53 Holden

— À vrai dire, nous avons trouvé comment résoudre le problème, en quelque sorte, répondit Holden.

— Je ne le pense pas. Je vous connecte sur les données médicales de ma combinaison.

Quelques secondes plus tard, quatre colonnes de chiffres apparurent dans une petite fenêtre sur l’écran du Terrien. Tout avait l’air à peu près normal, même s’il y avait des subtilités que seul un spécialiste comme Shed aurait pu interpréter correctement.

— Super, dit-il. Vous êtes légèrement irradié, mais en dehors de ça…

— Est-ce que je souffre d’hypoxie ? l’interrompit l’ex-inspecteur.

Les données de sa combinaison indiquaient 87 mmHg, ce qui était confortablement supérieur à la limite basse.

— Non.

— Quelque chose qui expliquerait qu’un type ait des hallucinations ou verse dans la démence ? Alcool, opiacées. Quelque chose dans le genre ?

— Rien que je puisse détecter, dit Holden que l’impatience gagnait. De quoi s’agit-il ? Vous avez des visions ?

— Comme d’habitude, répliqua Miller. Je voulais que ce point soit éclairci, parce que je sais ce que vous allez dire.

Il se tut, et la radio siffla et émit un bruit sec aux oreilles d’Holden. Quand Miller reprit la parole après quelques secondes, sa voix était passée à un registre différent. Pas celui du plaidoyer, mais ce n’en était pas très éloigné, et le capitaine remua sur son siège, soudain mal à l’aise.

— Elle est vivante.

Dans l’univers de Miller, il n’y avait qu’une seule elle. Julie Mao.

— Euh… Bon, d’accord. Je ne sais pas trop comment répondre à ça.

— Il va falloir me croire sur parole, je ne suis pas sujet à une dépression nerveuse ou à un épisode psychotique, ni rien de tel. Mais Julie est ici, à l’intérieur de la station. C’est elle qui dirige Éros.

Holden consulta les données médicales à nouveau, mais elles étaient toujours normales, avec tous les voyants largement dans le vert, à l’exception du niveau d’irradiation. Les paramètres chimiques de son sang ne semblaient même pas révéler qu’il était particulièrement stressé, surtout pour quelqu’un qui apportait une bombe nucléaire à ses propres funérailles.

— Miller, Julie est morte. Nous avons vu son corps tous les deux. Nous avons vu ce que la protomolécule… lui a fait.

— Nous avons vu son corps, bien sûr. Simplement, nous l’avons supposée morte à cause des dommages…

Son cœur ne battait plus, insista Holden. Elle n’avait plus d’activité cérébrale, ni de métabolisme. Tout ça ressemble beaucoup à la définition de la mort.

— Comment savons-nous à quoi ressemble un mort pour la protomolécule ?

— Nous… Nous ne le savons pas, j’imagine. Mais pas de battement de cœur, c’est quand même un signe révélateur.

Miller eut un petit rire bas.

— Nous avons vu ces choses, Holden. Ces cages thoraciques qui se traînaient au sol par un seul bras, vous croyez qu’elles ont un cœur qui bat ? Depuis le début, cette saloperie ne joue pas selon nos règles, et vous vous attendez à ce qu’elle s’y mette maintenant ?

Holden ne put s’empêcher de sourire. Miller n’avait pas tort.

— Admettons. Qu’est-ce qui vous donne à penser que Julie est autre chose qu’une cage thoracique et une collection de tentacules ?

— C’est peut-être ce qu’elle est, mais je ne vous parle pas de son corps, dit Miller. Elle est là. Son esprit. C’est comme si elle pilotait sa vieille chaloupe de course. Le Razorback. Dans son délire, elle en parle sur la radio depuis des heures, maintenant, et je n’avais pas fait le rapprochement. Mais maintenant que j’ai pigé, tout devient foutrement clair.

— Et pourquoi se dirige-t-elle vers la Terre ?

— Je n’en sais rien, avoua Miller.

Il paraissait excité, passionné par son sujet. Plus vivant qu’Holden ne l’avait jamais connu.

— Peut-être que la protomolécule veut se rendre là et que ça l’ennuie. Julie n’a pas été la première personne infectée, mais c’est la première qui a survécu assez longtemps pour se rendre quelque part. Peut-être qu’elle est le germe cristallin à partir duquel la protomolécule évolue. Je n’en suis pas sûr, mais je peux le découvrir. Il faut seulement que je la trouve. Que je lui parle.

— Il faut que vous ameniez cette bombe-là où se trouvent les commandes de la station, et que vous déclenchiez sa mise à feu.

