23 La Mise à l’épreuve

Nynaeve observait avec défiance l’énorme salle, située en profondeur sous la Tour Blanche, et observait avec une égale défiance Sheriam, à côté d’elle. La Maîtresse des Novices avait l’air d’attendre, peut-être même d’être un peu impatiente. Dans les quelques jours qu’elle avait passés à Tar Valon, Nynaeve n’avait vu que sérénité chez les Aes Sedai, et une acceptation souriante des événements quand ils se présentaient.

La salle en forme de dôme avait été creusée dans le sous-sol rocheux de l’île ; la lumière de hautes torchères se reflétait sur des parois lisses de pierre claire. Placée à l’aplomb du centre du dôme, il y avait une chose constituée par trois arcs d’argent arrondis, chacun juste assez grand pour passer dessous, reposant sur un épais cercle d’argent, leurs bases se touchant. Les arcs et l’anneau étaient d’une seule pièce. Nynaeve ne distinguait pas ce qu’il y avait à l’intérieur ; la lumière y vacillait curieusement et son estomac palpitait au même rythme si elle la fixait trop longtemps. À l’endroit où l’arc aboutissait à l’anneau, une Aes Sedai était assise en tailleur sur la pierre nue du sol, contemplant l’édifice argenté. Une autre se tenait non loin de là, à côté d’une table ordinaire sur laquelle il y avait trois coupes d’argent. Dont chacune, Nynaeve le savait – ou du moins le lui avait-on dit – était remplie d’eau pure. Les quatre Aes Sedai portaient leurs châles, de même que Sheriam ; frangé de bleu pour Sheriam, de rouge pour la femme au teint basané postée près de la table, de vert, de blanc et de gris pour les trois autour des arcs. Nynaeve était encore habillée d’une des robes qui lui avaient été données à Fal Dara, vert pâle brodée de petites fleurs blanches.

« D’abord, vous me laissez me regarder les pouces du matin au soir, marmotta Nynaeve, et maintenant il faut se précipiter.

— L’heure n’attend personne, répliqua Sheriam. La Roue tisse comme la Roue le veut et quand elle le veut. La patience est une vertu qui doit être apprise, mais nous devons toutes être prêtes pour un changement instantané. »

Nynaeve s’efforça de ne pas laisser la colère se voir dans son regard. Ce qu’elle avait découvert de plus irritant chez l’Aes Sedai rousse était qu’elle parlait parfois comme si elle citait des dictons même quand ce n’était pas le cas. « Qu’est-ce que c’est que cette chose-là ?

— Un ter’angreal.

Ma foi, cela ne me renseigne pas. Qu’est-ce que cela fait ?

— Les ter’angreals peuvent beaucoup de choses, mon enfant. Comme les angreals et les sa’angreals, ce sont des reliquats de l’Ère des Légendes qui utilisent le Pouvoir Unique, bien qu’ils ne soient pas aussi rares que les deux autres. Alors que certains ter’angreals doivent être mis en action par des Aes Sedai, comme celui-ci, d’autres feront ce qu’ils font simplement en présence de n’importe quelle femme capable de canaliser le Pouvoir. On suppose même qu’il en existe qui fonctionneront pour n’importe qui. Au contraire des angreals et des sa’angreals, ils sont conçus pour accomplir des tâches déterminées. Un autre que nous avons dans la Tour rend les serments inviolables. Quand vous serez élevée au rang de Sœur de plein droit, vous prononcerez vos vœux définitifs la main sur ce ter’angreal. Ne rien dire qui ne soit vrai. Ne pas fabriquer d’arme qui serve à un homme pour en tuer un autre. Ne jamais utiliser le Pouvoir Unique comme arme sauf contre les Amis des Ténèbres ou les suppôts de l’Ombre, ou en dernière extrémité pour défendre votre propre vie, celle de votre Lige ou celle d’une autre Sœur. »

Nynaeve secoua la tête. Cela paraissait s’engager à trop ou trop peu, et elle le dit.

« Il fut un temps où les Aes Sedai n’étaient pas obligées de prêter serment. On savait qui elles étaient et ce qu’elles défendaient, et point n’était besoin de plus. Beaucoup d’entre nous aimeraient qu’il en soit encore ainsi. Mais la Roue tourne et les temps changent. Que nous prêtions ces serments, qu’on nous sache liées, permet aux nations d’avoir affaire à nous sans craindre que nous utilisions notre propre puissance, le Pouvoir Unique, contre elles. Entre les Guerres trolloques et la Guerre des Cent Ans nous avons fait ces choix et c’est à cause d’eux que la Tour Blanche existe encore et que nous pouvons agir de notre mieux contre l’Ombre. » Sheriam prit une profonde aspiration. « Par la Lumière, mon enfant, j’essaie de vous enseigner ce que n’importe quelle autre femme se tenant où vous êtes aurait appris avec le temps. C’est une tâche impossible. Les ter’angreals, voilà ce qui doit vous préoccuper aujourd’hui. Nous ignorons pourquoi ils ont été fabriqués. Nous n’osons utiliser que quelques-uns d’entre eux, et la façon dont nous nous risquons à nous en servir ne ressemble peut-être en rien aux buts qu’avaient en tête leurs créateurs. La plupart, nous avons appris à nos dépens à les éviter. Au fil des temps, elles n’ont pas été rares, les Aes Sedai qui ont été tuées ou qui ont été à jamais privées de leur Don en l’expérimentant. »

Nynaeve frissonna. « Et vous voulez que j’entre dans celui-ci ? » La lumière à l’intérieur des arcades vacillait moins, mais elle n’en voyait pas mieux ce qui était à l’intérieur.

« Nous savons ce que fait celui-ci. Il vous mettra face à face avec vos plus grandes peurs. » Sheriam eut un sourire aimable. « Personne ne vous demandera ce que vous avez affronté ; vous n’avez pas besoin d’en dire davantage que vous ne le désirez. Les peurs de chaque femme lui appartiennent en propre. »

Nynaeve songea vaguement à sa nervosité concernant les araignées, surtout dans le noir, mais elle ne pensait pas que c’était ce que sous-entendait Sheriam. « J’entre simplement par une arcade et je ressors par l’autre ? Trois fois et c’est fini ? »

L’Aes Sedai rajusta son châle d’une secousse irritée des épaules. « Si vous avez envie de réduire la situation à ce point-là, oui, répliqua-t-elle sèchement. En venant ici, je vous ai informée de ce que vous devez connaître concernant la cérémonie, tout ce qu’il est permis d’apprendre au préalable. Si vous vous étiez présentée en novice, vous le sauriez par cœur, mais ne vous tourmentez pas à l’idée de commettre des erreurs. Je vous rafraîchirai la mémoire au cas où ce serait nécessaire. Êtes-vous certaine d’être prête à l’affronter ? Si vous voulez renoncer à présent, je peux encore inscrire votre nom dans le registre des novices.

— Non !

