II Entre cousins
Près de l’entrée, Romaric reconnut, encadrée par deux Chevaliers en armure, une silhouette qui lui était familière : bondissant de joie, il devança le garde et se précipita à sa rencontre.
– Guillemot ! Pas possible ! s’écria-t-il.
– Romaric !
Les cousins tombèrent dans les bras l’un de l’autre, sous le regard amusé d’Ambor et de Bertolen.
– J’aurais dû faire le rapprochement, dit Bertolen à son compagnon. Cet Écuyer s’appelle aussi de Troïl : il ne pouvait qu’être parent avec Guillemot !
– Et le vieil Urien de Troïl, l’ancêtre, celui qui parle fort et qui distribue à tout bout de champ de grandes claques sur l’épaule, c’est aussi un parent ? demanda Ambor.
– C’est notre oncle… répondirent d’une seule voix Guillemot et Romaric en faisant la moue.
– C’était un Chevalier valeureux, intervint le garde. Aujourd’hui, c’est vrai, il est un peu, comment dire...
– Un peu casse-pieds ? suggéra Romaric.
Le garde fronça les sourcils pendant qu’Ambor et Bertolen éclataient de rire.
– Excusez-moi, messire Chevaliers… les interrompit poliment Guillemot. Mais je n’ai pas beaucoup de temps et Romaric et moi avons tellement de choses à nous dire…
– Nous rentrons ce soir à Dashtikazar, dit Bertolen. Nous repartirons dans deux heures. Si tu veux être du voyage…
– Je vous remercie, c’est d’accord ! Je vous attendrai à la porte dans deux heures.
– Viens, Guillemot ! s’impatienta Romaric. Je vais te faire visiter ma nouvelle école !
Il prit son cousin par le bras et l’entraîna vers le banc où il avait laissé ses affaires.
– Waouh ! s’exclama Guillemot en apercevant l’épée dans son fourreau que Romaric ajustait dans son dos, à côté de son sac. C’est de ça dont tu me parlais dans tes lettres ? Eh bien, dis donc, c’est plus impressionnant qu’une sacoche d’Apprenti !
– Oui, mais ça n’est guère plus efficace quand on ne sait pas s’en servir, soupira l’Écuyer.
– Allons, ça ne fait qu’un mois que tu es en écuyage ! l’encouragea Guillemot. Moi, après un mois d’apprentissage, j’étais incapable de retenir dix noms d’herbes, et je croyais qu’un courant tellurique était une maladie.
– Oui, tu as raison, approuva Romaric. Mais dis-moi, comment tu as fait pour convaincre les deux meilleurs Chevaliers de la Confrérie de te servir de nounous ?
– Oh ! répondit Guillemot en haussant les épaules, c’est la rançon de la gloire. J’ai l’impression que ça leur a fait plaisir de prendre soin de moi.
– Je vois… sauf que moi, si c’est aussi la gloire qui m’a conduit ici, personne n’a ce genre d’attentions à mon égard ! grommela Romaric.
– Que veux-tu, c’est l’avantage d’avoir l’air fragile ! se moqua Guillemot. On a envie de me protéger ! Alors que quelqu’un de costaud comme toi, on a plutôt envie de l’affronter et de le mettre à l’épreuve…
– Eh bien, qu’ils rappliquent, les candidats au combat, affirma Romaric en donnant de petits coups de poing dans l’air. Je les attends de pied ferme !
Ils se levèrent et se dirigèrent vers les écuries. Romaric lui présenta les chevaux que les Écuyers avaient le droit de monter pendant l’exercice, puis il l’entraîna devant les boxes de quelques-uns des puissants destriers appartenant aux Chevaliers.
– On reçoit son épée au début de l’écuyage et son cheval à la fin, expliqua-t-il. Si on n’abandonne pas avant ! Auquel cas, on perd tout…
– J’ai confiance en toi, dit Guillemot en caressant le museau d’une jument qui s’appelait Tornade. Je sais que tu feras un Chevalier exceptionnel.
Le visage de Romaric s’illumina.
– Tu… tu as interrogé les Graphèmes ? demanda-t-il. Ils t’ont donné des indications sur mon avenir ?
– Non, mais j’ai reçu assez de coups de ta part pour savoir que tu seras parfait dans le rôle de brute en armure !
– Idiot ! s’exclama Romaric en faisant mine de le frapper.
– Tu vois ? Qu’est-ce que je disais ?
Romaric refréna son envie de pousser son cousin dans la paille. Les deux garçons pouffèrent de rire et quittèrent l’écurie.
