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Première réaction : colère. Rappeler mademoiselle Rose et lui dire ce que je pense d’elle, de ses manières et de…

Stop !

Deuxième réaction : prudence. Mademoiselle Rose n’est pas de celles à qui on balance leurs quatre vérités à la figure. Et réflexion : ce n’est pas sa faute si je suis une quiche en magie.

Je regagne ma chambre. Le garou est toujours étendu sur le dos et quand j’entreprends de le secouer par les épaules, il ne fait pas mine de commencer à entrouvrir une paupière. C’est pas gagné, là !

Bon, je ne risque rien à tenter la magie. Enfin, je ne risque rien… façon de parler. J’ai lu pas mal de choses sur les dégâts provoqués par une simple inversion de syllabes au cours d’une incantation ou par une bête erreur d’ingrédients dans une potion. Des dégâts sans commune mesure avec l’insignifiance de la méprise.

Lors d’un séminaire portant sur le rythme et la cadence des invocations élémentaires, le formateur a même évoqué l’exemple d’un magicien qui, ayant confondu pingis, de pingere, peindre, et pinguis, gras, a été retrouvé au sommet d’un arbre, à vingt mètres de son pentacle. En pièces détachées.

Sur le coup, j’ai été impressionnée mais ça n’a pas duré, soyons logiques, il n’y a pas d’arbre dans le coin et comme j’ai toujours aimé les sensations fortes…

Je soulève le lit pour le décoller du mur, saisis une craie et, en tirant la langue – non, ce n’est pas un geste magique, c’est juste que je m’applique – je trace un pentacle autour.

J’ouvre ensuite le pot de gros sel récupéré à la cuisine et j’en saupoudre la ligne que j’ai matérialisée. Je suppose que, gravé avec une lame en argent, mon travail aurait été plus performant, seulement je n’ai pas de lame en argent et aucune envie d’esquinter le plancher de ma chambre.

D’après ce que j’ai compris, le pentacle définit le lieu et les limites de l’acte magique qui va se dérouler. Il amplifie la puissance des arcanes qui s’y dévoilent et, surtout, protège le magicien des interférences extérieures. Une fois le pentacle tracé, il faut l’activer, ce qui ne relève plus de la géométrie mais de la magie et franchit les limites de l’impossible pour la plupart des gens.

Dont moi.

Il n’y a pas si longtemps, j’ai pourtant réussi à activer mon premier pentacle, ce qui m’a permis d’enchanter un bracelet qui m’a sauvé la vie quelques minutes plus tard. La fierté que j’en ai tiré n’a pas résisté aux commentaires de Walter et du Sphinx quand je leur ai rapporté mon exploit : « Gestuelle inappropriée, incantation déplorable, coup de chance, hasard… » De fins pédagogues ces deux-là ! Je les chasse de mon esprit et me concentre sur la suite des opérations.

Les éléments fondateurs. Terre, eau, air et feu.

Chacun d’eux doit tenir sa place autour du pentacle pour des questions d’énergies. Je pose un verre d’eau au nord, au sud une poignée de terre piquée dans le pot du ficus de Laure, et à l’ouest une bougie qui traînait dans le salon. Lors de ma première tentative, j’ai eu du mal à imaginer une façon de concrétiser l’air. Cette fois, je pense immédiatement au sèche-cheveux commun. Je le positionne à l’est. J’espère que le bruit du moteur n’interférera pas avec la magie que je vais déployer.

Et puisqu’on parle magie…

L’activation requiert une incantation. L’utilisation d’une langue antique est vivement conseillée mais si je parle l’anglais, l’italien, l’espagnol, le russe et le japonais je n’ai jamais été fichue de retenir une bribe d’araméen, de sumérien ou de medu neter. Quant au quenya, la langue première des elfes dont Jasper me rebat les oreilles à longueur de temps, ou le runique, ce n’est pas la peine d’y penser.

Cela dit, si le français a fonctionné quand j’en avais besoin contre Siyah, aucune raison qu’il ne fonctionne pas encore une fois. Surtout si j’utilise les mêmes mots. Je me concentre, tâchant de me remémorer la formule exacte que j’ai utilisée, une formule inspirée de mon expérience de motarde, je crois, puis je me lance :

— Parce que la sève du monde fait tourner la roue du temps, que le vent des ombres souffle sur l’esprit des feuilles et que l’eau de la vie abreuve la conscience des montagnes. Parce que le casque de la nuit défend celui qui conduit son existence, que les gants de la route sifflent et que les roues tournent. Accélération, inclinaison, protection.

Woufff !

Mon pentacle a chanté et le sel prend la prometteuse couleur de l’argent.

Jasper me l’a répété, la magie est une question de tournure d’esprit plus que de formules et la concentration du magicien prime le contenu de son livre de sorts. Bon, je ne suis pas certaine qu’il ait dit exactement ça, j’ai tendance à ne pas l’écouter quand il parle magie, quand il parle tout court d’ailleurs, mais l’idée y est.