— Très bien donc. Je vais vous dire maintenant deux choses qu’aucune femme n’entend avant d’être dans cette salle. Premièrement, ceci. Une fois que vous commencez, il vous faut persévérer jusqu’à la fin. Refusez de continuer et, quel que soit votre potentiel, vous serez très courtoisement mise à la porte de la Tour avec assez d’argent pour subvenir pendant une année à vos besoins, et il ne vous sera jamais permis de revenir. » Nynaeve ouvrit la bouche pour répliquer qu’elle ne refuserait pas, mais Sheriam lui intima silence d’un geste sec. « Écoutez, puis parlez quand vous saurez quoi dire. Deuxièmement. Chercher, s’efforcer, c’est s’exposer au danger. Vous y serez exposée ici. Des femmes qui sont entrées ne sont jamais ressorties. Quand le ter’angreal a été laissé s’apaiser, elles… n’étaient plus là. Et on ne les a jamais revues. Si vous voulez survivre, il vous faut rester ferme. Hésitez, laissez-vous ébranler et… » Son silence était plus éloquent que n’importe quel mot. « Ceci est votre dernière chance, mon enfant. Vous pouvez repartir maintenant, tout de suite, et j’inscrirai votre nom dans le registre des novices, et vous n’aurez qu’un mauvais point contre vous. Deux fois encore, vous serez autorisée à venir ici et c’est seulement au troisième refus que vous serez refoulée de la Tour. Il n’y a pas de honte à refuser. Beaucoup le font. Moi-même, j’ai été incapable de le faire la première fois où je suis venue ici. Maintenant, vous pouvez parler.

Nynaeve jeta un coup d’œil de côté aux arcades d’argent. La lumière à l’intérieur ne vacillait plus ; elles étaient remplies d’une douce clarté blanche. Pour apprendre ce qu’elle voulait apprendre, elle avait besoin de la liberté qu’avaient les Acceptées de mettre en question, d’étudier seule, sans plus de conseils qu’elle n’en demanderait. Il faut que j’oblige Moiraine à payer pour ce qu’elle nous a fait. Il le faut. « Je suis prête. »

Sheriam s’avança lentement dans la salle. Nynaeve marcha à côté d’elle.

Comme si c’était un signal, la Sœur Rouge prit la parole d’une voix forte, cérémonieuse. « Qui amenez-vous avec vous, ma Sœur ? » Les trois Aes Sedai qui entouraient le ter’angreal n’en détournèrent pas leur attention.

« Quelqu’un qui vient en candidate à l’Acceptation, ma Sœur », répliqua Sheriam tout aussi cérémonieusement.

— Est-elle prête ?

— Elle est prête à renoncer à ce qu’elle était et, allant au-delà de ses peurs, à obtenir l’Acceptation.

— Connaît-elle ses peurs ?

— Elle ne les a jamais affrontées, mais maintenant elle le désire.

— Qu’elle affronte donc ce qu’elle redoute. » Sheriam s’arrêta à deux empans des arcades et Nynaeve l’imita. « Votre robe », chuchota Sheriam sans la regarder.

Les joues de Nynaeve s’empourprèrent à l’idée qu’elle oubliait déjà ce que Sheriam lui avait expliqué en venant de sa chambre. Elle se dépêcha d’ôter ses souliers, ses bas, ses vêtements. Pendant un instant, elle oublia presque les arcades tandis qu’elle pliait ses habits et les déposait soigneusement de côté. Elle plaça avec précaution l’anneau de Lan sous sa robe ; elle ne voulait pas que l’on regarde ça. Puis elle en eut fini, et le ter’angreal était toujours là, attendant toujours.

La pierre était froide sous ses pieds nus et elle fut envahie par la chair de poule, mais elle se tint droite en respirant lentement. Elle ne laisserait voir à personne qu’elle était effrayée.

« La première fois, dit Sheriam, est pour ce qui était. La voie de retour ne se présentera qu’une fois. Soyez ferme. »

Nynaeve hésita. Puis elle s’avança, sous l’arche et dans la clarté. Qui l’entoura, comme si l’air même rayonnait, comme si elle se noyait dans la lumière. La lumière était partout. La lumière était tout.

Nynaeve sursauta en se rendant compte qu’elle était nue, puis elle ouvrit de grands yeux stupéfaits. Elle se trouvait entre deux murs de pierre, deux fois plus hauts qu’elle et lisses, comme poncés. Ses orteils se crispaient sur des dalles de pierre inégales et poussiéreuses. Le ciel au-dessus semblait plat et plombé, bien que sans nuages, et un soleil énorme et rouge planait dans les airs. Dans les deux directions, les murs étaient percés d’ouvertures, des entrées soulignées par de courtes colonnes carrées. Les murs rétrécissaient son champ de vision, mais le sol s’abaissait à partir de l’endroit où elle se tenait, à la fois devant et derrière. Par ces entrées, elle apercevait d’autres murs épais, et des passages entre eux. Elle était dans un labyrinthe gigantesque.

Où suis-je ? Comment y suis-je venue ? Comme une voix différente, une autre pensée survint. La voie de retour ne se présentera qu’une fois.

Elle secoua la tête. « S’il n’y a qu’une sortie, je ne la découvrirai pas en restant là. » Du moins l’air était-il sec et chaud. Elle marmotta : « J’espère que je trouverai des habits avant de rencontrer des gens. »

Elle se souvint confusément d’avoir joué au labyrinthe sur du papier quand elle était enfant ; il y avait une astuce pour découvrir le bon parcours, mais elle était incapable de se rappeler quoi. Tout dans le passé semblait vague, comme si c’était arrivé à quelqu’un d’autre. Suivant le mur de la main, elle se mit en marche, et la poussière se souleva par bouffées sous ses pieds nus.

À la première ouverture dans le mur, elle se retrouva en train de regarder un autre passage que rien apparemment ne différenciait de celui dans lequel elle était déjà. Respirant à fond, elle continua droit devant elle, rencontrant d’autres couloirs qui se ressemblaient tous. Elle parvint bientôt à quelque chose de différent. Son couloir bifurquait. Elle tourna à gauche, et voilà qu’il bifurqua encore. De nouveau, elle prit à gauche. À la troisième bifurcation, la direction de gauche l’amena à un mur sans issue.

Avec résolution, elle revint à la dernière bifurcation et choisit d’aller à droite. Cette fois, c’est quatre tournants à droite qui la firent aboutir à une impasse. Pendant un instant, elle darda un regard furieux sur ce mur. « Comment suis-je venue ici ? s’exclama-t-elle impérieusement. Où se situe cet endroit ? » La voie de retour ne se présentera qu’une fois.

Elle revint encore sur ses pas. Elle était certaine qu’il existait une astuce pour quitter ce labyrinthe. À la dernière fourche, elle prit à gauche, à la suivante à droite. Avec détermination, elle persista. À gauche, puis à droite jusqu’à ce qu’elle parvienne à une bifurcation. À gauche, puis à droite.

Elle avait l’impression que cela donnait des résultats. Du moins avait-elle dépassé cette fois-ci une douzaine de fourches sans aboutir à un mur. Elle atteignit une nouvelle bifurcation.

Du coin de l’œil, elle capta une ombre de mouvement. Quand elle se retourna, il n’y avait que le passage poussiéreux entre deux murs de pierre lisse. Elle s’apprêta à s’engager à gauche… et pivota en entre-voyant un autre mouvement. Il n’y avait rien mais, cette fois, elle en avait la certitude. Derrière elle, il y avait eu quelqu’un. Il y avait quelqu’un. Elle s’élança nerveusement au pas de gymnastique dans la direction opposée.

