FDR peut aller se faire foutre. Je suis un homme. Pas une catégorie, pas un numéro et certainement pas un concept qu’on peut résumer en un logo cousu sur ma manche. Un homme. Et j’irai pas me faire enregistrer.
Le président du sous-comité pour l’enregistrement des actifs au Congrès était furieux. Cramoisi, les veines du front affreusement saillantes, l’œil gauche agité d’un tic, il semblait frôler la crise cardiaque. Francis Cornelius Stuyvesant était fier de produire cet effet sur les bureaucrates, et leur entretien n’avait encore duré qu’un quart d’heure. S’ils tenaient toute l’heure, le bonhomme exploserait. « Qu’avez-vous dit ? »
Francis tapa du poing sur la table. « Vous m’avez parfaitement entendu, monsieur, mais je vais reformuler ma remarque. Vous traiter, vous et vos larbins du BCI, de sales catins, c’est insulter les prostituées méritantes. »
Des galeries s’élevèrent des hoquets scandalisés, mais aussi quelques rires, surtout dans les rangs des journalistes. Dan Garrett, à la droite de Francis, s’enfouit le visage dans les mains. Pauvre Dan. Mais il aurait dû savoir à quoi s’attendre lorsque Francis avait reçu l’invitation.
« Comment osez-vous manquer de respect à nos débats, monsieur Stuyvesant ?
— De respect ? Parlons-en, du respect. Quand le BCI jette des Américains innocents dans des prisons secrètes sans même un procès, ça respecte le droit ? Les agissements de Bradford Carr respectaient la Constitution des États-Unis ? On m’a kidnappé, battu, utilisé comme bouc émissaire pendant qu’un de vos employés essayait de faire exploser Washington, après quoi un démon à la solde du gouvernement réduit la ville en ruines, et c’est moi qui manque de respect à vos débats ? Comment osez-vous ? Gardez votre fumier pour vous, monsieur. Je n’ai pas apporté ma pelle. »
Dans la galerie, certains éclatèrent en hourras et en applaudissements. D’autres, moins nombreux, se mirent à huer Francis.
« Je vous mets en garde ! Vous frôlez l’outrage au Congrès ! »
Francis se tourna vers Dan et, théâtral : « Ça existe, ça, tu crois ? » Puis, à la commission : « J’ai droit à un procès public, cette fois, ou bien vous me jetez au cachot pour crime de magie ? À quoi dois-je m’attendre ?
— Veuillez vous calmer, monsieur Stuyvesant, s’exclama un autre député.
— C’est vous qui allez vous calmer ! »
Dan donna un coup de pied dans le tibia de Francis. Sans résultat.
« Le premier clochard venu peut vous dire que le BCI a été en dessous de tout, puis Roosevelt se pointe et signe une loi qui nous oblige à recommencer, mais en plus grand et en plus officiel, et il faut l’accepter ? Plutôt crever ! »
La claque devenait vraiment trop enthousiaste ; après force coups de marteau et rappels à l’ordre, la police dut faire sortir les plus bruyants des actifs venus soutenir Stuyvesant. Vu la composition de la foule, et parce que Dan Garrett, parleur célèbre, témoignait lui aussi, un annuleur Dymaxion tournoyait sur la longue table de la commission. La magie était interdite de séjour au Capitole pour la journée. Francis, même s’il possédait l’unique entreprise capable de fabriquer les Dymaxion, détestait ces appareils. Une question de principe. Mais, s’il avait refusé qu’on y ait recours pendant l’audition, la presse n’aurait pas cru un mot des déclarations que lui ou Dan – surtout Dan – venaient faire.
Garrett, profitant du chaos, se pencha pour lui murmurer : « Ce cirque nous dessert. Sérieusement, laisse-moi me charger de la diplomatie, contente-toi d’énoncer les faits.
— Pour ces clowns, on a déjà perdu. Qu’au moins la presse en tire de bonnes citations. »
Francis, malgré ses origines familiales, haïssait la politique et les politiciens. Son bon à rien de père avait réussi en politique : dès son enfance, il en avait tiré les conclusions qui s’imposaient. Cependant, depuis qu’il se retrouvait bon gré mal gré sous les feux de la rampe, il s’était révélé doué pour ces petits jeux. Ça devait courir dans ses veines. Et posséder l’une des plus grandes fortunes mondiales aidait sûrement.
Francis aurait volontiers laissé la diplomatie à ceux qui, comme Dan, savaient garder la tête froide, mais il s’était découvert un don pour la démagogie. Le BCI avait mal choisi sa cible et poussé le jeune homme à déclarer la guerre. Pas au sens propre, mais, si Roosevelt parvenait à ses fins, on y arriverait.
L’assistance s’était calmée, et le représentant du Dakota du Sud se lança dans une tirade sur les ravages subis par Washington, qui prouvaient que les actifs constituaient une menace pour la société et devaient être contrôlés, bla bla bla. Francis n’écoutait pas vraiment. Il connaissait la chanson par cœur.
