XV Traqué !


De couloir en couloir, Guillemot s’enfonçait profondément dans le cœur du monastère. De sa sacoche, il sortit le plan général des lieux, piraté lors de son premier séjour dans la mémoire centrale de l’ordinateur, voilà trois mois. Dès qu’il avait un doute sur sa position ou sur la direction à prendre, il consultait fébrilement ce plan. Les lichens phosphorescents qui rongeaient par plaques les murs et les plafonds l’éclairaient faiblement.

Les Pierres Bavardes confirmaient et affinaient ses choix. Certaines n’avaient pas été touchées depuis longtemps et il devait d’abord, pour les déchiffrer, ôter la couche de poussière qui les recouvrait. Bien entendu, il essayait de faire le plus de détours possibles pour égarer son poursuivant…

Il entendait des pas, de temps à autre, résonner au loin dans les couloirs. C’était l’homme au manteau rouge qui se rapprochait, il en était certain !

En son for intérieur, il savait qu’il serait difficile de le distancer : dans la cour, il avait vu l’individu former un sortilège d’orientation et de recherche, qui lui était sûrement destiné ! Il devait coûte que coûte maintenir une distance entre lui et l’homme en rouge, et espérer qu’il se lasse, ou que le sortilège se détraque…

Bientôt, Guillemot se retrouva devant un carrefour important. Il fit une pause et consulta le plan : le couloir de gauche remontait directement vers la surface ; celui d’en face menait vers une impasse ; celui de droite conduisait vers d’anciennes mines. S’il devait semer son poursuivant, c’était le moment ou jamais d’essayer !

Il prit le temps de réfléchir à la meilleure façon de procéder. Il s’étonnait d’être capable de tant de sang-froid, alors qu’il jouait sans doute sa vie dans ce jeu de course-poursuite ! Mais les situations d’urgence étaient finalement celles qu’il préférait. Peut-être parce que seule comptait l’action, et que l’action empêchait les questionnements douloureux.

Il commença par sortir de sa sacoche la fausse Pierre Bavarde qui lui avait valu un jour d’être privé de dessert ! Aujourd’hui, elle l’aiderait peut-être à sauver sa vie.

Il mouilla de sa salive les signes qui indiquaient la direction à suivre et les remodela, avant de souffler dessus pour les durcir à nouveau. Il colla la fausse Pierre, indiquant désormais une deuxième impasse sur celle du chemin des mines.

Il prit ensuite le couloir de gauche remontant vers la surface, sur une centaine de mètres, et revint sur ses pas jusqu’au carrefour.

Là, il invoqua Dagaz, le Graphème qui suspendait le temps tout en conférant l’invisibilité mentale lorsqu’on le formulait autrement, et il le stabilisa avec un Mudra.

Puis il s’enfonça dans le couloir de droite, vers les mines.

Peu de temps après, l’homme en rouge s’arrêta au carrefour. La puissance du Lokk d’investigation commençait à faiblir. Il lui indiquait cependant encore clairement que sa proie avait emprunté le couloir de gauche. Il consulta la Pierre Bavarde : le chemin conduisait vers la surface. Le jeune Apprenti n’avait pas dû hésiter longtemps…

L’homme vérifia cependant les destinations qu’offraient les autres couloirs : deux impasses. Il n’hésita pas plus longtemps et foula bientôt de son pas déterminé le chemin qui menait à la surface.

Bientôt Guillemot n’entendit plus aucun bruit derrière lui. Son subterfuge avait réussi ! Il s’affala sur le sol d’une pièce, certainement un ancien entrepôt, à l’époque où les mines étaient exploitées.

Maintenant que la course-poursuite était terminée, il tremblait de tous ses membres. Par réflexe, il essaya d’attraper sous son pull le médaillon en forme de soleil que son père avait laissé pour lui avant de disparaître et qui ne quittait jamais son cou, avant qu’Agathe ne s’en empare. Ce qui avait valu à la voleuse d’être enlevée à sa place par les Gommons. Mais qu’il était stupide, le bijou n’était pas là ! Agathe n’avait pas pu le rendre à l’Apprenti : elle se l’était fait dérober par un soldat de Thunku à son arrivée dans le Monde Incertain. Guillemot aurait tellement eu besoin d’un soutien en ce moment ! Même du soutien d’un père inconnu.

Il lui fallut un moment avant de retrouver son calme. Il grava Dagaz dans la terre avec son Ristir, pour que le Graphème conserve sa puissance. Puis il sortit de sa sacoche la petite bouteille d’eau et les deux pommes qu’il emportait toujours avec lui. Il ne lui restait plus qu’à attendre.

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