Sans cesse à présent, juste à la limite de la vision, dans ce passage latéral ou un autre, elle aperçut quelque chose qui bougeait, trop vite pour discerner ce que c’était, disparu avant qu’elle ait pu tourner suffisamment la tête pour bien le voir. Elle se mit à courir. Peu de garçons avaient été capables de la dépasser quand elle était jeune aux Deux Rivières. Les Deux Rivières ? Qu’est-ce que c’est ?

Un homme sortit d’un embranchement devant elle. Ses vêtements sombres avaient l’air moisis, à demi pourris, et il était vieux. Plus vieux que vieux. Sa peau pareille à un parchemin craquelé couvrait trop étroitement son crâne, comme s’il n’y avait pas de chair dessous. Des touffes grêles de cheveux cassants couvraient un cuir chevelu à l’aspect échaudé, et ses yeux étaient tellement enfoncés dans les orbites qu’ils semblaient regarder du fond de deux cavernes.

Elle s’arrêta en dérapant, les dalles de pierre inégales rugueuses sous ses pieds.

« Je suis Aginor, dit-il en souriant, et je suis venu te chercher. »

Le cœur de Nynaeve tenta de bondir hors de sa poitrine. Un des Réprouvés. « Non. Non, c’est impossible !

— Tu es jolie fille, ma belle. Je vais prendre du plaisir avec toi. »

Soudain Nynaeve se rappela qu’elle n’avait pas un fil sur le corps. Avec un petit cri, et un visage cramoisi dont la rougeur n’était qu’en partie causée par la colère, elle s’élança dans la plus proche voie transversale. Un rire saccadé la poursuivit, ainsi que des promesses haletantes de ce qu’il ferait quand il rattraperait, des promesses qui lui retournèrent l’estomac alors même qu’elle n’en entendait qu’une partie.

Elle chercha une sortie avec l’énergie du désespoir, regardant fébrilement autour d’elle en courant, les poings serrés. La voie de retour ne se présentera qu’une fois. Soyez ferme. Il n’y avait rien, seulement encore des détours de ce labyrinthe interminable. Si vite qu’elle courait, les propos immondes résonnaient juste derrière elle. Peu à peu, la frayeur se changea totalement en fureur.

« Qu’il soit brûlé ! s’exclama-t-elle dans un sanglot. Que la Lumière le brûle ! Il n’a pas le droit ! » En elle, Nynaeve sentit un quelque chose qui s’épanouissait, s’ouvrait, se déployait pour accueillir la Lumière.

Les dents découvertes dans un rictus, elle se retourna pour affronter son poursuivant juste au moment où Aginor surgissait, le rire à la bouche, dans un galop titubant.

« Vous n’avez pas le droit ! » Elle brandit le poing dans sa direction, ses doigts s’ouvrant comme si elle lançait quelque chose. Elle ne fut qu’à demi surprise de voir une boule de feu quitter sa main.

La boule explosa contre la poitrine d’Aginor, le renversant sur le sol. Pendant un instant, il y resta étendu, puis il se releva en chancelant. Il ne semblait pas conscient que le devant de son bliaud se consumait lentement. « Tu oses ? Tu oses ! » Il frissonna et de la salive coula le long de son menton.

Brusquement, il y eut des nuages dans le ciel, une avancée menaçante de houle grise et noire. Un éclair jaillit de la nuée, droit vers le cœur de Nynaeve.

Elle eut l’impression, pour la durée d’un battement de cœur, que le temps avait soudain ralenti, comme si ce battement de cœur s’éternisait. Elle sentit le flux en elle – la saidar, indiqua une pensée lointaine – sentit un afflux qui lui répondait dans l’éclair. Et elle détourna la direction de cet afflux. Le temps bondit en avant.

Dans un bruit de tonnerre, l’éclair fracassa la pierre au-dessus de la tête d’Aginor. Les yeux caves du Réprouvé se dilatèrent de surprise et il recula en vacillant. « Tu ne peux pas ! Ce n’est pas possible ! » Il s’éloigna d’un bond, et un éclair tombait à l’endroit où il s’était tenu juste auparavant, la pierre rejaillissant en fontaine de fragments.

Avec une résolution farouche, Nynaeve s’avança vers lui. Et Aginor prit la fuite.

La saidar était un torrent qui la parcourait à toute vitesse. Elle sentait autour d’elle les cailloux et l’air, sentait voler les minuscules parcelles du Pouvoir Unique qui les imprégnaient et agissaient sur eux. Et elle sentait qu’Aginor faisait… quelque chose, lui aussi. Elle en eut l’intuition vague, et très lointaine, comme si c’était quelque chose dont la vraie nature lui resterait toujours incompréhensible mais dont elle voyait les effets autour d’elle et les reconnaissait pour ce qu’ils étaient.

Le sol gronda et se souleva sous ses pieds. Des murs basculèrent devant elle, entassements de pierre destinés à lui barrer le passage. Elle grimpa par-dessus, sans se soucier si les angles tranchants de la pierraille lui entaillaient les mains et les pieds, gardant toujours en vue Aginor. Un vent se leva, soufflant avec fureur contre elle par les couloirs dans un effort pour la jeter à terre, redoublant de violence jusqu’à lui aplatir les joues et forcer ses yeux à larmoyer ; elle inversa le sens du flot et Aginor culbuta le long du couloir comme un arbuste déraciné. Elle agit sur le flux dans la terre, le détourna, et des murs de pierre s’effondrèrent autour d’Aginor, l’encerclant. La foudre tombait où son regard de colère se dardait, frappant autour de lui, et les pierres explosaient toujours plus près. Elle sentait qu’Aginor luttait pour lui renvoyer sa foudre mais, pas à pas, les éclairs éblouissants approchaient du Réprouvé.

Quelque chose miroita sur sa droite, quelque chose que les murs laissaient apparaître maintenant qu’ils s’effondraient.

Nynaeve avait conscience qu’Aginor fléchissait, conscience que ses efforts pour l’abattre devenaient moins puissants et plus fébriles. Pourtant elle savait en quelque sorte qu’il n’avait pas renoncé. Si elle le laissait aller maintenant, il la pourchasserait avec autant d’énergie qu’auparavant, convaincu qu’elle était finalement trop faible pour le vaincre, trop faible pour l’empêcher de disposer d’elle selon sa volonté.

Une arcade d’argent se dressait à l’emplacement des constructions de pierre, un arc rempli d’un doux rayonnement argenté. La voie de retour…

Elle comprit quand le Réprouvé renonça à son attaque, perçut le moment où tous ses efforts pour l’éviter furent abandonnés. Et sa puissance ne suffisait plus, il n’était plus capable de parer ses coups. Maintenant, il était obligé de se rejeter à l’écart pour éviter l’avalanche des gouttes de pierre projetées en l’air par la foudre de Nynaeve, les explosions le précipitant de nouveau sur le sol.

La voie de retour ne se présente qu’une fois. Soyez ferme.

