Elayne chevauchait lentement au milieu de centaines de tas de cadavres. Des Trollocs comme s’il en pleuvait !
La victoire était acquise. Pour l’heure, toutes les personnes encore capables de marcher cherchaient à repérer les blessés parmi les dépouilles d’humains.
Tellement de morts… Des centaines de milliers de monstres et de soldats, répartis sur la quasi-totalité du champ de Merrilor. En ce jour, les berges de la rivière étaient des abattoirs et le marécage une fosse commune où flottaient des charognes de Trollocs. Devant la jeune reine, de l’autre côté de la rivière, le plateau de Polov tremblait sur ses bases.
Alors qu’elle tenait à peine sur sa selle, Elayne avait fait évacuer la zone. Une judicieuse initiative, puisque le plateau s’écroula, enfouissant les morts.
Tandis que le sol tremblait sous les jambes de son cheval, la jeune reine regarda le spectacle, trop fatiguée pour être impressionnée. Il faudrait…
Lumière !
Bien droite sur sa selle, Elayne sentit qu’un torrent de Pouvoir se déversait en Rand. Oubliant le plateau de Polov, elle se concentra sur le Dragon.
Une sensation de force suprême – la pure beauté du contrôle et de la domination.
Au nord, une lance de lumière zébra le ciel – si brillante qu’Elayne poussa un petit cri.
La fin était là.
Un bras levé pour s’abriter les yeux d’une lumière plus aveuglante que le soleil, Thom recula en clopinant. Cette incroyable lueur venait de jaillir de la Fosse.
Moiraine !
— Lumière…, murmura le trouvère.
Une lance étincelante sortait du sommet du mont Shayol Ghul pour fuser vers le ciel.
Min porta une main à son cœur et s’écarta de la colonne de blessés dont elle changeait les pansements.
Rand, pensa-t-elle en sentant toute la détermination du Dragon. Une émotion douloureuse pour lui…
Très loin au nord, une lance de lumière montait vers les nuages, si brillante qu’elle illumina le champ de Merrilor en dépit de la distance. Les blessés et ceux qui les soignaient durent s’abriter les yeux et vacillèrent sur leurs jambes.
La lumière, telle une véritable lance, transperça les nuages, les dissipant et libérant le ciel.
Aveuglée par la lumière, Aviendha sut aussitôt que cette lance était l’œuvre de Rand.
Ce feu d’artifice l’arracha à l’obscurité et réchauffa son corps affaibli. Il gagnait ! Le Car’a’carn gagnait ! Il était si fort. Désormais, la jeune Matriarche voyait le guerrier qu’il y avait en lui.
À quelques pas de là, Graendal se mit péniblement à genoux, le regard vitreux. Le portail détissé avait explosé, mais beaucoup moins violemment que le précédent. Les flux s’étaient simplement éparpillés – juste au moment où Graendal tentait de tisser sa coercition.
La Rejetée tourna vers Aviendha… un regard plein d’adoration. Puis elle s’inclina, comme si elle vouait un culte à l’Aielle.
L’explosion, comprit Aviendha malgré sa torpeur, avait inversé le tissage de coercition. En toute franchise, le but recherché était la mort de Graendal. Mais quelque chose d’autre s’était produit…
— Gloire Unique, implora la Rejetée, accepte-moi à tes côtés, je t’en prie. Laisse-moi l’honneur de te servir.
Aviendha regarda de nouveau la lumière qui était Rand et retint son souffle.
Un gosse de deux ans dans les bras, Logain sortit des ruines. En larmes, la mère vint reprendre son fils.
— Merci ! Asha’man, que la Lumière te bénisse !
Logain s’arrêta au milieu des survivants. L’air sentait la chair brûlée et la charogne de Trolloc.
— Le plateau a disparu ?
— Écroulé, oui, confirma Androl. Le tremblement de terre…
Logain soupira. Le trophée… Était-il perdu à jamais ? Serait-il possible de le déterrer ?
Je suis un crétin, pensa le chef des Asha’man.
Pourquoi avait-il abandonné un incroyable pouvoir ? Eh bien, afin de sauver des réfugiés – des gens qui se détourneraient de lui et le haïraient à cause de ce qu’il était. Des gens qui…
… le regardaient avec une admiration sans bornes.
Logain fronça les sourcils. C’étaient des femmes et des hommes normaux, pas des « civils » de la Tour Noire habitués aux mâles capables de canaliser. Mais en cet instant précis, il n’aurait pas pu faire la différence.
Stupéfié, Logain regarda les miraculés se masser autour de ses Asha’man, des larmes de gratitude dans les yeux. Des gens aux tempes grisonnantes tenaient la main des hommes en noir, les remerciant d’abondance.
À quelques pas de lui, un jeune type contemplait Logain avec des étoiles dans les yeux. Non, une dizaine de jeunes gens…
Une centaine, plutôt ! Sans une once d’angoisse dans le regard.
— Merci, répéta la jeune mère. Merci beaucoup.
— La Tour Noire est là pour protéger, s’entendit dire Logain. En toutes circonstances.
— Quand il aura l’âge, je t’enverrai mon fils, pour déterminer s’il peut canaliser. S’il a ce don, j’aimerais qu’il se joigne à vous.
Ce don, pas cette malédiction. Un don !
Soudain, le jour fut plus lumineux que depuis des semaines.
Logain tourna la tête vers le nord. Cette lance de lumière… Celui qui la canalisait faisait encore mieux que lors de la purification du saidin. Une incroyable quantité de Pouvoir…
— Nous y voilà, dit Gabrelle en rejoignant Logain.
L’Asha’man tira trois objets de sa bourse. Des disques noir et blanc. Non loin de là, un Asha’man en pleine guérison marqua une pause pour regarder son chef.
— Fais-le, Briseur de Sceaux ! lança Gabrelle.
Logain cassa chaque disque en deux et laissa tomber les morceaux sur le sol.