La réunion terminée, Elayne sortit du pavillon… et se retrouva dans un bosquet d’une bonne dizaine d’arbres. Et pas n’importe lesquels : des vénérables très hauts, resplendissants de santé, magnifiques, avec des branches incroyables. Oui, des géants de cent pieds ou plus dotés de troncs énormes.
La réaction de la souveraine – se pétrifier, bouche bée – aurait été embarrassante si tout le monde n’avait pas eu la même. Du coin de l’œil, Elayne regarda Egwene, qui n’avait pas l’air plus fin qu’elle. Dans le ciel, le soleil brillait toujours, mais ses rayons peinaient à percer la frondaison. Voilà pourquoi la lumière avait baissé…
— Ces arbres…, fit Perrin.
Il avança et posa une main sur l’épaisse écorce d’un tronc.
— J’ai vu des Grands Arbres semblables. Dans un Sanctuaire.
Elayne s’unit à la Source. L’aura du saidar l’enveloppa, et elle se gorgea de Pouvoir. Puis, amusée, elle constata que la plupart des femmes capables de canaliser avaient fait comme elle dès que le mot « Sanctuaire » était sorti des lèvres de Perrin.
— Quoi que soit devenu Rand, dit Egwene en croisant les bras, il ne peut pas faire apparaître un Sanctuaire.
Une idée qui semblait la réconforter…
— Où est-il passé ? demanda Elayne.
— Il est parti par là, fit Perrin avec un geste de la main, et il a disparu.
Des soldats de tous les camps marchaient entre les arbres, les yeux levés. Elayne entendit un brave du Shienar souffler au seigneur Agelmar :
— Nous les avons vus pousser, seigneur. Ils ont jailli de la terre, et il a fallu moins de cinq minutes pour qu’ils atteignent cette taille. Je jure que c’est vrai ! Qu’on m’interdise de dégainer ma lame si je mens.
— Bon, dit Elayne après s’être coupée de la Source, si on commençait ? Des pays sont en feu ! Des cartes, il nous faut des cartes !
Les autres dirigeants se tournèrent vers la jeune reine. Pendant la réunion, en présence du Dragon Réincarné, peu d’entre eux avaient protesté contre sa nomination. Dans le cercle de Rand, les choses se passaient ainsi, car il décidait de tout. Et sur le coup, ça semblait si logique…
À présent, plusieurs monarques semblaient mécontents qu’une jeune femme les commande. Mieux valait ne pas leur laisser le loisir de s’appesantir sur le sujet.
— Dyelin, où est maître Norry ? demanda Elayne. Aurait-il… ?
— J’ai des cartes, Majesté, annonça Gareth Bryne en sortant du pavillon, Siuan à ses côtés.
En pantalon noir et veste blanche, la Flamme de Tar Valon sur la poitrine, le général semblait avoir pris un coup de vieux. Face à Elayne, il s’inclina mais n’approcha pas trop. Comme la main protectrice de Siuan, sur son bras, son uniforme annonçait clairement où allait sa loyauté.
Elayne se souvint de l’avoir vu se tenir derrière Morgase avec la même expression. Toujours sur le qui-vive, pour protéger la reine. Puis cette même reine l’avait éjecté comme un malpropre. Elayne n’y était pour rien, mais elle voyait très bien la méfiance, sur le visage du militaire.
Incapable de changer le passé, elle devait se concentrer sur l’avenir.
— Si tu as des cartes de cette région, seigneur Bryne, avec les champs de bataille potentiels, nous aimerions les voir. Il faudrait aussi des cartes de tout ce qui s’étend entre ici et Caemlyn. Puis une du Kandor, très détaillée, et des autres Terres Frontalières.
Se tournant vers ses pairs, elle continua.
— Réunissez vos officiers et vos conseillers. Nous devons rencontrer les autres grands capitaines pour débattre de notre plan.
Malgré la pagaille inévitable quand une vingtaine de participants travaillaient à la même tâche, les choses furent vite mises en place. Alors que des domestiques relevaient les côtés du pavillon, Elayne ordonna à Sumeko de rameuter toutes les femmes de la Famille. Puis elle chargea des gardes d’aller chercher des tables et des sièges dans son camp – via un portail, bien entendu.
Elle demanda aussi qu’on lui apporte des rapports sur les événements de la brèche de Tarwin, où Rand avait envoyé le gros des troupes frontalières soutenir et secourir Lan.
Préparatifs obligent, les monarques et les grands capitaines n’y étaient pas allés.
En compagnie d’Egwene, Elayne consulta les cartes de Bryne, déjà déroulées sur quatre tables. Se tenant à l’écart, les dirigeants laissaient les militaires converser entre eux.
— Du bon travail, dit le seigneur Agelmar.
