Une foule s’était rassemblée autour de la balustrade basse qui délimitait le patio du Café de la Fée blanche. Un vieux bonhomme était assis derrière l’une des tables en fer peintes en blanc, en train de boire un truc dans un gobelet en plastique. Il semblait ignorer toute l’agitation qui régnait à l’intérieur du bar. « Fais-le sortir d’ici, me gronda Shaknahyi. Et tant que tu y es, fais-moi circuler tous ces gens. Je ne sais pas ce qui se passe là-dedans, mais faut qu’on traite cette affaire comme si le mec avait vraiment une bombe. Et dès que t’auras fait reculer tout ce populo, tu retournes t’asseoir dans la bagnole.
— Mais…
— Je veux pas avoir à me tracasser pour toi, en plus. » Il contourna l’angle du café par le côté nord, se dirigeant vers la porte de service.
J’hésitai. Je savais que les renforts n’allaient pas tarder à arriver et je décidai de les laisser s’occuper de contenir la foule. Pour l’heure, j’avais d’autres soucis. J’avais toujours sur moi mon Parfait protecteur et j’en déchirai l’emballage avec les dents. Puis je m’embrochai le mamie.
Audran était installé à une table dans la pénombre du salon de San Saberio, à Florence ; il écoutait un groupe de musiciens interpréter un sage quatuor de Schubert. En face de lui était assise une blonde superbe du nom de Costanzia. Elle porta une tasse à ses lèvres et ses yeux bleu de porcelaine le contemplèrent par-dessus le rebord. Elle portait un parfum subtil et fascinant qui évoquait pour Audran soirées romantiques et promesses à demi-mots.
« Ce doit être le meilleur café de Toscane », murmura-t-elle. Elle avait une voix douce et tendre. Elle lui adressa un chaleureux sourire.
« Nous ne sommes pas venus ici pour déguster du café, ma chérie, dit-il. Nous sommes ici pour voir les nouvelles tendances de la saison. »
Elle agita la main. « On a tout le temps pour ça. Pour l’instant, détendons-nous, tout simplement. »
Audran lui sourit tendrement et saisit la porcelaine délicate. Le café avait la couleur somptueuse de l’acajou poli et les volutes odorantes qui s’en élevaient avaient un parfum céleste, entêtant. La première gorgée submergea Audran par la somptuosité de son arôme. Alors que le breuvage, brûlant et délicieux, descendait dans sa gorge, il s’avisa que la remarque de Costanzia avait été parfaitement correcte. Jamais encore une tasse de café ne lui avait procuré un tel plaisir.
« Je me rappellerai toujours ce café, observa-t-il.
— Revenons donc ici l’an prochain, chéri », dit Costanzia.
Audran se permit un rire : « Pour la nouvelle collection de San Saberio ? »
Costanzia éleva sa tasse et sourit. « Pour le café », répondit-elle.
Après l’annonce, il y eut un noir durant lequel Audran ne vit plus rien. Il se demanda fugitivement qui était Costanzia, mais il l’écarta de son esprit. Alors que la panique allait le gagner, sa vision s’éclaircit. Il ressentit une onde de vertige puis ce fut comme s’il venait de s’éveiller d’un rêve. Il se sentait calme et rationnel et il avait un boulot à faire. Il était devenu le Parfait protecteur.
Il était incapable de voir ou entendre ce qui se déroulait à l’intérieur. Il supposa que Shaknahyi était en train de pénétrer discrètement dans le café par l’arrière-salle. Il revenait à Audran de fournir à son partenaire le meilleur soutien possible. Il enjamba la balustrade en fer du patio.
Le vieil homme attablé leva les yeux sur lui. « Pas de doute, vous êtes pressé de lire mes manuscrits », dit-il.
