45 Maître à l’épée

Le soleil levant haussait son sommet pourpre au-dessus de l’horizon et projetait de longues ombres en direction du port sur les rues pavées en cailloutis de Falme. Une brise de mer chassait vers l’intérieur des terres la fumée sortant des cheminées où avait été allumé le feu pour préparer le petit déjeuner. Seuls les lève-tôt étaient déjà dehors, leur haleine formant un petit nuage de vapeur dans le froid matinal. En comparaison des foules qui emplissaient les rues à une autre heure, la ville semblait presque déserte.

Assise sur un tonneau posé sens dessus dessous devant une boutique de quincaillier, Nynaeve se réchauffait les mains sous ses bras en surveillant son armée. Min était installée sur le seuil d’une porte de l’autre côté de la rue, enveloppée dans sa cape seanchane, et croquait une prune ridée ; quant à Élayne, elle se pelotonnait dans sa pelisse en mouton à l’entrée d’une ruelle qui débouchait dans la rue tout près d’elle. Un grand sac, dérobé sur les quais, était posé, soigneusement plié, à côté de Min. Mon armée, songea avec amertume Nynaeve. Mais il n’y a personne d’autre.

Elle aperçut une suldam et une damane qui remontaient la rue, une blonde portant le bracelet et une brune le collier, les deux bâillant de sommeil. Les quelques Falmais qui avaient emprunté comme elles cette rue détournaient les yeux et se gardaient d’en approcher. Aussi loin qu’elle pouvait voir en direction du port, il n’y avait pas d’autre Seanchan. Elle ne tourna pas la tête d’un autre côté. À la place, elle s’étira et se secoua comme pour délasser ses épaules engourdies avant de reprendre sa position première.

Min jeta sa prune à demi mangée, lança un coup d’œil détaché vers le haut de la rue et s’adossa contre le montant de la porte. La voie était libre aussi dans ce sens-là, sinon elle aurait posé les mains sur ses genoux. Min avait commencé à se masser nerveusement les mains, et Nynaeve se rendit compte qu’Élayne sautillait maintenant avec impatience sur la pointe des pieds.

Si elles font échouer nos projets, je leur tape la tête l’une contre l’autre. Néanmoins Nynaeve savait que si elles étaient découvertes, ce serait les Seanchans qui décideraient ce qui arriverait à elles trois. Elle ne se rendait que trop bien compte qu’elle n’avait aucune certitude concernant la réussite de ce qu’elle avait agencé. Ce pourrait aussi bien être ses propres erreurs qui risquaient de les trahir. Une fois de plus, elle se promit que si les choses tournaient de travers elle s’arrangerait pour attirer l’attention sur elle pendant que Min et Élayne s’échapperaient. Elle leur avait dit de s’enfuir dans ce cas-là et leur avait laissé croire qu’elle fuirait aussi. Ce qu’elle entreprendrait à la place, elle ne le savait pas. À part que je ne leur permettrais pas de me prendre vivante. Je vous en prie, ô Lumière, pas ça.

La sul’dam et la damane gravirent la rue jusqu’à la hauteur des trois femmes postées en embuscade et se trouvèrent encadrées par elles. Une douzaine de Falmais avançaient largement à l’écart des deux reliées ensemble.

Nynaeve rassembla toute sa colère. Les Porteuses-de-Laisse et les Teneuses-de-Laisse. Elles avaient refermé leur immonde collier sur le cou d’Egwene, et elles le passeraient autour du sien et de celui d’Élayne si elles le pouvaient. Elle avait réussi à ce que Min lui explique comment les sul’dams imposaient leur volonté. Elle était sûre que Min s’était abstenue d’en dire une partie, le pire, mais ce qu’elle avait raconté suffisait pour chauffer à blanc la fureur de Nynaeve. En un instant, une corolle blanche sur une branche épineuse s’épanouit à la lumière, à la saidar, et le Pouvoir Unique l’envahit. Elle savait qu’il y avait une aura autour d’elle, visible pour qui était capable de la discerner. La sul’dam au teint clair sursauta et la bouche de la damane s’entrouvrit de stupeur, mais Nynaeve ne leur accorda aucune chance. C’est seulement un mince filet du Pouvoir qu’elle canalisa, mais elle le fit claquer, tel un fouet captant en l’air un atome de poussière.

Le collier d’argent s’ouvrit brusquement et cliqueta sur les pavés pointus. Nynaeve poussa un soupir de soulagement tout en se levant d’un bond.

La sul’dam regardait fixement le collier tombé à terre comme si c’était un serpent venimeux. La damane porta à sa gorge une main tremblante mais, avant que la femme à la robe ornée d’éclairs ait eu le temps de réagir, la damane se retourna et lui assena un coup de poing en pleine figure ; les genoux de la sul’dam flanchèrent et elle faillit tomber.

« Bravo ! » cria Élayne. Elle arrivait déjà en courant, elle aussi, et Min de même.

Avant que l’une ou l’autre atteigne les deux femmes, la damane jeta un regard effaré autour d’elle, puis détala à toutes jambes.

« Ne craignez rien ! lui cria Élayne. Nous sommes des amies !

— Chut ! » ordonna Nynaeve dans un souffle. Elle extirpa de sa poche une poignée de chiffons et les fourra sans ménagement dans la bouche béante de la sul’dam qui chancelait encore. Min déploya précipitamment d’une secousse le sac d’où se dégagea un nuage de poussière et l’enfila par-dessus la tête de la sul’dam, l’enveloppant jusqu’à la taille. « Nous n’attirons déjà que trop l’attention. »

C’était exact et pourtant pas entièrement vrai. Leur quatuor se tenait dans une rue qui se vidait rapidement, mais les gens qui avaient décidé d’être ailleurs évitaient de les regarder. Nynaeve avait compté là-dessus – sur le fait que les gens s’appliquent à ignorer tout ce qui avait rapport avec les Seanchans – pour gagner quelques instants. Ils finiraient par parler, mais à voix basse ; cela prendrait probablement des heures avant que les Seanchans apprennent qu’il s’était produit quelque chose.

La femme encapuchonnée commença à se débattre, poussant sous le sac des cris assourdis par les chiffons, mais Nynaeve et Min la saisirent à bras le corps et l’entraînèrent de haute lutte dans une venelle voisine. La laisse et le collier ricochaient derrière elles en cliquetant sur les cailloutis.

« Ramassez-le, ordonna Nynaeve d’un ton bref à Élayne. Il ne vous mordra pas ! »

Élayne respira à fond, puis attrapa avec précaution le collier d’argent, comme si elle craignait qu’effectivement il la morde. Nynaeve éprouva une certaine compassion, encore que limitée ; tout reposait sur l’exécution par chacune d’elles de ce qu’elles avaient prévu.

La sul’dam donnait des coups de pied et se démenait pour essayer de se dégager mais, à elles deux, Nynaeve et Min l’emmenèrent de force par cette venelle dans un autre passage légèrement plus large derrière des maisons, puis une autre ruelle et finalement à l’intérieur d’une baraque en bois rudimentaire qui avait apparemment abrité naguère deux chevaux, à en juger par les stalles. Rares étaient ceux qui avaient les moyens d’entretenir des chevaux depuis le débarquement des Seanchans, et de toute la journée où Nynaeve l’avait surveillée, personne ne s’en était approché. Dedans régnait une odeur de poussière et de renfermé qui proclamait l’abandon. Dès qu’elles furent entrées, Élayne laissa choir la laisse d’argent et s’essuya les mains avec de la paille.