Originaire du Shienar, ce héros était l’un des quatre grands capitaines. Les deux derniers – Bashere et Ituralde – se tenaient côte à côte devant une autre table. Ensemble, ils apportaient des corrections à une carte de la partie occidentale des Terres Frontalières. Des poches sous les yeux, Ituralde tremblait parfois un peu. D’après ce qu’avait entendu Elayne, il était sorti vivant, mais à peine, du désastre de Maradon. Un drame qui ne remontait pas à longtemps. À dire vrai, elle n’aurait pas cru le voir ici…
— Bien, nous devons nous battre, récapitula la jeune reine à l’intention de ses pairs. Mais comment ? Et où ?
— Les Créatures des Ténèbres ont déferlé sur Caemlyn, sur le Kandor et sur la brèche de Tarwin. Si nos armées parviennent à aider Lan Mandragoran à tenir la position, il ne faudra surtout pas abandonner la brèche. Notre attaque a probablement forcé les Trollocs à se replier dans le canyon. Pour les empêcher d’en ressortir, la cavalerie du Malkier n’est pas assez puissante. Devons-nous la renforcer avec plusieurs compagnies de piquiers ? Si la brèche tient, nous pourrons envoyer le gros de nos forces combattre en Andor et au Kandor.
Agelmar approuva du chef.
— Oui, c’est jouable, si nous accordons à Dai Shan un soutien suffisant. Mais nous ne pouvons pas permettre que le Shienar subisse le même sort que le Kandor. Si les Trollocs sortent de la brèche…
— Nous sommes prêts à une bataille à grande échelle, dit le roi Easar. La résistance du Kandor et celle de Lan, devant la brèche, nous gagnent le temps dont nous avons besoin. Mes forces se replient dans nos forteresses. Même si la brèche tombe, nous résisterons.
— De vaillants propos, Majesté, dit Gareth Bryne. Mais j’aimerais mieux que nous n’ayons pas à mettre à l’épreuve ainsi la bravoure du Shienar. Prévoyons plutôt de tenir la brèche en lui affectant les forces requises.
— Et Caemlyn ? demanda Elayne.
Ituralde hocha pensivement la tête.
— Une armée ennemie derrière nos lignes, avec une issue des Chemins pour faire venir des renforts… C’est un gros problème.
— Les rapports de ce matin, annonça Elayne, signalent que les monstres ne bougent pas. Ils ont incendié plusieurs quartiers, mais en ont épargné d’autres. Et maintenant que la ville est à eux, ils éteignent les feux…
— Ils devront partir, tôt ou tard, rappela Bryne. Mais il vaudrait mieux qu’on les éjecte le plus tôt possible.
— Pourquoi ne pas envisager un siège ? proposa Agelmar. Selon moi, le gros de nos forces devrait aller au Kandor. Pas question que le Trône des Nuages et les Trois Halls du Commerce tombent comme les Sept Tours.
— Le Kandor est déjà tombé, souffla le prince Antol.
Les quatre grands capitaines regardèrent le fils aîné de la reine du Kandor. Très grand, il était en principe taciturne. Là, il parla sans retenue.
— Ma mère se bat pour notre pays, mais c’est un combat pour la vengeance et pour la rédemption. Le Kandor est en feu, le savoir me déchire le cœur, et nous n’y changerons rien. La priorité, c’est Andor. Un royaume d’une importance stratégique capitale. Et je ne voudrais pas voir un autre pays subir le sort du mien.
Les monarques acquiescèrent.
— Un sage conseil, Votre Grandeur, dit Bashere. Merci beaucoup.
— Dans tout ça, intervint Rhuarc, n’oubliez pas le mont Shayol Ghul.
Un peu à l’écart, l’Aiel se tenait avec Perrin, quelques Aes Sedai et d’autres chefs de tribu. Les grands capitaines se tournèrent vers lui comme s’ils avaient oublié jusqu’à son existence.
— Le Car’a’carn attaquera bientôt le mont, rappela Rhuarc. Ce jour-là, il aura besoin d’avoir des lances avec lui.
— Il les aura, assura Elayne. Même si ça nous laisse avec quatre fronts au lieu de trois. Le mont Shayol Ghul, la brèche de Tarwin, le Kandor et Caemlyn.
— Commençons par Caemlyn, dit Ituralde. L’idée d’un siège me déplaît. Nous devons éjecter les Trollocs. Si nous les fixons en ville, ça leur donnera le temps de faire venir des renforts par les Chemins. Nous devons les expulser – selon nos conditions.
Agelmar approuva du chef puis se pencha sur la carte de Caemlyn qu’un aide de camp venait d’apporter.
— Pouvons-nous endiguer le flot ? Reprendre l’issue des Chemins ?
— J’ai essayé, dit Elayne. Ce matin, nous avons envoyé trois forces distinctes dans le sous-sol où se trouve l’issue. Mais les Ténèbres ont prévu la manœuvre et se sont retranchées. Pas un de nos hommes n’est revenu. Donc, j’ignore s’il est possible de reprendre l’issue ou de la détruire.
— Et si on essayait par l’autre côté ? proposa Agelmar.
— L’autre côté ? Tu veux dire par l’intérieur des Chemins ?
Le militaire acquiesça.