Je fouille dans mon nécessaire jusqu’à trouver la poudre d’ambre. De tous les ingrédients, l’ambre est sans doute celui qui se prête au plus grand nombre d’usages et reste un des moins complexes à manier. Parmi ses vertus, je crois me souvenir que l’ambre permet de tisser des sortilèges visant à recouvrer sa vigueur.

J’attrape aussi un petit pot contenant un concentré de pulpe d’aloe vera, idéal pour déverrouiller les énergies et utilisé depuis la plus haute Antiquité dans les rituels de guérison.

Le reste est question d’intuition.

Je dispose une pincée d’ambre sur le torse du garou, à la hauteur du cœur, je trempe l’index et le majeur de ma main gauche dans l’onguent et du bout de ces deux doigts, je suis la ligne invisible du méridien elrondien, du front jusqu’au pelvis.

— Intentus velocitus vires récupéras in quietis desponas. Nunc !

Faute de manier l’elfique ou l’araméen, j’ai utilisé le latin, la langue la plus morte que je sache parler, parler étant, dans mon cas, un synonyme assez prétentieux de baragouiner.

J’aurais pu m’abstenir, le garou ne bouge pas. Pire, il me semble que sa respiration ralentit.

Je renouvelle mon incantation, en remplaçant vires par nervus, juste au cas où…

Aucun résultat.

Il faut croire que Walter et le Sphinx avaient raison. Le hasard seul est responsable de l’enchantement du bracelet qui m’a sauvé la vie face à Siyah ! Je suis décidément une véritable sous-douée de la magie. Une incapable. Je m’en doutais, en prendre conscience de façon aussi irréfutable fait exploser mon moral en mille morceaux.

T’es mignonne, Ombe, bien fichue, capable de démolir un type de quatorze manières différentes juste avec tes mains mais à part ça ? Tu sers à quoi dans la vie ?

Je pousse un soupir las, balance mon nécessaire à magie de l’autre côté de la pièce, pose la main sur la poitrine du garou pour descendre du lit, me fige…

Il a tressailli.

Un infime tressaillement à l’endroit exact où ma paume l’a touché.

Je me penche sur lui, l’observe avec attention. Il est toujours inconscient, sa respiration n’est plus qu’un souffle ténu. Pourtant, je suis certaine de ne pas avoir rêvé. Je pose à nouveau la main sur sa poitrine.

Tressaillement. Imperceptible mais tressaillement quand même. Je renouvelle l’expérience sur son épaule, son ventre, sa joue… Ça marche ! Là où je le touche, il réagit. Le temps que je le touche, certes, mais il réagit.

Comme si le contact de ma peau sur sa peau déclenchait une réaction chimique, comme si l’énergie qui pulse en moi entrait en lui, comme si…

Stop !

Arrête, Ombe ! Tu n’es pas une pro de la pensée mais une virtuose de l’action. Ne t’enterre pas dans une réflexion stérile. Ta force, ta vraie force, c’est ton corps, laisse-le s’exprimer.

J’arrache mon tee-shirt, enlève mon jean, les jette au sol. En tombant, ils effacent une partie du pentacle qui cesse de briller, mais cela n’a aucune importance. Je le sais. Je le sens.

Je m’allonge sur le garou.

Pas besoin d’incantation. La magie, je viens de le comprendre comme on comprend la lumière en sortant d’un tunnel, c’est l’énergie qui chante en moi et le seul vecteur dont j’ai besoin pour l’utiliser c’est mon corps.

Le garou est plus grand que moi, plus large. Je m’étire, m’enroule autour de lui, cherchant à ce que ma peau soit le plus possible en contact avec la sienne. Je niche ma figure dans son cou et je m’ouvre.

Je suis forte, souple, rapide, résistante, je possède des réflexes incroyables, je bouillonne de vie et d’énergie, je les lui offre.

Je sens, je vois presque, une vague brillante naître au creux de mon ventre et déferler sur lui.

Irrésistible.

Il sursaute. Ses muscles se tendent, il prend une immense bouffée d’air puis…

Il ouvre les yeux.

Waouh !

Du bleu à n’en plus finir. Profond à s’y noyer. Beau à s’y perdre. Lumineux à en devenir aveugle.

— Tu es… un ange ?

Sa voix est grave, un peu rauque, si totalement envoûtante qu’il me faut quelques secondes pour comprendre que la question s’adresse à moi.

— Non, je… je suis Ombe.

— Et moi Načelnik Pourquoi me mens-tu ?

— Je ne te mens pas, je m’appelle…

— …Ombe et tu es un ange.

Il sourit, ses yeux brillent et, soudain, je réalise que je suis à moitié nue, allongée sur un garou beau comme un rêve qui, lui, est complètement nu.

Je réalise également que, hormis son prénom, j’ignore tout de lui.

Je réalise enfin qu’il a retrouvé, nos positions respectives m’ôtant la possibilité d’en douter, toute sa vigueur.

Son regard brûlant clame son envie de refermer ses bras sur moi, de m’embrasser, de me…

Réagis, Ombe.

L’action est ton domaine, le réflexe une seconde nature, bouge !

Načelnik n’a pas le temps de faire un geste, je le plaque sur le lit, l’immobilise d’une clef imparable…

… et j’écrase ma bouche sur la sienne.

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