Nynaeve canalisa un autre filet et le bracelet tomba sur le sol en terre battue. La sul’dam poussa des cris rauques et se rua de côté et d’autre.

« Prêtes ? » questionna Nynaeve. Les deux autres hochèrent la tête et elles retirèrent d’un coup sec le sac qui coiffait leur prisonnière.

La sul’dam avait la respiration sifflante, ses yeux bleus larmoyaient à cause de la poussière ; seulement son visage cramoisi l’était autant de colère que de manque d’air dans le sac. Elle fonça vers la porte, mais les autres la rattrapèrent dès son premier pas. Elle n’était pas faible, par contre elles étaient trois et, quand elles en eurent fini, la sul’dam avait été dépouillée jusqu’à sa chemise exclusivement et gisait dans une des stalles, pieds et poings liés par une corde solide, avec un autre morceau de corde qui l’empêchait de recracher son bâillon.

Massant une lèvre tuméfiée, Min évalua du regard la robe aux panneaux ornés d’éclairs et les bottes souples qu’elles avaient étalées. « Cela vous ira peut-être, Nynaeve. Ce n’est ni à la taille d’Élayne ni à la mienne. » Élayne enlevait les pailles qui s’étaient prises dans ses cheveux.

« Je le vois bien. De toute façon, vous n’avez jamais été une candidate possible, pas vraiment. On vous connaît trop bien. » Nynaeve se déshabilla en hâte. Elle jeta ses vêtements de côté et enfila la robe de la sul’dam. Min l’aida à passer les boutons dans les boutonnières.

Nynaeve remua les orteils dans les bottes ; elles étaient un peu étroites. La robe la serrait aussi à hauteur de la poitrine et était trop large ailleurs. L’ourlet touchait presque le sol, plus bas que ceux des sul’dams, mais la robe serait allée encore plus mal aux autres. Nynaeve ramassa d’un geste vif le bracelet, respira à fond et le referma autour de son poignet gauche. Les extrémités s’emboîtèrent et il parut être d’une seule pièce comme un anneau. Il ne donnait pas l’impression d’être autre chose qu’un bracelet. Elle avait redouté le contraire.

« Mettez la robe, Élayne. » Elles avaient teint deux robes – une à elle, une à Élayne – dans le gris de celles des damanes, ou en tout cas du gris le plus approchant possible, et les avaient cachées là. Élayne n’esquissa aucun mouvement, à part se passer la langue sur les lèvres en regardant le collier ouvert. « Élayne, c’est à vous de la mettre. Il y en a trop qui ont vu Min pour qu’elle s’en charge. Je l’aurais bien portée moi-même si cette robe-ci avait été à vos mesures. » Elle se dit qu’elle serait devenue folle si elle avait dû avoir ce collier autour du cou, c’est pourquoi elle était incapable de parler maintenant à Élayne sur un ton impératif.

« Je sais. » Élayne soupira. « J’aimerais seulement en connaître un peu plus sur les effets qu’il a. » Elle releva la masse de ses cheveux d’or roux. « Min, aide-moi, s’il te plaît. » Min commença à détacher les boutons qui fermaient la robe dans le dos.

Nynaeve réussit à ramasser le collier sans sourciller. « Il y a un moyen de l’apprendre. » Avec seulement une seconde d’hésitation, elle se pencha et le boucla autour du cou de la sul’dam. Elle est mieux que personne indiquée pour l’expérimenter. « Elle sera peut-être capable de nous dire quelque chose d’utile, en tout cas. » La femme aux yeux bleus jeta un coup d’œil à la laisse traînant de son cou au poignet de Nynaeve, puis dévisagea celle-ci d’un air méprisant.

« Cela ne fonctionne pas comme ça », objecta Min, mais Nynaeve l’entendit à peine.

Elle avait… conscience… de l’autre femme, conscience de ce qu’elle éprouvait, la pression des cordes s’incrustant dans ses chevilles et ses poignets derrière son dos, le goût prononcé de poisson des chiffons dans sa bouche, le picotement de la paille à travers la mince étoffe de sa chemise. Non pas comme si elle, Nynaeve, ressentait cela, mais dans sa tête il y avait une masse de sensations qu’elle identifiait comme appartenant à la sul’dam.

Elle déglutit, s’efforçant de les ignorer – elles persistèrent – et elle s’adressa à la femme ligotée. « Je ne vous ferai aucun mal si vous répondez à mes questions avec franchise. Nous ne sommes pas des Seanchanes. Mais si vous me mentez… » Elle souleva la laisse dans un geste menaçant.

Les épaules de l’autre s’agitèrent et sa bouche s’arrondit autour du bâillon dans une expression moqueuse. Il fallut à Nynaeve un moment pour comprendre que la sul’dam riait.

Elle pinça les lèvres, mais alors une idée lui vint. Cet assortiment de sensations à l’intérieur de sa tête semblait tout ce que l’autre femme ressentait de physique. À titre d’expérience, elle essaya d’y ajouter.

Les yeux soudain exorbités ; la sul’dam poussa un cri que le bâillon n’étouffa qu’en partie. Remuant ses mains écartées comme pour tenter de se protéger de quelque chose, elle s’arqua sur la paille telle une chenille arpenteuse dans un vain effort pour fuir.

Stupéfaite, Nynaeve se hâta de se débarrasser des sensations supplémentaires qu’elle avait ajoutées. La sul’dam s’affaissa, en larmes.

« Qu’est-ce… qu’est-ce que vous… lui avez fait ? » questionna Élayne d’une voix faible. Min ne pouvait qu’ouvrir de grands yeux, ébahie.

Nynaeve répliqua avec brusquerie : « La même chose que vous avait infligée Sheriam quand vous aviez jeté une tasse à la tête de Marith. » Ô Lumière, c’est vraiment une chose abominable.

Élayne avala brusquement sa salive. « Oh.

— Mais un a’dam n’est pas censé fonctionner de cette manière, remarqua Min. Elles prétendent toujours qu’il ne marche pas sur une femme qui ne peut pas canaliser.

— Peu m’importe comment il est censé fonctionner, du moment qu’il donne le résultat escompté. » Nynaeve empoigna la laisse d’argent à l’endroit où elle se joignait au collier et redressa la sul’dam juste assez pour la regarder droit dans les yeux. Des yeux affolés, elle le constata. « Écoutez-moi et écoutez-moi bien. Je veux des réponses et si je ne les obtiens pas, je vous ferai penser que je vous ai écorchée vive. » Une terreur sans nom se peignit sur le visage de la sul’dam et l’estomac de Nynaeve se souleva quand elle comprit soudain que l’autre l’avait prise au mot. Si elle croit que je le peux, c’est parce qu’elle le sait. Voilà à quoi servent ces laisses. Elle se ressaisit avec fermeté pour s’empêcher d’arracher le bracelet d’autour de son poignet. En lieu de quoi, elle durcit son expression. « Êtes-vous prête à parler ? Ou vous en faut-il plus pour vous convaincre ? »

La frénésie avec laquelle la tête se secouait suffisait comme réponse. Quand Nynaeve eut ôté le bâillon, la sul’dam ne se tut que le temps de déglutir avant de s’écrier précipitamment : « Je ne vous dénoncerai pas. Je le jure. Seulement, enlevez ça de mon cou. J’ai de l’or. Prenez-le. Je le jure, je ne dirai jamais rien à personne.