— Je ne peux pas faire ça, dit Miller.

Parce que, bien évidemment, il ne le pouvait pas.

C’est sans importance, pensa Holden. Dans moins de trente heures, vous ne serez plus que de la poussière radioactive, tous les deux.

Il demanda aux systèmes du Rossi de recalculer le moment d’impact des missiles déjà lancés.

— D’accord, dit-il. Est-ce que vous pouvez trouver votre fille dans moins de vingt-sept heures ?

— Pourquoi ? Il se passera quoi, dans vingt-sept heures ?

— La Terre a tiré tout son arsenal nucléaire interplanétaire sur Éros il y a de ça quelques heures. Nous venons d’activer les transpondeurs des cinq transports que vous avez arrimés à la surface. Les missiles les ont pour cibles. L’ordinateur de bord du Rossi situe l’impact dans vingt-sept heures, en se basant sur la courbe d’accélération actuelle. Les Martiens et la Flotte des Nations unies sont déjà en route pour stériliser la zone après l’explosion. Histoire de s’assurer que rien ne survive ou ne passe à travers les mailles du filet.

— Seigneur…

— Ouais, dit Holden, le cœur lourd. Désolé de ne pas vous avoir prévenu plus tôt. J’ai eu un tas de trucs à faire, et ça m’est un peu sorti de la tête.

Il y eut un long moment de silence.

— Vous pouvez les arrêter, dit enfin Miller. En éteignant les transpondeurs.

Le Terrien fit pivoter son siège pour interroger Naomi du regard. Elle avait cette même expression signifiant Qu’est-ce que je disais ? qu’il savait arborer lui aussi. Elle fit basculer sur son poste les données médicales transmises par la combinaison de Miller, puis sollicita le programme d’expertise médicale du Rossi et lança un diagnostic approfondi. Ce qu’impliquait son attitude était transparent. Elle pensait que quelque chose n’allait pas chez Miller, et que cela n’apparaissait pas directement sur les données reçues de lui. Si la protomolécule avait infecté l’ex-inspecteur, et s’en servait comme ultime recours pour les égarer…

— Aucune chance, Miller. C’est notre dernier espoir. S’il rate, Éros pourra se mettre en orbite autour de la Terre et l’asperger de sa boue brune. Pas question que nous prenions ce risque.

— Écoutez, dit Miller d’un ton oscillant maintenant entre l’argumentation conciliante et l’expression d’une frustration de plus en plus perceptible, Julie est ici, dans la station. Si je réussis à la trouver et à la raisonner, je peux tout arrêter sans avoir besoin d’un bombardement nucléaire.

— Quoi ? Vous allez prier la protomolécule d’être assez gentille pour renoncer à infecter la Terre, alors qu’elle a été créée dans ce but ? Vous allez faire appel à ce qu’il y a de meilleur en elle ?

Un instant s’écoula avant la réponse :

— Écoutez, Holden, je pense savoir ce qui se passe ici. Cette chose a été conçue pour infecter des organismes unicellulaires. Les formes de vie les plus basiques qui soient, nous sommes d’accord ?

Holden eut une moue de doute, puis il se souvint qu’il n’y avait pas de liaison vidéo et dit :

— D’accord.

— Ça n’a pas marché, mais c’est un salopard très malin, qui sait s’adapter. Cette chose a investi un hôte humain, c’est-à-dire un organisme multicellulaire complexe. Aérobie. Avec un cerveau énorme. Rien à voir avec ce qu’elle a été conçue pour viser. Depuis, elle improvise. Ces horreurs à bord du vaisseau furtif ? C’était sa première tentative. Nous avons vu ce qu’elle a fait subir à Julie dans cette salle de bains, sur Éros. Elle apprenait comment travailler sur nous.

— Où voulez-vous en venir ?

Le temps ne pressait pas encore, puisque les missiles avaient encore une pleine journée de vol avant d’atteindre leur objectif, mais il n’arrivait pas à supprimer toute trace d’impatience dans sa voix.

— Tout ce que je dis, c’est que l’Éros actuel ne correspond pas à ce que les concepteurs de la protomolécule avaient prévu. C’est leur plan d’origine confronté à des milliards d’années de notre évolution. Et quand vous improvisez, vous vous servez de ce dont vous disposez. Vous utilisez ce qui fonctionne. Julie est le modèle. Son cerveau, ses émotions ont infesté cette chose. Elle voit cette attaque dirigée contre la Terre comme une course, et elle se vante de la gagner. Elle se moque de vous parce que vous ne tenez pas la cadence.

