que la prochaine étape, logiquement, aurait été de faire sauter une cible fictive encore plus vaste. Mais je ne suis pas convaincu que vous auriez pu faire deux fois le même coup. J’ai un vilain soupçon et je me dis que vous auriez peut-être frappé pour de bon.


Le froid avait une texture quasi métallique. C’était comme si mille éclats d’acier déchiqueté frottaient inlassablement contre la peau, menaçant à chaque mouvement de percer la chair jusqu’à l’os. Mais, dans les parages immédiats du capitaine, il devenait impossible de penser au froid. Celui dans lequel il était lui-même plongé paraissait tellement, infiniment plus profond…

— Il est malade, dit Sajaki. Il a une variante de la Pourriture Fondante. Mais vous êtes au courant, j’imagine.

— Nous avons reçu des infos de Yellowstone, dit Sylveste. Cela dit, elles n’étaient pas particulièrement détaillées.

Et pendant tout ce temps, pas un instant il n’avait regardé directement le capitaine.

— Nous n’avons pas pu l’empêcher de proliférer, reprit Hegazi. Pas complètement, en tout cas. Le froid extrême contribue à la ralentir, mais c’est tout. Elle… enfin, cette chose progresse lentement, incorporant la masse du bâtiment dans sa substance.

— Alors, il est encore en vie, au moins selon certains critères biologiques ?

Sajaki opina du chef.

— Évidemment, aucun organisme ne peut être considéré comme vraiment vivant à ces températures. Mais si nous devions le réchauffer tout de suite… certaines parties du capitaine fonctionneraient encore.

— Ce n’est pas très réconfortant.

— Je vous ai fait venir à bord pour remédier à son état, pas pour me servir des paroles de réconfort.

Le capitaine ressemblait à une statue qui aurait disparu sous des cordes argentées, brillant d’une malignité biochimérique sinistre, des tentacules qui s’étendaient sur des dizaines de mètres dans toutes les directions. Le caisson qui se trouvait au cœur de l’explosion glacée était encore, par un miracle de conception ou par hasard, théoriquement fonctionnel. Mais sa forme naguère symétrique avait été déformée, voilée par les forces, d’une lenteur glaciaire mais implacables, de l’expansion du capitaine. La plupart des écrans indicateurs de statut étaient éteints ; morts. Il n’y avait pas d’entoptiques actives autour. Les voyants encore opérationnels affichaient une bouillie illisible, les hiéroglyphes déments de la sénilité des machines électroniques. Khouri se félicita qu’il n’y ait pas d’entoptiques. Elle avait l’impression que s’il y en avait eu, elles auraient été aussi corrompues ; ç’aurait été une nuée de séraphins maléfiques ou de chérubins défigurés, exprimant l’état extrême de la maladie du capitaine.

— Ce n’est pas d’un chirurgien que vous avez besoin, commenta Sylveste. C’est d’un prêtre.

— Ce n’est pas ce que pensait Calvin, nota Sajaki. Il avait plutôt hâte de commencer le travail.

— Alors la copie qu’ils avaient à Cuvier devait être un faux. Votre capitaine n’est pas malade ; il n’est même pas mort : il ne reste pas, en lui, assez de substance qui ait jamais été vivante.

— N’empêche, dit Sajaki. Vous allez nous aider. Ilia sera là pour vous assister dès qu’elle sera assez remise. Elle pense avoir créé un moyen de contrer la peste – un antivirus. Il paraît qu’il agit sur de petits échantillons. Mais c’est une femme d’armes ; l’appliquer au capitaine exigerait des compétences médicales. Enfin, elle a au moins un outil à vous fournir.

Sylveste regarda Sajaki avec un sourire.

— Je suis sûr que vous en avez déjà parlé avec Calvin.

— Disons que nous l’avons briefé. Il est prêt à essayer. Il pense même que ça pourrait marcher. Ça vous encourage ?

— Force m’est de m’incliner devant son jugement, répondit Sylveste. C’est lui, le spécialiste, pas moi. Mais avant que je m’engage à quoi que ce soit, nous avons des conditions à négocier.

— Il n’y aura pas de négociation, répondit Sajaki. Et si vous résistez, nous n’hésiterons pas, pour vous convaincre, à utiliser Pascale.

— Vous le regretteriez.

Khouri commençait à éprouver un picotement inquiétant. Pour la énième fois de la journée, il y avait quelque chose qui clochait, et sérieusement. Elle avait l’impression que les autres en étaient aussi conscients, bien que leur expression soit indéchiffrable. Sylveste paraissait beaucoup trop sûr de lui ; c’était ça : trop sûr de lui pour quelqu’un qui avait été enlevé et était sur le point d’être condamné à subir une épreuve pénible. Au lieu de ça, il parlait comme s’il était sur le point de sortir un atout de sa manche.