— Taisez-vous », lança sèchement Nynaeve, et la sul’dam referma immédiatement la bouche. « Quel est votre nom ?

— Sèta. Je vous en prie. Je vous répondrai mais, je vous en supplie, ôtez-le-moi ! Si quelqu’un le voyait sur moi… » Les yeux de Sèta s’abaissèrent pour regarder longuement la laisse, puis ses paupières se fermèrent étroitement. « S’il vous plaît ? » chuchota-t-elle.

Nynaeve se rendit compte d’une chose. Jamais elle ne pourrait imposer à Élayne de porter ce collier.

« Mieux vaut en finir », déclara celle-ci d’un ton ferme. Elle était dépouillée aussi jusqu’à sa chemise, à présent. « Donnez-moi une minute pour endosser cette autre robe et…

— Renfilez vos habits, dit Nynaeve.

— Quelqu’un doit faire semblant d’être une damane, rétorqua Élayne, ou nous ne parviendrons jamais jusqu’à Egwene. Cette robe vous va et Min ne peut pas jouer les damanes. Il ne reste donc plus que moi.

— Je vous ai dit de vous rhabiller. Nous avons quelqu’un pour être notre Porteuse-de-Laisse. » Nynaeve tira sur la laisse qui retenait Sèta, et la sul’dam eut un haut-le-corps.

« Non, non, par pitié ! Si on me voit… » Elle s’interrompit net devant le regard glacial de Nynaeve.

« En ce qui me concerne, vous êtes pire qu’un assassin, pire qu’un Ami du Ténébreux. Je n’imagine rien de pire que vous. Le fait que je dois avoir cette chose à mon poignet, vous ressembler même pour une heure, me rend malade. Alors si vous pensez qu’il y a quoi que ce soit que j’hésiterai à vous infliger, vous vous trompez. Vous ne voulez pas être vue ? Parfait. Nous non plus. Encore que personne ne regarde vraiment une damane. Pour autant que vous vous tiendrez tête baissée comme le doit une Femme-en-Laisse, on ne vous remarquera même pas. Par contre, débrouillez-vous de votre mieux pour vous assurer que le reste d’entre nous ne le soit pas non plus. Si nous le sommes, vous serez certainement vue et si cela ne suffit pas à vous retenir, je vous promets que je vous ferai regretter le premier baiser que votre mère a jamais donné à votre père. Nous sommes-nous bien comprises ?

— Oui, dit Sèta d’une voix faible. Je le jure. » Nynaeve dut enlever le bracelet afin qu’elles glissent la robe d’Élayne teinte en gris le long de la laisse et par-dessus la tête de Sèta. Elle n’habillait pas bien la suldam, trop flottante au corsage et serrée aux hanches, mais celle de Nynaeve ne lui serait pas allée mieux et aurait été trop courte par-dessus le marché. Nynaeve espéra que les gens ne s’attardaient effectivement pas à observer les damanes. Elle remit le bracelet avec répugnance.

Élayne rassembla les vêtements de Nynaeve, les enveloppa dans l’autre robe teinte en un paquet, le genre de paquet que peut porter une jeune femme vêtue en paysanne marchant derrière une sul’dam et une damane. « Gawyn va se ronger les sangs quand il apprendra ça », dit-elle, et elle rit. D’un rire qui rendit un son forcé.

Nynaeve dévisagea attentivement Élayne, puis Min. Il était temps de passer à la partie dangereuse de l’expédition. « Êtes-vous prêtes ? »

Le sourire d’Élayne s’effaça. « Je suis prête.

— Prête, répondit Min d’un ton bref.

— Où allez… allons-… nous ? » questionna Sèta, ajoutant vivement : « Si je puis me permettre de poser la question ?

— Dans l’antre du lion, répliqua Élayne.

— Danser avec le Ténébreux », ajouta Min. Nynaeve soupira et secoua la tête. « Ce qu’elles veulent dire, c’est que nous allons où sont parquées toutes les damanes et que nous avons l’intention d’en libérer une. »

Sèta en était encore bouche bée d’étonnement quand elles la poussèrent en hâte hors de l’écurie.


Sur le pont de son bateau, Bayle Domon observait le soleil qui se levait. Les quais commençaient déjà à s’animer, alors que les rues remontant du port étaient encore pratiquement désertes. Un goéland perché sur un pilotis le regardait fixement ; les goélands ont une expression cruelle.

« Vous êtes certain que ça ira, Capitaine ? questionna Yarin. Si les Seanchans se demandent ce que nous faisons tous à bord…

— Assurez-vous seulement qu’il y a bien une hache à côté de chaque amarre, rétorqua sèchement Domon. Et, Yarin ? Qu’un des hommes coupe un cordage avant que ces femmes soient à bord, je lui fends le crâne.

— Mais si elles ne viennent pas, Capitaine ? Et si ce sont des guerriers seanchans qui arrivent à leur place ?

— Dénouez vos tripes, mon gars ! Si des soldats s’amènent, je filerai vers l’entrée du port, que la Lumière nous prenne tous en pitié. Mais tant que des soldats ne se présentent pas, je veux attendre ces femmes. Maintenant, allez-vous-en avec l’air de n’avoir qu’à flâner au soleil. »

Domon se remit à scruter la ville, dans la direction où les damanes étaient emprisonnées. Ses doigts tambourinaient nerveusement sur la lisse.


La brise de mer apporta au nez de Rand l’odeur des feux allumés pour cuire le petit déjeuner et s’efforça de soulever sa cape mangée aux mites, mais il la serrait d’une main autour de lui pendant que le Rouge approchait de la ville. Dans les vêtements qu’ils avaient trouvés, il n’y avait pas de bliauds à sa taille et il avait jugé sage de garder cachés les broderies d’argent de ses manches et les hérons sur son col. L’attitude des Seanchans envers les vaincus porteurs d’armes pouvait ne pas s’étendre à ceux qui avaient une épée marquée d’un héron.

Les premières ombres du matin s’étiraient devant lui. Il distinguait tout juste Hurin avançant entre les parcs où étaient rangés des chariots et les enclos à chevaux. Seulement un ou deux hommes se déplaçaient au milieu des rangées de chariots et ils avaient sur eux le grand tablier des charrons ou des forgerons. Ingtar, le premier entré, était déjà hors de vue. Perrin et Mat suivaient Rand à intervalles réguliers. Il ne se retourna pas pour vérifier s’ils étaient là. Rien n’était censé les relier ; cinq hommes entrent dans Falme de bonne heure, mais pas ensemble.

Il était entouré d’enclos, les chevaux déjà près des barrières, attendant qu’on leur apporte à manger. Hurin passa la tête entre deux écuries, leurs portes toujours fermées et bâclées, aperçut Rand et l’appela du geste avant de se retirer vivement. Rand fit tourner son étalon alezan dans cette direction.

