45 Holden

Naomi parlait pendant son sommeil. C’était une des dizaines de particularités qu’Holden ignorait sur elle avant cette nuit. Même s’ils avaient souvent dormi dans des sièges anti-crash séparés de seulement quelques dizaines de centimètres, il ne l’avait jamais remarqué. À présent, avec la tête de la jeune femme posée sur sa poitrine nue, il sentait les mouvements de ses lèvres et le souffle doux et modulé qui accompagnait ses paroles. En revanche, il n’arrivait pas à saisir ce qu’elle disait.

Elle avait également une cicatrice dans le dos, juste au-dessus de la fesse gauche. Longue de sept centimètres environ, elle avait les bords dentelés d’une déchirure plutôt que d’une coupure. Elle n’était pas adepte des bagarres de bar, ce devait donc être un souvenir de travail. Peut-être avait-elle voulu se glisser dans un espace trop étroit de la salle des machines, alors que le vaisseau se lançait dans une manœuvre inattendue. Un chirurgien esthétique compétent aurait pu faire disparaître cette marque disgracieuse en une seule séance. Qu’elle n’ait pas pris cette peine et que visiblement cela ne la préoccupe pas constituait un autre aspect de sa personnalité qu’il avait découvert cette nuit.

Elle cessa de murmurer et se passa la langue sur les lèvres à plusieurs reprises, avant de dire :

— Soif.

Holden glissa précautionneusement pour s’écarter d’elle et se dirigea vers la cuisine, conscient qu’il cédait à l’obséquiosité accompagnant toujours les premiers émois avec un nouvel amour. Pendant les deux semaines à venir, il serait incapable de ne pas complaire au moindre désir que Naomi exprimerait. Chez certains hommes, c’était un comportement presque génétique, comme si leur ADN les poussait à s’assurer que cette première fois n’était pas un pur concours de circonstances.

La disposition de sa chambre était différente de la sienne, ce qui le rendit maladroit dans l’obscurité. Il tâtonna un bon moment dans le coin cuisine avant de trouver un verre. Quand il l’eut rempli et fut revenu auprès d’elle, la jeune femme était assise dans le lit, le drap ramassé sur ses jambes. À sa vue, à demi nue dans la pénombre de la pièce, il eut une érection aussi subite qu’embarrassante.

Le regard de Naomi détailla son corps, s’attarda au niveau de sa taille, puis sur le verre d’eau.

— C’est pour moi ? dit-elle.

Ne sachant pas avec certitude de quoi elle parlait, il répondit simplement par l’affirmative.


* * *

— Tu dors ?

Naomi avait la joue posée sur le ventre d’Holden, et sa respiration était lente et profonde, mais à la grande surprise du Terrien elle répondit aussitôt :

— Non.

— On pourrait parler ?

Elle roula sur elle-même et se redressa jusqu’à ce que son visage soit près du sien sur l’oreiller. Ses cheveux retombaient sur ses yeux, et de la main il les repoussa, dans un mouvement si intime et possessif qu’il dut déglutir pour chasser le nœud se formant dans sa gorge.

— Est-ce que tu envisagerais les choses sérieusement avec moi ? demanda-t-elle, les yeux mi-clos.

— Oui, dit-il, et il déposa un baiser sur son front.

— Mon dernier amant, c’était il y a plus d’un an. Je suis une serial monogame, donc, en ce qui me concerne, c’est un contrat d’exclusivité jusqu’à que l’un de nous deux décide que ça ne l’est plus. Pour peu que tu préviennes un peu à l’avance de ta décision de mettre fin au contrat, je ne t’en voudrai pas. Je suis ouverte à l’idée que notre relation dépasse l’aspect sexuel, mais d’après mon expérience ça viendra tout seul, si ça doit venir. J’ai des ovules stockés sur Europe et Luna, au cas où tu voudrais savoir.

Elle se dressa sur un coude, et son visage domina celui d’Holden.

— Est-ce que j’ai fait le tour du sujet ?

— Non, répondit-il. Mais je suis d’accord avec les conditions.

Elle se laissa retomber sur le dos et poussa un long soupir de satisfaction.

— Bien.

Il aurait aimé la serrer dans ses bras, mais comme il était brûlant et en sueur il se contenta de lui prendre la main. Il voulait lui dire que pour lui c’était réellement important, que c’était déjà plus qu’une relation sexuelle, mais toutes les phrases qui se bousculaient dans sa tête lui semblaient immédiatement sonner faux, ou être trop larmoyantes.