La foudre ne tombait plus. Nynaeve se détourna d’Aginor, qui se débattait pour se relever, et regarda l’arcade. Elle reporta les yeux sur Aginor juste à temps pour le voir ramper par-dessus l’amas de pierres et disparaître. Elle siffla de frustration entre ses dents serrées. Une grande partie du labyrinthe était encore debout, avec cent nouveaux endroits où se cacher dans les ruines qu’elle et le Réprouvé avaient provoquées. Il faudrait du temps pour le retrouver mais, si elle ne le retrouvait pas la première, elle était certaine que lui la trouverait. Ayant récupéré sa pleine force, il la surprendrait quand elle s’y attendrait le moins.

La voie de retour ne se présente qu’une fois.

Saisie de crainte, elle regarda de nouveau et fut soulagée de voir que l’arcade était encore là. Si elle pouvait découvrir rapidement Aginor…

Soyez ferme.

Avec un cri de colère frustrée, elle escalada le monceau de pierre en direction de l’arcade. « Ceux qui sont cause que je suis ici, marmonna-t-elle, je ferai en sorte qu’ils regrettent de ne pas avoir reçu le même traitement qu’Aginor. Je ferai… » Elle passa sous l’arc et la lumière l’enveloppa.

« Je ferai… » Nynaeve sortit de l’arcade et s’arrêta, pour regarder avec surprise. Tout était comme elle se le rappelait – le ter’angreal d’argent, les Aes Sedai, la salle – mais se rappeler lui fut comme de recevoir un coup, car les souvenirs absents reprirent d’assaut leur place dans son esprit.

La Sœur Rouge leva haut une des coupes d’argent et versa un flot de fraîche eau transparente sur la tête de Nynaeve. « Vous êtes lavée et purifiée de tout péché que vous pouvez avoir commis, psalmodia l’Aes Sedai, et de ceux commis contre vous. Vous êtes lavée et purifiée de tout crime que vous avez pu commettre, et de ceux commis contre vous. Vous venez à nous lavée et pure de cœur et d’âme. »

Nynaeve frissonna quand l’eau ruissela le long de son corps et se répandit sur le sol.

Sheriam lui prit le bras avec un sourire soulagé, mais la voix de la Maîtresse des Novices ne laissa pas deviner qu’elle avait été soucieuse. « Vous avez réussi jusqu’ici. Revenir, c’est réussir. Gardez en tête ce qu’est votre but et vous continuerez à réussir. » L’Aes Sedai à la chevelure rousse commença à la conduire autour du ter’angreal vers une autre arcade.

« C’était tellement réel », dit Nynaeve dans un murmure. Elle se souvenait de tout, elle se rappelait avoir canalisé le Pouvoir Unique aussi facilement qu’elle lèverait la main. Elle se rappelait Aginor et les choses que le Réprouvé voulait lui faire. Elle frissonna de nouveau. « Était-ce réel ?

— Personne ne le sait, répliqua Sheriam. Cela paraît réel dans la mémoire, et certaines sont sorties en portant les plaies des blessures qui leur avaient été infligées à l’intérieur. D’autres ont été entaillées jusqu’à l’os et sont revenues sans une marque. Tout est différent chaque fois pour chaque femme qui entre. Les anciens disaient qu’il existe de nombreux mondes. Peut-être ce ter’angreal vous transporte-t-il vers eux. Toutefois, dans ce cas, il le fait selon des règles très strictes pour quelque chose destiné seulement à vous emmener d’un endroit à un autre. Je ne crois pas que ce soit réel. Mais que ce qui se produit soit réel ou non, le danger est aussi réel qu’un couteau qui se plonge dans votre cœur, ne l’oubliez pas.

— J’ai canalisé le Pouvoir. C’était si facile. » Sheriam faillit trébucher. « Ce n’est pas censé être possible. Vous ne devriez même pas vous souvenir que vous êtes capable de canaliser. » Elle examina Nynaeve. « Et pourtant vous êtes indemne. Je sens encore en vous le don, aussi puissant que jamais.

— À vous entendre, c’est dangereux », dit lentement Nynaeve, et Sheriam hésita avant de répondre.

« Il n’est pas jugé nécessaire de donner un conseil, puisque vous êtes censée incapable de vous le rappeler, mais… Ce ter’angreal a été découvert au cours des Guerres trolloques. Nous possédons dans les archives les rapports concernant son examen. La première Sœur qui y a pénétré a été protégée au maximum, étant donné que personne ne savait à quoi il servait. Elle avait conservé ses souvenirs et elle a canalisé le Pouvoir Unique quand elle a été menacée. Et elle est revenue avec ses talents réduits à rien, incapable de canaliser, incapable même de sentir la Vraie Source. La deuxième à entrer avait aussi été protégée et elle aussi a été annihilée de la même façon. La troisième est allée sans protection, ne s’est rien rappelé une fois à l’intérieur et est revenue saine et sauve. C’est une des raisons pour lesquelles nous vous envoyons totalement dépourvue de protection. Nynaeve, il ne faut pas que vous canalisiez de nouveau à l’intérieur du ter’angreal. Je sais qu’il est difficile de se rappeler quoi que ce soit, mais essayez. »

Nynaeve s’éclaircit la gorge. Elle pouvait se souvenir de tout, pouvait se souvenir de ne pas se rappeler. « Je ne canaliserai pas », dit-elle. Si je peux me souvenir de ne pas le faire. Elle réprima une envie de rire nerveuse.

Elles étaient arrivées devant l’arc suivant. La clarté continuait à les emplir tous. Sheriam adressa un dernier regard de mise en garde à Nynaeve et la laissa seule.

« La deuxième fois est pour ce qui est. La voie de retour ne se présentera qu’une fois. Soyez ferme. »

Nynaeve contempla l’arc d’argent étincelant. Qu’y a-t-il dedans, cette fois-ci ? Les autres attendaient, l’observant. Elle avança d’un pas ferme, franchit l’arc et entra dans la lumière.

Nynaeve considéra avec surprise la simple robe marron qu’elle portait, puis sursauta. Pourquoi regardait-elle sa propre robe ? La voie de retour ne se présentera qu’une fois.

Jetant un coup d’œil à la ronde, elle sourit. Elle se tenait au bord du Pré Communal, dans le bourg du Champ d’Emond, avec des maisons coiffées de chaume tout autour de l’Auberge de la Source du Vin droit devant elle. La source du Vin elle-même jaillissait de l’affleurement rocheux qui se dressait dans l’herbe du Pré et l’Eau de la Source s’élançait vers l’est sous les saules le long de l’auberge. Les rues étaient désertes mais, à cette heure de la matinée, la plupart des gens devaient s’occuper de leurs tâches quotidiennes.

Quand elle regarda l’auberge, son sourire s’effaça. Le bâtiment avait un air plus que négligé, son badigeon blanc était défraîchi, un volet battait au vent, le bout pourri d’un chevron apparaissait par un trou dans les tuiles du toit. Qu’est-ce qui arrive à Bran ? Passe-t-il tellement de temps à exercer ses fonctions de Maire qu’il en oublie de prendre soin de son auberge ?