Hurin tenait son cheval par la bride. Il avait endossé un de ces longs gilets du pays au lieu de son surcot et, en dépit de la cape épaisse qui masquait sa courte épée et son brise-épée, il frissonnait de froid. « Le Seigneur Ingtar est là-bas au fond, dit-il en indiquant d’un mouvement de tête le passage étroit. Il a ordonné de laisser les chevaux ici et de continuer à pied. » Comme Rand sautait à terre, le Flaireur ajouta : « Fain est passé par cette rue, Seigneur Rand. Je peux presque le sentir d’ici. »

Rand conduisit le Rouge jusqu’à l’endroit où Ingtar avait déjà attaché son cheval derrière l’écurie. Le Chieraient n’avait guère l’apparence d’un seigneur dans cette pelisse en peau de mouton retournée au cuir sali et troué par l’usure à divers endroits, et l’épée qu’il avait ceinte par-dessus cadrait bizarrement avec. Ses yeux avaient une intensité fiévreuse.

Rand attacha le Rouge à côté de l’étalon d’Ingtar et hésita devant ses sacoches de selle. Il n’avait pas pu se résoudre à partir sans la bannière. Il ne pensait pas qu’un des guerriers aurait fouillé dans ses bagages, mais il ne pouvait en affirmer autant de Vérine, ni prévoir sa réaction au cas où elle trouverait la bannière. Toutefois, l’avoir avec lui le rendait mal à l’aise. Il se résolut à laisser les sacoches attachées derrière sa selle.

Mat les rejoignit et, quelques instants après, Hurin arriva avec Perrin. Mat arborait d’amples chausses aux jambes enfoncées dans le haut de ses bottes et Perrin sa cape trop courte. Rand songea qu’ils avaient tous des allures de gueux sans foi ni loi, mais tous avaient traversé les villages en n’éveillant pratiquement pas de curiosité.

« À présent, annonça Ingtar, voyons ce que nous allons trouver. »

Ils avancèrent d’un pas tranquille sur le chemin en terre battue comme s’ils n’avaient pas de destination particulière en tête, bavardant entre eux, et dépassèrent en flânant les parcs à chariots pour s’engager dans des rues en pente pavées en cailloutis. Rand ne savait pas trop ce que lui-même disait et moins encore ce que disaient les autres. Le plan d’Ingtar était qu’ils aient l’air de n’importe quel autre groupe d’hommes cheminant ensemble, mais il y avait trop peu de gens dehors. Cinq hommes représentaient une foule dans ces rues, par un matin froid.

Ils marchaient en bande, mais c’est Hurin qui les conduisait, flairant l’air, montant cette rue, descendant celle-là. Les autres l’imitaient comme si c’était ce qu’ils avaient eu dès le début l’intention de faire. « Il a arpenté cette ville dans tous les sens, marmotta Hurin avec une grimace. Son odeur est partout et elle pue tellement qu’on a du mal à distinguer les vieilles pistes des récentes. Je sais du moins qu’il est encore ici. Quelques-unes ne doivent pas dater de plus d’un jour ou deux, assurément. J’en suis certain », ajouta-t-il d’un ton moins hésitant.

Des gens commençaient à apparaître en plus grand nombre, ici un marchand ambulant installait sa marchandise sur des tréteaux, là un bonhomme se hâtait, un gros rouleau de parchemins en bandoulière, un rémouleur huilait l’axe de sa meule installée sur sa charrette. Deux femmes les croisèrent, l’une tête baissée, avec un collier d’argent autour du cou, l’autre vêtue d’une robe ornée d’éclairs, tenant une laisse d’argent enroulée dans la main.

Rand en eut la respiration coupée ; il lui fallut un effort pour ne pas se retourner sur elles.

« Était-ce… » Mat avait les yeux écarquillés, un regard fixe sortant du creux de ses orbites. « Était-ce une damane ?

C’est ainsi qu’on les désigne, dit Ingtar d’un ton cassant. Hurin, allons-nous arpenter toutes les rues de cette ville affligée par la malédiction de l’Ombre ?

— Il est passé partout, Seigneur Ingtar, répliqua Hurin. Sa pestilence est répandue partout. » Ils étaient arrivés dans un quartier où les maisons de pierre avaient deux ou trois étages, aussi grandes que des auberges.

Ils tournèrent le coin de la rue et Rand fut décontenancé en apercevant d’un côté de la chaussée une vingtaine de guerriers seanchans qui montaient la garde devant un grand bâtiment et, de l’autre, deux femmes à la robe ornée d’éclairs en train de bavarder sur le perron de la maison d’en face. Un étendard claquait au vent au-dessus de l’immeuble que protégeaient les soldats – un faucon d’or tenant des éclairs dans ses serres. Rien de particulier ne signalait celui où parlaient les deux femmes sinon elles-mêmes. L’armure de l’officier était resplendissante, aux couleurs rouge, noir et or, son casque doré et peint pour qu’il ressemble à une tête d’araignée. Puis Rand vit les deux grosses masses à la peau comme du cuir accroupies au milieu des soldats et il trébucha.

Des grolms. Il n’y avait pas à se tromper à ces têtes coniques avec leurs trois yeux. Impossible que ce soit des grolms. Peut-être qu’il dormait, en réalité, et que ceci était un cauchemar. Si ça se trouve, nous ne sommes même pas encore partis pour Falme.

Les autres regardèrent ces bêtes avec stupeur en passant devant l’immeuble sous bonne garde.

« Au nom de la Lumière, qu’est-ce que c’est ? » questionna Mat.

Les yeux de Hurin semblaient lui manger la figure. « Seigneur Rand, ce sont… Ceux-là sont…

— Peu importe », dit Rand. Au bout d’un instant, Hurin acquiesça d’un signe de tête.

« Nous sommes ici pour le Cor, déclara Ingtar, pas pour admirer des monstres seanchans. Concentrez-vous sur la recherche de Fain, Hurin. »

Les guerriers leur jetèrent à peine un coup d’œil. La rue descendait tout droit jusqu’à l’anse arrondie du port. Rand apercevait des navires ancrés là-bas ; de hauts navires d’aspect carré avec de grands mâts, petits à cette distance.

« Il est venu ici bien des fois. » Hurin se frotta le nez avec le dos de sa main. « La rue empeste couche après couche de son odeur. Je pense qu’il est peut-être venu ici pas plus tard qu’hier, Seigneur Ingtar. Possible même que ce soit la nuit dernière. »

Mat étreignit soudain son manteau à deux mains. « Il est là-dedans », chuchota-t-il. Il se retourna et marcha à reculons en examinant la grande maison à l’étendard. « Le poignard est à l’intérieur. Je ne m’en étais pas rendu compte avant, à cause de ces… ces choses, mais je le sens. »

Perrin lui enfonça un doigt dans les côtes. « Eh bien, arrête avant qu’ils commencent à se demander pourquoi tu les contemples avec des yeux ronds comme un idiot. »

Rand jeta un coup d’œil par-dessus son épaule. L’officier les suivait du regard.

Mat se remit de mauvaise grâce à marcher normalement. « Allons-nous continuer à avancer longtemps comme ça ? Il est là-bas, je vous répète.

— C’est le Cor que nous cherchons, grommela Ingtar. Je veux trouver Fain et lui faire me dire où il est. » Il ne ralentit pas l’allure.