Franklin Delano Roosevelt, peu après son accession au pouvoir, avait organisé la surveillance officielle de tous les citoyens doués de magie. C’était jouer sur du velours, vu l’ambiance à la capitale depuis le passage du démon. La loi d’enregistrement des actifs était la cerise sur le gâteau. Pour l’instant, on ne voulait appréhender que les actifs les plus dangereux – sauf qu’on ne s’arrêterait pas en si bon chemin. L’Amérique allait imiter l’Imperium et les Soviets, qui traitaient les actifs comme une ressource à cultiver et à gérer. Le Grimnoir ne le permettrait pas.
Le problème des sociétés secrètes, c’était l’aspect secret. Les quelques-uns dont l’appartenance au Grimnoir était connue du grand public se retrouvaient désignés d’office comme porte-parole. Dan, le plus éloquent, détestait ce rôle. Francis, heureusement, l’appréciait assez.
« Épargnez-nous les platitudes, lança Francis au milieu d’une phrase du député. Bien sûr, Roosevelt cherche à nous protéger de nous-mêmes, comme si nous étions des gosses. C’est bien gentil de sa part. Surtout qu’il devrait être mort, et que je lui ai sauvé la vie en décapitant l’assassin avec un plateau contrôlé par télékinésie pendant que mon ami, grâce à son pouvoir d’estompeur, le portait à l’abri… Vous voulez savoir comment le gouvernement a récompensé l’ami en question ?
— Nous avons évacué les galeries, inutile de chercher à amuser la foule. » Le député se pencha sur son micro. « Nous avons tous lu les comptes rendus de procès, monsieur Stuyvesant. Inutile de s’appesantir sur…
— Il l’a récompensé en le rouant de coups avant de le torturer dans une cellule de Mason Island. » Pas la peine de préciser que cette île avait disparu dans un trou noir. C’était de notoriété publique. Heureusement, on ignorait en revanche que cet énorme vortex magique était l’œuvre de Francis, lequel ne tenait pas à ce que le Congrès fût au courant.
« C’était un regrettable incident. Bradford Carr a enfreint la loi…
— Et du coup vous légalisez ses exactions pour éliminer le problème ? C’est cautionner les horreurs commises par Carr. La nouvelle loi de Roosevelt, c’est le premier pas vers l’ouverture de camps pour des centaines de milliers d’Américains. Une initiative méprisable.
— Vos délires paranoïaques n’intéressent personne, monsieur Stuyvesant. Le gouvernement ne ferait jamais ça. C’est de la diffamation.
— Le gouvernement a déjà…
— Messieurs ! » le coupa Dan. Même sans magie, il était délicieux. « Comprenez la réaction de la communauté active. Alors que les ravages à Washington ont été causés par une agence fédérale pervertie, c’est le peuple, c’est nous qu’on accuse. La réalisation du programme de Roosevelt privera d’honnêtes citoyens de leurs droits et de leurs biens. C’est une entreprise extrême et inutile. »
Un membre de la commission n’avait pas encore pris la parole : le nouveau coordinateur de l’information. C’était un homme d’âge mûr, l’air à la fois pondéré et sévère, un homme qui en imposait. « Vous permettez ? demanda-t-il sans utiliser son microphone.
— Le président donne la parole à William Donovan, récemment nommé à la tête du Bureau du coordinateur de l’information. »
Dan et Francis échangèrent un coup d’œil. Cet homme était l’inconnue dans l’équation. Héros de la Grande Guerre, couvert de médailles, il avait passé des années dans la politique new-yorkaise, s’était même présenté au siège de gouverneur – mais avait perdu l’élection. Ses opinions sur la question active, s’il en avait, n’avaient jamais été rendues publiques. Il avait fait ses études avec Roosevelt, qui l’avait chargé, disait-on, de « nettoyer » le BCI pourri de corruption.
« Monsieur Stuyvesant, vous mentionnez votre ami, maltraité par mon prédécesseur en dehors de toute légalité. Il s’appelait Heinrich Koenig, me semble-t-il, un immigré allemand… Est-ce bien cela ?
— C’est cela, monsieur, répondit Dan.
— C’est celui dont tous les journaux ont publié la photographie, ajouta Francis d’un ton faraud. Vous savez, celle où il affronte l’énorme démon gouvernemental.
— Oui. La fameuse image de l’estompeur muni d’une pioche. Une photographie fort touchante, d’autant qu’elle a été prise à quelques pas d’ici. Néanmoins je ne peux m’empêcher de me demander… Monsieur Garrett et monsieur Stuyvesant nous répètent sur tous les tons que les actifs ne sont pas plus dangereux pour le tissu social américain que n’importe qui d’autre, qu’aucun actif ne prépare de complot insurrectionnel contre les États-Unis… Mais, dans ce cas, où se trouve votre cher monsieur Koenig ?…
— Je n’en ai aucune idée. » Francis mentait sous serment. Le chef du BCI connaissait déjà la réponse à cette question, il l’aurait parié, surtout depuis que Sullivan avait tenté en vain de convaincre le gouvernement de l’existence de l’éclaireur. Oui, il venait de mentir. Tout plutôt que prévenir l’Imperium de l’arrivée de ses amis.