La porte de celle-ci s’ouvrit brusquement, Cenn Buie sortit et s’arrêta net quand il l’aperçut. Le vieux couvreur en chaume était tordu comme une racine de chêne, et le coup d’œil qu’il lui adressa avait un aspect aussi accueillant. « Tiens, vous voilà revenue, hein ? Alors vous feriez aussi bien de repartir. »

Elle fronça les sourcils comme il crachait à ses pieds et lui passait devant d’un pas précipité ; Cenn n’était jamais une personne aimable, mais il se montrait rarement ouvertement grossier. Jamais à son égard, du moins. Jamais face à face avec elle. En le suivant des yeux, elle constata des signes de négligence dans le village entier, du chaume qui aurait dû être réparé, des mauvaises herbes envahissant les courettes. La porte de la maison de Maîtresse al’Caar pendait de guingois à cause d’un gond cassé.

Secouant la tête, Nynaeve entra dans l’auberge. Je vais dire plus que deux mots à Bran à ce sujet.

La salle commune était vide à l’exception d’une femme, dont l’épaisse tresse grisonnante passait par-dessus son épaule. Elle essuyait une table mais à la façon dont elle en fixait le dessus, Nynaeve n’avait pas l’impression qu’elle était à ce qu’elle faisait. La salle semblait poussiéreuse.

« Marine ? »

Marine al’Vere sursauta, une main serrant sa gorge, l’air stupéfaite. Elle paraissait beaucoup plus âgée que dans le souvenir de Nynaeve. Usée. « Nynaeve ? Nynaeve ! Oh, c’est vous. Egwene ? Avez-vous ramené Egwene ? Dites que oui.

— Je… » Nynaeve se frotta le front. Où est Egwene ? Elle avait l’impression qu’elle devrait être capable de s’en souvenir. « Non. Non, je ne l’ai pas ramenée. » La voie de retour ne se présentera qu’une fois.

Maîtresse al’Vere se laissa choir dans un des fauteuils à dossier droit. « J’avais tant espéré. Depuis la mort de Bran…

— Bran est mort ? » Nynaeve avait du mal à le concevoir ; cet homme souriant à la forte carrure, avait toujours semblé du genre à vivre éternellement. « Que n’ai-je été là. »

Marine al’Vere se leva d’un bond et se précipita pour scruter par la fenêtre avec anxiété le Pré Communal et le village. « Si Maléna apprend que vous êtes ici, il y aura des ennuis. Je sais que Cenn s’est empressé d’aller la trouver. C’est lui le Maire, à présent.

— Cenn ? Comment même ces imbéciles ont-ils choisi Cenn ?

— À cause de Maléna. Elle a obligé la totalité des femmes du Cercle à exiger de leurs maris qu’ils votent pour lui. » Marine appuyait presque sa figure contre la vitre tant elle cherchait à distinguer tous les côtés à la fois. « Ces idiots ne parlent jamais à l’avance du nom qu’ils mettront dans l’urne ; je suppose que chacun d’eux pensait être le seul que son épouse avait tanné pour qu’il donne sa voix à Cenn. S’imaginait qu’un unique vote ne ferait pas de différence. Eh bien, ils ont vu le résultat. Nous l’avons tous vu.

— Qui est cette Maléna dont le Cercle des Femmes exécute les ordres ? Je n’ai jamais entendu parler d’elle.

— Elle est de la Colline-au-Guet. C’est la Sage… » Marine se détourna de la fenêtre en se tordant les mains. « Maléna Aylar est la Sagesse, Nynaeve. Comme vous ne reveniez pas… Ô Lumière, j’espère qu’elle ne découvrira pas que vous êtes ici. »

Nynaeve secoua la tête sous le coup de la surprise. « Marine, vous avez peur d’elle. Vous tremblez. Qu’est-ce donc que cette femme ? Pourquoi le Cercle a-t-il choisi quelqu’un comme elle ? »

Maîtresse al’Vere eut un rire amer. « Nous devions être fous. Maléna est venue rendre visite à Mavra Malien la veille du jour où Mavra était contrainte de retourner à la Tranchée-de-Deven et, ce soir-là, des enfants sont tombés malades, alors Maléna est restée pour s’occuper d’eux, puis les moutons ont commencé à crever et Maléna en a pris soin aussi. Cela semblait tout naturel de la choisir, mais… C’est une brute tyrannique, Nynaeve. Elle vous rudoie pour que vous exécutiez ses volontés. Elle ne vous lâche pas jusqu’à ce que vous soyez trop fatiguée pour dire non encore une fois. Et pire. Elle a assommé Alsbet Luhhan. »

Dans l’esprit de Nynaeve surgit l’image d’Alsbet Luhhan et de son mari Haral, le forgeron. Elle était presque aussi grande que lui et solidement bâtie, encore que belle femme. « Alsbet est presque aussi forte que Haral. Je ne peux pas croire…

— Maléna n’est pas grande, mais elle est… elle est violente, Nynaeve. Elle a pourchassé Alsbet à coups de bâton tout autour du Pré et aucun de nous qui étions là n’a eu le courage d’essayer de s’interposer. Quand ils l’ont appris, Bran et Haral ont dit qu’il fallait qu’elle s’en aille, même si c’était de leur part s’immiscer dans les affaires du Cercle des Femmes. Je pense qu’une partie d’entre elles se seraient rangées à cet avis, mais Bran et Haral sont tombés malades l’un et l’autre la même nuit et sont morts à un jour de distance. » Marine se mordit la lèvre et jeta un coup d’œil autour de la salle comme si elle pensait que quelqu’un pouvait s’y cacher. Elle baissa la voix. « Maléna avait préparé des remèdes pour eux. Elle disait que c’était son devoir même s’ils avaient parlé contre elle. J’ai vu… j’ai vu du chanvre gris dans ce qu’elle a emporté avec elle. »

Nynaeve eut un haut-le-corps. « Mais… Êtes-vous sûre. Marine ? Êtes-vous certaine ? » Maîtresse al’Vere hocha la tête, son visage crispé pour retenir ses larmes. « Marine, si vous soupçonniez même seulement cette femme d’avoir empoisonné Bran, qu’est-ce qui vous a empêchée de vous adresser au Cercle ?

— Elle a dit que Bran et Haral ne marchaient pas dans la Lumière, puisqu’ils parlaient de cette façon contre la Sagesse, murmura Marine. Elle a dit que c’est pour cette raison qu’ils étaient morts ; la Lumière les avait abandonnés. Elle n’a que le mot péché à la bouche. Elle a dit que Paet al’Caar avait péché en parlant contre elle après la mort de Bran et de Haral. Il s’était borné à remarquer qu’elle n’avait pas le même don pour Guérir que vous, mais elle a tracé le Croc du Dragon sur sa porte, au moment où tout le monde pouvait la voir le bout de charbon de bois à la main. Les deux garçons de Paet sont morts avant la fin de cette semaine-là – morts comme ça quand leur mère est allée les réveiller. Pauvre Néla. Nous l’avons trouvée qui errait en riant et pleurant en même temps, hurlant que Paet était le Ténébreux et qu’il avait tué ses garçons. Paet s’est pendu le lendemain. » Elle frissonna et sa voix devint si basse que Nynaeve l’entendait à peine. « J’ai quatre filles encore en vie sous mon toit. Vivantes, Nynaeve. Vous me comprenez ? Elles vivent encore et je veux les garder en vie. »

Nynaeve en eut froid jusqu’à la moelle des os. « Marine, vous ne pouvez pas permettre cela. » La voie de retour ne se présentera qu’une fois. Soyez ferme. Elle repoussa cette pensée. « Si le Cercle des Femmes reste uni, vous pouvez vous débarrasser d’elle.