Audran reconnut en l’homme Ernst Weinraub, un réfugié de quelque pays d’Europe centrale. Weinraub se targuait d’être écrivain, mais Audran ne l’avait jamais vu finir autre chose que des quantités d’anisette ou de bourbon. « Monsieur, lui dit-il, vous êtes en danger ici. Je vais devoir vous demander de regagner la rue. Pour votre propre sécurité, éloignez-vous de ce café.
— Il n’est pas encore minuit, se plaignit Weinraub. Laissez-moi au moins finir mon verre. »
Audran n’avait pas le temps de faire plaisir au vieux pochard. Il quitta le patio et entra d’un pas décidé dans la salle.
À l’intérieur, la scène n’avait en apparence rien de bien menaçant : M. Gargotier se tenait derrière le comptoir, devant un immense miroir fendu. Maddie, sa fille, était attablée près du mur du fond. Un jeune homme était installé à une table contre le mur ouest, sous les vieilles affiches de la colonie martienne que collectionnait Gargotier. Les mains du jeune homme étaient posées sur une petite boîte. Il tourna brusquement la tête en direction d’Audran. « Foutez-moi le camp d’ici, cria-t-il, ou toute la baraque saute en faisant un joli boum !
— Je suis sûr qu’il ne plaisante pas, monsieur », dit Gargotier. Il avait l’air terrifié.
« Tu las dit, bouffi ! » dit le jeune homme.
Être officier de police signifiait appréhender les situations dangereuses et être capable de parvenir à des jugements rapides et sûrs. Le Parfait protecteur suggérait que, face à un individu dérangé mentalement, Audran devrait essayer de découvrir l’origine de son trouble puis tenter de le calmer. Le Parfait protecteur recommandait à Audran de ne pas se moquer de l’individu, manifester de colère ou le défier de mettre sa menace à exécution. Audran éleva les mains et parla calmement : « Je ne vais pas te menacer », dit Audran.
Le jeune homme se contenta de rire. Il avait les cheveux longs et sales, une barbe clairsemée, et il portait un blue jean délavé avec une chemise en coton écossais dont il avait déchiré les manches. Il avait des faux airs d’Audran avant que Friedlander bey n’eût accru son niveau de vie.
« Tu permets que je m’asseye pour causer un brin ? demanda Audran.
— Je peux faire sauter ce truc quand je veux, dit le jeune homme. Tas des couilles, tu t’assois. Mais garde les mains à plat sur la table.
— Bien sûr. » Audran tira une chaise et s’assit. Il tournait le dos au patron mais du coin de l’œil il pouvait entrevoir Maddie Gargotier. Elle pleurait en silence.
« C’est pas en causant que tu vas m’embobiner », prévint le jeune homme.
Audran haussa les épaules. « Je veux simplement découvrir de quoi il retourne. Comment tu t’appelles ?
— Qu’est-ce que ça peut bien foutre ?
— Moi, c’est Marîd. Je suis né en Mauritanie.
— Tu peux m’appeler Al-Muntaqim. » Le gosse à la bombe s’était approprié l’un des Quatre-vingt-dix-neuf Magnifiques Noms de Dieu. Celui-ci voulait dire « le Vengeur ».
« Tu as toujours vécu dans la cité ? demanda Audran.
— Merde, non. À Misr.
— C’est le nom local du Caire, n’est-ce pas ? »
Al-Muntaqim se leva d’un bond, furieux. Il brandit un doigt en direction de Gargotier derrière son bar et hurla : « Tu vois ? Tu vois ce que je veux dire ? C’est exactement ce dont je parlais ! Eh bien, je vais y mettre un terme une bonne fois pour toutes ! » Il s’empara de la boîte et en arracha le couvercle.
Audran ressentit une douleur horrible lui transpercer le corps. C’était comme si toutes ses articulations avaient été arrachées et tordues jusqu’à ce que les os se disjoignent ; comme si tous les muscles de son corps se déchiraient ; comme si on lui avait passé l’épiderme au papier de verre. L’agonie se prolongea plusieurs secondes, puis Audran perdit connaissance.
