XL Les étoiles, toujours les étoiles…
Malgré la fatigue, Guillemot ne parvenait pas à trouver le sommeil. Ses pensées s’entrechoquaient dans sa tête et lui faisaient mal.
Lorsque Alicia vint l’embrasser, avec une tendresse infinie, il fit semblant de dormir. Elle lui murmura des paroles d’apaisement et d’amour, et lui caressa longuement les cheveux. Guillemot aurait voulu que cet instant dure l’éternité. Il aurait voulu tout oublier, échapper à ses horribles pensées. Mais dans la nuit, le doute ne cessa pas de l’assaillir. Son cœur se remit à battre plus vite, ses poings se serrèrent de nouveau convulsivement, et il garda les yeux grands ouverts dans l’obscurité de sa chambre.
Au bout d’un moment, il finit par se lever. Une fois debout, il se sentit mieux. Vêtu de son pyjama bleu clair, il se dirigea vers la fenêtre et tira les rideaux. Dehors, dans le ciel, les étoiles scintillaient malgré le halo lumineux de la lune. Guillemot ouvrit la fenêtre et emplit ses poumons de l’air frais de la nuit. Il frissonna. Ses yeux cherchèrent les constellations. Il ne savait s’il devait aimer ou haïr ces étoiles qui avaient bouleversé son existence et qui l’entraînaient sur des chemins terribles. Il se sentit plus petit et plus seul que jamais sous l’immensité du ciel.
Comme pour conjurer cette sensation, le visage souriant de Qadehar s’imposa à son esprit. Un grand soulagement l’envahit aussitôt. En même temps qu’un irrépressible sentiment d’affection pour celui qui avait pris une place capitale dans sa vie. C’était peut-être idiot, mais il était intimement persuadé que rien de grave ne pourrait lui arriver tant que Maître Qadehar veillerait sur lui !
Il resta encore un moment dans l’intimité des étoiles avant de se remettre au lit et, gagné par l’épuisement, il sombra dans le sommeil.
Un feu de branches sèches craquait et éclairait de sa lueur vacillante le pan de mur à moitié écroulé qui abritait Urien, Valentin et Qadehar du vent soufflant par rafales. Les trois hommes avaient installé leur bivouac sur un coin de lande, quelque part entre Virdu et la Mer des Brûlures. L’enquête qu’ils menaient depuis plusieurs jours dans le Monde Incertain, et qui les conduisait de ville en village à la recherche d’informations précises sur l’embuscade de Djaghataël, se révélait pour l’instant décevante Mais il était trop tôt pour se décourager. Ils s’étaient nourris en silence de pain, de viande de chèvre séchée et de fromage de brebis, puis ils s’étaient préparés pour la nuit.
Urien, enroulé dans une épaisse fourrure d’ours, dormait déjà. Ses ronflements firent sourire Valentin qui confia à Qadehar :
– Cela faisait longtemps que je n’avais pas eu à supporter ce vacarme !
– Allons, Valentin, arrête de te plaindre. Je suis sûr que ça te manquait.
– Tu as raison. Bon sang, je me sens revivre ! L’odeur d’un bon feu est si grisante ! Et toi, Sorcier, qu’est-ce qui te manque ?
Qadehar ne répondit pas tout de suite. Il laissa son regard se perdre parmi les étoiles, si différentes et si semblables à celles du ciel d’Ys.
– Curieusement, Valentin, finit-il par répondre, ce n’est pas quelque chose, mais quelqu’un qui me manque. Un petit bonhomme qui doit se sentir bien seul face à son destin, là-bas, au Pays d’Ys.
– Tu veux parler de Guillemot ?
– Oui.
– Tu t’es pris d’affection pour ce garçon, n’est-ce pas ?
– Pour tout t’avouer, je n’ai qu’une peur aujourd’hui : celle de le perdre.
– Et pourtant, tu l’as laissé seul…
– Avec ses amis, et sous la protection d’un jeune Sorcier... Mais surtout, j’ai confiance en lui. Guillemot est un Apprenti plein de ressources.
Valentin hésita, puis renonça à poursuivre la conversation. Il sentit bientôt la fatigue le gagner. Il bâilla, se glissa dans sa couverture de laine et se laissa bercer par le léger crépitement des flammes.
Qadehar, quant à lui, resta assis longtemps, les yeux plongés dans l’étendue du firmament.