Chapitre 21

Au cours de mes campagnes j’ai observé qu’il existe deux types de soldats efficaces, les gazelles et les troufions. La gazelle est capable d’extraordinaires pointes de vitesse, mais elle se montre parfois nerveuse, absente et inefficace ; dans ses moments de grâce, nul ne peut la rattraper. Le troufion, à l’opposé, n’éblouit ni par sa grâce ni par sa vivacité, mais il va trimer jusqu’à l’achèvement de sa mission. À présent que j’ai vu l’Imperium au combat, je dois ajouter une troisième catégorie. Avec les Moros, j’avais cru connaître le fanatisme, mais rien ne m’avait préparé à la dévotion absolue du guerrier impérial. On peut penser ce qu’on veut des méthodes de l’Imperium ; les fanatiques, il ne faut jamais les sous-estimer.

Capitaine John J. Pershing, rapport d’observations militaires sur la prise de Vladivostok, 1905.

Cité libre de Shanghai

C’était un cauchemar drapé dans un poème. Un rêve voilé de brume.

Toru combattait le monstre qui saccageait ses pensées. Il savait se battre physiquement, mais pas sur un champ de bataille mental. L’entité tapie en lui chuchotait secrets et mensonges.

Le temps passait par saccades incohérentes. Il était dans le présent. Puis dans le passé. Enfant, à l’académie de la garde de fer, au garde-à-vous pendant que son sensei le bastonnait pour éprouver sa détermination. Il était dans le présent et hurlait parce qu’une vrille lui transperçait les yeux. Il était dans le passé, dans le Mandchoukouo, à ramasser des têtes. Il était dans un rêve, il écoutait les paroles de son père, ou bien était-ce le passé de Hatori ? Il l’ignorait. Puis le présent, sauf que ce devait être une hallucination parce que Hayate se tenait devant lui.

Des heures passèrent, des jours peut-être. Il ne savait pas. Mais il revécut chaque instant de sa vie, malgré lui, comme si l’envahisseur dans sa tête feuilletait un album de souvenirs. Épuisé, il dérivait dans la brume.

Ses frères de la garde de fer vinrent le détacher, mais ils n’étaient pas ses frères, il le voyait à présent. Ils portaient des peaux humaines, mais, à l’intérieur étaient contaminés, malades, des pantins qui servaient la cruauté de l’éclaireur. Jadis, oui, c’étaient des gardes de fer, mais Dosan Saito les avait exposés à la bouillie cancéreuse, ils n’étaient plus que des coquilles vides. Toru, lui aussi, aurait connu le même sort. Mais, par chance, il mourrait bien avant que le processus n’ait atteint son terme.

On effaça le kanji de paralysie griffonné sur son front ; il sentit la vie revenir dans ses membres. Les chaînes se défirent. Il tomba à genoux. L’armure de Nishimura fit du bruit.

Les faux gardes de fer l’encadraient. Toru mourrait au combat. Il voulut en frapper un, sans succès. Il voulut forcer son bras à bouger, mais son esprit était comme prisonnier de son corps. Il n’était plus paralysé, non, mais ça ne changeait rien. On posa des mains sur ses épaules et il se leva, incapable de résister. Non ! Il ne pouvait même pas crier.

Les marionnettes de l’éclaireur communiquaient sans paroles. On apporta le casque ; Toru, obéissant, s’inclina pour qu’on l’en coiffe. Les kanjis défilèrent à l’intérieur de la visière sans que la brute n’arrive à accommoder pour les lire.

Ses pieds se posaient l’un devant l’autre. Ses mains s’ouvrirent ; on lui confia son tetsubo d’acier. Il voulait tuer ces hommes, les abattre d’un coup de massue, mais sa volonté se bandait en vain. Il était un esclave soumis.

Toru bouillait de rage, d’une rage inconnue jusque-là, d’une rage inconcevable. L’offense était trop amère. Humiliante. Une mort de pion, un exemple sacrifié à la gloire de l’imposteur. Inacceptable. Pourquoi ses membres ne réagissaient-ils pas ? Il voulait laisser éclater sa fureur.

Ils s’arrêtèrent au bout d’un tunnel obscur. Deux cents mètres plus loin, l’imposteur se pavanait sur une estrade. Il haranguait un détachement de nobles guerriers en formation impeccable et frappés d’admiration par l’auguste présence de leur maître. Leurs noms furent appelés un par un ; un par un ils vinrent recevoir leurs médailles. Se trouver si près du président était l’accomplissement de toute leur vie. La colère de Toru redoubla. Ces guerriers, l’empire entier, gobaient un mensonge.

La cérémonie s’acheva.

Les marionnettes l’entraînèrent dans la lumière. Le verre de son heaume s’assombrit automatiquement pour protéger ses yeux. L’armure avança à pas lourds sous les regards de la foule, bien plus haute que les deux gardes de fer musculeux, et les milliers de spectateurs se tournèrent vers lui. On avait érigé des gradins tout autour de l’aire d’exercice. Il était la cible de lazzis, de cris railleurs, de huées, d’insultes criées par des inférieurs.