« Tu te sens bien ? »
Non, je ne me sentais pas bien du tout. Extérieurement, je me sentais chauffé au rouge cerise, comme si j’avais rôti au soleil du désert pendant quarante-huit heures. Intérieurement, mes muscles étaient pris de tremblements. J’avais les bras, les jambes, le visage et le tronc parcourus de petits spasmes incontrôlables. J’éprouvais une migraine atroce, et un goût horrible, amer, m’emplissait la bouche. J’avais les plus grandes difficultés à accommoder, comme si l’on m’avait vaporisé une gomme translucide sur les yeux.
Je m’efforçai d’identifier mon interlocuteur. Sa voix était tout juste reconnaissable tant mes oreilles carillonnaient. Il s’agissait en fin de compte de Shaknahyi, ce qui prouvait que j’étais toujours en vie. Durant un moment affreux, après avoir repris connaissance, je m’étais cru dans la chambre verte d’Allah ou je ne sais où. Non pas qu’être en vie fût pour l’heure une telle aubaine. « Qu’est-ce que…», coassai-je, la gorge tellement sèche que je pouvais à peine parler.
« Tiens », fit Shaknahyi en se penchant pour me donner un verre d’eau froide. Je m’aperçus que j’étais allongé par terre de tout mon long et que Shaknahyi et M. Gargotier se tenaient au-dessus de moi, le front plissé, hochant la tête.
Je pris l’eau et la bus avec reconnaissance. Quand j’eus terminé, j’essayai à nouveau de parler. « Que s’est-il passé ? demandai-je.
— T’as fait le con, dit Shaknahyi.
— Exact. »
L’esquisse d’un sourire plissa les traits de Shaknahyi. Il se pencha pour me tendre la main. « Lève-toi. »
Je me redressai, chancelant, et me dirigeai vers le siège le plus proche. « Gin et bingara, lançai-je à Gargotier. Et mets-y un trait de Rose. » Le barman grimaça mais partit néanmoins préparer ma boisson. Je sortis ma boîte à pilules et y piochai peut-être huit ou neuf soléines.
« Toi et tes drogues…, on m’en avait parlé, observa Shaknahyi.
— Et c’est parfaitement vrai. » Quand Gargotier eut apporté mon verre, j’avalai les opiacés. J’avais hâte qu’ils commencent à faire effet. Tout serait au poil d’ici deux minutes.
« T’as manqué faire tuer tout le monde, avec ton idée de vouloir dissuader le mec par tes belles paroles », reprit Shaknahyi. Je me sentais déjà bien assez mal, je n’avais pas envie pour l’instant d’écouter son petit sermon. Il poursuivit malgré tout. « Qu’est-ce que t’essayais donc de faire ? Établir des rapports ou quoi ? On travaille pas de cette façon quand des vies humaines sont en danger.
— Ah ouais ? Et vous auriez fait quoi, à ma place ? »
Il étendit les mains comme si la réponse était parfaitement évidente. « Débarquer sur les lieux sans être vu et neutraliser le salaud.
— Dites donc, vous m’avez neutralisé avant ou après avoir neutralisé Al-Muntaqim ?
— C’est ainsi qu’il s’était baptisé ? Merde, Audran, tu dois t’attendre à un minimum de dispersion du faisceau avec ces pistolets électrostatiques. Je suis vraiment désolé d’avoir dû te toucher en même temps mais il n’y a pas de dégâts irrémédiables, inchallah. Il s’est levé d’un bond avec cette boîte et j’allais pas attendre que tu dégages ma ligne de tir. J’ai dû faire avec ce que j’avais.
— Pas grave, dis-je. Où est le Vengeur, à présent ?
— Le camion-frigo est passé pendant que tu faisais la sieste. L’ont embarqué au pavillon de sécurité de l’hôpital. »
Ça me mit légèrement en rogne. « Le terroriste fou se fait expédier dans un bon lit d’hosto, mais moi j’ai juste le droit de moisir sur le sol crasseux de ce foutu troquet ? »
Shaknahyi haussa les épaules. « Il est dans un état autrement plus grave que toi. Toi, tu n’as reçu que les franges du faisceau. Lui, il l’a pris en pleine poire. »
Apparemment, Al-Muntaqim était parti pour se sentir pas mal vaseux un bout de temps. J’allais pas pleurer sur son sort.