— Merci, dit-il simplement.

Mais déjà elle ronflait paisiblement.


* * *

Le matin venu, ils refirent l’amour. Après une longue nuit sans avoir dormi assez, leurs ébats tournèrent plus à l’effort qu’à la détente pour Holden, mais il y trouva aussi du plaisir, comme si un rapport moins torride signifiait quelque chose de différent, de plus amusant et doux que ce qu’ils avaient déjà connu ensemble. Ensuite il alla dans la cuisine, fit du café et le rapporta dans la chambre sur un plateau. Ils burent sans parler, et une partie de la timidité qu’ils avaient évitée la nuit précédente s’imposa alors dans l’éclairage artificiel qui baignait la pièce.

Naomi reposa sa tasse vide et effleura d’un doigt la bosse pas encore résorbée sur le nez cassé du Terrien.

— C’est très moche ? demanda-t-il.

— Non, tu étais trop parfait, avant. Ça te rend plus réel.

Il rit.

— On dirait un mot que tu emploierais pour décrire un gros homme ou un professeur d’histoire.

Elle sourit et de la pointe des doigts toucha légèrement sa poitrine. Le geste n’était pas une tentative pour l’exciter, juste l’exploration qui venait quand la satiété avait gommé le sexe de l’équation. Holden essaya de se rappeler la dernière fois que la réalité de la situation après un rapport sexuel avait été aussi agréable, mais peut-être qu’il n’avait jamais connu une telle sensation. Il pensait sérieusement à passer le restant de la journée au lit avec elle, et établissait une liste mentale des restaurants de la station livrant à domicile quand son terminal se mit à tinter sur la table de chevet.

— Ah, merde, grogna-t-il.

— Tu n’es pas obligé de répondre, fit Naomi qui dirigeait maintenant son exploration tactile vers le ventre du Terrien.

— Tu as remarqué ce qui se passait ces derniers mois, pas vrai ? répondit-il. À moins que ce soit une erreur, c’est sûrement l’annonce d’un truc du genre fin du système solaire, et nous allons avoir cinq minutes pour évacuer la station.

Elle fit courir ses lèvres sur son flanc, ce qui le chatouilla et le poussa à mettre en doute ses certitudes quant à sa satisfaction sexuelle.

— Ce n’est pas amusant, dit-elle.

Il soupira et prit le terminal. Le nom de Johnson s’affichait sur l’écran. La sonnerie se fit entendre de nouveau.

— C’est Fred, annonça-t-il.

Elle cessa ses baisers et se remit en position assise.

— Alors c’est probablement une mauvaise nouvelle.

Il toucha l’écran pour accepter l’appel.

— Fred ?

— Jim. Venez me voir dès que vous le pourrez. C’est important.

— Entendu. Je serai là dans une demi-heure.

Il coupa la communication et lança son terminal à travers la pièce. L’appareil atterrit sur le tas de vêtements qu’il avait laissé au pied du lit.

— Je prends une douche et je vais voir ce qu’il me veut, dit-il en repoussant les draps pour se lever.

— Je devrais venir, moi aussi ? demanda Naomi.

— Tu plaisantes ? Il n’est plus question que tu sois hors de ma vue.

— N’essaie pas de me donner la chair de poule, répliqua-t-elle, mais en souriant.


* * *

À leur arrivée, la première surprise déplaisante fut de voir Miller assis dans le bureau de Johnson. Holden le salua d’un signe à peine ébauché et s’adressa aussitôt à Fred :

— Nous voilà. Que se passe-t-il ?

D’un geste, le colonel les invita à s’asseoir, ce qu’ils firent.

— Nous avons discuté de ce qu’il convenait de faire, pour Éros, dit-il.

— Bon, et alors ? fit Holden.

— Miller pense que quelqu’un va tenter de se poser là-bas et de récupérer des échantillons de la protomolécule.

— J’imagine sans difficulté que certaines personnes soient assez stupides pour le faire, approuva le Terrien.

Johnson se leva de son fauteuil et appuya sur une touche de son bureau. Les écrans qui en temps normal relayaient une vue de la construction du Nauvoo à l’extérieur affichèrent une carte en deux dimensions du système solaire. Des points lumineux minuscules de différentes couleurs marquaient la position des unités des diverses flottes. Une nuée verte entourait Mars. Holden en déduisit que les points de cette couleur représentaient les vaisseaux terriens. Les rouges et les jaunes étaient présents en grand nombre dans la Ceinture et près des planètes extérieures. Les rouges étaient très certainement les Martiens, donc.