D’autres gardes de fer sortirent du palais à la tête d’une file de captifs enchaînés les uns aux autres par les chevilles et les poignets, contraints d’avancer à petits pas incertains. Des chevaliers du Grimnoir, les survivants des assauts menés contre leurs repaires, la plupart venus à bord de la Voyageuse, quelques-uns originaires de Shanghai. Tous avaient subi des raclées si brutales qu’ils tenaient à peine debout, puis on les avait marqués de kanjis qui les empêchaient de recourir à la magie.

Ian Wright venait en tête. Le fier jeune homme reçut une bourrade qui le força à plier l’échine ; comme il crachait au visage de son gardien, on lui brisa la rotule d’un coup de talon. Il s’effondra en se tordant de douleur. Sa chaîne se tendit, obligeant ses camarades à se mettre à genoux. Le docteur Wells fermait la marche. L’aliéniste affichait une expression vaguement amusée.

Les gardes de fer s’en furent. Immédiatement, les spectateurs se mirent à bombarder les prisonniers avec tout ce qui leur tombait sous la main : ordures, fruits pourris, pierres, bouteilles. Il était inconcevable que ces objets aient franchi les fouilles ; on les avait probablement fournis aux rangées les plus proches en prévision de cet instant. Les projectiles rebondissaient sur la carapace de Toru, mais les chevaliers se couvrirent de coupures, de contusions et de plaies. Une bouteille fendit le crâne d’un homme. Tous saignaient, et la foule hurlait à la mort du traître et de ses complices.

L’usurpateur apparut au milieu de l’esplanade.

Toru s’inclina sans l’avoir voulu. Pour rien au monde il ne se serait incliné devant ce voleur, mais c’était l’éclaireur qui contrôlait ses mouvements. Malgré les pierres et les insultes, la pire humiliation était de manifester du respect au traître qui l’accusait de traîtrise.

Les projectiles cessèrent de pleuvoir. La foule se calma, béate d’admiration devant le héros. Il n’y avait plus que des murmures. Nul n’oublierait cette journée.

Le visage d’Okubo Tokugawa était sévère. Il haussa le ton pour que chacun entende ses paroles. La magie convoyait ses mots jusqu’aux derniers rangs. « Vous avez sous les yeux Toru, un ancien garde de fer coupable de trahison. Il s’est détourné du droit chemin. Il a trahi ses frères, permettant à l’ignoble Grimnoir de les assassiner. Il complotait avec le Grimnoir pour éliminer le Fils du Ciel et le conseil tout entier. Ces chiens ont tenté de renverser vos dirigeants. Leur organisation est maudite. Elle ne vise qu’à plonger le monde dans le chaos… Qu’as-tu à dire pour ta défense, traître ? »

Les mains de Toru se portèrent à son heaume, en défirent les attaches et le retirèrent. Bien sûr, l’imposteur le contraignait à montrer son visage. Il ne pouvait subsister aucun doute quant à l’identité de l’homme qui portait l’armure. Toru voulait crier la vérité mais sa bouche proféra des mensonges. « Ton jugement est incontestable, seigneur Tokugawa. Le Grimnoir cherche à anéantir notre civilisation, à détruire l’Imperium, et il m’a chargé de t’assassiner.

— Entendez-moi : Toru est un guerrier de talent, qui avant sa chute a participé dignement à de nombreux conflits. C’est une brute décorée de six médailles militaires, six médailles de campagne et quatorze décorations pour service exemplaire. Aujourd’hui, il porte la légendaire armure de Nishimura, qui décuple ses forces… »

La foule tremblait. La réputation de Toru faisait de l’ombre à la légende du président.

« Rien de tout cela ne suffira. » Le président plaça une main sur la garde de son épée. « Moi, baron Okubo Tokugawa, président du conseil impérial, je relève ton défi. »

Sursaut collectif. L’imposteur comptait offrir au peuple la démonstration d’héroïsme attendue. Les mains de Toru le recoiffèrent du casque, en prenant soin de ne pas lui arracher la tête ; une décapitation accidentelle aurait déçu les masses. Des kanjis dansèrent devant ses yeux, et il leva le tetsubo.

Puis il chargea.

Le goût de sa colère lui emplissait la bouche. Sa course était maladroite : une débauche d’énergie magique, impressionnante mais vaine, indigne de son talent. Mais cette rage débordante effraierait les spectateurs, et Dosan Saito ne cherchait rien d’autre. L’imposteur évita aisément le tetsubo, une fois, deux fois, puis leva un bras, et sa force de brute envoya valser Toru à vingt pas.

L’atterrissage du géant creusa une tranchée dans l’herbe. Il se força à se relever, mais son corps prit tout son temps pour bien témoigner de la violence du coup reçu. Mensonges !

Ils se tournèrent autour. Toru vit cinq ou six angles d’attaque possibles, sans qu’on le laisse en profiter. Il bondissait, sauvage, spectaculaire, avec de grands gestes théâtraux et des coups imprécis qui faisaient voler la poussière.