« Pas question de causer moralité avec un cinglé, poursuivait Shaknahyi. Faut sauter sur la première occasion de stabiliser le corniaud. » Et de l’index droit, il fit mine de presser une détente.
« Ce n’est pas ce que me disait le Parfait protecteur. À propos, c’est vous qui m’avez débranché le mamie ? Et d’abord, qu’est-ce que vous en avez fait ?
— Ouais, c’est moi, confirma Shaknahyi. Tiens, le v’là. » Il le sortit d’une poche de chemise et le jeta par terre à côté de moi. Puis il leva sa grosse botte noire et pulvérisa le module en plastique. Des fragments bariolés de circuits électroniques s’éparpillèrent sur le plancher. « Tu remets un de ces trucs, je fais subir le même sort à ta tronche et je balance les restes hors de ma bagnole. »
Autant pour Marîd Audran, le Serviteur de l’Ordre idéal.
Je me relevai, me sentant nettement mieux, et suivis Shaknahyi hors de la pénombre de la salle. M. Gargotier et sa fille Maddie nous accompagnèrent. L’homme voulut nous remercier mais Shaknahyi leva la main en prenant l’air modeste : « Pas besoin de remerciements pour le simple accomplissement d’un devoir.
— Vous pourrez revenir boire gratis quand vous voudrez, dit Gargotier, reconnaissant.
— Éventuellement. » Shaknahyi se tourna vers moi : « On décolle. » Nous ressortîmes par la tonnelle. Le vieux Weinraub était toujours assis sous son parasol Cinzano, apparemment inconscient des événements qui venaient de se dérouler.
En route vers notre voiture, je remarquai : « En un sens, ça me fait du bien de me sentir à nouveau bienvenu quelque part. »
Shaknahyi me regarda. « Accepter à boire durant le service est une infraction grave.
— Je ne savais pas qu’ils avaient aussi des infractions dans le Boudayin. » Shaknahyi sourit. Il semblait qu’un léger dégel s’était amorcé entre nous.
J’allais m’installer dans la voiture quand le muezzin d’une mosquée derrière le quartier chanta l’appel à la prière de l’après-midi. Je vis Shaknahyi aller fouiller sur la banquette arrière et ressortir avec un tapis de prière roulé. Il l’étala sur le trottoir et pria durant plusieurs minutes. Pour je ne sais quelle raison, cela me mit extrêmement mal à l’aise. Quand il eut terminé, il roula de nouveau le tapis et le remit dans la voiture, non sans me regarder d’un drôle d’air, une sorte de muet reproche. Puis nous montâmes tous les deux en voiture, mais aucun de nous n’ouvrit la bouche d’un bon moment.
Shaknahyi redescendit la Rue au ralenti pour ressortir du Boudayin. Curieusement, je ne me souciais plus de me faire remarquer par mes anciens amis à bord de la voiture de patrouille. Pour commencer, vu leur façon de me traiter, je considérais que je n’en avais rien à foutre. Ensuite, mon optique était légèrement différente maintenant que je m’étais bien fait arranger dans l’exercice du devoir. Mon aventure à La Fée blanche avait modifié ma perspective. Désormais, j’appréciais à leur juste mesure les risques quotidiens auxquels était confronté un flic.
Shaknahyi me surprit : « Tu veux t’arrêter quelque part pour déjeuner ?
— Pas une mauvaise idée. » Je me sentais encore diablement faible et les soléines m’avaient laissé un rien hébété, aussi est-ce avec joie que j’acceptai l’invitation.
