38 Miller

Le pont d’observation dominait le Nauvoo qui s’assemblait lentement. Assis sur le bord d’un canapé moelleux, les doigts entrelacés de ses mains recouvrant un genou, Miller contemplait le panorama immense qu’offrait le chantier de construction. Après le temps passé sur le vaisseau d’Holden et, avant cela, sur Éros, avec son architecture fermée selon l’ancien style, une vision aussi étendue paraissait artificielle. Le pont lui-même était plus vaste que le Rossinante et décoré de fougères souples et de lierre à l’aspect sculpté. Les recycleurs d’air étaient étrangement silencieux, et, bien que la gravité de rotation fût sensiblement la même que celle de Cérès, de façon subtile la force de Coriolis paraissait fausse.

Il avait vécu dans la Ceinture toute sa vie, et jamais il n’avait visité un endroit conçu avec un tel soin et un tel goût, dans le but d’étaler la richesse et le pouvoir. L’ensemble était agréable tant qu’il n’y réfléchissait pas trop.

Il n’était pas le seul à se trouver attiré par les espaces ouverts de Tycho. Quelques dizaines d’employés de la station étaient assis en groupes ou déambulaient ensemble. Une heure auparavant, Amos et Alex étaient passés devant lui, absorbés dans leur conversation, et il ne fut pas tellement surpris quand, se levant et reprenant le chemin des quais, il aperçut Naomi assise, avec pour seule compagnie un bol de nourriture qui refroidissait sur un plateau à côté d’elle. Toute son attention était concentrée sur son terminal.

— Salut, dit-il.

Elle leva les yeux, le reconnut et lui adressa un sourire distrait.

— Salut, fit-elle.

Il désigna le terminal d’un regard expressif qui en revenant sur elle se transforma en question muette.

— Données comm en provenance de ce vaisseau, expliqua-t-elle.

C’était toujours ce vaisseau, songea-t-il. De la même façon, les gens appelaient la scène d’un crime particulièrement atroce cet endroit.

— Tout est transmis par faisceau de ciblage, je me suis donc dit que ce ne serait pas trop difficile à trianguler. Mais…

— Ce n’est pas si facile ?

Elle fit la moue et soupira.

— J’ai établi le tracé des orbites, mais rien ne colle. Il pourrait y avoir des drones de relais, bien sûr. Des cibles mouvantes sur lesquelles le système du vaisseau était calibré et qui renverraient le message à la station. Ou un autre drone, et ensuite la station, ou un autre agencement, qui sait ?

— Des données en provenance d’Éros ?

— Je suppose que oui, répondit-elle, mais je ne crois pas qu’il serait plus facile de les interpréter que celles-là.

— Vos amis de l’APE ne peuvent rien faire ? Ils disposent d’une puissance de traitement plus grande que celle d’un simple appareil individuel. Et ils ont probablement une meilleure carte de l’activité dans la Ceinture.

— Probablement.

Il n’aurait pu dire si elle ne faisait pas confiance à ce Fred Johnson auquel Holden les avait confiés, ou si elle avait juste besoin de penser que l’enquête lui appartenait toujours. Il envisagea de lui conseiller de se mettre en retrait pendant un temps, de laisser les autres prendre la relève, mais il n’était pas certain d’avoir sur elle l’autorité morale nécessaire pour s’assurer sa coopération.

— Quoi ? dit-elle, et un sourire hésitant planait sur ses lèvres.

Il s’arracha à ses pensées.

— Vous étiez en train de rire tout bas, expliqua-t-elle. Je crois bien que je ne vous avais encore jamais vu rire. Enfin, quand il y avait quelque chose de drôle.

— Je pensais à un conseil qu’un de mes collègues m’avait donné concernant les affaires qu’il vaut mieux laisser tomber quand on vous les retire.

— Qu’est-ce qu’il disait exactement ?

— Que ça revenait à ne s’en prendre qu’à moitié plein la gueule.

— Un vrai poète, celui-là.

— Pour un Terrien, il est plutôt bien, dit Miller, et soudain il y eut comme un déclic au fond de son esprit. Ah, bon sang, j’ai peut-être quelque chose…


* * *

Il retrouva Havelock sur un site crypté faisant partie d’un groupe de serveurs émettant depuis Ganymède. Le temps d’attente dû à l’acheminement des messages les empêchait d’avoir une conversation en temps réel. L’exercice ressemblait plutôt à un échange de billets, mais il remplit son rôle. L’attente rendait Miller anxieux. Il restait assis devant son terminal réglé pour s’actualiser toutes les trois secondes.