Le président restait impassible, l’air comme ennuyé, mais se déplaçait plus vite que le vent. Il prouvait à ceux qui doutaient encore qu’il était bien le plus grand sorcier de l’histoire. Regardez-moi jouer avec le redoutable Toru. Puis il abandonna la magie des brutes pour celle des massifs et s’immobilisa, rendant sa chair plus solide que l’acier.

Le tetsubo le heurta avec une violence qui fit trembler la hampe, les gantelets et les os de Toru. Les spectateurs se levèrent en bloc.

Mais, quand la poussière retomba, le président était indemne. Levant une main, il lança une boule de feu qui engloutit Toru. L’armure émit un cri d’alarme. Toru voulut résister, mais il tomba à la renverse et son adversaire lui jeta de la glace puis des éclairs. La gravité se modifia : il tomba vers le ciel.

L’imposteur bondit, l’intercepta au vol et lui écrasa en pleine poitrine une poignée dorée d’énergie magique. Toru alla s’écraser, et tout vira au noir.

Sullivan, s’il n’avait pas été maître de la gravité, de la densité et de la masse, se serait évanoui juste après avoir sauté de la Voyageuse, il en était convaincu.

Il avait traversé des épreuves dangereuses, mais rien qui arrive à la cheville de ce qu’il vivait à l’instant.

Il se mit à tournoyer, de plus en plus vite. Son cœur battait à toute allure. Il se concentra pour augmenter sa densité et contrôler sa circulation sanguine. Heureusement qu’il restait calme sous la pression… Je vais dans le sens des aiguilles d’une montre. Il modifia légèrement la gravité pour se stabiliser. C’est mieux.

Il aurait pu se faire léger comme une plume et ralentir, mais il n’avait pas grande envie de passer plus de temps que nécessaire à une altitude où on ne trouvait ni chaleur ni atmosphère. Les runes gravées par Browning sur l’armure rougeoyaient pour l’empêcher de mourir de froid ; en revanche, il se méfiait un peu de son réservoir d’oxygène. Et puis merde… Voyons voir de quoi ce gadget est capable. Bras plaqués le long du corps, pieds joints, il pointa son casque droit vers Shanghai et accrut la gravité.

Un vrai boulet de canon.

Il pénétra dans les couches supérieures de l’atmosphère. Le ciel vira au bleu sombre. Il voyait la moitié des côtes chinoises, choisit la ligne du fleuve et la suivit des yeux. Shanghai était l’amas de lignes grises et noires au milieu du vert, du brun et du bleu. La ville était grande, mais il aurait bien le temps de prendre ses repères pour se diriger au bon endroit.

Son pouvoir tournait à plein régime pour analyser les forces et les frottements, mais sa magie toute neuve tenait le coup. La Terre l’attirait ; il s’accrocha à cette attraction et l’appuya d’un effort de volonté. Il était une balle de fusil. Il allait plus vite que les ondes sonores.

Il faudrait vérifier, mais il aurait parié qu’il était le premier homme à passer le mur du son. Un jour, dans un article de Popular Mechanics, il avait lu que c’était impossible : à trop grande vitesse, les entrailles explosaient. Sauf que, pour le moment, il était aussi peu flexible qu’une barre de fer. Il ne risquait rien.

Sauf s’il déboulait dans Shanghai à mille kilomètres à l’heure. Il se blesserait.

Tout cela était terrifiant, mais, pour être honnête, assez grisant.

L’armure tenait ses promesses : John Browning était le plus grand inventeur du monde. Elle ne le protégeait pas seulement ; grâce à la magie, elle faisait partie de lui-même, et, quand il devenait plus dense, elle aussi. Et comme, au départ, l’acier était beaucoup plus résistant que la viande…

Soudain, la bouteille d’oxygène éclata. Mauvais signe. Sullivan retint son souffle et tira de plus belle. Quand il aurait besoin de respirer, il avait intérêt à avoir atteint une altitude où il trouverait de l’air.

Quand l’océan fut à sa droite, il s’orienta vers sa cible. Il avait mémorisé le plan de la ville et n’eut qu’à se concentrer pour corriger progressivement la direction de la gravité et affiner sa trajectoire. Le fleuve était son point de repère ; il se décala vers le quartier qui l’intéressait.

Un sifflement déchirant emplit son casque. De l’air, de l’air délicieux. Si froid qu’il eut mal aux dents, si rare qu’il le sentait à peine… mais de l’air.

En contrebas, de petites ombres devinrent des dirigeables impériaux, qui tiraient sur la Voyageuse en lâchant des bouffées de fumée noire. Il offrait une cible bien trop petite pour craindre qu’on le repère ; ça ne rendait pas le voisinage plus accueillant. Il s’enfonça dans la fumée, envisagea de transpercer une carène au passage, mais il fallait connaître ses limites, et il ignorait s’il pouvait atteindre une densité suffisante.

Il franchit le barrage aérien si vite que nul n’avait pu le remarquer. Shanghai était si proche, à présent, qu’il distinguait les différents quartiers. Il se dirigea vers la section impériale. Quelques secondes plus tard, il reconnut le rectangle du bâtiment principal, puis le carré vert de l’esplanade où se déroulait la cérémonie.