« Il y a un resto, près du commissariat, où on va bouffer de temps en temps. » Il enclencha la sirène et s’amusa un peu au milieu de la circulation. Arrivé à un pâté de maisons de son boui-boui, il mit la sourdine et gara la voiture en stationnement interdit. « Privilège de flic, me dit-il avec un grand sourire. Y en a pas tant que ça. »
Une fois entré, je fus agréablement surpris. La crémerie était tenue par un jeune Mauritanien du nom de Meloul et la cuisine était typiquement maghrebi. En m’amenant ici, Shaknahyi avait plus que compensé la douleur qu’il m’avait infligée un peu plus tôt. Je le regardai, et soudain il ne me parut pas un si mauvais bougre.
« Prenons cette table », dit-il en choisissant un emplacement loin de la porte et contre un mur, d’où il pouvait regarder les autres clients et surveiller en même temps ce qui se passait dehors.
« Merci, dis-je. Je ne mange pas très souvent de la cuisine de chez moi.
— Meloul, lança-t-il. J’ai un de tes cousins, ici. »
Le patron arriva, avec un broc en inox et une bassine. Shaknahyi se lava soigneusement les mains et les sécha avec une serviette blanche toute propre. Je fis de même et m’essuyai avec une deuxième serviette. Meloul me regarda et sourit. Il avait à peu près mon âge, mais il était plus grand et de teint plus sombre. « Je suis berbère, me dit-il. Et toi, tu es berbère aussi, n’est-ce pas ? D’Oran ?
— J’ai un peu de sang berbère, répondis-je. Je suis né à Sidi-bel-Abbès, mais j’ai été élevé à Alger. »
Il s’approcha de moi, et je me levai. On s’embrassa sur la joue. « J’ai passé toute ma vie à Oran, reprit-il. À présent, j’habite dans cette belle cité. Assieds-toi, mets-toi à l’aise, je vous apporte de la bonne nourriture, pour toi et Jirji.
— Vous deux, vous avez des tas de choses en commun », remarqua Shaknahyi.
J’acquiesçai. « Écoutez, Shaknahyi, commençai-je, je voudrais…
— Appelle-moi Jirji. Et tu peux me tutoyer. Tu t’es enfourné ce fichu mamie et recta, tu m’as suivi chez Gargotier. C’était con, mais t’as eu du cran. Disons que ça t’a fait ton initiation, en quelque sorte. »
Ça me fit du bien. « Ouais, eh bien, Jirji, je veux vous… te demander un truc. Est-ce que tu dirais que tu es très religieux ? »
Il plissa le front. « J’accomplis les devoirs religieux, mais je ne vais pas pour ça me précipiter dans la rue pour tuer les touristes infidèles s’ils ne se convertissent pas à l’islam.
— D’accord, alors peut-être que tu pourras m’éclairer sur la signification de ce rêve. »
Il rit. « Quel genre de rêve ? Toi et Brigitte Stahlhelm dans le Tunnel de l’Amour ? »
Je fis non de la tête. « Non, rien de semblable. J’ai rêvé que je rencontrais le Saint Prophète. Il avait quelque chose à me dire mais j’étais incapable de le comprendre. » Et je lui narrai le reste de la vision qu’avait créée pour moi le Sage Conseiller.
Shaknahyi haussa les sourcils mais ne dit rien pendant quelques instants ; il réfléchit en se triturant le bout des moustaches. « D’après moi, dit-il enfin, il me semble que c’est en rapport avec les vertus simples. Tu es censé te rappeler l’humilité, comme le Prophète Mahomet (faveurs et bénédictions divines sur lui) se la rappelait. Le temps pour toi n’est pas encore venu de faire de grands plans. Plus tard, peut-être, si Dieu le veut. Cela revêt un sens pour toi ? »
Je frissonnai plus ou moins, parce qu’à peine avait-il fini, je sus qu’il avait raison. C’était une suggestion de mon inconscient m’incitant à ne pas m’inquiéter à moi tout seul du sort de ma mère, d’Umm Saad et d’Abou Adil. Je devais prendre les choses lentement, une à la fois. Tout finirait par s’arranger au bout du compte. « Merci Jirji. »
Il haussa les épaules. « Pas de quoi.