— Nous unir contre Maléna ? » Le rire de Marine ressemblait plutôt à un sanglot. « Nous avons tous peur d’elle. Mais elle s’occupe bien des enfants. Il y en a toujours de malades ces temps-ci, je ne sais pas pourquoi, mais Maléna les traite de son mieux. Presque personne n’était mort de maladie au temps où vous étiez notre Sagesse.

— Marine, écoutez-moi. Ne comprenez-vous pas pourquoi il y a toujours des enfants malades ? Si elle ne peut vous inspirer de crainte, elle s’arrange de façon à ce que vous pensiez avoir besoin d’elle pour les enfants. C’est elle qui provoque ces maladies, Marine. Exactement comme elle s’y est prise pour Bran.

— Elle ne pourrait pas, protesta Marine d’une voix étouffée. Elle ne le voudrait pas. Non, pas envers des petits.

— Si, Marine. » La voie de retour… Nynaeve refoula impitoyablement cette pensée. « Y en a-t-il une dans le Cercle qui n’ait pas peur ? Une qui voudra bien écouter ? »

Marine al’Vere répliqua : « Il n’y en a aucune qui n’ait pas peur, mais Corinne Ayellin écouterait peut-être. Dans ce cas-là, peut-être aussi en ralliera-t-elle deux ou trois autres. Nynaeve, s’il y a suffisamment de membres du Cercle pour s’unir, serez-vous de nouveau notre Sagesse ? Je pense que vous êtes la seule qui ne cédera pas devant Maléna, même si nous avons toutes compris ce qu’elle est. Vous ne la connaissez pas.

— D’accord. » La voie de retour… Non ! Ce sont les gens de mon village ! « Mettez votre manteau et nous irons chez Corinne. »

Marine hésitait à quitter l’auberge et, une fois que Nynaeve l’eut entraînée au-dehors, elle se faufila d’une embrasure de porte à l’autre, l’œil aux aguets, ramassée sur elle-même.

Elles n’étaient même pas encore à mi-chemin de la maison de Corinne Ayellin quand Nynaeve aperçut de l’autre côté du Pré Communal une grande femme maigre avançant à longues enjambées en direction de l’auberge, décapitant au passage les herbes avec une grosse baguette de saule. Si osseuse qu’elle fût, elle avait un air de force nerveuse et une bouche rigide pareille à une fente entaillée au couteau, ses lèvres minces pincées par la détermination. Cenn Buie trottinait à sa suite.

« Maléna. » Marine tira Nynaeve dans l’espace entre deux maisons et chuchota comme si elle avait peur que cette femme l’entende de l’autre côté de la place. « J’étais sûre que Cenn Buie irait la prévenir. »

Quelque chose incita Nynaeve à regarder par-dessus son épaule. Derrière elle se dressait une arche d’argent, allant d’une maison à l’autre, luisant d’une clarté blanche. La voie de retour ne se présentera qu’une fois. Soyez ferme.

Marine poussa un cri étouffé. « Elle nous a vues. Que la Lumière nous vienne en aide, elle vient par ici ! »

La grande femme avait obliqué à travers le Pré Communal, laissant Cenn Buie sur place, hésitant. Il n’y avait aucune incertitude sur la face de Maléna, elle marchait lentement, comme s’il n’y avait aucun espoir de lui échapper, avec un sourire cruel qui allait croissant à chaque pas.

Marine saisit Nynaeve par la manche. « Il faut nous enfuir. Il faut nous cacher. Venez, Nynaeve. Cenn lui aura dit qui vous êtes. Elle déteste même qu’on parle de vous. »

L’arc d’argent attira les yeux de Nynaeve. La voie de retour… Elle secoua la tête, s’efforçant de se rappeler. Ce n’est pas réel. Elle regarda Marine ; de la terreur à l’état pur crispait le visage de l’aubergiste. Tu dois être ferme pour survivre.

« Je vous en prie, Nynaeve. Elle m’a vue avec vous. Elle… m’a… vue ! S’il vous plaît, Nynaeve ! »

Maléna approchait, implacable. Les gens de mon village dont j’ai la charge. L’arc brillait. La voie de retour. Ce n’est pas réel.

Avec un sanglot, Nynaeve dégagea son bras de l’étreinte de Marine et fonça vers la clarté d’argent.

Le hurlement de Marine la poursuivit. « Pour l’amour de la Lumière, Nynaeve, sauvez-moi ! SAUVEZ-MOI ! »

La clarté l’enveloppa.

Le regard fixe, Nynaeve franchit l’arcade en trébuchant, à peine consciente de la salle ou des Aes Sedai. Le dernier cri de Marine retentissait encore à ses oreilles. Elle ne broncha pas quand de l’eau froide lui fut soudain versée sur la tête.

« Vous êtes lavée et purifiée de tout faux orgueil. Vous êtes lavée et purifiée de toute fausse ambition. Vous venez à nous lavée et pure de cœur et d’âme. » Pendant que l’Aes Sedai Rouge reculait, Sheriam vint prendre Nynaeve par le bras.

Celle-ci sursauta, puis se rendit compte de qui il s’agissait. Elle saisit à deux mains le col de la robe de Sheriam. « Dites-moi que ce n’était pas réel. Dites-le-moi !

— C’était pénible ? » Sheriam détacha ses mains comme si elle était habituée à cette réaction. « Cela empire toujours, et la troisième épreuve est la pire.

— J’ai abandonné mon amie… j’ai abandonné les gens de mon village… dans le Gouffre du Destin pour revenir ici. » Je vous en prie, Lumière, faites que ce n’ait pas été réel. Que je n’aie pas réellement… Il faut que je le fasse payer à Moiraine. Il le faut !

« Il y a toujours une raison de ne pas revenir, quelque chose qui vous en empêche ou vous en détourne. Ce ter’angreal tresse des pièges pour vous d’après ce qu’il y a dans votre esprit, il les tresse serrés et solides, plus durs que l’acier et plus redoutables que du poison. Voilà pourquoi nous l’utilisons pour les mises à l’épreuve. Vous devez vouloir être une Aes Sedai plus que n’importe quoi au monde, suffisamment pour affronter n’importe quoi, vous libérer de n’importe quoi pour y parvenir. La Tour Blanche ne peut pas accepter moins. Nous l’exigeons de vous.

— Vous exigez beaucoup. » Nynaeve contempla le troisième arc tandis que l’Aes Sedai à la chevelure rousse la conduisait vers lui. La troisième épreuve est la pire. « J’ai peur », chuchota-t-elle. Que peut-il y avoir de pire que ce que je viens de faire ?

« C’est bien, répliqua Sheriam. Vous cherchez à être une Aes Sedai, à canaliser le Pouvoir Unique. Personne ne devrait envisager cela sans peur ni révérence. La peur vous maintiendra prudente et la prudence vous maintiendra en vie. » Elle fit tourner Nynaeve face à l’arc, mais elle ne recula pas aussitôt. « Personne ne vous force à entrer une troisième fois, mon enfant. »

Nynaeve s’humecta les lèvres. « Si je refuse, vous me mettrez à la porte de la Tour et ne me laisserez jamais revenir. » Sheriam hocha la tête. « Et ceci est le pire. » Sheriam acquiesça de nouveau. Nynaeve respira à fond. « Je suis prête.