— Personne ne peut traverser les Chemins, rappela Ituralde.
— Les Trollocs le font bien, fit Agelmar.
— J’y ai Voyagé, intervint Perrin en approchant des tables. Désolé, mes seigneurs, mais je doute que cette tactique serait couronnée de succès. Et d’après ce que j’ai compris, il est impossible de détruire une issue, même avec le Pouvoir de l’Unique. Quant à tenir de l’intérieur, il ne faut pas y compter, avec le Vent Noir… La meilleure solution, c’est d’attirer les Trollocs hors de Caemlyn, puis de tenir l’issue de l’extérieur. Si on la défend comme il faut, le Ténébreux ne pourra plus l’utiliser.
— Très bien, dit Elayne. Mais il faudra réfléchir à d’autres options… Cela dit, une idée vient de me frapper. Nous devrions demander à la Tour Noire de nous envoyer ses Asha’man. Combien sont-ils, en tout ?
Perrin se racla la gorge.
— Majesté, je te conseille beaucoup de prudence, quand il est question de cet endroit. Il s’y passe quelque chose…
— Quoi donc ?
— Je l’ignore… Mais j’ai parlé avec Rand de la Tour Noire, et il était inquiet. Au point de vouloir enquêter… Donc, la prudence s’impose.
— Je suis toujours prudente, fit distraitement Elayne. Alors, comment les faire sortir de Caemlyn, ces Trollocs ?
— Nous pouvons peut-être cacher une importante force offensive dans le bois de Braem – il est ici, à quelque cinquante lieues au nord de Caemlyn. (Bryne désigna un point, sur la carte.) Il faudrait qu’un gros détachement de nos hommes vienne narguer les Trollocs, devant les portes de Caemlyn, histoire qu’ils le poursuivent jusqu’au bois… J’ai toujours craint qu’une armée ennemie s’y cache avec l’idée d’attaquer la capitale. Et voilà que je reprends cette tactique à mon compte.
— Intéressant, fit Agelmar, penché sur une carte des environs de Caemlyn. C’est un plan prometteur.
— Et le Kandor dans tout ça ? demanda Bashere. Le prince Antol a raison : ce pays est perdu, mais nous ne pouvons pas laisser les Trollocs se répandre partout à partir de cette base.
Ituralde se gratta le menton.
— Toute cette affaire promet d’être difficile. Trois armées de Trollocs, et nous voilà contraints de faire face aux trois. Mais nous ne devons pas répartir nos forces de manière égale. La bonne stratégie, j’en suis presque sûr, est de se concentrer sur une de ces armées et de retarder les autres à bas coût.
— C’est à Caemlyn que les Trollocs doivent être les moins nombreux, dit Agelmar. N’oublions pas qu’ils y entrent par un goulet d’étranglement.
— Bien vu, approuva Bashere. Nos chances d’obtenir une victoire rapide sont meilleures à Caemlyn. C’est là que nous devons attaquer avec le gros de nos forces. Si nous gagnons en Andor, ça fera un front de moins à gérer. Et ça, c’est un avantage énorme.
— Oui, approuva Elayne. Nous soutiendrons Lan, mais en lui donnant simplement mission de tenir aussi longtemps que possible. À la frontière du Kandor, nous enverrons une petite troupe, avec l’idée de retarder l’ennemi – et de battre lentement en retraite, si la situation l’impose. Pendant que ces deux fronts seront neutralisés, nous écraserons les Trollocs à Caemlyn.
— Parfait, dit Agelmar. J’aime ce plan. Mais quelle force envoyer au Kandor ? Quelle armée réduite peut ralentir les Trollocs ?
— La Tour Blanche ? proposa Elayne. Si nous envoyons les Aes Sedai, elles enrayeront l’avance des monstres. Nous n’aurons plus qu’à libérer Caemlyn.
— Bien vu, fit Bryne. Je souscris à ce plan.
— Et le quatrième front ? s’enquit Ituralde. Le mont Shayol Ghul ? Quelqu’un connaît le plan du seigneur Dragon ?
Personne ne dit un mot.
— Les Aiels lui fourniront des guerriers, dit Amys, toujours à l’écart en compagnie des chefs. Ne vous souciez pas de nous. Établissez vos plans de bataille, nous peaufinerons les nôtres.
— Non, lâcha Elayne.
— Pardon ? fit Aviendha.
— C’est précisément ce que Rand veut éviter, expliqua la jeune reine. Les Aiels doivent collaborer avec nous. La bataille du mont Shayol Ghul sera sans doute décisive. Je ne veux pas qu’une faction se la réserve et prétende combattre seule. Les Aiels devront accepter notre aide.
Et nos ordres, ajouta mentalement Elayne.
Si les Aiels étaient d’excellents guerriers, ils avaient l’esprit trop étroit. Au sujet de la cavalerie, par exemple.
À l’évidence, ils n’aimaient pas l’idée d’être sous les ordres d’une femme des terres mouillées. Et ils ne tentèrent pas de le cacher.