— Attendez…

— Elle n’attaque pas la Terre, elle rentre à la maison. Pour ce que nous en savons, la Terre n’est peut-être pas son objectif. Et si c’était Luna, par exemple ? C’est là qu’elle a grandi. La protomolécule s’est approprié sa structure, son cerveau. Du coup, elle a été infectée par Julie autant qu’elle l’a infectée. Si je réussis à lui faire comprendre ce qui se passe réellement, nous pourrions négocier.

— D’où vous vient cette certitude ?

— Disons que c’est une intuition. J’ai souvent de bonnes intuitions.

Holden laissa échapper un léger sifflement. Toute la situation venait de basculer, et la nouvelle perspective lui donnait le vertige.

— Mais la protomolécule veut toujours obéir à son programme, fit-il remarquer. Et nous n’avons aucune idée de sa nature.

— Je peux vous affirmer que ce n’est pas l’éradication des humains. Les créatures qui ont envoyé Phœbé vers nous il y a deux milliards d’années ne savaient même pas ce qu’étaient des humains. Quoi qu’elle veuille faire, elle a besoin de biomasse pour y parvenir, et elle l’a, à présent.

Holden ne put s’empêcher de se récrier.

— Et alors ? Il ne nous veut aucun mal ? Sérieusement ? Vous pensez que si nous préférions qu’il ne se pose pas sur la Terre il acceptera gentiment d’aller ailleurs ?

— Pas “il”, “elle”, rectifia Miller.

Naomi regarda Holden et fit non de la tête. Elle non plus ne décelait rien d’anormal chez Miller, sur le plan organique.

— Je travaille sur cette affaire depuis, quoi, presque un an, poursuivit Miller. Je me suis immiscé dans sa vie, j’ai lu ses mails, rencontré ses amis. Je la connais. Elle est aussi indépendante qu’il est possible de l’être, et elle nous aime.

— Nous ?

— Les gens. Elle aime les êtres humains. Elle a cessé de jouer à la petite fille riche et a rejoint l’APE. Elle a soutenu la Ceinture parce que c’était la chose à faire. Impossible qu’elle nous tue si elle apprend ce qui se passe. J’ai juste besoin de trouver un moyen de lui expliquer la situation. Je peux y arriver. Donnez-moi une chance.

Holden se passa la main dans les cheveux et grimaça en les sentant aussi gras sous ses doigts. Un jour ou deux passés à plusieurs g n’étaient pas favorables à des douches régulières.

— Je ne peux pas, répondit-il. Les enjeux sont trop élevés. Nous continuons selon notre plan. Je suis désolé.

— Elle vous battra, dit Miller.

— Quoi ?

— D’accord, peut-être que non. Vous avez une putain de puissance de feu. Mais la protomolécule a trouvé comment contourner le problème de l’inertie. Et Julie ? C’est une battante, Holden. Si vous avez affaire à elle, je mise sur elle.

Le capitaine avait vu la vidéo de Julie repoussant ses attaquants à bord du vaisseau furtif. Elle s’était montrée méthodique et sans pitié dans sa façon de se défendre. Elle avait combattu sans faire de quartier. Il avait décelé de la sauvagerie dans ses yeux quand elle s’était sentie prise au piège et réellement menacée. Seules les tenues de combat de ses adversaires l’avait empêchée de faire plus de dégâts avant qu’ils la submergent par le nombre.

Il sentit les poils de sa nuque s’électriser en pensant à ce que pourrait être Éros au combat. Jusqu’à maintenant la chose s’était contentée de fuir leurs attaques malhabiles. Que se passerait-il quand elle se déciderait à faire la guerre ?

— Vous pourriez la retrouver, dit-il, et vous servir de la bombe.

— Si je n’arrive pas à la raisonner, dit Miller. C’est la condition que je pose. Je la trouve. Je parle avec elle. Si je n’arrive pas à la convaincre, je l’abattrai, et vous pourrez réduire Éros en cendres. Ça ne me posera pas de problème. Mais vous devez m’accorder le temps d’essayer à ma façon d’abord.

Holden interrogea Naomi du regard. Le visage de la jeune femme était pâle. Il chercha à décrypter son avis dans son expression, pour savoir ce que d’après elle il devrait faire. Il ne discerna aucune réponse. C’était à lui de décider.

— Est-ce que vous aurez besoin de plus de vingt-sept heures ? demanda-t-il finalement.

Il entendit Miller souffler bruyamment. Sa réponse fut empreinte d’une gratitude qui, à sa façon, était pire que le ton implorant employé plus tôt :

— Je ne sais pas. Il y a peut-être deux mille kilomètres de tunnels et de couloirs ici, et aucun des systèmes de transport ne fonctionne. Je dois aller partout en traînant ce putain de chariot. Sans parler du fait que je ne sais pas vraiment ce que je recherche. Mais laissez-moi un peu de temps, et je le découvrirai.