Mat ne répliqua rien, mais son visage n’était qu’une supplication.

Il faut que moi aussi je trouve Fain, songea Rand. Il le faut absolument. Pourtant, quand il vit l’expression de Mat, il dit : « Ingtar, si le poignard est dans cette maison, il y a des chances pour que Fain y soit également. Je ne l’imagine pas laissant le poignard ou le Cor, l’un ou l’autre, bien loin hors de sa vue. »

Ingtar s’arrêta. Au bout d’un instant, il conclut : « C’est possible, mais nous ne le saurons jamais d’ici, à l’extérieur.

— Nous pourrions faire le guet jusqu’à ce qu’il sorte, suggéra Rand. S’il sort à cette heure matinale, c’est qu’il aura passé la nuit dans cette maison. Et je suis prêt à parier que là où il dort c’est là qu’est le Cor. S’il sort, nous pouvons être de retour à midi et avoir échafaudé un plan avant la nuit.

— Je n’ai pas l’intention d’attendre Vérine, riposta Ingtar, pas plus que d’attendre la nuit. Je n’ai déjà que trop attendu. J’entends tenir le Cor dans mes mains avant que le soleil se couche.

— Mais nous n’avons aucune certitude, Ingtar.

— Je sais que le poignard est là-bas, affirma Mat.

— Et Hurin dit que Fain était ici la nuit dernière. » Ingtar balaya d’une phrase les réserves que Hurin tentait d’émettre sur ce point. « C’est la première fois que vous acceptez de donner une indication un peu plus précise qu’un jour ou deux. Nous allons reprendre le Cor maintenant. Tout de suite !

— Comment ? » objecta Rand. L’officier ne leur prêtait plus attention, mais il y avait toujours au moins vingt soldats devant le bâtiment. Et une couple de grolms. C’est fou. Il ne peut pas y avoir de grolms ici. Toutefois, juger leur présence impossible ne fit pas disparaître les monstres.

« Je crois qu’il y a des jardins derrière toutes ces maisons, dit Ingtar en regardant autour de lui pensivement. Si l’une de ces ruelles passe le long d’un mur de jardin… Parfois, les gens sont tellement affairés à protéger le devant qu’ils négligent leurs arrières. Venez. » Il se dirigea droit vers la plus proche ruelle étroite entre deux des hautes maisons. Hurin et Mat coururent aussitôt derrière lui.

Rand échangea un regard avec Perrin – son ami aux cheveux frisés eut un haussement d’épaules résigné – et ils suivirent, eux aussi.

La venelle était à peine plus large que leur carrure, mais elle était aménagée entre de hauts murs renfermant des jardins et croisait finalement une autre ruelle assez large pour permettre le passage d’une charrette à bras ou d’un petit chariot. Celle-là était pavée en cailloutis, comme la grand-rue, mais seul l’arrière des maisons donnait dessus, fenêtres aux volets clos et vastes surfaces de pierre ; quant aux grands murs des jardins, ils étaient surmontés par des branches presque dénudées.

Ingtar les conduisit dans cette ruelle jusqu’à ce qu’ils arrivent en face de la bannière flottant au vent. Retirant de son surcot ses gantelets au dos renforcé de lamelles d’acier, il les enfila, sauta, attrapa la crête du mur, puis se hissa suffisamment pour regarder par-dessus. Il annonça d’une voix basse, monocorde : « Arbres. Plates-bandes. Allées. Il n’y a pas une âme en… Attendez ! Une sentinelle. Un seul homme. Il ne porte même pas son casque. Comptez jusqu’à cinquante, puis suivez-moi. » Il lança une jambe bottée par-dessus le mur et se laissa rouler de l’autre côté, disparaissant à l’intérieur avant que Rand ait eu le temps de proférer un mot.

Mat commença à compter lentement. Rand retint son souffle. Perrin assura sa prise sur sa hache et Hurin saisit les manches de ses armes.

« … cinquante. » Hurin joua des pieds et des mains pour escalader le mur et le franchir avant même que le mot ait complètement jailli de la bouche de Mat. Perrin l’imita aussitôt.

Rand pensait que Mat aurait peut-être besoin d’aide – il paraissait tellement pâle et las – mais il n’en donna aucun signe en effectuant son escalade. Le mur de pierre offrait de nombreux points d’appui et, quelques minutes plus tard, Rand était tapi à l’intérieur du jardin avec Mat, Perrin et Hurin.

Le jardin était sous l’emprise de l’automne en son plein, les parterres vides à part quelques buissons à feuilles persistantes, les branches des arbres presque totalement dépouillées. Le vent qui faisait ondoyer l’étendard soulevait de la poussière sur les dalles des allées. Pendant un instant, Rand ne réussit pas à repérer Ingtar. Puis il vit le Shienarien, plaqué contre le mur de derrière de la maison qui, l’épée en main, leur signalait d’avancer.

Rand courut, plié en deux, plus conscient des fenêtres aux volets fermés donnant sur le jardin que de ses amis qui couraient à côté de lui. Ce fut un soulagement de s’aplatir contre la maison à côté d’Ingtar.

Mat ne cessait de répéter entre ses dents : « Il est dedans. Je le sens.

— Où est la sentinelle ? chuchota Rand.

— Morte, répliqua Ingtar. Le bonhomme était trop confiant. Il n’a même pas essayé de jeter un cri d’alarme. J’ai caché son corps sous un de ces buissons. »

Rand le regarda avec stupeur. Le Seanchan était trop confiant ? La seule chose qui l’empêcha de retourner immédiatement sur ses pas était le murmure angoissé de Mat.

« Nous y sommes presque. » Ingtar avait lui aussi l’air de parler pour lui-même. « Presque. Venez. »

Rand dégaina tandis qu’ils commençaient à gravir les marches de derrière. Il se rendait compte que Hurin décrochait son épée à la courte lame[4] et son brise-épée cranté, tandis que Perrin dégageait à contrecœur sa hache de la boucle qui la retenait à sa ceinture.

Le couloir à l’intérieur était étroit. Une porte entrouverte à leur droite était d’après l’odeur celle d’une cuisine. Plusieurs personnes s’y affairaient ; il y avait un bruit de voix indistinctes et, de temps en temps, le claquement léger d’un couvercle de marmite.

Ingtar indiqua du geste à Mat de montrer le chemin et ils se faufilèrent devant la porte. Rand surveilla l’étroite ouverture jusqu’à ce qu’ils aient dépassé le tournant suivant.

Une svelte jeune femme aux cheveux noirs surgit d’une porte devant eux, portant un plateau sur lequel il n’y avait qu’une tasse. Tous se figèrent. Elle tourna de l’autre côté sans regarder dans leur direction. Les yeux de Rand s’écarquillèrent. Sa longue robe blanche était pratiquement transparente. Elle disparut derrière un autre tournant du couloir.

« Avez-vous vu ça ? dit Mat d’une voix étranglée. On distinguait tout à travers… »

Ingtar appuya brusquement une main sur la bouche de Mat et chuchota : « Gardez en tête la raison de notre présence ici. Maintenant trouvez-le. Trouvez-moi le Cor. »

Mat désigna un étroit escalier en hélice. Ils gravirent un étage et Mat les conduisit vers le devant de la maison. L’ameublement dans les couloirs était succinct et semblait tout en courbes. Çà et là, une tapisserie était suspendue sur un mur ou un paravent posé devant, chacun orné de quelques oiseaux juchés sur des branches ou d’une fleur ou deux. Une rivière coulait en travers d’un paravent mais, à part l’ondulation de l’eau et d’étroites berges, le reste était vierge de tout dessin.