— Les Aiels sont des guerriers irréguliers de génie, dit Bryne. (Il regarda les chefs.) Je vous ai combattus lors de la guerre des Aiels. Vous êtes très dangereux, j’ai payé pour le savoir. Mais quand le seigneur Dragon attaquera le mont Shayol Ghul, nous devrons sans doute prendre la vallée et la tenir jusqu’à ce qu’il en ait fini avec le Ténébreux. J’ignore combien de temps ça prendra, mais ça risque d’être long. Des heures, au moins. Peut-être des jours. Les guerriers du désert ont-ils jamais livré une guerre de défense ?
— Nous ferons ce qui s’imposera, répliqua Rhuarc.
— Rhuarc, dit Elayne, vous avez insisté pour signer la Paix du Dragon. Et pour être intégrés dans notre coalition. De votre part, je m’attends à une extrême loyauté. Donc, vous ferez ce qu’on vous dira.
Les questions de Bryne et d’Ituralde avaient ébranlé les chefs. Le brusque rappel d’Elayne les ramena à la réalité.
— Bien entendu, fit Rhuarc. J’ai un toh envers vous.
— Assume-le en écoutant, dit Elayne, et en nous exposant ton opinion. Pour combattre sur quatre fronts à la fois, nous devrons être sacrément coordonnés.
Elayne se tourna vers les capitaines.
— Une étrange coïncidence, ça… Quatre fronts, et quatre grands capitaines…
Bashere secoua la tête.
— Ça n’a rien d’une coïncidence.
— Pourtant…
— Majesté, rien n’est jamais dû au hasard. Si voyager avec le Dragon m’a appris quelque chose, c’est bien ça. Quatre fronts, quatre généraux… Un pour chacun, avec une reine pour nous superviser et organiser l’effort de guerre global.
— J’irai au Malkier, annonça Agelmar. La majorité des Frontaliers y est.
— Et le Kandor ? demanda Elayne.
— Si les Aes Sedai y vont, dit Bryne, ma place est avec elles.
Il ne veut pas combattre en Andor, pensa Elayne. Pas à mes côtés. Il désire que la rupture soit sans équivoque.
— Qui m’accompagnera en Andor, dans ce cas ?
— Moi ! déclara Bashere.
— Donc, fit Ituralde, pour moi, ce sera le mont Shayol Ghul. Aux côtés des Aiels. Si on m’avait dit ça par le passé…
— Parfait, fit Elayne en se tirant un siège. À présent, penchons-nous sur les détails. J’ai besoin d’un quartier général, et Caemlyn est perdue… En attendant, je choisis le champ de Merrilor. Un site central très bien adapté aux mouvements de troupes et d’intendance. Perrin, peux-tu prendre en charge la logistique de ce camp ? Établir un site de Voyage puis organiser les femmes capables de canaliser afin de faciliter les communications et tout ce qui concerne le ravitaillement ?
Le mari de Faile acquiesça.
— Avec les autres alliés, reprit Elayne, nous allons séparer très précisément nos forces et donner vie à nos plans. La priorité, c’est de trouver un moyen de faire sortir les Trollocs de Caemlyn.
Des heures plus tard, Elayne émergea du pavillon, la tête pleine de détails tactiques, de besoins en ravitaillement et de critères de répartition des troupes. Dès qu’elle fermait les yeux, elle voyait des cartes d’état-major couvertes par l’écriture serrée de Gareth Bryne.
Les autres participants à la réunion se dirigeaient vers leurs camps respectifs, où ils commenceraient à mettre en œuvre le plan de bataille. Avec le crépuscule, il avait fallu disposer des lanternes autour du pavillon. À un moment, se souvint Elayne, des domestiques avaient apporté à manger – le repas de midi et le dîner en même temps, semblait-il. Elayne s’était-elle restaurée ? Avec tout ça, elle n’aurait su le dire…
Elle salua les dirigeants qui la dépassaient et lui disaient au revoir. Désormais, tous les détails initiaux du plan étaient fixés. Au matin, Elayne conduirait ses troupes en Andor et lancerait la première vague de la contre-attaque.
Le sol, sous les pieds de la souveraine, était meuble et verdoyant. L’influence de Rand se prolongeait, même en son absence. Alors qu’Elayne étudiait les arbres géants, Gareth Bryne vint se camper à ses côtés.
Elle tourna la tête vers lui, surprise qu’il ne soit pas déjà parti. À part eux deux, il ne restait plus que les domestiques et les gardes rapprochées d’Elayne.
— Seigneur Bryne ?
— Juste un mot, Majesté… Je suis fier de toi. Tu t’en es très bien sortie.
— Je n’ai presque rien apporté…
— Si, le poids de l’autorité… Tu n’es pas un général, Elayne, et personne n’attend ça de toi. Mais quand Tenobia s’est plainte que le Saldaea soit laissé sans défense, c’est toi qui l’as rappelée à ce qui importe vraiment. La tension est montée très haut, mais tu nous as gardés unis, dans de bonnes dispositions, et pas enclins à nous sauter à la gorge. Du bon travail. Oui, du très bon travail !