— Désirez-vous autre chose ? demanda la femme. Un autre bourbon ?

— Avec plaisir, répondit-il en reportant aussitôt son attention sur l’écran, pour voir si Havelock avait répondu.

Pas encore.

Comme le pont d’observation, la devanture de ce bar donnait sur le Nauvoo, mais selon un angle quelque peu différent. L’immense vaisseau paraissait réduit à cause de la perspective, et des arcs d’énergie l’illuminaient là où une couche de céramique était recuite. Un groupe de fanatiques religieux s’apprêtait à embarquer dans l’appareil géant, ce petit monde qui serait capable de les faire vivre en autarcie tout en les propulsant dans les ténèbres entre les étoiles. Des générations vivraient et mourraient dans ses entrailles, et si au terme de leur voyage ils avaient la chance hallucinante de trouver une planète où s’installer, les individus qui fouleraient son sol n’auraient jamais connu personnellement la Terre, Mars ou la Ceinture. Ils seraient déjà des étrangers. Et si ce qu’avait créé la protomolécule était là pour les accueillir, que se passerait-il ?

Mourraient-ils tous, comme Julie était morte ?

Il y avait de la vie dans cette immensité, là, au-dehors. Ils en avaient la preuve, désormais. Et la preuve leur avait été fournie sous la forme d’une arme. Qu’est-ce que cela lui indiquait ? À part peut-être que les Mormons méritaient une petite mise en garde quant à ce à quoi ils allaient confronter leurs arrière-petits-enfants en montant à bord du Nauvoo.

Intérieurement il rit en se rendant compte que c’était exactement ce qu’Holden aurait dit.

On lui apporta le bourbon au moment où son terminal sonnait. Le codage du dossier vidéo lui prit presque une minute, ce qui en soi était bon signe.

Le fichier s’ouvrit, et sur l’écran Havelock lui sourit. Il avait meilleure mine que lorsqu’il était sur Cérès, et cela se voyait à la ligne plus nette de sa mâchoire. Sa peau avait bruni, mais Miller ignorait si c’était purement cosmétique ou si son ancien équipier avait pris des bains de faux soleil par simple plaisir. Peu importait. Mais cela donnait au Terrien l’air en forme.

— Salut, mon vieux, dit Havelock. Ça fait plaisir d’avoir de tes nouvelles. Après ce qui s’est passé avec Shaddid et l’APE, j’ai craint que nous nous retrouvions dans des camps opposés. Je suis heureux de voir que tu t’es tiré avant que ça devienne le merdier absolu.

“Ouais, je suis toujours avec Protogène, et il faut que je te le dise : ces types sont flippants. Bon, j’ai déjà accompli des contrats de sécurité, et je sais voir quand quelqu’un est un dur. Ces types ne sont pas des flics. Ce sont des soldats, des commandos. Tu vois ce que je veux dire ?

“Officiellement, je sais que dalle sur une station de la Ceinture, mais tu sais comment c’est. Je viens de la Terre. Il y a un tas de ces types qui m’ont emmerdé au sujet de Cérès. Parce que je bossais avec des têtes pleines de vide. Ce genre de trucs. Mais vu comme sont les choses ici, il vaut mieux être bien avec ces connards. C’est ce genre de boulot, quoi.

Il y avait une excuse muette dans son expression. Miller comprenait très bien. Le travail dans certaines entreprises ressemblait à un passage par la case prison. Vous adoptiez le point de vue des gens qui vous entouraient. Un Ceinturien pouvait être embauché, mais jamais il ne serait complètement accepté. Comme sur Cérès, parfois il valait mieux regarder ailleurs. Si Havelock avait fait ami-ami avec une flopée de mercenaires venus des planètes intérieures qui occupaient leurs fins de soirées à tabasser les Ceinturiens à la sortie des bars, c’était parce qu’il lui avait fallu agir ainsi.

Mais faire ami-ami avec eux n’impliquait pas qu’il devienne un des leurs.