« Pardonnez-moi, je n’avais pas fini. Je me demandais où se trouvaient monsieur Koenig… et plusieurs dizaines d’autres actifs très puissants, dont le tristement célèbre Jake Sullivan, le lourd, ancien ennemi public numéro un. Certains ont été vus alors qu’ils embarquaient à bord d’un vaisseau de guerre expérimental lourdement armé, fourni par le conglomérat Blimps & Fret. Une entreprise – je le précise en passant – dont vous êtes le P.-D.G. »
Hoquets et murmures s’élevèrent de plus belle, et les journalistes se mirent à griffonner des notes dans leurs calepins. Le nouveau coordinateur se rengorgea.
Je me demande si je suis vraiment doué à ce jeu, songea Francis.
Après s’être frayé un chemin dans la foule de journalistes et de caméras, Francis et Dan descendirent les marches du Capitole.
« Ça s’est plutôt bien passé, dit Francis.
— On n’a pas dû assister à la même réunion, grogna Dan. Ce Donovan t’a avalé tout cru. »
Francis sourit. « En ce moment, quand j’ai affaire au gouvernement et que je m’en tire sans qu’un salopard sur le modèle de Corbeau m’ait cassé le nez, je considère ça comme un triomphe.
— Heureusement, il t’a interrompu avant que tu te sois enferré. Après tout, il n’a révélé aucun secret. » L’esplanade était encore en travaux. Les bâtiments qui la bordaient devaient être réparés ; il avait même fallu en abattre certains. Des trous béants bordés de palissades remplaçaient plusieurs monuments historiques. « Quand on pense que, la dernière fois que je me suis retrouvé ici, j’ai failli me faire piétiner.
— Et plus maintenant, peut-être ? » Les traces des immenses griffes défiguraient le Washington Monument : personne n’avait encore trouvé comment réparer ces dégâts-là. Bien sûr que les gens ont peur.
Dan soupira. « Ce n’est plus le même béhémoth, mais on va quand même finir écrabouillés.
— Quel manque d’optimisme ! » Mais comment le reprocher à Dan ? Bientôt, la loi exigerait de tous les magiciens d’Amérique qu’ils portent un brassard les identifiant comme actifs et précisant quel pouvoir ils maîtrisaient, au nom de la sécurité publique. « Tu commences à parler comme Sullivan… ou, pire, comme Heinrich. Viens, allons boire un coup. J’ai eu ma dose d’inepties pour la journée. »
Une voiture les attendait dans la rue, mais ce n’étaient ni le véhicule ni le chauffeur habituels de Francis. Ce nouveau chauffeur était bien trop joli : une grande femme sculpturale qui essayait en vain de dissimuler sa beauté derrière des lunettes noires et un grand chapeau.
« Bonjour, messieurs. » Elle indiqua la portière ouverte d’une Chevrolet banalisée du gouvernement. « Une personne importante vous demande une minute d’entretien.
— Pemberly Hammer ! » Si Dan était surpris de la voir, il le cachait derrière une désinvolture très convaincante. « Quelle délicieuse rencontre. »
Elle souleva son chapeau en direction du parleur. Entre ce couvre-chef, la perruque platine et les lunettes, aucun journaliste ne risquait de reconnaître la célèbre espionne devenue agent du Bureau. « Monsieur Garrett… » Elle parlait d’une voix douce avec une pointe d’accent de l’est du Texas. « Enfin, très cher, vous savez bien qu’il ne sert à rien de me mentir. » Hammer était une juge, capable donc de toujours discerner la vérité. Les mensonges ne l’atteignaient pas.
« Un point pour vous. Vous voir n’est pas un plaisir. C’est inquiétant, pour être honnête… Jolie voiture. Moins jolie que la Ford que je vous connaissais. » C’était une pique, et pas très subtile, car Dan était partiellement responsable de la destruction de cette Ford par un garde de fer.
« Ma foi, avant qu’il ne disparaisse des radars, Sullivan m’a câblé la somme nécessaire pour remplacer la voiture qu’il a volée.
— Il l’avait promis.
— C’est de sa faute si elle a fini sur le toit. » Hammer sourit. « Vous rendez-vous compte ? Un homme qui tient sa parole !
— Jake la tient toujours. C’est un type comme on n’en fait plus. Aussi fiable que la gravité.
— Ouais. Ce bon vieux Jake. Mais, au fait, où est-il parti, avec son vaisseau de guerre flambant neuf ?
— Questionnez votre patron. Il nous a refusé l’aide que Jake lui demandait.
— À moi, il n’a rien demandé, précisa-t-elle en pinçant les lèvres.
— Passons aux choses sérieuses. Agent Hammer… » Francis ne la connaissait pas bien. Sullivan s’en était porté garant, et elle avait participé à l’opération de sauvetage sur Mason Island, mais, à présent, elle travaillait pour J. Edgar Hoover, et Francis n’était pas assez stupide pour se fier à Hoover ou à ses employés. « Où est Sidney ?