— Je vous apporte de la bonne nourriture », dit joyeusement Meloul en déposant un plat sur la table entre nous. La montagne de couscous embaumait la cannelle et le safran et elle me fit réaliser à quel point j’étais affamé. Dans un puits creusé au milieu de l’anneau de semoule, Meloul avait empilé des petites bouchées de poulet et d’oignons dorés revenus dans le beurre et parfumés de miel. Il avait également apporté une assiette de pain et des tasses de café noir et fort. J’eus bien du mal à me retenir de me ruer dessus sans attendre.
« Ça m’a l’air succulent, Meloul, dit Shaknahyi.
— Puisse cela vous plaire. » Meloul s’essuya les mains sur une serviette propre, nous salua en s’inclinant avant de nous laisser à notre repas.
« Au nom de Dieu le Miséricordieux plein de miséricorde », murmura Shaknahyi.
Je prononçai la même brève formule d’action de grâces puis me permis de me servir une louche de couscous accompagné de poulet. C’était encore meilleur que l’odeur ne le laissait présager.
Quand nous eûmes fini, Shaknahyi demanda notre addition. Meloul s’approcha de notre table, toujours souriant. « C’est gratuit. Mes compatriotes mangent gratuitement. Les policiers mangent gratuitement.
— C’est aimable à toi, Meloul, dis-je, mais nous n’avons pas le droit d’accepter…»
Shaknahyi but le reste de son café et reposa sa tasse. « Pas de problème, Marîd, dit-il, c’est différent. Meloul, que ta table dure éternellement. »
Meloul posa la main sur l’épaule de Shaknahyi. « Que Dieu prolonge ton existence », répondit-il. Notre clientèle ne lui avait pas rapporté un fiq en cuivre mais il avait l’air ravi.
Shaknahyi et moi sortîmes du boui-boui bien calés, réconfortés. Il semblait inconvenant de gâcher le reste de l’après-midi à des tâches policières.
Une vieille mendiait, assise sur le trottoir, à quelques mètres de chez Meloul. Elle était vêtue d’une longue robe noire et coiffée d’un foulard, noir également. Son visage brûlé par le soleil était gravé de rides profondes et, dans ses orbites creuses, l’un des yeux avait la couleur du lait. Une énorme tumeur noire boursouflait sa joue juste devant l’oreille droite. Je me dirigeai vers elle. « La paix soit avec toi, ô femme.
— Et sur toi soit la paix, ô cheikh », répondit-elle. Sa voix n’était qu’un murmure rauque.
Je me souvins que j’avais toujours dans ma poche l’enveloppe contenant les billets. Je la sortis et l’ouvris, puis comptai cent kiams. C’est à peine si la liasse était entamée. « Ô femme, lui dis-je, accepte cette aumône avec mon respect. »
Elle prit l’argent, surprise par le nombre de billets. Sa bouche s’ouvrit puis se referma. Finalement, elle dit : « Sur la vie de mes enfants, tu es plus généreux que Haatim, ô cheikh ! Puisse Allah t’ouvrir Ses voies. » Haatim est l’incarnation de l’hospitalité parmi les tribus nomades.
Ses compliments me gênaient. « Nous remercions Dieu à chaque heure », dis-je tranquillement puis je me détournai.
Shaknahyi ne dit mot jusqu’à ce que nous soyons de nouveau installés dans la voiture de patrouille. « Tu fais ça souvent ?
— Quoi donc ?
— Filer cent kiams à des inconnus. »
Je haussai les épaules. « Le don d’aumône n’est-il pas l’un des Cinq Piliers de la Foi ?