Il allait si vite qu’il n’osait pas lever les bras de peur que le vent ne les arrache. Il divisa la gravité par trois ou quatre et ralentit aussitôt. Alors seulement il pivota les épaules pour effleurer du bout d’un doigt le dos de l’autre main. La rune était prête. Si ça marchait, le capitaine Southunder l’entendrait cinq sur cinq. Sa voix jaillit de son esprit plus que de ses cordes vocales. « J’y suis presque. Activez la machine de Fuller. » Il espérait que le message était reçu, mais c’était à la grâce de Dieu. Il changea de main pour toucher l’autre rune. Celle-là devait fonctionner à tout prix. Sinon, il était foutu.

Le sol se précipitait à sa rencontre, et il avait pulvérisé le record de vitesse. Il était temps de freiner. Quand on sautait d’un avion, c’était en parachute, mais Sullivan était pousseur de gravité. Qu’aurait-il fait d’un parachute ? Sa trajectoire, il en était certain, le conduirait tout droit dans la cour du palais. La mer de couleurs mouvantes autour du carré vert, c’étaient des gens. Il y avait foule. Tant mieux. Il n’aurait jamais trop de témoins.

Il modifia encore une fois la gravité. À présent, au lieu de l’attirer vers Shanghai, elle cherchait à le faire remonter. Il imagina que la Voyageuse était le centre du monde, mais doucement, peu à peu. Tout était dans le dosage. Il perdait son élan et ralentissait. Mais pas trop ; il ne voulait pas que l’armée impériale se mette au tir au pigeon d’argile. On le repérerait bientôt.

Il allait encore à plus de trois cents kilomètres à l’heure quand vint le moment d’activer la seconde rune. Une autre, identique, était gravée à l’intérieur de son casque, devant sa bouche. Fuller l’avait inventée d’après la magie d’un babel rencontré autrefois. Les tests s’étaient bien passés, mais, bien sûr, il ne l’avait jamais essayée en vol.

Le docteur Wells avait seulement souligné ce que les chevaliers savaient depuis longtemps. Pour l’Imperium, le Grimnoir incarnait le mal. Les chevaliers étaient les croque-mitaines de la propagande impériale. Mais Wells avait eu l’intelligence de demander : Pourquoi les Japonais croiraient-ils les affirmations des démons ? Comment faire avaler à un garde de fer des mises en garde sur la nature réelle de l’ennemi ?

En lui proposant une menace tellement énorme qu’il n’envisagerait même pas d’en douter.

L’heure était venue de jouer les croque-mitaines.

Seigneur, faites que ça marche.

Sullivan activa le sortilège.

Hayate, premier garde fantôme, observait le duel avec une inquiétude grandissante.

Goto, commandant de la garde de fer, était à côté de lui. « Ah ! Excellent ! Le président réduit le traître en bouillie. »

Hayate, par une longue habitude, se caressait le menton lorsqu’il réfléchissait. « Aviez-vous déjà vu le garde de fer Toru se battre ?

— Ce n’en est pas un ! rugit le commandant. Comment osez-vous ?

— Bien sûr, bien sûr. » Inutile de se retrouver contraint au duel pour avoir froissé un garde de fer irascible. Il n’aurait pas risqué de perdre, cela dit : il aurait fait empoisonner Goto la veille. « Mes excuses… Moi, j’ai déjà vu le traître se battre. Aujourd’hui, il n’a pas l’air dans son assiette.

— Sans doute écrasé par la honte, ce qui est normal en la présence magnifique de son père ! »

Hayate n’était pas convaincu, et les paroles de Toru lui trottaient dans la tête. Les chevaliers étaient des adversaires redoutables mais peu nombreux. Pourquoi gaspiller autant de combattants dans une tentative d’assassinat contre un homme notoirement immortel ? Cette gabegie ne leur ressemblait pas. Il les respectait assez pour savoir qu’ils faisaient preuve de logique. Toru les avait-il conquis à ses délires, et, si oui, comment ?

Il s’étonnait lui-même. Le président avait raison : Toru distillait du poison avec chacune de ses phrases.

Un soldat arriva en courant pour faire son rapport au garde de fer. « Mon commandant, nous venons de perdre contact avec le Zuiryu. D’autres vaisseaux mentionnent une explosion violente à sa dernière position connue.

— Hein ? » La salle de commandement entra en ébullition. C’était une très mauvaise nouvelle. L’Imperium n’avait encore construit que quatre vaisseaux de classe Kaga équipés du rayon de paix, et on en avait perdu un l’année précédente. Le Dragon propice était le meilleur dirigeable de la région. « Une attaque du vaisseau non identifié ?

— Nous l’ignorons, mon commandant. Les longues-vues confirment qu’il est toujours là-haut, à une altitude extrême. La marine a lancé un démon intercepteur expérimental. »

Étrange. Hayate regarda par la fenêtre. Le président s’occupait toujours d’infliger à Toru une correction digne d’un chiot désobéissant. Il remarqua un éclair lumineux dans le ciel. Une forme tombait droit sur eux. « Il y a quelque chose là-haut. » Il tendit le bras.