— Votre chauffeur a été sommé de déguerpir, monsieur Stuyvesant. Il a protesté, mais j’ai sorti mon insigne et il a dû circuler. Je vous ai déjà dit que j’adorais faire ça ? Ne vous inquiétez pas, je vous reconduirai à votre hôtel pour l’heure du dîner. En attendant, j’ai besoin que vous me suiviez. Affaires d’État top secrètes, tout ça. Vous connaissez la musique.
— Oui, je connais la musique. » Francis leva un bras face à la rue. « Taxi !
— D’accord, d’accord. » Hammer baissa le ton. « Écoutez. Je sais que mon patron et vous avez eu des relations difficiles, mais, cette fois, pas d’entourloupe.
— Je ne suis pas d’humeur, ma petite dame. Je n’ai aucune confiance en vous.
— C’est le BCI qui vous a enlevé, pas le BI.
— Des lettres tirées du même alphabet.
— Dire que c’est moi qu’on envoie vous chercher parce que j’ai de bonnes relations avec le Grimnoir… » Hammer soupira. « Si seulement vous lisiez dans mes pensées, Dan, ce serait déjà réglé, vous sauriez que je dis la vérité. Un parleur, c’est capable d’y arriver, non ?
— Plus ou moins. Je perçois des sensations, je trouve des prises sur les émotions de mon vis-à-vis pour l’influencer, je sens s’il hésite ; en consommant beaucoup d’énergie magique, je capte des fragments d’images venus de pensées superficielles… Je ne me le permettrais pas avec vous, bien sûr. Ce ne serait pas galant.
— Et puis je vous tirerais une balle dans le genou si vous veniez farfouiller dans ma tête, bien sûr. » Hammer tapota le renflement en forme de revolver sous son chemisier à fleurs. « Mais nous perdons notre temps. Allez-y. Rendez-vous compte de ma sincérité. Il faut nous éloigner de ces journalistes avant qu’ils décident de me prendre en photo. Il est très important que vous me suiviez.
— Soit. Mais ne dégainez pas ce Colt, je tiens à mes rotules. » Dan ferma les yeux. Il était le meilleur des parleurs et, d’ordinaire, on ne se rendait pas compte qu’il employait sa magie. Mais, à présent, toute subtilité oubliée, il passait en force. Il rouvrit des yeux ébahis. « Vous êtes sérieuse, Hammer ?
— Parfaitement sérieuse.
— Vous auriez dû le dire au début. Merde… Monte, Francis.
— Elle est réglo ?
— Elle est réglo. » Dan était tendu. « Monte, vite. »
Leur destination était toute proche, mais Hammer tint à rouler un moment pour s’assurer qu’ils n’étaient pas suivis. Elle finit malgré tout par les conduire à la Maison Blanche.
« C’est une blague, marmonna Francis.
— J’ai bien peur que non. » Hammer s’arrêta devant le portail. Les responsables tenaient à la discrétion, mais c’était l’armée qui assurait la sécurité du Capitole depuis l’attaque du démon. Des soldats dévisagèrent Hammer et épluchèrent ses papiers pendant que leurs collègues examinaient Francis et Dan avec attention, puis on leur fit signe d’avancer. Ils étaient attendus.
Francis avait déjà assisté à des réceptions à la Maison Blanche. Son père avait été un ambassadeur très influent, ses oncles étaient sénateurs ou gouverneurs et, bien sûr, le grand-père Cornelius achetait des hommes politiques comme un fermier des cochons aux enchères. Cela dit, un entretien privé avec le président des États-Unis avait quelque chose d’intimidant.
« Tu me laisseras parler, exigea Dan.
— Je ne merderai pas.
— En effet, parce que je vais t’assommer, te ligoter et te planquer dans le coffre. Tu crois que je plaisante ? Ravale-moi ce sourire. Tu ne pourras pas lui hurler des horreurs comme à un petit député de Trou-du-cul-du-monde au Dakota du Nord.
— Dan, je ne me lasse jamais de vous voir inquiet, gloussa Hammer.
— La ferme. Vous savez très bien ce que Carr avait prévu de faire subir aux actifs du pays. Vous avez vu les preuves récupérées par Faye sur Mason Island. Pensez-vous vraiment que Carr était le seul ? Pensez-vous qu’il était le seul au gouvernement à estimer que l’Imperium et les Soviets prenaient de bonnes décisions ? »
Le sourire de Hammer s’évanouit. Elle savait bien que Dan avait raison. Tous les actifs le savaient au fond d’eux. « J’espère qu’on n’en arrivera pas là.
— Vous espérez qu’on n’en arrivera pas là ? cracha Francis. On en est arrivé là dans tout le reste du monde.
— Vous êtes un détecteur de mensonges ambulant, renchérit Dan. Dites-moi ce que vous entendez vraiment quand ils dégoisent leurs histoires de sécurité publique, de protection des citoyens, de contrôle des actifs pour notre bien. Je n’ai pas votre don, mais je suis très doué pour embobiner les gens, et, quand on essaie de me rouler dans la farine, je m’en aperçois.