— Ouais, mais tu ne prêtes pas spécialement attention aux quatre autres. C’est bizarre, d’ailleurs, parce que pour la plupart des gens, se défaire de leur argent est le plus dur de tous. »
En fait, je me demandais moi-même pourquoi j’avais fait ça. Peut-être parce que j’étais culpabilisé par mon attitude à l’égard de ma mère. « J’ai simplement eu pitié de cette pauvre vieille.
— Tout le monde compatit à son sort dans le quartier. Tout le monde s’occupe d’elle. C’était Safiyya, la Femme au Mouton. C’est une vieille folle. On ne la voit jamais sans un petit mouton. Elle le trimbale partout. Elle le fait boire à la fontaine de la mosquée de Chimaal.
— Je n’ai pas vu le moindre mouton. »
Shaknahyi éclata de rire. « Non, son dernier s’est fait écraser par une charrette de chiche-kebab, il y a quinze jours. Pour l’instant, elle se contente d’un mouton imaginaire. Il était juste à côté d’elle, mais Safiyya est la seule à le voir.
— Ah bon. » Je lui avais donné suffisamment pour qu’elle s’en achète un couple. Ma maigre contribution à l’allègement des souffrances du monde.
Nous devions contourner le Boudayin. Bien que la Rue le traverse dans la bonne direction, elle se termine en impasse à l’entrée du cimetière. Je connais bon nombre de ses locataires – des amis et des relations qui sont morts et qu’on y a enterrés – sans parler des vivants tellement pauvres qu’ils se sont installés dans les tombes.
Shaknahyi passa au sud du quartier et nous pénétrâmes dans un secteur qui m’était parfaitement étranger. Au début, les maisons étaient de taille modeste et pas en trop mauvais état ; mais au bout de deux ou trois kilomètres, je remarquai une accentuation du délabrement général. Les bâtisses chaulées au toit en terrasse avaient cédé la place à des pâtés d’immeubles hideux, puis ceux-ci à leur tour à des parcelles vides et brûlées, parsemées d’horribles petites cabanes faites de bouts de contreplaqué et de plaques de tôle ondulée dévorées par la rouille.
Nous roulions toujours et j’avisai des groupes d’hommes désœuvrés, appuyés aux murs ou accroupis à même le sol nu, partageant des bols de liqueur, sans doute du laqbi, un vin de datte. Des femmes s’apostrophaient depuis leurs fenêtres. L’air empestait la fumée de bois et les excréments humains. Des enfants vêtus de longues chemises en lambeaux jouaient au milieu des détritus épars dans les caniveaux. Bien des années plus tôt, à Alger, j’avais été pareil à ces garnements affamés et peut-être était-ce pour cela que leur vue me touchait tant.
Shaknahyi avait dû remarquer mon expression. « Il y a des quartiers pires encore que Hâmidiyya, dit-il. Et un flic doit être prêt à aller dans n’importe quel endroit et s’occuper de n’importe quel genre d’individu.
— Je réfléchissais, c’est tout, dis-je lentement. Voici donc le territoire d’Abou Adil. Apparemment, il ne fait pas grand-chose pour tous ces gens, alors pourquoi lui restent-ils fidèles ? »
Shaknahyi me répondit par une autre question. « Pourquoi restes-tu fidèle à Friedlander bey ? »
Une bonne raison était que Papa avait profité de mon passage sur le billard pour me faire câbler le centre de punition du cerveau en même temps que le reste ; de sorte qu’il pouvait le stimuler à sa guise. Au lieu de cela, je répondis : « Ce n’est pas la mauvaise vie. Et je suppose que je dois le craindre, voilà tout.
— Idem pour ces pauvres fellahîn. Ils vivent dans la terreur d’Abou Adil et celui-ci leur en laisse juste assez pour les empêcher de mourir de faim. Ce que je me demande, c’est comment des gens comme Friedlander bey et Abou Adil sont parvenus à obtenir ce genre de pouvoir. »
Je regardai défiler les taudis devant le pare-brise. « D’où crois-tu que Papa tire son argent ? » demandai-je.
