IV Chants d’oiseaux


Depuis deux bonnes heures, Gontrand attendait dans les couloirs de l’Académie de Musique qu’on vienne le chercher. Il avait posé sa cithare sur un banc et patientait en faisant les cent pas sur le sol dallé de la grande entrée, les mains derrière le dos. Cette absence de ponctualité de la part de professeurs censés lui enseigner – s’il réussissait le dernier entretien – le respect des mesures et des temps le choquait quelque peu !

A son arrivée, cependant, il avait été immédiatement séduit par les longs bâtiments de l’Académie qui s’étendaient à l’orée de la forêt de Tantreval. Les chants des oiseaux semblaient rivaliser avec les gammes des élèves. Ces derniers, pensionnaires ou demi-pensionnaires, suivaient trois jours par semaine la meilleure formation qu’Ys pouvait offrir aux jeunes gens prometteurs.

La musique était en effet une institution dans le pays entier. Chaque village avait son propre orchestre, et tous les jours un bal avait lieu quelque part. Les habitants d’Ys adoraient danser et voir concourir les grands flûtistes et joueurs de cithare lors des joutes musicales. Les parents de Gontrand avaient ainsi acquis une notoriété qui les plaçait aujourd’hui parmi les plus prestigieux musiciens du pays.

Gontrand était le grand ami de Romaric, et l’un des membres de la bande. Un peu trop grand, un peu trop maigre, avec des cheveux noirs soigneusement coiffés et des yeux marron pétillants, il était d’une nature flegmatique qui en faisait un compagnon précieux dans les moments difficiles. Il avait réussi l’exploit de s’enfuir d’une tour maléfique, dans le Monde Incertain, et de gagner l’amitié d’un guerrier barbare, grâce à sa musique. Mais c’était sa performance à la cithare dans le château de Troïl, lors de l’anniversaire d’Urien, qui lui avait valu d’être repéré par l’Académie et admis à passer les examens d’entrée…

– Gontrand de Grum !

Gontrand se retourna : une femme d’âge mûr, vêtue sobrement, l’invita à la suivre. Il prit son instrument et lui emboîta le pas. Elle le conduisit dans une pièce aux murs peints à la chaux qu’éclairaient d’immenses fenêtres. Derrière une table, deux hommes et une femme le dévisagèrent avec attention. La femme referma la porte derrière lui.

– Pose ta cithare et tends tes bras devant toi, les mains bien à plat, lui dit-elle.

Gontrand, un peu surpris, s’exécuta. La femme observa ses doigts puis hocha la tête d’un air satisfait.

– Il ne tremble pas, constata-t-elle. Il ne semble pas sujet à l’anxiété.

Gontrand comprit tout à coup la raison de son attente, dans le couloir ! Mais il n’eut pas le temps de songer aux ruses que déployait la commission d’entrée à l’Académie pour sélectionner ses élèves, car un membre du jury prit la parole.

– Reprends ta cithare, et joue-nous la Ballade des Anciens Jours.

Gontrand s’exécuta et s’appliqua à mettre tous ses sentiments dans l’interprétation du vieil air. Lorsqu’il eut fini, l’examinatrice s’installa au piano et interpréta une mélodie assez complexe.

– Maintenant, chante ce que tu viens d’entendre.

Gontrand chanta et n’oublia pas une note. On lui tendit alors une feuille et un crayon.

– Retranscris ce que je vais jouer, enchaîna la pianiste.

Tout en tirant la langue, le jeune musicien noircit la portée au fur et à mesure de la dictée musicale. Sa tête commençait à bourdonner.

– Prends cet instrument et compose un air de ton choix à partir de ce thème, continua l’examinatrice.

Elle lui tendit une flûte traversière et joua une courte mélodie au piano. Gontrand porta la flûte à ses lèvres et ferma les yeux.

Il régnait un silence absolu dans la grande pièce. Le garçon sentit des gouttes de sueur couler dans son dos. Le vide ! Le vide complet ! Rien ne lui venait… C’était trop bête. Il était si près du but !

Il allait renoncer, quand soudain il entendit deux oiseaux se chamailler en s’envolant d’une des fenêtres.

Leur piaillement aussitôt l’inspira et il eut l’idée de lancer un trille d’introduction. Puis il interpréta, en prenant soin d’utiliser le thème musical que l’examinatrice lui avait imposé, le chant d’oiseau courroucé qu’il avait entendu.

Quand il rouvrit les yeux, il vit que les quatre professeurs avaient quitté leur air sévère et lui souriaient.

– Présente-toi lundi matin à l’administration. Et n’oublie pas ta cithare : les cours commenceront dès l’après-midi.

– Ça veut dire… s’étrangla Gontrand qui n’avait pas imaginé être aussi rapidement fixé sur son sort. Ça veut dire que je suis accepté à l’Académie ?

– Nous prenons chaque année vingt nouveaux élèves, confirma la femme qui l’avait soumis aux épreuves. Tu en fais partie…

Gontrand prit congé et quitta la pièce, abasourdi. Il se laissa tomber sur un banc du couloir, le temps de recouvrer ses esprits. Il imaginait déjà l’accueil triomphal qui l’attendrait à la maison… Mais avant, bien sûr, il enverrait un message par pigeon à Romaric, un autre à Guillemot, et deux autres encore à Ambre et à Coralie, pour leur annoncer la bonne nouvelle !

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