Ils se rendirent ensuite dans le dortoir des Écuyers. Chaque élève disposait d’un lit et d’un grand coffre dans lequel il pouvait mettre ses affaires personnelles. Romaric y rangea son épée.
Puis ils allèrent à la bibliothèque, qui était déserte. Guillemot examina attentivement les rayons.
– La plupart des bouquins qui sont ici sont des manuels militaires et de philosophie guerrière, s’excusa Romaric.
– Parce que tu t’imaginais que je m’attendais à trouver dans l’école des Chevaliers des ouvrages sur les fleurs ? s’enquit Guillemot, moqueur. Laisse tomber, Romaric : tu es un Écuyer et tu t’entraînes à la guerre, moi je suis un Apprenti et je m’entraîne à la magie. Tu sais, le Pays d’Ys a besoin de Chevaliers et de Sorciers, comme il a besoin d’électriciens ou de marchands de bonbons. Personne ne nous oblige à être l’un ou l’autre : on choisit. Et si on choisit, on assume son choix.
Romaric considéra son cousin avec étonnement. Comme il avait changé en quelques mois ! Avant, c’était vers lui que Guillemot se tournait lorsqu’il avait besoin d’être rassuré ; aujourd’hui, c’était Guillemot qui le réconfortait…
Ils s’assirent dans les fauteuils de cuir usés par des générations d’Écuyers, autour d’une table basse où étaient étalées des revues d’escrime et d’équitation.
– Tu as des nouvelles des autres ? demanda Romaric.
– Je reçois des lettres d’Ambre…
– Tiens donc ! l’interrompit son cousin avec un clin d’œil. Elle t’a plutôt à la bonne depuis notre voyage dans le Monde Incertain, non ?
– C’est malin ! rétorqua Guillemot. Tu ne me demandes pas plutôt ce qu’elle écrit… et de qui elle parle ? Comme de Coralie, par exemple…
– Touché ! reconnut Romaric, de bonne grâce. Alors, que dit-elle ?
– D’abord, elle a pensé à mon anniversaire, elle !
– Bon, ça va, ça va, se défendit Romaric. Promis, l’année prochaine, je n’oublierai pas. C’est incroyable, quand même, tu as eu treize ans à l’équinoxe et tu te vexes déjà comme l’oncle Urien ! Dis-moi plutôt ce qu’Ambre te raconte d’autre dans ses lettres.
– Qu’elles ont toutes les deux, elle et Coralie, repris l’école à Krakal. Mais en vérité, il ne s’y passe pas grand-chose. Elles attendent avec impatience les vacances de Samain. A propos, se rappela-t-il soudain, figure-toi que j’ai une nouvelle…
– Ça marche toujours pour Samain ? l’interrompit Romaric, que la perspective de la fête rendait fou de joie.
– Oui… Le père d’Ambre et de Coralie est d’accord pour nous prêter son appartement à Dashtikazar. On sera aux premières loges !
– Génial ! Ambre écrit encore autre chose ?
– Elle dit qu’elle fait des rêves bizarres depuis son retour du Monde Incertain.
– Des rêves bizarres ?
– Elle rêve d’une femme aux yeux verts qu’elle ne connaît pas, d’une forêt où elle n’a jamais mis les pieds et de bêtes qui n’existent pas !
– Je vois… dit Romaric, dubitatif. Tu n’as pas plutôt l’impression qu’elle essaie de faire son intéressante ?
– Je ne sais pas. C’est pas son genre… Et puis elle est malade, elle est au lit depuis trois jours ! Tu devrais lui écrire, je suis sûr que ça lui ferait plaisir.
– Trois jours sans bouger ? La pauvre ! Elle doit être invivable ! Mais tu as raison, je vais lui écrire.
– Assez parlé des filles ! trancha soudain Guillemot. Maintenant écoute-moi, j’ai une nouvelle incroyable !
– Oui, oui, je sais…
– Tu sais ? hoqueta Guillemot, interdit.
– Oui, j’ai reçu un message de Gontrand. Il est admis à l’Académie de Musique ! Il doit même y entrer ces jours-ci.
– Il me l’a écrit aussi, confirma Guillemot en laissant échapper un soupir de soulagement.
Son cousin ne savait rien, il allait lui faire une sacrée surprise !
– C’est formidable, reprit-il. Mais ce n’est pas ça la nouvelle incroyable…
– Ah bon ? C’est quoi ?
Au même instant, un groupe d’Écuyers pénétra bruyamment dans la bibliothèque et mit fin à leur conversation. A leur air farouche, Guillemot devina qu’ils n’étaient pas venus pour étudier...