— Eh bien… » Elle soupira. « J’entends beaucoup de gens qui n’y comprennent rien. Comme ils ont peur, ils veulent agir, mais ils ne connaissent rien à la question, alors leurs propositions ne tiennent pas debout. J’entends aussi des tas de menteurs animés de mauvaises intentions qui cherchent à profiter des naïfs… Honnêtement, ça me terrifie. » Hammer arrêta la voiture. Des hommes les attendaient. « Voilà, on y est. »
Quelqu’un ouvrit la portière de Francis. « Bienvenue, monsieur Stuyvesant. Veuillez nous suivre. »
Quand Dan fit mine de sortir lui aussi, sa portière fut retenue par un autre employé. « Pardonnez-moi, monsieur Garrett. Le président désire rencontrer monsieur Stuyvesant en tête à tête. »
C’était inattendu.
« Et merde, grogna Dan. Évite vraiment de te vautrer.
— Ne t’en fais pas, Dan. Je vais m’en tirer.
— Francis ! Attendez ! » Hammer se tourna vers le jeune homme. « Bonne chance. »
Francis avait entendu dire que le Bureau ovale allait être rénové, mais ça n’avait pas encore été fait, ou alors ça ne sautait pas aux yeux : c’était le même décor qu’au cours de ses visites précédentes. À part qu’on avait renforcé la sécurité, la Maison Blanche n’avait pas beaucoup changé depuis que, tout jeune, il y avait accompagné son grand-père qui venait voir Wilson. Wilson, il s’en souvenait à peine : un grand type un peu effrayant, comme un épouvantail au cuir tanné. À la décharge de Francis, il n’était qu’un gosse à l’époque.
Il échangea un regard avec un homme qui sortait du Bureau ovale. Cette tête lui disait quelque chose. « Monsieur Stuyvesant, dit le type en inclinant la tête. Ravi de vous voir ici. » Ils échangèrent une poignée de main décidée. Grand, sinistre, l’air d’un banquier. Francis connaissait des tas de banquiers. Pourtant, ce n’était pas dans une banque qu’il avait vu cet homme, mais à la une d’un journal. « Je suis Nathaniel Drew. »
Ils fréquentaient les mêmes milieux sociaux, mais Francis n’y passait plus guère de temps. « L’architecte ?
— Je me considère plutôt comme le concepteur des agglomérations concertées de l’avenir.
— Naturellement. Vous êtes un visionnaire, dit-on. » C’était la version polie de : « Vous êtes un collectiviste intransigeant persuadé que je dois donner le plus clair de ma fortune à l’État sous prétexte de progrès. » Mais Drew était aussi un engrenage connu, ce qui expliquait qu’il s’entretienne avec le président. Il portait d’ailleurs, par-dessus sa manche de veston, un brassard blanc marqué de l’engrenage stylisé. Francis fronça les sourcils. Ces brassards allaient être imposés par la loi d’enregistrement des actifs : l’architecte faisait de la lèche à Roosevelt, et Francis détestait les lèche-bottes. « Ces brassards ne sont pas encore obligatoires.
— Oh, ça ? » Drew regarda le bout de tissu. « Je soutiens les propositions de Franklin et je souhaite montrer l’exemple à nos frères.
— Non, mais sérieusement…
— Faciliter l’identification favorise la sécurité et améliore les relations des actifs avec le grand public. »
Les engrenages jouissaient d’une popularité universelle. Bien sûr que Drew était prêt à afficher son talent, mais un pauvre hérisseur qu’on traiterait de monstre, ou un liseur qui deviendrait paria… « Plutôt crever que porter ce machin. C’est le bétail qu’on marque.
— Chacun est libre de ses opinions. » Drew s’arracha un sourire.
« Oui… nous sommes en démocratie. Pour l’instant. Enchanté d’avoir fait votre connaissance, monsieur Drew. Peut-être vous contacterai-je la prochaine fois que le CBF aura besoin d’un gratte-ciel.
— Je regrette, mais toute mon activité est absorbée par des projets humanitaires altruistes et je ne peux m’occuper d’intérêts commerciaux. Mais, je vous en prie, je partais… » L’architecte s’écarta. « Je ne veux pas vous retenir. » Des employés l’entraînèrent tandis qu’on faisait entrer Francis dans le Saint des Saints.
Franklin Roosevelt attendait assis derrière son imposant bureau. « Bonjour, Francis. Ça fait longtemps. » Le président lui tendit la main sans prendre la peine de se lever. Francis la lui serra fermement, en espérant que sa paume ne soit pas trop moite.
« Bonjour, monsieur le président. »
L’appariteur s’empressa de sortir en refermant la porte. Les deux hommes étaient seuls. Roosevelt, l’air bienveillant, lui souriait avec un regard complice, mais Francis, qui avait grandi au cœur de la bagarre au couteau qui tenait lieu de vie politique à New York, où les familles riches jouaient les machiavels, n’était pas dupe. Ce type impitoyable et déterminé avait gagné le respect réticent de grand-père Cornelius, le pire salopard de tous les temps. Impossible donc de se fier à lui.