— Bon, c’est officieux, hein, mais il y a une station pour les opérations secrètes dans la Ceinture. Je n’ai pas entendu qu’elle s’appelait Thoth, mais ce serait très possible. Il y a là-bas une sorte de labo spécialisé dans la recherche et le développement de projets vraiment flippants. Une grosse brochette de scientifiques y bosse, mais ce n’est pas un complexe très important. Je pense que discret est le mot qui convient le mieux. Des défenses automatisées en pagaille, mais pas beaucoup de gardes sur le terrain.

“Pas besoin de te préciser que la divulgation des coordonnées de ce labo reviendrait à me condamner à mort ici. Alors efface ce fichier dès que tu l’auras visionné, et ne nous parlons plus pendant très, très longtemps.

Le fichier était assez réduit. Trois lignes de notations orbitales en texte normal. Miller le transféra dans son terminal et l’effaça du serveur sur Ganymède. Il avait toujours son verre en main, et il le vida d’un trait. La chaleur qui envahit sa poitrine pouvait être due au bourbon aussi bien qu’au sentiment de victoire qu’il éprouvait.

Il alluma la caméra du terminal.

— Merci. Je te suis redevable. Voilà une partie de mon paiement. Ce qui s’est passé sur Éros ? Protogène y était partie prenante, et c’est une très grosse affaire. Si tu as l’occasion de résilier ton contrat avec eux, fais-le. Et s’ils te proposent de te déplacer sur cette station réservée aux opérations secrètes, n’y va pas.

Son expression se figea. Havelock était sans aucun doute le dernier vrai partenaire qu’il ait eu et, aussi triste qu’il soit, ce constat était vrai. Le seul à l’avoir considéré comme un égal. Comme le genre d’inspecteur que Miller s’était imaginé être.

— Fais gaffe à toi, partenaire, dit-il avant de clore le fichier, de le crypter et de l’envoyer.

Au plus profond de son être, il avait la quasi-certitude qu’il ne reparlerait plus jamais à Havelock.

Il transmit une demande de connexion à Holden. Le visage ouvert, charmant et vaguement naïf du capitaine emplit le petit écran du terminal.

— Miller. Tout va bien ?

— Ouais. Super. Mais il faut que je parle à votre copain Fred. Vous pouvez arranger ça ?

Le Terrien fronça les sourcils et acquiesça en même temps.

— Bien sûr. Que se passe-t-il ?

— Je sais où se trouve la station Thoth.

— Vous savez quoi ?

— Eh oui…

— Où diable avez-vous obtenu cette info ?

Miller sourit.

— Si je vous le disais et que ça fuitait, un type bien se ferait descendre. Vous saisissez mieux comment ça fonctionne ?


* * *

Alors qu’en compagnie d’Holden et de Naomi il attendait la venue de Fred, Miller fut frappé par le nombre impressionnant de gens originaires des planètes intérieures qui luttaient contre les planètes intérieures. Ou à tout le moins qui ne combattaient pas pour elles. Fred, supposé être un membre de haut rang de l’APE. Havelock. Les trois quarts de l’équipage du Rossinante. Juliette Mao.

C’était une surprise pour lui, mais aussi, peut-être, une vue réduite de la situation, qu’il appréhendait de la même façon que Shaddid et Protogène. Si deux camps s’affrontaient, et ce fait était indiscutable, il ne s’agissait pas des planètes intérieures contre les Ceinturiens, mais de gens convaincus que c’était une bonne chose de tuer ceux à l’apparence ou aux conceptions différentes des leurs.

Et peut-être que cette analyse ne valait rien non plus. Parce que, si on lui donnait l’occasion de balancer par un sas le scientifique de Protogène, le conseil de direction et ce Dresden, Miller savait qu’il s’en voudrait pendant peut-être une demi-seconde après les avoir tous expédiés dans le vide spatial. Ce qui ne le mettait pas du côté des anges.

— Monsieur Miller. Que puis-je pour vous ?

Fred. Le Terrien de l’APE. Il portait une chemise bleue à col boutonné et un pantalon élégant. Il aurait pu être architecte, ou administrateur de niveau intermédiaire dans n’importe quelle entreprise parfaitement respectable. Miller essaya de l’imaginer en train de coordonner une bataille.

— Si vous parvenez à me convaincre que vous possédez vraiment ce qu’il faut pour neutraliser la station de Protogène, alors je vous révélerai où elle se trouve.