Autour d’eux, Rand entendait les sons de gens qui bougeaient, de pantoufles effleurant le sol, de murmures de voix. Il ne vit personne, mais il n’imaginait que trop bien quelqu’un survenant dans le couloir pour apercevoir cinq hommes qui avancent furtivement des armes à la main, hurlant « au secours »…

« Ici », chuchota Mat en désignant devant eux les deux grands battants d’une porte coulissante, dont les poignées sculptées étaient l’unique décoration. « Le poignard y est, du moins. »

Ingtar regarda Hurin ; le Flaireur repoussa les battants et Ingtar franchit le seuil d’un bond, l’épée haute. Il n’y avait personne à l’intérieur. Rand et les autres se hâtèrent d’entrer et Hurin referma vivement les battants derrière eux.

Des paravents peints masquaient tous les murs et autres portes, et tamisaient la lumière tombant de fenêtres qui devaient donner sur la rue. À une extrémité de la vaste salle se dressait une haute armoire circulaire. À l’autre était installée une petite table, l’unique siège sur le tapis tourné de façon à lui faire face. Rand entendit s’étrangler la respiration d’Ingtar, mais lui-même eut seulement envie de pousser un soupir de soulagement. Un chevalet sur la table supportait le Cor de Valère au tube d’or enroulé sur lui-même. Au-dessous, le rubis dans le manche du poignard ornementé captait la lumière.

Mat bondit vers la table, saisit Cor et poignard. « Nous l’avons, s’exclama-t-il d’une voix croassante en agitant l’arme qu’il serrait dans son poing. Nous les avons tous les deux.

— Pas si fort, dit Perrin avec une grimace. Nous ne les avons pas encore sortis d’ici. » Ses mains remuaient sur le manche de sa hache ; elles semblaient avoir envie de tenir autre chose.

« Le Cor de Valère. » L’accent d’Ingtar révélait une vénération sincère. Il toucha le Cor avec hésitation, suivant du doigt l’inscription en lettres d’argent incrustée autour du pavillon et prononçant à la muette sa traduction, puis il retira sa main, frémissant d’exaltation. « C’est lui. Par la Lumière, c’est lui ! Je suis sauvé. »

Hurin déplaçait les paravents qui masquaient les fenêtres. Il repoussa le dernier hors de son chemin et examina la rue au-dessous. « Ces soldats sont tous encore là, comme qui dirait qu’ils ont pris racine. » Il frissonna. « Ces… choses-là aussi. »

Rand alla le rejoindre. Les deux bêtes étaient des grolms ; c’était indubitable. « Comment ont-ils… » Il releva les yeux en parlant et sa voix s’éteignit. Il voyait par-dessus un mur l’intérieur du jardin de la grande maison qui se trouvait de l’autre côté de la rue. Il distinguait les endroits où d’autres murs avaient été abattus pour lui adjoindre d’autres jardins. Des femmes étaient assises sur des bancs là-bas, ou se promenaient dans les allées, toujours par deux. Des femmes reliées, du cou au poignet, par des laisses d’argent. L’une d’elles, avec un collier au cou, redressa la tête. Il était trop loin pour voir nettement ses traits mais, pendant un instant, il eut l’impression de croiser son regard, et il sut. Le sang se retira de son visage. « Egwene, dit-il dans un souffle.

— Qu’est-ce que tu racontes ? s’exclama Mat. Egwene est en sécurité à Tar Valon. Je voudrais bien y être.

— C’est ici qu’elle est », répliqua Rand. Les deux femmes tournaient, se dirigeant vers l’un des bâtiments situés à l’autre extrémité des jardins réunis. « Elle est ici, juste de l’autre côté de la rue. Oh, par la Lumière, elle porte un de ces colliers !

— En es-tu sûr ? » demanda Perrin. Il s’approcha pour regarder par la fenêtre. « Je ne la vois pas, Rand. Et… et je la reconnaîtrais si je la voyais, même à cette distance.

— J’en suis certain », affirma Rand. Les deux femmes disparurent dans une des maisons dont la façade donnait sur l’autre rue. Il avait l’estomac serré. Elle est censée être en sécurité. Elle est censée se trouver dans la Tour Blanche. « Il faut que je la sorte de là. Vous autres…

— Tiens ! » La voix grasseyante était aussi feutrée que le son des portes coulissant dans leur rainure. « Vous n’êtes pas celui que j’attendais. »

Pendant un bref instant, Rand resta à regarder, stupéfait. L’homme de haute taille, à la tête rasée, qui venait d’entrer dans la salle, était vêtu d’une longue robe bleue traînant jusqu’à terre et ses ongles étaient si longs que Rand se demanda s’il pouvait manipuler quoi que ce soit. Les deux hommes qui se tenaient obséquieusement derrière lui n’avaient que la moitié de leur chevelure noire rasée, le reste pendait en tresse sur leur joue droite. Une épée dans son fourreau reposait sur les avant-bras de l’un d’eux.

Rand n’eut qu’un instant pour s’étonner, puis des paravents basculèrent, dévoilant à chaque extrémité de la salle l’embrasure d’une porte bloquée par quatre ou cinq guerriers seanchans, nu-tête mais cuirassés et l’épée au clair.

« Vous êtes en présence du Puissant Seigneur Turak… », commença l’homme chargé de l’épée, jetant à Rand et à ses compagnons un regard de colère, mais un léger mouvement d’un doigt à l’ongle laqué de bleu le fit s’interrompre. L’autre serviteur s’avança en saluant et se mit à déboutonner la robe de Turak.

« Quand un de mes gardes a été trouvé mort, déclara calmement le personnage à la tête rasée, j’ai soupçonné l’homme qui dit s’appeler Fain. Je me méfiais de lui depuis que Huan est mort si mystérieusement, lui qui avait toujours eu envie de ce poignard. » Il écarta les bras pour que le serviteur ôte sa robe. En dépit de sa voix douce, presque chantante, des muscles durs saillaient comme des cordes sur ses bras et sa poitrine lisse, qui était nue jusqu’à une ceinture-écharpe bleue resserrée sur un ample pantalon blanc, lequel paraissait constitué de centaines de plis. Il avait un ton détaché et semblait indifférent aux armes que Rand et ses compagnons avaient en main. « Et maintenant trouver des inconnus avec non seulement le poignard mais aussi le Cor. Il me sera agréable de tuer un ou deux d’entre vous, puisque vous avez troublé ma matinée. Ceux qui survivront me raconteront ce que vous êtes et pourquoi vous êtes venus. » Il tendit une main sans tourner la tête – l’homme à l’épée au fourreau en déposa la poignée dans cette main – et dégaina la lourde lame courbe. « Je ne voudrais pas que le Cor soit endommagé. »

Turak ne donna pas d’autre signal, mais un des guerriers s’avança à grands pas dans la salle et s’apprêta à prendre le Cor. Rand ne savait pas s’il devait ou non rire. L’homme avait une cuirasse mais son expression arrogante disait apparemment qu’il ne se préoccupait pas plus de leurs armes que Turak.