« La dernière fois que nous nous sommes vus, lors d’une soirée de gala organisée par votre père, vous vous apprêtiez à partir faire vos études à Boston. Comme le temps passe !
— En effet, monsieur. » À l’époque, les principales préoccupations de Francis étaient de coucher avec les plus jolies filles et de dégoter le meilleur alcool de contrebande. Depuis, il s’était enrôlé dans une guerre secrète, avait tâté du complot, de l’espionnage et de la bataille contre des puissances magiques hostiles, avait perdu des amis chers, essuyé des coups de feu, des coups de poing, et, après un bref passage en prison, avait fini à la tête d’une des premières entreprises mondiales. À bien des égards, il restait un tout jeune homme, mais il avait bien occupé ses récentes années. « En effet. »
Le président lui désigna l’une des chaises à haut dossier disposées devant le bureau. « Nous devions nous rencontrer à Miami, avant le malencontreux événement… Asseyez-vous, je vous en prie. »
Francis obtempéra. Le siège était très inconfortable. Peut-être par calcul. Roosevelt fumait et poussa vers lui une boîte en or, mais Francis refusa poliment. « Je n’ai jamais eu l’occasion de vous remercier personnellement pour ce que vous avez accompli en Floride. Vous et votre ami allemand, monsieur Koenig, m’avez sauvé la vie.
— Ce n’est rien. Nous avons tous été très occupés depuis. » L’assassin avait frappé avant que le Grimnoir ait pu réagir, mais, si Heinrich, l’estompeur, ne s’était pas enfoncé avec Roosevelt grièvement blessé dans les marches du perron, Zangara aurait réussi son crime avec la seconde explosion magique. « Allez-vous bien ? On murmure que les guérisseurs n’ont pas pu… »
Roosevelt agita la main. « Non, non. Je vais très bien, je vous l’assure.
— Heinrich et moi sommes très heureux d’avoir pu être utiles.
— Bien sûr. Permettez-moi donc de vous remercier aujourd’hui. Miami n’était qu’un préambule. Notre nation est en crise. Je dois guider le pays dans des eaux houleuses. La situation était déjà grave, avec une population désespérée, couverte de dettes, mais elle s’est aggravée à cause de ces assassins et de leurs machinations à tiroirs. Sans vous, la plus terrible de ces machinations n’aurait pas été déjouée. »
Et pourtant le Grimnoir continuait de passer pour le méchant de l’histoire ; si la société secrète n’avait pas servi de bouc émissaire, les drames récents n’auraient pas eu lieu. « Il serait bon de vous l’entendre dire en public. »
Le président eut un petit rire, alors que Francis ne plaisantait pas. « Vous me rappelez votre père. Il aurait eu la même attitude. Il était emporté, impulsif quand nous étions jeunes, mais un pilier du parti démocrate. » Francis hocha la tête. Lui-même était républicain, mais uniquement parce qu’il avait choisi la voie opposée à celle de son père. « Vous a-t-on déjà dit combien vous lui ressemblez ? »
Pas récemment, Dieu merci. On prétendait aussi qu’il ressemblait à Cornelius à l’époque où celui-ci était encore mince. « Je ne pense pas que vous m’ayez convoqué pour deviser de ma famille.
— Certes non. » Le sourire de Roosevelt s’effaça trop vite pour avoir été sincère. Même si Francis avait contribué à lui sauver la vie, il s’agissait à présent de politique. « Je ne dois pas oublier que vous êtes un titan de Wall Street, un capitaine d’industrie. Votre temps est très précieux.
— Je ne voulais pas vous froisser, monsieur le président.
— Non, vous avez raison. Le temps presse, et chaque journée qui passe sans que mes propositions ne soient acceptées aggrave la situation. » Les masques étaient tombés. Francis avait désormais face à lui l’homme qui tenait à marquer les actifs comme des animaux. « J’ai eu vent de votre témoignage, tout à l’heure. »
Quand les journaux du soir sortiraient de chez les imprimeurs, le monde entier découvrirait ses propos enflammés. « Je maintiens mes déclarations.
— Il serait sage de faire preuve de modération. Vous ne vous attirez guère d’amis.
— S’ils n’aiment pas la vérité, je n’aspire pas à leur amitié.
— Tout de même, dans cette ville, on ne peut pas se passer d’amis.
— Quelle tragédie. Avec qui jouerai-je au bridge ? »
Roosevelt gloussa. « S’il faut en passer par là… laissez-moi mettre les points sur les i, jeune homme. J’en sais long sur votre “société”. Je connais votre manifeste et votre programme. Vous vous prenez pour des chevaliers en croisade contre la tyrannie. Je vous comprends, et le sentiment vous fait honneur.
— Merci, monsieur.