— Et vous savez que, si ça ne marche pas, vous devrez la tuer. Julie, et vous aussi ?

— Je sais.

Holden fit calculer par le système du Rossi le temps que mettrait Éros pour atteindre la Terre, en prenant pour base son taux actuel d’accélération. Les missiles terriens couvraient la distance beaucoup plus vite que l’astéroïde. C’étaient simplement des propulseurs Epstein munis d’une ogive nucléaire. Les limites de leur accélération étaient les limites fonctionnelles du propulseur Epstein lui-même. S’ils n’arrivaient pas à destination, il faudrait encore près d’une semaine à Éros pour atteindre la Terre, même avec ce taux constant d’accélération.

Il y avait là matière à une certaine souplesse.

— Attendez, je veux voir quelque chose, dit Holden à Miller avant de couper la connexion. Naomi, les missiles foncent en ligne droite sur Éros, et d’après les calculs du Rossi ils l’intercepteront dans environ vingt-sept heures. Combien de temps gagnerions-nous si nous transformions cette trajectoire directe en une trajectoire courbe ? Et quelle courbe pouvons-nous appliquer à cette trajectoire pour que les missiles aient toujours une chance d’atteindre Éros avant qu’il soit trop proche ?

Naomi inclina la tête de côté et lui lança un regard soupçonneux.

— Qu’est-ce que tu t’apprêtes à faire ? dit-elle.

— Peut-être bien lui donner une chance d’éviter la première guerre interespèces.

— Tu fais confiance à Miller ? s’écria-t-elle avec une véhémence surprenante. Tu penses qu’il est fou. Tu l’as balancé hors du vaisseau parce que tu le prenais pour un tueur et un psychopathe, et maintenant tu es d’accord pour le laisser parler au nom de l’humanité à cette chose extraterrestre qui veut nous tailler en pièces ?

Holden dut réprimer un sourire. Quand on disait à une femme combien la colère augmentait son charme, cela la rendait très vite beaucoup moins charmante. Par ailleurs, il voulait qu’elle comprenne sa démarche. C’était ainsi qu’il saurait s’il avait raison.

— Tu m’as déjà dit qu’il voyait juste, alors que je pensais le contraire.

— Ce n’était pas un jugement général, répliqua-t-elle en détachant les syllabes de chaque mot comme si elle s’adressait à un enfant peu éveillé. J’ai dit qu’il avait eu raison d’abattre Dresden. Ce qui ne signifie pas que Miller est équilibré. Il est parti pour se suicider, Jim. Il fait une fixation sur cette fille morte. Je ne peux même pas imaginer ce qui lui passe par la tête en ce moment.

— D’accord avec toi sur ce point. Mais il est là-bas, sur les lieux, il a un don d’observation certain, et il saisit vite les situations. Ce type nous a suivis jusqu’à Éros rien qu’en se fondant sur le nom que nous avons choisi pour le vaisseau. C’est sacrément impressionnant. Il ne m’avait encore jamais rencontré, et pourtant il me connaissait déjà assez bien grâce à ses recherches pour savoir que je serais du genre à baptiser mon vaisseau d’après le nom du cheval de Don Quichotte.

Naomi éclata de rire.

— Ah oui ? C’est de là que ça vient ?

— Donc, quand il affirme connaître Julie, je le crois.

Elle voulut dire quelque chose, se ravisa et demanda d’un ton un peu radouci :

— Tu penses qu’elle peut battre les missiles ?

— Lui le pense. Il pense aussi être en mesure de la dissuader de tous nous tuer. Il faut que je lui donne sa chance. Je lui dois bien ça.

— Même si le résultat, c’est la destruction de la Terre ?

— Non, dit-il. Pas à ce point.

Elle réfléchit un instant. Sa colère s’était dissipée.

— Alors retarde le moment de l’impact. Mais n’annule rien.

— Fais-lui gagner un peu de temps. Combien est-il possible de grappiller ?

Elle fronça les sourcils, consulta les mesures affichées. Il pouvait presque voir les diverses options passer au crible de son esprit. Elle sourit, toute férocité absente de son expression maintenant, remplacée par cette mimique malicieuse qu’elle avait quand elle se montrait réellement intelligente.

— Autant que tu veux.


* * *

— Vous voulez faire quoi ? dit Fred Johnson.