— Jolie carte, dit-il. Elle est exacte ?

— Raisonnablement.

Il pianota sur son bureau et l’écran zooma sur une portion de la Ceinture. Un astéroïde en forme de pomme de terre et avec la mention ÉROS occupait le centre. Deux petits points verts distants de plusieurs mètres sur la représentation se dirigeaient vers lui.

— C’est le vaisseau scientifique terrien Charles Lyell qui fait route vers Éros à vitesse maximale. Il est accompagné de ce que nous pensons être une unité d’escorte de classe Fantôme.

— Le cousin du Rossi dans la Flotte terrienne, dit Holden.

— En fait les unités de classe Fantôme sont plus anciennes, et généralement reléguées à des missions d’échelon inférieur, mais elles demeurent des adversaires redoutables pour n’importe quel appareil que l’APE pourrait envoyer sur zone, corrigea Johnson.

— Mais c’est exactement le genre de vaisseau qui escorte les expéditions scientifiques, remarqua Holden. Comment ont-ils fait pour arriver là aussi vite ? Et pourquoi ne sont-ils que deux ?

Fred rebascula la carte sur une vue globale du système solaire.

— Un coup de chance pour eux. Le Lyell revenait sur Terre après avoir cartographié un astéroïde n’appartenant pas à la Ceinture quand il a infléchi sa course en direction d’Éros. Il en était plus proche que n’importe quelle autre unité. La Terre a dû y voir une occasion en or de s’approprier des échantillons pendant que tout le monde en est encore à se demander quoi faire.

Holden regarda Naomi, mais elle demeurait impassible. Miller le dévisageait comme un entomologiste qui cherche à déterminer avec précision où l’épingle a été plantée.

— Donc ils sont au courant ? dit le Terrien. Pour Protogène et Éros ?

— C’est ce que nous pensons, répondit Johnson.

— Vous voulez que nous les chassions ? À mon avis, c’est faisable, mais ça ne marchera que le temps nécessaire à la Terre pour dérouter quelques vaisseaux de plus et les envoyer en soutien au Lyell. Nous ne pourrons pas gagner beaucoup de temps.

Fred sourit.

— Nous n’avons pas besoin de beaucoup de temps, dit-il. Nous avons un plan.

Holden attendait d’en savoir plus, mais le colonel et se cala au fond de son siège sans rien ajouter. Miller se leva et changea la vue de l’écran pour un plan rapproché de la surface d’Éros.

Et maintenant nous allons savoir pourquoi Fred garde ce chacal auprès de lui, pensa le Terrien.

L’ex-inspecteur pointa le doigt sur la station.

— Éros est une installation qui date. Avec beaucoup de systèmes redondants, et de trous dans sa peau, surtout de petits sas de maintenance, expliqua-t-il. Les quais principaux sont regroupés en cinq endroits autour de la structure. Nous envisageons d’envoyer cinq transports de ravitaillement sur Éros, avec le Rossinante. Le Rossi empêchera le vaisseau scientifique de se poser, et les transports s’arrimeront à la station, chacun à un complexe d’accostage.

— Vous voulez envoyer des gens à l’intérieur ? dit Holden.

— Pas à l’intérieur, uniquement en surface. Bref. Le sixième transport évacue les équipages des cinq autres une fois ceux-ci en position. Chaque vaisseau abandonné sera équipé de deux douzaines d’ogives nucléaires à rendement élevé reliées aux détecteurs de proximité de chaque transport. Toute tentative de débarquement entraînera une explosion nucléaire de quelques centaines de mégatonnes. Ça devrait suffire à détruire un vaisseau en approche, et même si ce n’est pas le cas les installations seront trop endommagées pour qu’on puisse y débarquer.

Naomi se racla la gorge.

— Euh… Les Nations unies et Mars ont des équipes de déminage. Elles trouveront un moyen de désamorcer vos pièges.

— Oui, si elles ont assez de temps pour ça, approuva Johnson.

Miller continua sa démonstration comme s’il n’avait pas été interrompu :

— Les bombes ne sont que la seconde ligne de dissuasion. D’abord le Rossinante, ensuite les ogives. Nous faisons en sorte de donner aux hommes de Fred le temps nécessaire pour préparer le Nauvoo.

— Le Nauvoo ? répéta Holden.

Une seconde plus tard, Naomi laissa échapper un sifflement bas. Miller la regarda et hocha la tête presque comme s’il acceptait des applaudissements.