Le chef de la Tokubetsu Koto Keisatsu plissa les paupières. « C’est un vaisseau ? »

Le garde de fer, furieux à l’idée d’avoir perdu un Kaga, regarda à son tour. « C’est un oiseau.

— Non… » Hayate se pencha. « Je crois que c’est un homme. »

Soudain, un grand vacarme, un grondement de tonnerre qui fit trembler les vitres. Toute l’assistance se mit à fixer les cieux. Même le président interrompit un coup de pied pour lever la tête.

Une voix terrible succéda au tonnerre.

« Écoutez-moi, peuple de l’Imperium. Je suis Jake Sullivan, chevalier du Grimnoir. »

Le tour de magie était fascinant. Hayate avait entendu ces mots en japonais, mais il parlait également mandarin, cantonais, anglais, néerlandais, allemand et russe, et il aurait juré les avoir aussi entendus dans ces six langues. S’il en avait maîtrisé d’autres, l’effet aurait été le même. Vraiment, un sortilège magistral.

« Abattez-le ! » ordonna Goto. Ses hommes se précipitèrent. « Vite ! Bougeurs, préparez-vous à faire dévier l’intrus ! »

« J’ai un message pour les guerriers de l’Océan ténébreux. L’éclaireur est revenu. »

L’affirmation était si peu attendue que beaucoup de gardes de fer se figèrent un instant. Ces noms étaient rarement prononcés.

La forme se rapprochait. Elle étincelait au soleil. Oui, une silhouette humaine. « Vos écoles ont été infiltrées. Les monstres sont cachés dans vos rangs ! »

Soudain, une autre voix, aussi sonore que la première. Okubo Tokugawa répondait. « Ne l’écoutez pas ! Le Grimnoir est malfaisant !

Le président dit que nous sommes malfaisants… Il a raison. Nous le sommes. Je sais que l’éclaireur est ici… parce que l’éclaireur, c’est moi ! J’obéis à l’ennemi. Je l’emmène avec moi. Tu entends ça, Océan ténébreux ? Je suis ton pire cauchemar.

Non ! » La voix du président faisait trembler le monde. « Détruisez-le ! Tuez-le !

Allez voir dans vos écoles. Nous y sommes déjà. Nous sommes partout sur le territoire impérial. Vous voulez vous battre ? Venez vous battre ! »

Le président étendit les mains pour lancer des éclairs vers le ciel.

Un second bruit affreux, plus proche et plus fort. Les vitres se brisèrent. On aurait dit que l’homme venait d’accélérer. Il tombait plus vite qu’une bombe. C’était impossible. La magie concentrée des bougeurs se révélait impuissante à le repousser. Il atterrit avec une telle violence que la terre explosa autour de lui et ravagea un grand cercle de l’esplanade. Le président disparut dans un nuage de poussière.

« Au nom de l’Océan ténébreux, protégez le président ! Vite ! »

Le garde de fer courait rejoindre leur seigneur. D’un bond, il passa par la fenêtre pour descendre de quatre étages : c’était la voie la plus directe.

Hayate fronça les sourcils. « Fascinant.

— Vous êtes fou ? cria Goto. C’est comme ça qu’ils ont détruit le Dragon propice. On nous attaque ! L’adversaire est revenu ! Il faut protéger le président !

— En effet. » Hayate se caressa le menton. Toru avait-il toute sa tête, finalement ? Soit le Grimnoir avait monté une machination tordue pour une raison tactique incompréhensible, soit… soit c’était pire que tout. Dans un cas comme dans l’autre, il fallait faire jour sur toute l’affaire, et la justice triompherait. « Le président est un sorcier immortel. Ne le couvrez pas de honte en supposant qu’il a besoin de votre protection.

— Mais…

— Rappelez-vous votre formation, garde de fer ! Empêcher l’arrivée de l’ennemi est notre mission fondamentale. Vous avez entendu les paroles de l’envahisseur. Nous sommes infiltrés. Prévenez les écoles. » Hayate se tourna vers son aide de camp, qui s’appliquait toujours à se faire encore plus discret que son maître. « Envoyez des équipes d’intervention fantômes dans chaque école. Enquêtez sur tout le monde. Abattez quiconque essaie de vous en empêcher. Si on nous refuse l’accès aux locaux, bombardez l’école jusqu’à destruction complète. »

Par ces mots fut relancée la mission d’éradication de l’Océan ténébreux.

« Voyageuse » (CBF)

« Ça ne marche pas.

— Merde ! » Schirmer lâcha un coup de clé à molette dans la machine infernale de Fuller. « Et maintenant ?

— Rien », dit Fuller. Il était si excité que son casque se couvrait de buée ; il devait se tordre le cou pour lire les cadrans.

Schirmer cogna à nouveau. « Bordel ! »

Lady Origami trouvait fascinant que le plus grand génie magique vivant et un homme capable de construire une machine avec des matériaux de récupération en soient réduits à taper sur leur œuvre comme des chimpanzés qui auraient dégoté un caillou bien solide. « Qu’est-ce qui ne va pas ?