— La troisième fois, psalmodia Sheriam solennellement, est pour ce qui sera. La voie de retour ne se présentera qu’une fois. Soyez ferme. »

Nynaeve se précipita vers l’arche en courant.

Rieuse, elle courait au sommet de la colline parmi les tourbillons de papillons qui s’envolaient des fleurs champêtres recouvrant la prairie d’un tapis de couleurs lui montant jusqu’aux genoux. Sa jument grise dansait nerveusement, les rênes pendantes, à la lisière de la prairie et Nynaeve cessa de courir pour ne pas l’effrayer davantage. Quelques-uns des papillons se posèrent sur sa robe, sur des fleurs que dessinaient des broderies et des semences de perles ou voletèrent autour des saphirs et des pierres de lune dans ses cheveux qui tombaient librement sur ses épaules.

Au-dessous de la colline, le collier des Mille Lacs se déployait à travers la cité de Malkier et reflétait les Sept Tours dressées jusqu’aux nuages, avec des étendards où figurait la Grue Dorée qui flottaient à leur sommet dans les voiles de brume. La voie de retour ne se présentera qu’une fois. Soyez ferme.

Un bruit de sabots la fit se retourner.

Al’Lan Mandragoran, Roi de Malkier, sauta à bas de son destrier et s’avança vers elle d’un pas tranquille au milieu des papillons en riant. Son visage donnait l’impression d’un homme dur, mais les sourires qu’il arborait pour elle adoucissaient les méplats de pierre.

Elle le contempla bouche bée sous le coup de la surprise quand il l’enlaça et l’embrassa. Pendant un instant, elle se cramponna à lui, éperdue, lui rendant son baiser. Ses pieds se balançaient au-dessus du sol et cela lui était complètement égal.

Soudain, elle le repoussa, recula son visage. « Non. » Elle l’écarta avec plus de vigueur. « Lâchez-moi. Posez-moi par terre. » Perplexe, il l’abaissa jusqu’à ce que ses pieds touchent le sol ; elle s’écarta. « Pas ça, dit-elle. Je ne peux pas affronter ça. Tout sauf ça. » Je vous en prie, laissez-moi affronter de nouveau Aginor. Sa mémoire bouillonna. Aginor ? Elle ne savait pas d’où lui était venue cette pensée. Ses souvenirs vacillaient et basculaient, des fragments agités comme de la glace rompue sur une rivière en crue. Elle tenta d’agripper ces fragments, tenta d’attraper quelque chose à quoi se raccrocher.

« Te sens-tu bien, mon amour ? » questionna Lan d’un ton soucieux.

— Ne m’appelez pas comme ça ! Je ne suis pas votre amour ! Je ne peux pas vous épouser ! »

Il la stupéfia en rejetant la tête en arrière pour éclater de rire. « Impliquer à t’entendre que nous ne sommes pas mariés risque de bouleverser nos enfants, chère épouse. Et comment ne serais-tu pas mon amour ? Je n’en ai pas d’autre et n’en aurai pas d’autre.

— Il faut que je reparte. » Avec désespoir, elle chercha du regard l’arcade, ne trouva que le ciel et la prairie. Plus dur que l’acier et plus mortel que le poison. Lan. Les bébés de Lan. Ô Lumière, aide-moi ! « Il faut que je reparte maintenant.

— Repartir ? Pour où ? Pour le Champ d’Emond ? Si tu le désires. J’enverrai un courrier à Morgase et commanderai une escorte.

— Seule », marmonna-t-elle, cherchant toujours. Où est cette arcade ? Il faut que je m’en aille. « Je ne veux pas m’engager là-dedans, je ne pourrais pas le supporter. Pas ça. Il faut que je parte tout de suite !

— Engager dans quoi, Nynaeve ? Qu’est-ce que tu ne pourrais pas supporter ? Non, Nynaeve. Tu peux te promener ici seule à cheval autant que le cœur t’en dit mais, si la Reine des Malkieri arrivait à Andor sans escorte convenable, Morgase serait scandalisée ou même offensée. Tu ne souhaites pas l’offenser, n’est-ce pas ? Je croyais que vous deux étiez amies. »

Nynaeve eut l’impression d’avoir reçu des coups sur la tête, coup après coup étourdissant. « Reine ? répéta-t-elle d’une voix hésitante. Nous avons des bébés ?

— Es-tu certaine de te sentir bien ? Mieux vaudrait que je te conduise à Sharina Sedai, je crois.

— Non. » Elle s’écarta de nouveau de lui. « Pas d’Aes Sedai. » Ce n’est pas réel. Je ne m’y laisserai pas entraîner, cette fois-ci. Pas question !

« Très bien, dit-il avec lenteur. Étant mon épouse, comment pourrais-tu ne pas être Reine ? Nous sommes des Malkieri, ici, pas des gens du Sud. Tu as été couronnée dans les Sept Tours en même temps que nous avons échangé nos alliances. » Machinalement, il avança sa main gauche ; un anneau d’or tout simple entourait son doigt. Elle jeta un coup d’œil à sa propre main, à l’anneau qu’elle savait devoir y être ; elle plaqua l’autre main dessus, mais était-ce pour nier sa présence ou pour le tenir elle n’aurait pas su le dire. « Te rappelles-tu, à présent ? » poursuivit Lan. Il allongea la main comme pour lui caresser la joue et elle recula encore de six pas. Il soupira. « À ta guise, mon amour. Nous avons trois enfants, bien qu’un seul puisse être véridiquement qualifié de bébé. Marie arrive presque à ton épaule et se demande ce qu’il préfère, des chevaux ou des livres. Elnore a déjà commencé à s’exercer à tourner la tête des garçons, quand elle ne harcèle pas Sherina pour savoir quand elle aura l’âge d’aller à la Tour Blanche.

— Elnore était le nom de ma mère, remarqua-t-elle à mi-voix.

— C’est ce que tu as dit quand tu l’as choisi. Nynaeve…

— Non, je ne me laisserai pas engager cette fois-ci. Pas dans ça. Je m’y refuse ! » Derrière lui, au milieu des arbres à côté de la prairie, elle vit l’arche d’argent. Les arbres l’avaient cachée auparavant. La voie de retour ne se présentera qu’une fois. Elle se tourna vers l’arche. « Il faut que je m’en aille. » Il lui saisit la main et ce fut comme si ses pieds s’étaient enracinés dans de la pierre ; elle fut incapable de s’éloigner.

« Je ne sais pas ce qui te chagrine, mon épouse, mais quel que soit ce dont il s’agit, explique-le-moi et j’y mettrai bon ordre. Je sais que je ne suis pas le meilleur des maris. J’étais tout arêtes dures quand je t’ai rencontrée, mais tu en as au moins adouci quelques-unes.

— Tu es le meilleur des maris », murmura-t-elle. À sa grande détresse, elle fut horrifiée de se retrouver en train de se souvenir de lui en mari, de se rappeler rires et larmes, discussions âpres et douces réconciliations. C’étaient des souvenirs vagues, mais elle les sentait grandir, se vivifier. « Je ne peux pas. » L’arche était là, à quelques pas seulement. La voie de retour ne se présentera qu’une fois. Soyez ferme.