Elayne sourit. Lumière, qu’il était difficile de ne pas rayonner en entendant ces propos. Bryne n’était pas son père, mais des années durant, il avait joué ce rôle à ses yeux.
— Merci… Et… Bryne, la couronne s’excuse de…
— Pas un mot là-dessus ! La Roue tisse comme elle l’entend ! Je n’accuse pas Andor de ce qui m’est arrivé. (Le militaire hésita.) Cela dit, Elayne, c’est avec la Tour Blanche que je combattrai.
— Je comprends.
Bryne salua la jeune reine et s’éloigna en direction du camp d’Egwene.
Birgitte approcha de son Aes Sedai.
— On retourne dans notre camp ?
— Je…
Elayne hésita, car elle venait d’entendre quelque chose. Un son léger, mais pourtant profond et… puissant. Perplexe, elle avança dans cette direction, levant une main pour intimer le silence à Birgitte, qui aurait voulu demander ce qu’il se passait.
Contournant le pavillon sur un sol semé d’herbe luxuriante et de fleurs naissantes, les deux femmes approchèrent de l’étrange son, qui devenait de plus en plus fort.
Une chanson… Magnifique – plus que toutes celles entendues par Elayne et qui lui donna la chair de poule tant elle la touchait.
La mélodie la submergea, l’enveloppa et vibra en elle.
Un chant joyeux, plein d’émerveillement et d’optimisme, même si elle ne comprenait pas les paroles.
La jeune femme approcha d’un groupe de créatures très grandes, leurs mains posées sur l’écorce des arbres que Rand avait fait pousser.
Les yeux fermés, une trentaine d’Ogiers de tous les âges, des vieillards aux sourcils blancs comme neige aux adolescents tels que Loial, chantaient avec ferveur…
Loial était du lot, un sourire étirant ses lèvres. Les bras croisés, Perrin se tenait non loin de là, Faile à ses côtés.
— Quand tu as parlé d’aller chercher les Asha’man, dit le jeune seigneur, ça m’a fait réfléchir. Si nous avons besoin d’alliés, alors, pourquoi négliger les Ogiers ? Je voulais trouver Loial, mais avant d’avoir essayé, je les ai vus ici, au milieu des arbres.
Elayne hocha la tête. Puis elle écouta la chanson jusqu’à la fin. Alors que les Ogiers baissaient la tête, le silence parut devoir durer une éternité.
Mais un des vieux Ogiers ouvrit les yeux et se tourna vers la jeune reine. Sa barbe blanche tombant sur la poitrine, il avança et d’autres « vétérans » le suivirent. Loial leur emboîta le pas.
— Tu es la reine, dit le vieil Ogier en s’inclinant. Celle qui dirige cette… expédition. Je suis l’Ancien Haman, fils de Dal fils de Morel. Nous sommes là pour mettre nos haches au service de votre cause.
— J’en suis ravie, dit Elayne. Plus de trente Ogiers nous seront d’une aide précieuse.
— Plus de trente, jeune dame ? fit Haman avec un éclat de rire… titanesque. La Grande Souche n’a pas eu lieu, avec des débats interminables, pour vous envoyer une trentaine d’Ogiers. Tous les Ogiers combattront aux côtés des humains. Tous ceux qui sont capables de manier une hache ou un long couteau.
— Merveilleux ! s’extasia Elayne. Je saurai vous utiliser judicieusement.
Une vieille Ogier secoua la tête.
— Si pressés. Si frustes… Tu dois savoir une chose, jeune fille. Parmi nous, certains vous auraient volontiers tourné le dos, abandonnant le monde entre les mains du Ténébreux.
Elayne en sursauta de surprise.
— Vous auriez fait ça ? Nous laisser combattre seuls…
— Certains étaient pour cette solution, confirma Haman.
— Dont moi, dit la femme. J’ai défendu cette position, même si je doutais secrètement de sa pertinence.
— Quoi ? fit Loial en avançant, visiblement surpris. Tu n’étais pas sûre ?
La femme ne broncha pas.
— Si le Ténébreux conquiert ce monde, les arbres ne pousseront plus.
Loial parut ébahi.
— Mais pourquoi as-tu… ?
— Mon fils, pour qu’on puisse démontrer qu’une thèse est juste, il faut qu’elle ait un contradicteur. Dans une polémique, on découvre la profondeur de son engagement envers une cause. Ignores-tu que les arbres développent des racines plus fortes quand le vent risque de les abattre ? (La femme secoua tendrement la tête.) Attention, ça ne veut pas dire que tu aurais dû quitter le Sanctuaire au moment où tu l’as fait. Pas seul. Par bonheur, cette affaire est réglée.
— Réglée ? répéta Perrin.
Loial s’empourpra.
— Eh bien, vois-tu, je suis marié, à présent…
— Première nouvelle !