— Cela dit, j’ai l’impression que vous ignorez l’ampleur de ce qui nous menace. Notre nation vacille au bord de la ruine, et le monde aux frontières du chaos. J’ai hérité d’une situation catastrophique. Nos industries et notre commerce vont mal, notre peuple est affamé, pauvre et, avant tout, terrifié par les événements de Mar Pacifica, de Miami et de Washington. Nous devons prendre des mesures fermes et résolues pour montrer à tous que nous sommes déterminés à empêcher que d’autres drames ne se produisent. »
Francis serra les dents pour ravaler sa colère. « J’ai appris vos propositions. Je ne crois pas qu’elles aient les résultats sur lesquels vous tablez.
— Et, là-dessus, nous sommes en désaccord. Je pense, moi, qu’elles assureront notre liberté et notre sécurité. »
Là, Francis craqua. « Écoutez, je ne suis pas un péquenaud à convaincre par une causerie radiophonique. Que voulez-vous donc ?
— Le peuple américain a le droit de se savoir protégé de la menace magique.
— La menace magique ? » cracha Francis.
Roosevelt sourit. « Je comprends que ce terme vous déplaise, mais le problème ne vient pas des gens comme vous. Vous êtes dans le camp des gentils, Francis. Vous pourrez vivre votre vie et mener vos affaires sans entraves particulières. Toutes les autres grandes nations ont pris, ou s’apprêtent à prendre, des mesures destinées à mieux protéger et mieux utiliser leurs actifs. Nous sommes à un moment clé de l’histoire. L’Amérique doit y participer.
— Comme l’Imperium et ses écoles-salles de torture ?
— Bien sûr que non ! protesta Roosevelt, offusqué. Ça, c’est de la barbarie. Mais vous soulevez un point important qui, me semble-t-il, vous échappe. La guerre est sur le point d’éclater. Une guerre mondiale. Je sais que vous en êtes plus conscient que vos concitoyens. Votre entreprise construit des vaisseaux de guerre, et je sais qu’une vendetta personnelle vous oppose à l’Imperium. Si la guerre n’éclate pas demain, elle éclatera du moins d’ici à dix ans. Les Soviets louchent sur une Europe vulnérable, et nous savons vous et moi que l’heure approche d’un conflit contre l’Imperium dans le Pacifique.
— Je ne vous contredirai pas là-dessus. Je m’étonnerais qu’on tienne même si longtemps. » Francis se pencha en avant. Roosevelt savait pertinemment qui était à l’origine de Mar Pacifica, même si, le pays n’étant pas prêt au conflit armé, son président ne l’admettrait jamais. On continuait à accuser des actifs anarchistes. « Nous courons à la guerre, oui, et à une guerre de grande envergure.
— Cela ne peut avoir échappé à un élève du général Pershing. La marine, j’en suis certain, va commander de nombreux dirigeables au CBF… Pourtant, même si notre armée se renforce, les deux nations que j’évoquais ont déjà mobilisé leurs actifs et développé leur potentiel magique à des niveaux pour nous inégalables. Vous n’ignorez rien de la bataille d’Amiens. Vous savez qu’un régiment d’actifs est redoutable. Nous sommes en pleine course aux armements, et l’Amérique cherche encore la ligne de départ.
— La LEA n’est donc qu’un prétexte pour nous cataloguer… Décider qui est utile et qui ne sert à rien. Sans doute éliminer les électrons libres, tant qu’on y est. C’est ce que fait Staline. Les coller dans des camps, à l’écart, là où ils ne menacent personne, jusqu’à ce qu’on ait besoin d’eux comme armes contre une puissance étrangère.
— Nous n’avons aucun plan de ce…
— Granada, Minidoka… Je suis un bougeur, c’est là qu’on m’enverra. La Gila, Topaz… Ça vous dit quelque chose, monsieur le président ?
— Épargnez-moi vos leçons de morale. C’étaient les plans de la cabale menée par Bradford Carr. J’étais autant que vous victime de ses machinations.
— Mais vous accomplissez son rêve ! Vous édifiez la structure nécessaire à la réalisation de ses projets. Vos grands discours sur la sécurité du pays sont des subterfuges pour profiter de la peur qui règne. Les actifs sont des citoyens comme les autres. Vous usurpez des pouvoirs qui ne relèvent pas de votre mandat. »
Les hommes politiques supportaient mal qu’on leur mette le nez dans leurs mensonges. « Comment osez-vous…
— Oh, j’ose très bien ! » Francis avait pris le mors aux dents. « Carr avait dressé une liste d’extermination, et vous voulez que je fasse confiance au gouvernement ? Même si je me fiais à votre administration, ce qui n’est pas le cas, que penser de la suivante ? Ou de celle d’après ? Foutaises !
— Ne prenez pas ce ton-là avec moi. » Roosevelt n’avait pas l’habitude qu’on lui parle ainsi. Dans un éditorial, peut-être, mais pas face à face.
Francis ne s’était pas rendu compte qu’il criait. « Pardonnez-moi. Les ordres d’extermination me font monter la moutarde au nez.
— Nous devons suivre la marche du progrès.
— Ce que vous appelez progrès, je le nomme esclavage.