Les sourcils de Fred grimpèrent d’un millimètre sur son front.

— Venez dans mon bureau, dit-il.

Miller le suivit, Holden et Naomi sur ses talons. Quand les portes se furent refermées derrière eux, Fred fut le premier à parler :

— Je ne sais pas avec précision ce que vous voulez de moi. Je n’ai pas pour habitude de rendre publics mes plans de bataille.

— Nous parlons de prendre d’assaut une station entière, répondit Miller. Une installation avec des putains de bonnes défenses et peut-être d’autres vaisseaux comme celui qui a détruit le Canterbury. Sans vouloir vous manquer de respect, c’est une opération un peu trop comac pour une bande d’amateurs comme ceux de l’APE.

— Euh, Miller ? glissa Holden.

L’ex-inspecteur leva une main pour l’interrompre.

— Je peux vous donner les coordonnées de la station Thoth, poursuivit-il. Mais si je le fais et que vous n’avez pas la puissance nécessaire pour mener à bien cette opération, un tas de gens mourront et rien ne sera résolu. Je ne suis pas partant pour cette version.

Fred inclina la tête de côté, comme un chien qui vient de percevoir un son inhabituel. Naomi et Holden échangèrent un regard que Miller ne put interpréter.

— Il s’agit d’une guerre, dit ce dernier. J’ai déjà travaillé avec l’APE, par le passé, et franchement vos gars sont bien meilleurs pour toutes ces petites attaques merdiques de guérilla que pour coordonner un assaut d’envergure. La moitié de ceux qui prétendent parler en votre nom sont des tordus qui sont passés par hasard à côté d’un micro. Je vois que vous avez beaucoup d’argent. Je vois que vous avez un très joli bureau. Ce que je ne vois pas, et ce que j’ai justement besoin de voir, c’est que vous avez ce qu’il faut pour faire mordre la poussière à ces enfoirés. Investir une station entière n’est pas une partie de plaisir, ni un jeu. Je me contrefous du nombre de simulations que vous avez pu effectuer. Là, c’est la réalité. Si je vous apporte mon soutien, je veux savoir que vous êtes capable de maîtriser votre sujet.

Il y eut un long silence.

— Miller ? dit Naomi. Vous savez qui est Fred, n’est-ce pas ?

— Le porte-parole de l’APE sur Tycho. Ce qui ne m’impressionne pas outre mesure.

— C’est Fred Johnson, dit Holden.

Les sourcils de Fred s’élevèrent d’un millimètre de plus. Miller fronça les siens et croisa les bras.

— Le colonel Frederick Lucius Johnson, précisa Naomi.

D’incrédulité, Miller cligna plusieurs fois des yeux.

— Le Boucher de la station Anderson ? souffla-t-il.

— Lui-même, dit Fred. J’ai parlé avec le conseil central de l’APE. J’ai un cargo en approche, avec à son bord assez de troupes pour sécuriser la station. Le soutien aérien sera assuré par un corvette/torpilleur dernier cri.

— Le Rossi ? risqua Miller.

— Le Rossinante, confirma Fred. Et bien que vous soyez en droit de ne pas le croire, il se trouve que je sais très bien ce que je fais.

Miller regarda la pointe de ses chaussures, puis se tourna vers Holden.

— Ce Fred Johnson-là ? dit-il.

— Je pensais que vous étiez au courant, répondit le Terrien.

— Eh bien, maintenant j’ai l’impression d’être l’abruti de service.

— Ça vous passera, affirma le colonel. D’autres exigences ?

— Non, dit Miller, puis : Si. Je veux participer à l’assaut au sol. Quand nous prendrons la station, je veux en être.

— Vous en êtes bien certain ? “Investir une station entière n’est pas une partie de plaisir, ni un jeu”. Qu’est-ce qui vous fait penser que vous avez ce qu’il faut pour participer à ce genre d’opération ?

Miller haussa les épaules.

— Ce qu’il faut, c’est avoir les coordonnées de l’objectif. Et je les ai.

Fred éclata de rire.

— Monsieur Miller, si vous souhaitez attaquer cette station et risquer de vous faire tuer avec nous par ce qui nous attend à l’intérieur, je ne vous en empêcherai pas.

— Merci.