— Tout a été si vite. Mais j’ai épousé Erith. Elle n’est pas très loin d’ici. L’as-tu entendue chanter ? Sa voix est magnifique. Le mariage, ce n’est pas si mal que ça, Perrin. Pourquoi ne me l’as-tu pas dit ? Moi, je trouve même ça très bien.
— J’en suis ravie pour toi, Loial, intervint Elayne.
Si on laissait faire, les Ogiers pouvaient se lancer dans de très longues digressions.
— Ravie, vraiment. Et merci à vous tous d’être venus.
— Ça valait la peine, dit Haman, ne serait-ce que pour admirer ces arbres. Toute ma vie, j’ai vu des humains couper les Grands Arbres. Alors, en découvrir un qui les fait pousser… Nous avons pris la bonne décision, c’est sûr. Il faut que les autres voient ça.
Loial fit un signe à Perrin, probablement pour lui parler en privé.
— Loial, dit Elayne, permets-moi de te l’emprunter un instant.
Avec le jeune seigneur, elle gagna le centre du bosquet. Faile et Birgitte les rejoignirent, laissant Loial attendre près des arbres, qui semblaient le fasciner.
— J’ai une mission à te confier, dit la reine à Perrin. La chute de Caemlyn menace de priver notre armée de ravitaillement. Malgré les plaintes contre le prix des vivres, nous avons nourri tout le monde et fait des réserves pour la bataille à venir. Hélas, ces stocks, nous les avons perdus.
— Tu voudrais que je m’occupe de la question ?
— Oui.
— Désolé, mais Rand a besoin de moi.
— Il a besoin de nous tous.
— Moins que de moi ! Une vision de Min, m’a-t-il dit. Si je ne suis pas présent lors de l’Ultime Bataille, il mourra. De plus, j’ai encore des… comptes à régler.
— Je m’en chargerai, dit Faile.
Elayne la regarda, perplexe.
— Je m’occupe déjà des affaires de notre armée, fit la jeune femme. Tu es la suzeraine de Perrin, donc, tes besoins sont ses besoins. Si Andor doit commander durant l’Ultime Bataille, Deux-Rivières s’assurera que ses soldats aient à manger. Il me faudra des portails assez larges pour laisser passer des chariots et des troupes pour m’escorter. Enfin, je veux avoir accès aux comptes de tous les intendants qui m’intéressent. Et le travail sera fait.
C’était rationnel et logique, mais pas ce qu’Elayne avait en tête. D’ailleurs, pouvait-elle se fier à cette femme ? En matière de politique, Faile se montrait très habile. C’était précieux, bien sûr, mais se considérait-elle vraiment comme une quasi-Andorienne ?
Elayne la dévisagea.
— Tu ne peux pas trouver meilleur candidat pour ce poste, Elayne, affirma Perrin. Faile fera le travail !
— Perrin, il y a un autre enjeu dans cette histoire. Puis-je te parler en privé un moment ?
— Oui, mais après, je lui répéterai tout. Pour ma femme, je n’ai pas de secrets.
Faile eut un grand sourire.
Elayne regarda les deux époux… et capitula.
— Egwene est venue me voir pendant les préparatifs de guerre. Il y a un certain… artefact, important pour l’Ultime Bataille, dont elle aimerait bien être débarrassée.
— Le Cor de Valère, comprit Perrin. Elayne, les sœurs l’ont toujours ?
— Oui, à la tour, bien caché… Nous l’avons retiré à temps de la salle du trésor, qui a été visitée la nuit dernière. Je le sais à cause des tissages de garde que nous avions mis en place. Le Ténébreux sait que nous avons le Cor, Perrin, et ses sbires le cherchent. Ils ne pourraient pas s’en servir, puisqu’il est lié à Mat jusqu’à sa mort. Mais s’ils se l’approprient, notre jeune flambeur ne pourra plus l’utiliser. Au pire, ils peuvent le tuer, puis souffler dans le Cor…
— Tu veux le déplacer en secret, dans un convoi de vivres, pour mieux cacher où il sera ?
— Nous aurions préféré le remettre à Mat, dit Elayne, mais il peut être si… pénible, parfois. J’espérais le voir à la réunion.
— Il est à Ebou Dar, révéla Perrin, à traficoter je ne sais quoi avec les Seanchaniens.
— Il te l’a dit ? demanda Elayne.
— Pas exactement, répondit Perrin, l’air gêné. Nous avons… eh bien, une sorte de connexion. Parfois, je vois où il est et ce qu’il fait.
— Ce type, dit Elayne, n’est jamais où il devrait être.
— Et pourtant, il finit toujours par y arriver, modéra Perrin.
— Les Seanchaniens sont nos ennemis, rappela Elayne. Vu ce qu’il a fait, Mat semble avoir du mal à s’en souvenir. J’espère qu’il ne s’est pas encore fourré dans la mouise.
— Le Cor de Valère, dit Faile, je m’en chargerai aussi. Mat l’aura et il le gardera.