« Je ne sais pas ce qui se passe, Nynaeve, mais j’ai comme l’impression d’être en train de te perdre. Je ne pourrais pas le supporter. » Il plaça sa main dans les cheveux de Nynaeve ; fermant les yeux, elle pressa sa joue contre les doigts de Lan. « Reste avec moi, toujours.

— Je désire rester, dit-elle tout bas. Je désire rester avec toi. » Quand elle rouvrit les paupières, l’arche avait disparu… ne se présentera qu’une fois. « Non. Non ! »

Lan la tourna face à lui. « Qu’est-ce qui te tourmente ? Il faut me le dire pour que je puisse t’aider.

— Ceci n’est pas réel.

— Pas réel ? Avant que je fasse ta connaissance, je pensais que rien n’était réel en dehors de l’épée. Regarde autour de toi, Nynaeve. C’est bien réel. Ce que tu désires être réel, nous pouvons le rendre tel ensemble, toi et moi. »

Avec étonnement, elle regarda autour d’elle. La prairie était toujours là. Les Sept Tours se dressaient toujours au-dessus des Mille Lacs. L’arche avait disparu, mais rien d’autre n’avait changé. Je pourrais rester ici. Avec Lan. Rien n’a changé. Ses pensées prirent un tour différent. Rien n’a changé. Egwene est seule à la Tour Blanche. Rand canalisera le Pouvoir et deviendra fou. Et qu’adviendra-t-il de Mat et de Perrin ? Peuvent-ils reprendre une bribe de leur ancienne existence ? Et Moiraine, qui a bouleversé notre vie à tous, est encore libre comme l’air.

« Il faut que je retourne », murmura-t-elle. Incapable de supporter le chagrin qu’exprimait le visage de Lan, elle se dégagea. Délibérément, elle forma dans son esprit un bouton de fleur, un bouton blanc sur une branche de prunellier. Elle en fit les épines pointues et cruelles, désireuse qu’elles puissent transpercer sa chair, ressentant ces épines comme si elle était déjà captive entre les branches de l’arbrisseau qui en étaient hérissées. La voix de Sheriam Sedai vibra à la limite de l’audible, lui expliquant qu’il y avait danger à tenter de canaliser le Pouvoir. Le bouton de fleur s’ouvrit, et la saidar emplit Nynaeve de lumière.

« Nynaeve, dis-moi ce qui se passe. »

La voix de Lan s’infiltra dans sa concentration ; Nynaeve refusa de se laisser l’entendre. Il devait bien subsister encore une voie de retraite. Le regard fixé sur l’endroit où l’arche d’argent était apparue, elle s’efforça d’en trouver une trace. Il n’y avait rien. « Nynaeve… »

Elle tenta de se représenter l’arche en esprit, de la dessiner et façonner jusqu’au moindre détail, courbe de métal luisant emplie d’une clarté pareille à un feu neigeux. L’arche parut vaciller devant elle par intermittence, d’abord là entre elle et les arbres puis plus rien, puis de nouveau là.

« … je t’aime… »

Elle attira à elle la saidar, absorba le flot du Pouvoir Unique au point de se demander si elle n’allait pas éclater. Le rayonnement qui l’envahissait, qui brillait autour d’elle, lui blessait les yeux. La chaleur ardente lui donnait l’impression de la consumer. L’arche vacillante s’affermit, se stabilisa, se dressa en son entier devant elle. Le feu et la souffrance semblaient avoir pris possession d’elle ; ses os paraissaient en train de brûler ; son crâne était comme une fournaise rugissante.

« … de tout mon cœur. »

Elle s’élança vers l’arc d’argent, sans se permettre de regarder en arrière. Elle avait cru que ce qu’elle entendrait jamais de plus poignant était l’amer appel au secours de Marine al’Vere quand elle l’avait abandonnée à son sort, mais c’était du miel en comparaison de l’accent angoissé de la voix de Lan qui résonnait derrière elle. « Nynaeve, je t’en prie, ne me quitte pas. »

La brillance blanche la consuma.

Nue, Nynaeve franchit l’arche en trébuchant et tomba à genoux, sanglotant, la bouche tirée vers le bas, des larmes dévalant le long de ses joues. Sheriam s’agenouilla à côté d’elle. Elle darda un regard furieux sur l’Aes Sedai rousse. « Je vous hais ! réussit-elle à dire farouchement, la gorge serrée. Je déteste toutes les Aes Sedai ! »

Sheriam poussa un petit soupir, puis releva Nynaeve. « Mon enfant, presque toutes les femmes qui en passent par là disent à peu près la même chose. Être obligée d’affronter ses peurs n’est pas une mince épreuve. Qu’est-ce que c’est ? » ajouta-t-elle brusquement en retournant les mains de Nynaeve paumes en l’air.

Les mains de Nynaeve palpitèrent brusquement sous l’effet d’une douleur lancinante qu’elle n’avait pas ressentie avant. Transperçant de part en part la paume de chaque main, juste au centre, il y avait une longue épine noire. Sheriam les extirpa avec précaution ; Nynaeve sentit le frais contact Guérisseur de l’Aes Sedai. Quand chaque épine fut extraite, il ne resta qu’une petite cicatrice sur le dos de la main et dans la paume.

Sheriam fronça les sourcils. « Il ne devrait rester aucune marque. Et comment n’en avez-vous attrapé que deux, et l’une et l’autre à une place aussi identique ? Si vous vous étiez fourvoyée dans une haie de prunelliers, vous devriez être couverte d’égratignures et d’épines.

— Je devrais, acquiesça amèrement Nynaeve. Peut-être ai-je pensé que j’avais déjà suffisamment payé.

— Il y a toujours un prix, convint l’Aes Sedai. Venez, à présent. Vous avez payé le premier prix. Recevez ce pour quoi vous avez payé. » Elle poussa légèrement Nynaeve en avant.

Celle-ci s’aperçut qu’il y avait un plus grand nombre d’Aes Sedai dans la salle. L’Amyrlin portant son étole à rayures était là, des Aes Sedai de chaque Ajah avec leur châle distinctif alignées de part et d’autre d’elle, toutes les yeux fixés sur Nynaeve. Se rappelant les instructions de Sheriam, Nynaeve s’avança en chancelant et s’agenouilla devant l’Amyrlin. C’est elle qui tenait la dernière coupe, et elle la pencha lentement au-dessus de la tête de Nynaeve.

« Vous êtes lavée et purifiée de Nynaeve al’Meara du Champ d’Emond. Vous êtes lavée et purifiée de toutes les attaches qui vous lient au monde. Vous venez à nous lavée et purifiée dans votre cœur et votre âme. Vous êtes Nynaeve al’Meara, Acceptée de la Tour Blanche. » Tendant la coupe à une des Sœurs, l’Amyrlin releva Nynaeve. « Vous êtes désormais irrévocablement des nôtres. »

Les yeux de l’Amyrlin semblaient luire d’un éclat sombre. Le frisson qui parcourut Nynaeve n’avait aucun rapport avec le fait d’être nue et trempée.

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