— J’ai négligé de tenir compte du déficit actuel de thermoénergie disponible dans les omnilocateurs de…

— Tout est gelé, traduisit Schirmer.

— Oh ? C’est tout ? » Elle posa une main gantée sur la coque de l’appareil. Élevée par un père qui, très pieux, expliquait la magie par les interactions entre les esprits cachés en toutes choses et considérait que sa fille parlait aux esprits du feu, elle n’avait jamais compris les bases scientifiques de ses pouvoirs et se contentait des croyances familiales. « Oui… Le feu intérieur est très faible. Je le réveille ?

— Euh… Oui, merci. Mais doucement, répondit Fuller.

— Bien sûr. » Elle se concentra. Toute matière contenait des flammes. Parfois, il suffisait de les attiser. En quelques secondes, l’intérieur de la machine se mit à luire d’un éclat jaune. Les diodes clignotaient enfin sur la console de Schirmer. La boule placée tout au sommet s’ébranla et tournoya de plus en plus vite. « Ça va, comme ça ?

— Ça marche ! Ça marche ! s’écria Fuller quand un bourdonnement inquiétant sortit de l’appareil.

— Commencez le balayage, ordonna Schirmer à deux techniciens. D’abord Shanghai, puis remontez la côte, puis l’intérieur des terres. Je veux toucher toutes les écoles de Chine ! »

Lady Origami était déçue. Elle avait espéré que le rayon magique serait visible. Néanmoins, heureusement qu’elle était venue dire au revoir à son lourd. Qu’auraient-ils fait sans elle, ces savants ?

BOUM !

La Voyageuse trembla sous l’impact, et les chevaliers perdirent l’équilibre. Lady Origami tomba, glissa vers la porte ouverte, mais son filin de sécurité la retint. Un technicien moins chanceux partit en roulé-boulé et passa par-dessus bord. Son câble résista, lui épargnant une chute de soixante-quinze mille pieds, mais il se retrouva suspendu dans le vide, trois mètres en contrebas. Schirmer entreprit de le remonter.

Elle sentait l’intrusion. Les démons avaient des flammes bien à eux. Celui-là était petit, mais il avait réussi à pénétrer dans le dirigeable, et il grossissait. Les vaisseaux de l’Imperium, incapables de monter assez haut pour leur tirer dessus, leur avaient envoyé des démons.

Des alarmes retentissaient. La Voyageuse perdait de l’altitude. Le démon s’en prenait à ses entrailles : le troisième ballonnet de la carène bâbord. Percevant la présence de la torche, il poussa un hurlement de rage : elle le fit exploser en éteignant le feu qui l’animait. Elle dut ensuite relancer son effort magique pour empêcher les flammes de gagner du terrain, et elle ne pouvait pas réparer les dégâts déjà subis.

Engoncée dans sa combinaison, elle eut du mal à se relever, mais elle réussit à aller aider l’autre technicien à braquer la machine de Fuller dans la direction voulue. Sullivan avait besoin que ça marche. Elle ne le laisserait pas mourir pour rien.

BOUM ! BOUM !

D’autres démons. Ils filaient sur le vaisseau, le perçaient de trous pour l’arracher au ciel.

BOUM !

Cité libre de Shanghai

Père… aide-moi. J’ai besoin de ta force. Exorcise le fantôme qui tient mon âme. Libère mes membres. Ne permets pas que je meure dans l’échec. Aide-moi à accomplir ton rêve de l’Océan ténébreux.

Toru ouvrit les yeux. Son champ de vision était semé de taches noires, mais ce n’étaient que des mottes de terre sur la visière de son heaume. Il gisait sur l’herbe de l’esplanade.

L’imposteur, dressé devant lui, levait son épée. Le spectacle était fini ; on passait à l’exécution. Mais Saito regardait le ciel.

Une secousse violente…

Une bourrasque les ébranla, suivie d’une muraille de poussière, de terre et d’herbe.

C’était sa seule chance.

Père ! Donne-moi ta force d’âme !

Une lumière blanche emplit Toru.

Cette lumière le brûlait comme le soleil. En lui, le parasite hurla, se désagrégea, mourut.

La silhouette de l’imposteur était une ombre devant un nouveau soleil. L’envahisseur qui occupait l’esprit de Saito était plus ancien, plus fort, mieux retranché : lui ne fut pas détruit, même s’il criait et se débattait sous la lumière de la vérité.

Merci, père.

L’imposteur disparaissait dans les tourbillons de poussière. Toru, enfin, put reprendre le contrôle de son armure. Le tetsubo décolla, fendit l’espace dans un brouillard d’acier et s’abattit sur Saito, qui voltigea comme une barque dans un tsunami.

Toru s’arracha au cratère qu’il avait ouvert en tombant. Avançant d’un pas incertain, il se réhabituait à commander à ses muscles, mais il retomba à genoux quand une douleur atroce lui déchira le crâne. Il eut le plus grand mal à lever une main pour ouvrir son mempo. Le vent chargé de terre lui fouettait le visage, mais il n’avait pas le choix. Il se pencha pour vomir.