— Ne soyez pas vexés, tous les deux, fit Elayne, mais j’ai du mal à me fier à quelqu’un que je connais mal. Voilà pourquoi j’avais pensé à toi, Perrin.
— Et ça aurait pu être un problème, Elayne, dit le jeune seigneur. Si nos ennemis cherchent vraiment le Cor, ils se douteront qu’Egwene et toi l’avez confié à un proche. Choisis Faile ! Je me fie à elle aveuglément, et ils ne penseront pas à elle, parce qu’elle n’a aucun lien avec la Tour Blanche.
Elayne acquiesça.
— Très bien. Je vous informerai sur la façon dont ce colis vous sera livré. Pour l’instant, commençons les transports de vivres, pour établir des précédents. Trop de gens sont au courant, pour le Cor. Après vous l’avoir remis, je ferai partir cinq paquets suspects de la Tour Blanche, puis je lancerai les rumeurs idoines. Avec un peu de chance, le Ténébreux pensera que le Cor est entre les mains d’un des cinq messagers. Tant qu’il ne sera pas remis à Matrim, j’entends que le Cor soit introuvable.
— Quatre fronts, seigneur Mandragoran, répéta Bulen. C’est ce que disent les messagers. Caemlyn, le mont Shayol Ghul, le Kandor et ici. Le plan est de bloquer les Trollocs sur la brèche et au Kandor. En même temps, nos armées tenteront d’écraser les monstres présents en Andor.
Alors qu’il guidait Mandarb au milieu des tas de charognes de Trollocs, Lan hocha la tête.
Maintenant que ses cinq Asha’man les avaient entassées face à la Flétrissure, où se massaient les monstres, les carcasses servaient de fortifications.
Bien entendu, la puanteur prenait à la gorge. Pour la couvrir, beaucoup de gardes avaient jeté dans leur feu de camp des herbes aromatiques.
Le soir approchait, apportant les heures les plus dangereuses de la journée. Par bonheur, avec les nuages noirs, les nuits étaient si sombres que les Trollocs n’y voyaient pas plus loin que le bout de leur nez. Malgré tout, le crépuscule restait un moment de puissance pour eux – des heures où la vue des humains se troublait, mais pas celle des Créatures des Ténèbres.
La charge des nations frontalières unies avait repoussé les Trollocs de l’autre côté de la brèche de Tarwin. Depuis, des piquiers et des fantassins émergeaient des portails avec la mission d’aider Lan à tenir la position. L’un dans l’autre, sa situation était bien meilleure que quelques jours plus tôt.
Sans être idéale pour autant. Si Bulen disait vrai, l’armée de Lan devrait rester ici pour jouer les tampons. En d’autres termes, elle ne recevrait pas autant de renforts qu’il l’aurait espéré. Cela dit, il ne pouvait pas dire grand-chose contre la tactique choisie par le haut commandement.
Quand il traversa le secteur où les lanciers du Shienar prenaient soin de leurs chevaux, un cavalier s’écarta du groupe afin de le rejoindre. Son toupet blanc comme neige, le roi Easar venait d’arriver du champ de Merrilor après une longue journée de planification martiale.
Lan voulut faire saluer Mandarb, mais il se ravisa quand le souverain s’inclina devant lui.
— Majesté ? fit le mari de Nynaeve.
— Dai Shan, le seigneur Agelmar est venu exposer son plan pour ce front. Il aimerait que nous l’étudiions avec lui. Puisque nous combattons sous l’étendard du Malkier, nous avons tous insisté pour que tu sois là.
— Tenobia aussi ? demanda Lan, sincèrement surpris.
— Dans son cas, il a fallu l’encourager un peu. Elle va venir. J’ai aussi entendu dire qu’Ethenielle quittera le Kandor pour être présente. Pour cette bataille, les Frontaliers sont unis, et tu es notre chef.
Les deux hommes chevauchèrent sous la lumière déclinante, des myriades de lanciers saluant Easar. Ces soldats étaient les meilleurs cavaliers lourds du monde. Sur ce site, ils s’étaient battus d’innombrables fois pour défendre les terres du Sud luxuriantes. Et ils y avaient laissé des plumes.
— Je viendrai, dit Lan. Le poids de ce que tu viens de me donner m’écrase comme celui de trois montagnes.
— Je sais, dit Easar. Mais nous devons te suivre, Dai Shan. Tant que le ciel sera au-dessus de nos têtes et que le sol ne s’ouvrira pas sous nos pieds. Et ce jusqu’à ce que la Roue cesse de tourner. Ou, si la Lumière le veut, jusqu’à ce que toutes les épées puissent être en paix.
— Et le Kandor ? Si la reine vient ici, qui dirigera cette bataille ?
— Là-bas, la Tour Blanche ira affronter les monstres. Tu as redonné vie à la Grue Dorée, Lan. Étant destinés à te venir en aide, nous avons fait ce qu’il fallait. (Easar hésita, soudain sinistre.) Le Kandor est perdu, même sa reine le reconnaît. La mission de la Tour Blanche n’est pas de le reconquérir, mais d’empêcher les Trollocs d’envahir d’autres pays.