— Le lancement du Nauvoo sur une longue course parabolique pendant laquelle il prendra de la vitesse. Il percutera Éros selon une vélocité et un angle calculés pour propulser l’astéroïde vers le soleil. L’impact déclenchera également la mise à feu des ogives. Entre l’énergie de l’impact et celle développée par les charges nucléaires, nous pensons que la surface d’Éros deviendra assez brûlante et radioactive pour griller tout ce qui tenterait de s’y poser, jusqu’à ce que ce soit trop tard.

Miller se rassit et guetta la réaction des autres.

— C’était votre idée ? lui demanda Holden.

— La partie concernant le Nauvoo. Mais nous n’étions pas au courant pour le Lyell quand nous avons commencé à en parler. L’idée de piéger les points d’accès est plus improvisée. Mais je pense que ça marchera. Ça nous permettra de gagner assez de temps.

— Je suis d’accord, dit Holden. Il faut que nous fassions tout pour qu’Éros reste hors de portée de tout le monde, et je ne vois pas de meilleure solution pour s’en assurer. Nous sommes de la partie. Nous chasserons le vaisseau scientifique pendant que vous accomplirez votre part du plan.

Son fauteuil émit un petit craquement quand Fred se pencha en avant et dit :

— Je savais que vous en seriez. Miller était plus sceptique.

— Envoyer un million de personnes dans le soleil m’a semblé être le genre d’initiative qui risquait de vous faire renâcler, expliqua l’ex-inspecteur avec une grimace dénuée de tout humour.

— Il n’y a déjà plus rien d’humain sur cette station. Et vous, vous ferez quoi, dans tout ça ? Vous jouerez au stratège du fond de votre fauteuil ?

La remarque était plus agressive qu’il ne l’aurait voulu, mais Miller ne parut pas s’en offenser.

— Je vais coordonner les forces de sécurité.

— La sécurité ? Pourquoi auront-ils besoin de la sécurité ?

Miller sourit, comme il aurait souri en entendant une bonne blague lors de funérailles.

— Au cas où quelque chose se glisserait hors d’un sas, et voudrait jouer au passager clandestin.

Holden grimaça.

— Je n’aime pas l’idée que ces choses puissent se déplacer dans le vide. Non, je n’aime pas du tout cette idée.

— Une fois que nous aurons amené la température de surface d’Éros à un gentil dix mille degrés, je pense que ça n’aura pas trop d’importance, répliqua Miller. Mais jusque-là, autant prendre toutes les précautions possibles.

Le capitaine aurait souhaité partager son assurance.

— Quelles sont les probabilités que l’impact et les explosions aient pour résultat de pulvériser Éros en un millions de morceaux qui se disperseraient dans tout le système solaire ? demanda Naomi.

— Fred a chargé ses meilleurs experts de tout calculer jusqu’à la dernière décimale pour être certain que ça n’arrivera pas, répondit Miller. Tycho a aidé à construire la station. Ils ont tous les plans.

— Et maintenant, voyons le dernier point, dit Johnson.

Holden attendit la suite.

— Vous détenez toujours la protomolécule, n’est-ce pas ? dit Fred.

Holden hocha la tête.

— Et alors ?

— Alors, la dernière fois que nous vous avons envoyé en mission, votre vaisseau était presque une épave. Quand Éros aura reçu son traitement atomique, ce sera le seul échantillon confirmé, en dehors de ce qui se trouve peut-être toujours sur Phœbé. Je ne vois aucune raison de vous laisser le conserver. Je veux qu’il reste ici, sur Tycho, quand vous partirez.

Holden se leva.

— Non, Fred. Je vous aime bien, mais il n’est pas question que je confie cette saloperie à quelqu’un qui pourrait la voir comme un objet de marchandage.

— Je ne pense pas que vous ayez beaucoup de…, commença Johnson.

Holden leva une main pour l’interrompre, et pendant que l’autre le dévisageait avec surprise, il saisit son terminal et le régla sur le canal de l’équipage.

— Alex, Amos, un de vous est à bord ?

— Moi, répondit la voix du mécanicien une seconde plus tard. Je termine quelques…

— Verrouillez le vaisseau, lui ordonna Holden. Immédiatement. Verrouillez-le hermétiquement. Si je ne vous recontacte pas d’ici une heure, ou si quelqu’un d’autre que moi tente d’embarquer, filez de Tycho à puissance maximale. Je vous laisse le choix de votre destination. Utilisez l’armement pour passer s’il le faut. C’est bien compris ?

— Cinq sur cinq, chef, dit Amos.