L’immonde liquide noir était vivant quand on l’avait contaminé. À présent, il rejetait violemment la substance devenue inerte. Il toussait, crachait des grumeaux écœurants au goût de produits chimiques. Une pâte noire lui coulait par les narines, il pleurait des larmes épaisses, ça ressortait même par ses oreilles. Il bénissait finalement l’odeur de vieux mégots ; tout valait mieux que la puanteur qui émanait du fluide grâce auquel l’éclaireur dirigeait ses marionnettes.

La poussière retombait. Des gardes de fer se ruaient vers lui pour l’arrêter. La plupart étaient humains mais, sous la lumière du second soleil, certains montrèrent leur vraie nature : des sacs de peau emplis de pourriture palpitante. Les humains reculèrent, horrifiés, en découvrant ainsi leurs frères.

L’imposteur se relevait. Dosan Saito n’était pas le président, mais l’éclaireur lui avait octroyé un organisme puissant et il avait, depuis, absorbé l’essence de centaines d’actifs : c’était un adversaire redoutable. Déjà, il faisait appel au pouvoir des hérisseurs pour ressouder ses os brisés, et à celui des guérisseurs pour refermer ses plaies. Autour de lui, Toru distinguait la présence extraterrestre de l’éclaireur, qui l’englobait, le chevauchait, ses tentacules invisibles enfoncés dans les oreilles de sa victime pour lui murmurer des secrets. D’autres appendices, noués autour du crâne, fouillaient dans ses orbites pour lui imposer les visions voulues par l’extraterrestre.

Soudain, le second soleil se braqua autre part, l’éclaireur disparut, et Dosan Saito redevint le président.

L’impact avait creusé un cratère au milieu de l’esplanade. Une forme en sortit. D’abord un crâne blanc, puis un corps d’acier.

Pas mal joué, le lourd.

« Détruisez-les ! cria Saito de la voix du président. Détruisez-les ! »

Mais le monde avait sombré dans le chaos. Des milliers de citoyens cherchaient à s’enfuir. Certains gardes de fer couraient vers Sullivan ou Toru, d’autres hésitaient. Ceux qui avaient vu la réalité exposée par le second soleil s’en prirent aux infiltrés. Frère contre frère. Ceux qui n’avaient rien remarqué ne comprenaient pas la trahison de leurs camarades.

Un brave voulut éliminer un infiltré portant l’uniforme de la garde personnelle du président, mais les siens l’en empêchèrent. « Vous n’avez pas vu ? C’est ce qu’on nous a expliqué ! » Il repoussa deux frères qui l’entravaient pour bondir sur l’infiltré, qui se retourna et lui enfonça son katana dans le ventre. L’homme réussit à lui empoigner les joues et tira violemment sur son masque. « Regardez ! » Mais l’autre récupéra son épée, et l’homme cracha un flot de sang. Un éclat métallique : la tête du garde de fer fut tranchée.

La véritable nature de l’infiltrateur était révélée. La peau déchirée retombait comme un foulard sur sa veste d’uniforme. En dessous, le muscle à nu ondulait, rouge et noir, protégé par une carapace translucide.

Dès l’enfance, à l’académie, les gardes de fer entendaient parler de ces abominations. Leur pire cauchemar venait de prendre forme.

Les gardes de fer se frayaient un chemin dans la foule en hurlant. L’infiltré s’efforçait de recoller sa peau déchirée, tandis que des cadavres volaient. On faisait pleuvoir sur lui des éclairs, des jets de feu, puis un colosse se fit pousser des griffes d’os pour le trancher en deux. Un liquide putride couvert de flammes noires aspergea la pelouse.

« Le Grimnoir s’est allié à l’éclaireur !

— Prévenez le haut commandement !

— Protégez le président ! Tuez l’ennemi ! Tuez le Grimnoir ! »

Toru souleva son tetsubo et s’en fut vers Saito à grands pas.

Le déguisement de l’imposteur craquait aux entournures. « L’éclaireur n’est pas ici ! On vous trompe ! » Il paniquait, comprenant que le Grimnoir avait retourné ses mensonges contre lui. Le vrai président n’aurait jamais paniqué, et Toru en prit ombrage. Saito consacrait sa magie à se rétablir ; il n’avait plus l’énergie de se faire entendre aux quatre coins de l’esplanade. « C’est un piège du Grimnoir ! »

Sullivan avait bien travaillé. La rumeur allait circuler trop vite pour qu’on l’étouffe. Il ne restait plus qu’à éliminer l’usurpateur avant qu’il ne fasse avorter la noble mission de l’Océan ténébreux.

Jake Sullivan s’extirpa du sillon creusé par sa chute. Quand la foudre avait volé vers lui, il avait brutalement modifié la gravité et sa densité pour l’éviter. Jadis, il était tombé sur un train, il avait été piétiné par le dieu des démons ; tout cela n’était rien auprès de cet atterrissage. La quantité de terre qu’il avait déplacée le frappait de stupeur. Le sortilège gravé dans son dos, ce n’était pas de la rigolade.