— Je vais vous l’arranger, votre foutu capitaine, dit Sylveste. Ou sinon, je vous prouverai que ce n’est pas possible. Mais en échange, je vous demanderai de m’accorder une petite faveur.

— Excusez-moi, dit Hegazi, mais quand on est en position de faiblesse, on ne demande pas de faveurs.

— Qui est en position de faiblesse ? releva Sylveste avec un sourire féroce, et quelque chose qui ressemblait dangereusement à de la jubilation. Avant de quitter Mantell, mes ravisseurs m’ont fait un dernier petit cadeau. Ils ne devaient pas avoir spécialement l’impression de me devoir quoi que ce soit, mais ce n’était pas grand-chose, et ça leur permettait de vous cracher à la gueule, ce qui leur faisait plutôt plaisir, je crois. Ils me perdaient, certes, mais ils ne voyaient pas pourquoi vous auriez dû l’emporter sur toute la ligne.

— Hmm, ça ne me plaît pas, nota Hegazi.

— Et croyez-moi, ce que je m’apprête à vous dire va encore moins vous plaire, poursuivit Sylveste. Enfin, j’ai une question à vous poser, juste pour clarifier notre position.

— Allez-y, dit Sajaki.

— Vous savez ce que c’est que la poussière de feu ?

— Vous avez affaire à des Ultras, rétorqua Hegazi.

— Oui, bien sûr. Je tenais simplement à m’assurer que nous étions sur la même longueur d’ondes. Vous savez donc, forcément, que l’on peut confiner un fragment de poussière de feu sous un volume plus petit qu’une tête d’épingle ? Évidemment que vous le savez. (Il se tapota le menton du bout du doigt, prenant son temps comme un avocat retors.) Vous êtes forcément au courant de la visite de Remilliod ? Le dernier gobe-lumen marchand qui est venu dans le système de Resurgam, avant votre arrivée ?

— Nous en avons entendu parler.

— Eh bien, Remilliod a vendu de la poussière de feu à la colonie. Pas beaucoup ; juste de quoi procéder à une refondation majeure du paysage dans un proche avenir. Une douzaine de têtes d’épingles, peut-être moins, sont tombées entre les mains des gens qui m’ont fait prisonnier. Vous voulez que je continue ou vous avez déjà compris où je voulais en venir ?

— Je crains d’avoir compris, répondit Sajaki. Mais continuez quand même.

— L’une de ces têtes d’épingles est présentement incrustée dans le système visuel que Cal m’a fabriqué. Il ne consomme aucun courant et même si vous démanteliez mes yeux, vous seriez incapables de dire lequel des composants est la bombe. Mais vous ne vous risquerez pas à essayer, parce que le seul fait de tripatouiller mes optiques actionnerait le détonateur, et la puissance de l’explosion suffirait à changer ce bâtiment en une sculpture vitrifiée très chère et parfaitement inutile. Tuez-moi, ou faites-moi assez souffrir pour que certaines fonctions organiques vitales soient compromises au-delà d’une limite fixée au préalable, et le système se déclenche. C’est clair ?

— Comme le cristal.

— Parfait. Faites du mal à Pascale, et il arrivera la même chose : je peux déclencher l’explosion délibérément, en effectuant certaines commandes neurales. Je pourrais aussi me tuer, évidemment – le résultat serait rigoureusement identique. (Il se frotta les mains avec un sourire de Bouddha radieux.) Alors, que diriez-vous d’une petite négociation ?

Sajaki ne répondit pas pendant ce qui parut être une éternité ; sans doute réfléchissait-il à toutes les implications de ce que venait de raconter Sylveste. Il finit par dire, sans avoir consulté Hegazi :

— Nous saurons nous montrer… arrangeants.

— Parfait. Alors je suppose que vous avez hâte d’entendre ce que j’ai à dire.

— Je brûle d’impatience.

— À la suite de récents désagréments, commença Sylveste, j’ai acquis une assez bonne idée de ce dont ce bâtiment était capable. Et j’imagine que cette petite démonstration n’était qu’un timide aperçu de la réalité. J’ai raison ?

— Nous avons des… des possibilités. Mais c’est à Ilia que vous devriez en parler. Qu’avez-vous en tête ?

Sylveste eut un sourire.

— D’abord, il faudra que vous m’emmeniez quelque part.

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