Il sortit son terminal et transmit les coordonnées décryptées à Fred.

— Voilà. Ma source est sûre, mais il n’a pas les infos de première main. Une confirmation est donc impérative avant de passer à l’action.

— Je ne suis pas un amateur, lâcha le colonel Johnson en lisant le fichier.

Miller salua, réajusta son feutre et sortit de la pièce. Naomi et Holden l’imitèrent. Quand ils furent dans la grande allée publique, Miller accrocha le regard du Terrien.

— Je croyais vraiment que vous saviez, dit Holden.


* * *

Huit jours plus tard, le message leur parvint. Le cargo Guy Molinari était arrivé, bondé de soldats de l’APE. Les coordonnées transmises par Havelock avaient été vérifiées. Il y avait bien une installation là-bas, et elle collectait le flux de données envoyé par faisceau de ciblage depuis Éros. Si Miller voulait faire partie de l’aventure, il était temps pour lui de bouger.

Il était assis dans sa cabine à bord du Rossinante, pour ce qui était certainement la dernière fois. Il se rendit compte avec un peu de tristesse et d’étonnement mêlés que cet endroit allait lui manquer. Malgré tous ses défauts et tout ce qu’il était en droit de lui reprocher, Holden était un type bien. Dépassé par la situation et seulement à moitié conscient de cet état de fait, mais Miller aurait pu citer bon nombre de personnes dans le même cas de figure. Il allait aussi regretter l’étrange accent traînant d’Alex, et la grossièreté tranquille d’Amos. Et il allait se demander si et comment Naomi clarifierait ses rapports avec son capitaine.

Ce départ lui rappelait certaines choses qu’il savait déjà : il ignorait ce que le futur proche lui réservait, il n’avait pas beaucoup d’argent, et même s’il était certain de revenir de la station Thoth, où il irait ensuite et par quel moyen relèverait de l’improvisation. Peut-être trouverait-il à se faire embaucher sur un autre vaisseau. Peut-être devrait-il signer un contrat et économiser pour couvrir ses nouvelles dépenses de santé.

Il vérifia le chargeur de son arme. Fourra ses maigres effets dans le petit sac à dos usé qu’il avait pris sur le transport venu de Cérès. Tout ce qu’il possédait y entrait sans problème.

Il éteignit les lumières et parcourut la petite coursive menant à l’échelle-ascenseur. En passant devant l’entrée de la coquerie, il vit à l’intérieur un Holden manifestement très nerveux. L’angoisse que générait l’idée des combats à venir se lisait déjà au coin de ses yeux.

— Eh bien, dit Miller, c’est parti, hein ?

— Ouais, fit le Terrien.

— Ça a été un sacré voyage. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’il a toujours été agréable, mais…

— Ouais.

— Saluez les autres de ma part, vous voulez bien ?

— Je n’y manquerai pas, dit Holden.

Alors que Miller allait repartir vers l’ascenseur, il ajouta :

— En supposant que nous en réchappions tous, où nous retrouverons-nous ?

Miller se figea.

— Je ne comprends pas, avoua-t-il.

— Ouais, je sais. Écoutez, j’ai confiance en Fred, sinon je ne serais pas venu ici. Je pense que c’est un homme d’honneur, et qu’il fera ce qui convient. Mais ça ne veut pas dire que j’ai confiance dans tout l’APE. Après cette opération, je veux que tout l’équipage se regroupe. Juste au cas où il nous faudrait filer en vitesse.

Quelque chose de douloureux se produisit sous le sternum de Miller. Pas une simple douleur, mais une souffrance soudaine. Il avait l’impression que sa gorge s’était épaissie. Il toussota pour la dégager.

— Dès que nous aurons sécurisé l’objectif, je vous contacterai, promit-il.

— D’accord, mais ne tardez pas trop. Si la station Thoth comporte encore un bordel en état après sa prise, j’aurai besoin d’aide pour en extraire Amos.

Miller ouvrit la bouche, la referma, fit une nouvelle tentative.

— Bien reçu, capitaine, dit-il en se forçant à adopter un ton léger.

— Soyez prudent.

Il débarqua, et marqua une pause dans le passage entre le vaisseau et la station, jusqu’à ce qu’il soit sûr qu’il avait cessé de pleurer. Puis il se dirigea vers le cargo, et l’assaut qui l’attendait.

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