— Un terme violent mais trompeur. » Roosevelt secoua la tête en soupirant. « Nous avons un désaccord philosophique. Que vous le vouliez ou non, nous arriverons à un compromis. Moins votre camp se montrera raisonnable, moins ce compromis vous plaira.
— J’ai eu la même conversation avec Bradford Carr alors que j’étais enchaîné à la muraille de ses oubliettes… Il estimait que les individus appartiennent au gouvernement. Moi, je dis que c’est l’inverse. Entre ces deux positions, pas de compromis possible. »
Le président, visiblement furieux, posa les mains bien à plat sur son bureau. « Oh, je vais vous en trouver un, moi. Je ferai passer mes réformes et vous ne me mettrez pas de bâtons dans les roues.
— C’est une menace ? »
Le couteau symbolique fit son apparition. « Je suis le président des États-Unis d’Amérique. Vous êtes l’enfant gâté d’un marchand de dirigeables.
— Je suis un marchand de dirigeables florissant, corrigea Francis.
— Mais combien de temps le resteriez-vous, si le gouvernement fédéral tout entier se dressait contre le CBF ? Beaucoup de voix s’élèvent pour clamer que le CBF détient un monopole et que briser ce monopole serait excellent pour l’économie. Si cela devait arriver, vous vous retrouveriez dans un autre secteur professionnel. Perspective fort regrettable. »
Ce n’était pas une menace, c’était une menace redoutable.
« Je vous ai convoqué pour vous faire entendre raison, Francis. J’ai besoin de vous. Choisissez entre la coopération et l’obstination.
— Pour faire quoi, au juste ? »
Roosevelt rengaina son couteau pour reprendre son air de gentil papy radiophonique désireux de voir toute sa famille prospère et épanouie. « Très simple. Vous possédez Dymaxion ? »
C’était donc là le véritable motif de l’entretien. Francis se mordit les lèvres. Les annuleurs Dymaxion de Buckminster Fuller étaient les seules machines capables d’empêcher totalement les actifs d’accéder au pouvoir, mais il n’en existait plus que quelques-uns. « Vous voulez des annuleurs magiques ?
— On me dit que vous refusez d’en vendre.
— Si je disposais d’une machine qui rende aveugle ceux qui ont une bonne vue, ou sourds ceux à l’oreille fine, je n’en vendrais pas non plus. Je protège les consommateurs.
— Ces engins, paraît-il, sont indispensables à la sécurité du pays. Le BCI en possède encore un ou deux ; ce n’est qu’une question de temps avant qu’un engrenage ne réussisse à les copier. Votre entêtement se révélera inutile. D’ici là, je vous serais très reconnaissant de recommencer à en vendre au gouvernement. Je comprends bien qu’ils sont précieux, difficiles à fabriquer – presque des œuvres d’art. Je m’assurerai que vous soyez généreusement dédommagé. Si le CBF apportait sa contribution aux efforts du gouvernement, mes inspecteurs n’auraient aucune raison de s’intéresser à votre entreprise. »
Si les menaces échouent, il reste toujours la corruption. Francis sourit. « Parce que sans Dymaxion, impossible de réduire en esclavage des actifs en colère ? »
Roosevelt plissa les yeux. Ça ne lui avait pas plu. « Par respect pour votre famille, j’ai essayé de me montrer raisonnable, mais vous ne l’êtes pas du tout. Vous allez confier au gouvernement votre stock de Dymaxion, et vous nous montrerez comment en fabriquer d’autres, sans quoi vous subirez de graves répercussions. »
Francis, naguère, avait abordé le vaisseau amiral de l’Imperium pour se bastonner avec un détachement de gardes de fer et le plus grand sorcier du monde. Franklin Roosevelt sous-estimait largement sa capacité à se contrefoutre de tout et du reste. « Je vous rappelle mon père, dites-vous, mais il y a une grosse différence entre nous deux. Lui avait des principes flexibles. Moi, non. Voulez-vous me déclarer la guerre, monsieur le président ? Si vous confisquez illégalement mes biens, vous l’aurez.
— Soit, monsieur Stuyvesant. Si vous voulez la bagarre, allons-y. L’histoire ne montre aucune indulgence envers ceux qui entravent la marche du progrès. »
Dan Garrett allait râler. « Dans ce cas, l’entretien est terminé. » Francis se leva. « Bonne journée, monsieur le président. »
Roosevelt pressa un bouton. La porte s’ouvrit sur un appariteur venu raccompagner Francis. Le regard assassin du président prouvait qu’il s’était fait un ennemi redoutable. « J’ai une dernière question, avant que vous ne partiez. »
Francis, bien qu’écarlate et encore furieux, s’efforça de rester correct. « Je serais ravi de pouvoir vous aider.
— Un seul homme a jamais réussi à bloquer les pouvoirs magiques, et il travaille pour vous. Où se trouve Buckminster Fuller ? »
Oh, jamais je ne laisserai ces vautours s’emparer du plus précieux de mes engrenages… « Vous les connaissez, ces savants, toujours la tête dans les nuages. Si je le croise, je lui dirai que vous vous inquiétez de sa santé. Aux dernières nouvelles, il était en vacances. »