Mat mit un terme à cette insouciance. Comme le Seanchan allongeait la main, Mat y plongea le poignard au manche orné d’un rubis. Poussant un juron, le guerrier recula d’un bond. Puis il cria. Ce cri glaça la salle, figea d’étonnement tous les assistants. La main tremblante qu’il levait devant son visage devenait noire ; cette teinte sombre partait de l’entaille saignante qui traversait sa paume. Il ouvrit tout grand la bouche d’où jaillit un hurlement tandis qu’il griffait son bras, puis son épaule. Lançant des coups de pied, se démenant, il s’écroula par terre, se débattit sur le tapis de soie, hurlant jusqu’à ce que sa langue noire gonflée l’étouffé tandis que sa face prenait une teinte d’ébène et que ses yeux noircis saillaient comme des prunes trop mûres. Il se contracta, suffoqua, tambourina des talons, puis cessa de remuer. Tout ce qui était visible de sa chair était pareil à de la poix putride et paraissait prêt à éclater au moindre contact.

Mat s’humecta les lèvres et déglutit ; sa prise se raffermit avec malaise sur le poignard. Même Turak regardait, ébahi.

« Vous voyez, dit Ingtar à mi-voix, nous sommes plutôt coriaces. » Soudain, il sauta par-dessus le cadavre vers les guerriers toujours stupéfiés par ce qui restait de l’homme encore côte à côte avec eux quelques secondes plus tôt. « Shinowa ! cria-t-il. Suivez-moi ! » Hurin bondit après lui, les guerriers reculèrent devant leur assaut et l’acier cliqueta contre l’acier.

Les Seanchans à l’autre bout de la pièce s’avancèrent dès qu’Ingtar bougea, mais alors eux aussi se mirent à reculer devant les coups de pointe assénés par le poignard de Mat encore plus que devant la hache que faisait tournoyer Perrin en poussant des grondements inarticulés.

Le temps de quelques battements de cœur et Rand se retrouva seul face à Turak qui tenait son épée à la verticale devant lui. La stupeur de Turak s’était dissipée. Ses yeux regardaient fixement Rand ; le corps noirci et distendu d’un de ses soldats aurait aussi bien pu ne pas exister. Ce cadavre n’existait apparemment pas non plus pour les deux serviteurs ; de même que Rand et son épée ou le fracas des combats qui s’affaiblissait à mesure que ceux-ci se poursuivaient de salle en salle de chaque côté jusqu’au cœur de la maison. Les serviteurs avaient commencé calmement à plier la robe de Turak dès que le Puissant Seigneur avait pris son épée et n’avaient même pas levé les yeux aux cris perçants du guerrier mourant ; à présent, ils étaient agenouillés près de la porte et regardaient d’un air impassible.

« Je me doutais que cela tournerait à l’affrontement entre vous et moi. » Turak fit tourner en cercle sa lame avec aisance dans un sens puis dans l’autre, ses doigts aux ongles démesurés se déplaçant d’un mouvement délicat sur la poignée. Ses ongles ne semblaient nullement le gêner. « Vous êtes jeune. Voyons ce qui est requis pour mériter le héron sur ce bord-ci de l’océan. »

Soudain Rand vit. Dressé sur la lame de Turak, il y avait un héron. Avec le peu d’entraînement qu’il avait eu, il se trouvait en face d’un vrai maître en fait d’armes. Il jeta hâtivement de côté sa pelisse pour se débarrasser de ce qui pouvait l’alourdir ou l’encombrer. Turak attendit.

Rand brûlait d’envie de rechercher le vide. C’était manifeste qu’il aurait besoin de toutes les ressources les plus intimes de son habileté et, même ainsi, ses chances de quitter vivant la salle étaient minces. Qu’il en sorte vivant était impératif. Egwene se trouvait presque assez près pour qu’elle l’entende appeler, et il devait se débrouiller pour la libérer. Seulement le saidin attendait dans le vide. Cette pensée faisait à la fois bondir son cœur d’un désir ardent et se crisper de dégoût son estomac. Par contre, aussi près qu’Egwene, il y avait ces autres femmes. Les damanes. S’il entrait en contact avec le saidin et s’il ne parvenait pas à s’empêcher de canaliser, elles le sentiraient. Vérine l’avait prévenu. Elles le sentiraient et se poseraient des questions. Tellement nombreuses, tellement proches. Il ne survivrait peut-être à Turak que pour mourir en affrontant les damanes et il ne pouvait pas mourir avant qu’Egwene soit libre. Rand leva son épée.

Turak s’avança sur lui à pas silencieux. Lame contre lame résonnèrent comme un marteau sur l’enclume.

Dès le début, il fut clair pour Rand que l’autre le testait, ne le pressait que juste assez pour vérifier de quoi il était capable, le pressant ensuite un peu plus fort, puis encore un peu plus. C’est la vitesse de ses jeux de poignet et de jambes qui maintint en vie Rand autant que sa technique. Sans le vide, il était toujours en retard d’un demi-battement de cœur. La pointe de la lourde épée de Turak creusa une tranchée cuisante juste sous son œil gauche. Un morceau de manche pendait de son épaule, d’autant plus foncé qu’il était trempé de sang. Sous son bras droit, au-dessous d’une coupure franche, aussi précise qu’un coup de ciseaux de tailleur, il sentait une humidité tiède couler le long de ses côtes.

De la déception se lisait sur le visage du Puissant Seigneur. Il recula avec un geste de dégoût. « Où avez-vous ramassé cette lame, gamin ? Ou accorde-t-on vraiment ici le héron à ceux qui ne sont pas plus habiles que vous ? Peu importe. Mettez-vous en règle avec vous-même. Il est temps de mourir. » Il repassa à l’attaque.

Le vide enveloppa Rand. Le saidin affluait vers lui, rayonnant de la promesse du Pouvoir Unique, mais il n’y prêta pas attention. Ce n’était pas plus difficile que de ne pas tenir compte d’une épine aux piquants acérés lui vrillant la chair. Il refusa de laisser le Pouvoir l’envahir, refusa de s’unir à la partie masculine de la Vraie Source. Il ne faisait plus qu’un avec l’épée dans ses mains, avec le sol sous ses pieds, avec les murs. Avec Turak.

Il reconnut les assauts que le Puissant Seigneur lui destinait ; ils étaient légèrement différents de ce qui lui avait été enseigné, mais la différence était négligeable. L’Hirondelle-prend-son-vol para Couper-la-soie. La-Lune-sur-l’eau contra les Danses-du-Grand-Tétras. Le Ruban-volant-dans-les-airs détourna les Pierres-tombant-de-la-falaise. Ils se déplaçaient dans la salle comme pour une danse, et leur musique était le choc de l’acier contre l’acier.

Déception et dégoût disparurent des yeux noirs de Turak, remplacés par la surprise, puis la concentration. De la sueur apparut sur le visage du Puissant Seigneur comme il pressait Rand plus furieusement. L’Eclair-triplement-fourchu rencontra la Feuille-au-vent.