Son but était d’alerter la garde de fer, et, d’un regard autour de lui, il vit l’appareil de Fuller remplir son office : les monstres cachés dans les humains devenaient visibles. Entre ce spectacle et les explications qu’il venait de leur balancer, les Japs s’étaient mis à s’entretuer. Mission accomplie. Ils savaient que l’éclaireur était sur Terre et, partis en chasse, ils ne s’arrêteraient qu’une fois les infiltrés exterminés jusqu’au dernier.

Le problème : les gardes de fer étaient à présent persuadés que, l’éclaireur, c’était lui.

S’il avait affirmé que le président était un traître, personne ne l’aurait cru. Il fallait leur proposer une interprétation acceptable, et les idées préconçues faisaient un levier puissant.

Toru s’attaquait à Saito. Jake n’aurait pas demandé mieux que lui venir en aide, mais un détachement de gardes de fer se précipitait vers lui. Il puisa dans son pouvoir pour projeter autour de lui une vague de gravité. Il ne s’était pas attendu à l’effet obtenu : un mur d’énergie déferla sur la pelouse, aplatissant gardes de fer et civils, renversant les gradins récemment édifiés. Ceux qui s’y trouvaient encore basculèrent dans le vide ou moururent écrasés sous les décombres.

Sullivan annula son propre poids et jaillit du cratère dans un déluge de cailloux. Saisissant son BAR par-dessus son épaule, il l’arracha à ses sangles, reprit sa masse normale et atterrit. Le bullpup crachait déjà des .30-06.

Il y avait des gardes de fer partout, tous persuadés qu’il était le mal incarné et bien décidés à le détruire. Des balles ricochaient sur son armure ; les runes de Browning le protégeaient du gel et des flammes. L’électricité n’atteignait jamais sa peau. Le BAR balayait le décor, méthodiquement, pour éliminer les soldats qui chargeaient.

Il devait à tout prix rejoindre Saito. Il voulait bien mourir, mais pas avant d’avoir réglé son compte au salopard.

Un lourd accrut la gravité sous ses pieds. Sullivan éclata de rire et lui rendit la pareille en dix fois pire : l’autre explosa en particules rougeâtres. Un hérisseur déboula sur son flanc, toutes griffes magiques dehors, lesquelles, par miracle, pénétrèrent l’armure. Sullivan pivota, lui planta le canon dans les côtes et le fit exploser.

Une balle de gros calibre le toucha au front. Elle ne pénétra pas dans la plaque d’acier, mais sa tête partit à la renverse et il sentit son cou craquer. Il continua d’avancer et chercha le tireur des yeux tout en pêchant un nouveau chargeur. Nouvelle détonation : ça devait venir d’un fusil à éléphant, vu la violence de l’impact. Il perdit l’équilibre, tomba à plat ventre et dérapa sur quelques pas, mais il avait vu un éclair et un panache de fumée au dernier étage du palais. Il brandit son BAR et détruisit les fenêtres, ainsi que quiconque se tenait derrière.

Avant qu’il ait pu se relever, une brute lui sauta sur le râble. Sullivan lui balança un coup de coude dans les dents sans la faire lâcher prise puis durcit sa chair : le poing qui s’écrasa dans ses reins heurta de la pierre. Malgré tout, l’armure se cabossa. Il se donna deux mille kilos et roula sur lui-même, écrasant le soldat sous son poids monstrueux.

Il dérégla la gravité pour déstabiliser le garde de fer et gagner du temps. Il s’essoufflait. Tous les sortilèges qu’il portait le brûlaient. Même avec son pouvoir renforcé, il ne tiendrait pas le choc. Courage ! Sullivan reprit son poids normal et se remit debout. Des troufions se précipitaient pour s’interposer entre lui et Saito.

Un éclair ; des claquements métalliques. Une pluie d’étincelles jaillit de sa poitrine juste avant qu’il ne tombe à la renverse. Un garde de fer sorti de nulle part l’attaquait à l’épée. L’armure n’aura aucun mal à… Merde ! Il fut soudain beaucoup plus lourd. Le Jap n’essayait pas de le blesser ; il voulait détériorer les runes magiques.

C’était son point faible. Le bretteur repoussa le canon du BAR, avança, pointa son arme vers l’œil de Sullivan, et son crâne se fendit dans une gerbe écarlate.

Faye était derrière, brandissant une épée de garde de fer dégouttante de sang, qu’elle avait enfoncée dans la tête du type du même geste qu’elle aurait eu pour couper du bois. Le Jap essaya de s’asseoir ; elle se pencha, nonchalante, lui planta l’épée entre les côtes et la fit tourner. « Bonjour, monsieur Sullivan. Je peux vous aider ?

— Ne laisse pas le président s’enfuir. Le reste, on s’en fout. »

Elle hocha la tête avant de disparaître.

Il regarda autour de lui. Saito battait en retraite dans le palais, Toru à ses trousses. La moitié de l’armée japonaise courait vers Sullivan, alors qu’il se trouvait au milieu d’un vaste espace nu, sans rien pour s’abriter. Il prit ses jambes à son cou.

Загрузка...