— Infléchir un peu la course des missiles afin que Miller ait un peu plus de temps, mais pas au point que nous ne puissions pas les utiliser pour détruire Éros si nécessaire, répondit Holden.

— C’est simple, ajouta Naomi. Je vous envoie les instructions détaillées.

— Donnez-moi déjà une vue d’ensemble de votre idée.

— La Terre a défini pour cibles à ses missiles les cinq transpondeurs des transports arrimés sur Éros, dit Naomi en affichant son plan sur la vidéo du système comm. Vous avez des vaisseaux et des stations dans toute la Ceinture. Vous utilisez le programme de reconfiguration pour transpondeur que vous nous avez donné l’autre fois, et vous n’arrêtez pas de déplacer les codes transpondeur à des vaisseaux ou des stations se trouvant sur ces vecteurs, afin d’entraîner les missiles dans une longue trajectoire courbe qui finira par revenir sur Éros.

Fred secoua la tête.

— Ça ne marchera pas. À la minute où il détectera la manip, le commandement de la Flotte des Nations unies fera en sorte que les missiles cessent de suivre ces codes, et il trouvera un autre moyen de cibler Éros. Et il sera très en rogne contre nous.

— Ouais, ils vont être en rogne, c’est sûr, dit Holden. Mais ils ne vont pas reprendre le contrôle de leurs missiles. Juste avant que vous commenciez à les dévier, nous allons lancer sur les missiles un effort massif de piratage venu d’endroits multiples.

— Ils en déduiront qu’un ennemi tente de les prendre au piège, et ils verrouilleront toute reprogrammation en vol.

— Exactement, approuva Holden. Nous leur dirons que nous allons les piéger pour qu’ils arrêtent d’écouter, et dès qu’ils arrêteront d’écouter nous les piègerons.

Johnson secoua la tête une fois encore, en lançant à Holden le regard vaguement effrayé d’un homme qui avait envie de sortir lentement à reculons de la pièce.

— Il n’est pas question que j’entérine cette manœuvre, dit-il. Miller n’arrivera pas à conclure un marché magique avec les extraterrestres. Nous finirons par atomiser Éros, quoi qu’il arrive. Pourquoi retarder l’inévitable ?

— Parce que je commence à penser que ce serait moins dangereux en procédant de cette manière, répondit Holden. Si nous utilisons les missiles sans avoir neutralisé le centre de commandes d’Éros… son cerveau… comme vous voudrez l’appeler, nous n’aurons pas l’assurance que ça marchera, mais je suis certain que nos chances de réussite baisseront. Miller est le seul en position de faire ça. Et ce sont ses conditions.

Johnson grommela une obscénité.

— S’il ne réussit pas à lui parler, il la détruira, poursuivit Holden. Je lui fais confiance. Allons, Fred, vous connaissez les spécifications techniques de ces missiles aussi bien que moi. Mieux. On met assez de boulettes de carburant dans leurs propulseurs pour qu’ils fassent deux fois le tour du système solaire. Nous ne perdons rien en accordant un peu plus de temps à Miller.

Johnson secoua la tête une troisième fois. Holden vit ses traits se durcir. Il n’allait pas accepter. Avant qu’il puisse refuser, le capitaine du Rossi ajouta :

— Vous vous souvenez de cette boîte contenant les échantillons de protomolécule, et toutes les notes du laboratoire ? Vous voulez connaître mon prix pour l’avoir ?

— Vous avez complètement perdu l’esprit, dit lentement Johnson.

— Vous voulez l’obtenir, oui ou non ? Vous voulez le ticket magique pour un siège à la table des négociations ? Eh bien, vous connaissez mon prix, à présent. Donnez sa chance à Miller, et l’échantillon est à vous.


* * *

— Je serais curieux de savoir comment vous vous y êtes pris pour les convaincre, dit Miller. Je pensais très probable que je sois foutu.

— Aucun intérêt, éluda Holden. Nous vous avons obtenu un délai supplémentaire. Allez trouver la fille, et sauvez l’humanité. Nous attendrons que vous nous donniez de vos nouvelles.

Il ne jugea pas nécessaire de préciser : Et nous serons prêts à vous réduire en poussière si vous ne le faites pas.

— J’ai réfléchi à l’endroit où aller, si j’arrive à lui parler, dit Miller, qui avait déjà perdu l’espoir d’un homme ayant un billet de loterie. Je veux dire : il faut bien qu’elle laisse cette chose quelque part.

Si nous survivons. Si je réussis à la sauver. Si le miracle s’accomplit.

Holden eut une moue expressive que personne ne put voir.

— Donnez-lui Vénus, fit-il. C’est un endroit affreux.

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