Les pensées de Rand planaient hors du vide, indépendantes de lui-même, à peine prises en compte. Ce n’était pas suffisant. Il affrontait un maître ès armes et, avec le vide et les moindres ressources de sa technique, il réussissait bien juste à lui tenir tête. Bien juste. Il devait en terminer avant que Turak ne s’en charge finalement. Le saidin ? Non ! Parfois il est nécessaire de prendre sa propre chair comme fourreau pour son épée. D’autre part, cela ne serait d’aucune aide non plus pour Egwene. Il devait en finir à présent. Tout de suite.

Les yeux de Turak s’écarquillèrent quand Rand s’élança d’un pas léger. Jusqu’à présent, il était resté simplement sur la défensive ; maintenant, il attaquait à fond. Le Sanglier-dévale-la-pente-de-la-montagne. Chaque mouvement de son épée était destiné à atteindre le Puissant Seigneur ; Turak en fut dès lors réduit à reculer en se défendant, d’un bout à l’autre de la salle, presque jusqu’au seuil de la porte.

En une seconde, tandis que Turak tentait encore d’affronter le Sanglier, Rand chargea. Le-Fleuve-sape-la-berge. Il se laissa choir sur un genou, sa lame frappant de taille. Il entendit deux bruits sourds, sachant ce qu’il verrait. Son regard fila le long de sa lame, humide et rougie, vers l’endroit où gisait le Puissant Seigneur, son arme échappée par sa main sans force, une humidité sombre tachant les oiseaux tissés dans le tapis sous son corps. Les yeux de Turak étaient encore ouverts mais déjà voilés par la mort.

Le vide trembla. Rand avait affronté auparavant des Trollocs, affronté l’engeance de l’Ombre. Jamais auparavant il n’avait affronté un être humain avec une épée en dehors d’exercices d’escrime ou de manœuvres d’intimidation. Je viens de tuer un homme. Le vide trembla et le saidin tenta de s’infiltrer en lui.

Avec l’énergie du désespoir, il s’en arracha, haletant, et jeta un coup d’œil à la ronde. Il sursauta quand il vit les deux serviteurs toujours agenouillés près de la porte. Il les avait oubliés et maintenant il se demandait que décider à leur sujet. Ni l’un ni l’autre ne semblait armé, pourtant il leur suffisait d’appeler au secours…

Ils ne le regardaient pas, ne se regardaient pas entre eux, ils contemplaient en silence le corps du Puissant Seigneur. Ils extirpèrent un poignard de dessous leur tunique et Rand resserra sa prise sur son épée, mais chaque homme plaça la pointe sur sa propre poitrine. « De la naissance à la mort, je sers le Sang », entonnèrent-ils à l’unisson. Et ils plongèrent le poignard dans leur cœur. Ils s’affaissèrent en avant presque paisiblement, la tête sur le sol, comme s’ils saluaient cérémonieusement leur seigneur.

Rand les considéra d’un œil incrédule. De la folie, pensa-t-il. Peut-être deviendrai-je fou, mais eux l’étaient déjà.

Il se redressait en chancelant quand Ingtar et les autres revinrent au pas de course. Tous portaient des estafilades et des coupures ; le cuir du vêtement d’Ingtar était taché en plus d’une place. Mat avait toujours le Cor et son poignard, dont la lame était plus foncée que le rubis ornant son manche. La hache de Perrin était rougie, elle aussi, et il avait l’air sur le point de vomir.

« Vous les avez liquidés ? dit Ingtar en examinant les cadavres. Alors nous en avons fini, si l’alarme n’a pas été donnée. Ces imbéciles n’ont pas appelé encore à l’aide. Pas une fois.

— Je vais voir si les gardes ont entendu quelque chose », dit Hurin, qui s’élança vers la fenêtre.

Mat secoua la tête. « Rand, ces gens sont cinglés. J’admets que je l’ai déjà dit, mais c’est vrai. Ces domestiques… » Rand retint son souffle, se demandant s’ils s’étaient tous suicidés. Mat reprit : « Chaque fois qu’ils nous ont vus combattre, ils sont tombés à genoux, se sont placés face contre terre et ont croisé les bras par-dessus leur tête. Ils n’ont pas esquissé un mouvement ni crié ; jamais essayé de prêter secours aux soldats ou de donner l’alarme. Ils sont encore là-bas, pour autant que je sache.

— Je ne compterais pas trop qu’ils restent agenouillés, rétorqua sèchement Ingtar. Nous partons maintenant, aussi vite que nous pouvons.

— Partez, vous, dit Rand. Egwene…

— Imbécile ! répliqua Ingtar avec brusquerie. Nous avons ce pour quoi nous sommes venus. Le Cor de Valère. L’espoir du salut. Quelle importance a une jeune fille, même si vous l’aimez, à côté du Cor et de ce qu’il représente ?

— Le Ténébreux peut l’avoir, le Cor, je m’en fiche ! Quelle importance a la découverte du Cor si j’abandonne Egwene à cette vie-là ? Si je le faisais, le Cor ne pourrait pas me sauver. Le Créateur ne pourrait pas me sauver. Je me damnerais moi-même. »

Ingtar le dévisagea, l’expression impénétrable. « Vous le pensez sincèrement, hein ?

— Il se passe quelque chose au-dehors, s’exclama Hurin d’une voix pressante. Un homme vient d’arriver en courant et ils s’agitent tous dans tous les sens comme des poissons dans un baquet. Attendez. L’officier entre dans la maison !

— Filez ! » ordonna Ingtar. Il voulut saisir le Cor, mais Mat s’était déjà élancé. Rand hésita. Ingtar l’empoigna alors par le bras et l’entraîna dans le couloir. Les autres se précipitaient derrière Mat ; Perrin avait seulement adressé à Rand un regard peiné avant de se mettre en route. « Vous ne sauverez pas cette jeune fille si vous restez là et que vous mourez ! »

Il les suivit en courant. Une part de lui-même se haïssait pour cette fuite, mais une autre murmurait : Je reviendrai. Je me débrouillerai pour la libérer.

Quand ils arrivèrent au bas de l’étroit escalier en colimaçon, il entendit la voix de basse-taille d’un homme dans la partie de devant de la maison qui ordonnait que quelqu’un se lève et parle. Une servante en tunique quasi transparente était agenouillée au pied de l’escalier et une femme aux cheveux gris entièrement vêtue de lainage blanc, avec un long tablier couvert de farine, était agenouillée près de la porte de la cuisine. L’une et l’autre étaient exactement comme Mat l’avait décrit, le visage à plat par terre et les bras entourant la tête ; elles ne bronchèrent pas quand Rand et ses compagnons passèrent précipitamment devant elles. Il fut soulagé de voir les frémissements provoqués par la respiration.

Ils traversèrent le jardin à fond de train et escaladèrent vivement le mur de derrière. Ingtar poussa un juron quand Mat jeta le Cor de Valère de l’autre côté et il tenta encore de le récupérer lorsqu’il prit pied dans la ruelle, mais Mat l’avait déjà ramassé d’un geste preste avec un rapide : « Il n’a même pas une égratignure » et avait détalé.

D’autres clameurs jaillissaient de la maison qu’ils venaient de quitter ; une femme hurla et quelqu’un commença à frapper un gong.

Je retournerai la chercher. Je m’arrangerai d’une manière ou d’une autre. Rand se hâta à la suite des autres aussi vite que ses forces le lui permettaient.

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