Il aurait répondu sur le même ton si le capitaine lui avait demandé de lui apporter une tasse de café.

Johnson le regardait toujours avec incrédulité.

— N’insistez pas, Fred, lui dit Holden.

— Si vous pensez être en position de me menacer, vous faites erreur, déclara le colonel d’une voix désincarnée parfaitement effrayante.

Miller éclata de rire.

— Quelque chose de drôle ? siffla Johnson.

— Ce n’était pas une menace.

— Ah non ? Et comment définiriez-vous ce qui vient d’être dit ?

— J’appellerais ça un rapport très précis de l’état du monde, dit Miller qui s’étira paresseusement. Si c’était Alex qui se trouvait à bord, il pourrait penser que le capitaine essaie d’intimider quelqu’un, et qu’il changera peut-être d’avis à la dernière minute. Mais Amos ? Amos n’hésitera pas à se frayer un passage à coups de torpilles, même s’il risque sa peau et le vaisseau.

Fred eut un rictus mauvais, et Miller secoua la tête :

— Non, ce n’est pas du bluff. Ne tentez pas le diable.

Les yeux du colonel s’étrécirent, et Holden se demanda s’il n’avait pas fini par aller trop loin avec cet homme. Il ne serait certainement pas la première personne dont Fred Johnson aurait ordonné l’exécution par balle. Et il avait Miller planté juste à côté. Ce déséquilibré d’ex-flic le descendrait sûrement si quelqu’un laissait entendre que c’était une bonne idée. La seule présence de Miller ébranla la confiance qu’Holden avait placée en Johnson.

Ce qui ne fit qu’accroître sa surprise quand Miller lui sauva la mise :

— Écoutez, le fait est qu’Holden est la personne la plus capable pour trimballer cette saloperie jusqu’à ce que vous ayez décidé quoi en faire.

— Soyez plus convaincant, dit Johnson d’une voix enrouée par la colère.

— Quand Éros se sera volatilisé, lui et le Rossi vont avoir chaud aux miches. Quelqu’un pourrait lui en vouloir assez pour lui balancer un missile nucléaire, juste par principe.

— Et en quoi cette éventualité fait que l’échantillon est plus en sécurité avec lui ? contra Johnson, mais Holden avait compris la position de Miller.

— Les gens intéressés seront peut-être moins enclins à m’atomiser si je leur fais savoir que je détiens l’échantillon et toutes les notes de Protogène, dit-il.

— Ce n’est pas pour autant que l’échantillon sera plus en sécurité, enchaîna Miller, mais ça accroît les chances de réussite de la mission. Et c’est ça qui importe, non ? Et puis, ce type est un idéaliste. Offrez-lui son poids en or et il se vexera parce que vous aurez essayé de l’acheter.

Naomi ne put retenir un rire. Miller lui glissa un regard rapide, un petit sourire au coin des lèvres, puis il se tourna de nouveau vers Fred.

— Vous êtes en train de m’expliquer qu’on peut lui faire confiance, et pas à moi ? dit le colonel.

— Je pensais plutôt à l’équipage, éluda Miller. Celui d’Holden est réduit, et ils lui obéissent au doigt et à l’œil. Ils pensent qu’il est droit, alors ils se mettent au diapason.

— Mes hommes me suivent, dit Johnson.

Le sourire de Miller était aussi las qu’inébranlable.

— Il y a beaucoup de gens dans l’APE…

— Les enjeux sont trop énormes, dit Fred.

— Votre position sociale n’est pas idéale pour jouer au coffre-fort, répliqua Miller. Je ne prétends pas que c’est un plan génial. Seulement que vous n’en trouverez pas de meilleur.

Les yeux du colonel n’étaient plus que deux fentes où brillaient à parts égales l’éclat de la rage et celui de la frustration. Sa mâchoire remua un moment avant qu’il parle.

— Capitaine ? Je suis très déçu de votre manque de confiance envers moi, après tout ce que j’ai fait pour vous et les vôtres.

— Si l’espèce humaine existe encore dans un mois, je vous présenterai mes excuses, promit le Terrien.

— Partez d’Éros avec votre équipage, avant que je change d’avis.

Holden se leva, inclina la tête à l’attention du militaire, et sortit avec Naomi.

— La vache, on n’est pas passés loin, lui dit-elle dans un souffle.

Il attendit qu’ils aient quitté la pièce pour répondre :

— Je pense que Fred était à deux doigts de me faire descendre par Miller.

— Miller est de notre côté. Tu ne l’as pas encore compris ?

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