Les deux hommes chevauchèrent entre les rangs de lanciers. Au crépuscule, ces soldats étaient tenus de rester près de leurs montures. Pragmatiques, ils en profitaient pour s’occuper des équidés et de leurs armes. Dans le dos, chaque guerrier portait une épée, parfois deux, et tous arboraient à la ceinture des couteaux et des fléaux d’armes. En d’autres termes, ils ne se fiaient pas exclusivement à leurs lances. Un ennemi qui les acculait pour les empêcher de charger découvrait vite qu’ils étaient aussi très bons au corps à corps.
Au-dessus de leur cotte de mailles, la plupart portaient un tabard où figurait le Faucon Noir. Pour saluer leur roi, ils se redressaient de toute leur hauteur et affichaient une sincère gravité. D’un grand sérieux, ils étaient à la limite de l’austérité. Mais vivre dans les Terres Frontalières avait tendance à faire cet effet.
Lan hésita un peu, puis il lança à voix haute :
— Pourquoi tant d’affliction ?
Toutes les têtes se tournèrent vers lui.
— N’est-ce pas pour ça que nous nous sommes entraînés ? N’est-ce pas le but de nos vies ? Cette guerre n’est pas une raison de se plaindre de notre sort. D’autres hommes ont sans doute négligé de se préparer, mais ce n’est pas notre cas. Nous sommes prêts pour la gloire et l’honneur !
» Alors, rions à gorge déployée ! Oui, laissons libre cours à notre joie ! Fêtons les camarades morts et buvons à nos anciens, qui nous ont si bien formés. Si vous mourez demain, dans l’attente de votre résurrection, soyez fiers ! L’Ultime Bataille est imminente, et nous sommes prêts !
Lan n’aurait su dire exactement pourquoi il venait de tenir ce discours. En réponse, les hommes lancèrent des : « Dai Shan ! Dai Shan ! En avant la Grue Dorée ! »
Du coin de l’œil, il vit que des braves finissaient de noter ses propos pour les transmettre aux combattants trop éloignés pour avoir entendu.
— Tu as l’âme d’un chef, Dai Shan, dit Easar.
— Ce n’est pas la question… Je ne supporte pas qu’on s’apitoie sur soi-même. Trop d’hommes avaient l’air d’être en train de coudre leur propre linceul.
— Un tambour sans peau, fit Easar, une pompe sans levier, une chanson sans voix… Pourtant, c’est à moi. C’est à moi.
Lan arqua un sourcil, mais le roi ne daigna pas lui donner d’explications sur ce poème. Si ses sujets étaient des gens austères, il l’était encore plus. Dans son cœur, cet homme gardait des blessures dont il préférait ne pas parler. Pour s’être longtemps comporté ainsi, Lan était le dernier à pouvoir l’en blâmer.
Ce soir, pourtant, Easar se permit un sourire tandis qu’il pensait à ce qui l’avait incité à réciter le poème.
— C’est bien d’Anasai de Ryddingwood ? demanda Lan.
Le roi parut surpris.
— Tu connais son œuvre ?
— C’était la poétesse favorite de Moiraine Sedai. J’ai bien eu l’impression de reconnaître son style.
— Chacun de ses poèmes est une élégie adressée à son père. Elle a laissé des instructions. Ces textes, on peut les lire, mais pas les dire à voix haute, sauf quand il est approprié de le faire. Mais elle n’a pas précisé quand c’était le cas.
Les tentes atteintes, les deux hommes mirent pied à terre. Mais dès qu’ils furent au sol, des cors sonnèrent l’alarme. Tous les deux réagirent et Lan porta la main à son épée.
— Allons voir le seigneur Agelmar ! lança-t-il tandis que les hommes s’agitaient autour d’eux. Si vous vous battez sous mon étendard, je serai heureux d’accepter le commandement.
— Sans aucune hésitation ?
— Qui suis-je donc ? demanda Lan en sautant en selle. Un vague berger d’un village oublié ? Je ferai mon devoir. Si des hommes sont assez fous pour m’obéir, je ne me déroberai pas !
Easar acquiesça et salua Lan, un sourire étirant les coins de ses lèvres. Lan le salua en retour, puis partit au galop vers le centre du camp.
Tout autour, les hommes allumaient des feux. Pour qu’ils se procurent du bois, des Asha’man avaient ouvert un portail vers une des innombrables forêts agonisantes. Si Lan avait eu son mot à dire, ces hommes n’auraient jamais gaspillé leurs forces à tuer des Trollocs. Ils étaient bien trop utiles à d’autres choses.
Narishma salua Lan quand il passa devant lui. Le mari de Nynaeve n’aurait pas juré que les grands capitaines avaient choisi pour lui des Asha’man originaires des Terres Frontalières, mais ça ne semblait pas être une coïncidence. Il y en avait un de chaque nation, et même un dont les parents étaient du Malkier.
On se bat ensemble !