Shaknahyi haussa les épaules. « Il contrôle un bon millier de petits truands du secteur, qui tous lui rétrocèdent une grosse partie de leurs gains en échange du droit de vivre en paix. »
Je hochai la tête. « Ce n’est que ce que tu vois se dérouler dans le Boudayin. En apparence, le vice et la corruption semblent la principale source de revenus de Friedlander bey. Cela fait maintenant plusieurs mois que je vis sous son toit et j’ai révisé mon jugement. Le fric provenant du vice n’est que de l’argent de poche pour Papa. Ça doit représenter peut-être cinq pour cent de son revenu annuel. Il a des activités d’une autre envergure et Reda Abou Adil est dans la même branche. Ils vendent de l’ordre.
— Ils vendent quoi ?
— De l’ordre. La continuité. Le gouvernement.
— Comment ça ?
— Écoute voir, la moitié des pays du monde ont éclaté et se sont reconstitués au point qu’il est quasiment impossible de savoir aujourd’hui qui possède quoi, qui vit où et qui doit payer des impôts, et à qui.
— Exactement comme ce qui se passe en ce moment en Anatolie, observa Shaknahyi.
— Tout juste. L’Anatolie, du temps des aïeux des habitants actuels, ça s’appelait la Turquie. Auparavant, c’était l’Empire ottoman, et avant encore, c’était déjà l’Anatolie. Aujourd’hui, il semblerait que l’Anatolie soit en train d’éclater en Galatie, Lydie, Cappadoce, Nicée et Byzance d’Asie : une démocratie, un émirat, une république populaire, une dictature fasciste et une monarchie constitutionnelle. Vaudrait mieux que quelqu’un chapeaute le tout, histoire de tenir correctement les archives.
— Peut-être, mais ça paraît un boulot difficile.
— Ouais, mais celui qui y parvient se retrouve le véritable détenteur du pouvoir. Le vrai pouvoir, parce que tous ces petits États auront besoin de son aide pour ne pas s’effondrer.
— Il y a une espèce de logique tordue, là-dedans. Et t’es en train de me dire que c’est le racket de Friedlander bey ?
— C’est un service. Un service important. Et il a quantité de moyens d’exploiter la situation.
— Ouais, t’as raison », fit-il, admiratif. Nous prîmes un virage et devant nous apparut un long mur élevé de briques marron foncé. C’était la propriété de Reda Abou Adil. Elle avait l’air en tout point aussi vaste que celle de Papa. Comme nous nous arrêtions devant le portail gardé, l’aspect fastueux du corps de logis principal paraissait d’autant plus impressionnant par contraste avec l’environnement sordide que constituait le quartier.
Shaknahyi présenta nos papiers au vigile. « Nous sommes ici pour voir cheikh Reda », dit-il. Le garde décrocha un téléphone et parla à quelqu’un. Après un moment, il nous laissa poursuivre notre route.
« Il y a un siècle ou même plus, observa Shaknahyi, songeur, les pontes du crime avaient tous de grands plans illicites pour gagner de l’argent. Parfois, ils opéraient également dans les affaires légales pour de simples motifs pratiques, blanchir l’argent, par exemple.
— Ouais ? Et après ?
— Réfléchis un peu : tu dis que Reda Abou Adil et Friedlander bey sont deux des hommes les plus puissants de la planète, au titre de “conseillers” d’États étrangers. C’est parfaitement légitime. Les connexions de ces deux vieillards avec le monde du crime n’ont qu’une bien moindre importance. Elles servent tout juste à assurer un gagne-pain à leurs associés et subordonnés. C’est devenu le monde à l’envers.
— C’est le progrès », répliquai-je. Shaknahyi hocha simplement la tête.
Nous sortîmes de la voiture de patrouille, au chaud soleil de l’après-midi. Le terrain devant la maison d’Abou Adil avait été soigneusement paysagé. L’air embaumait le parfum des roses et la senteur agréable et forte des citrons. Il y avait des cages à oiseaux de part et d’autre d’une antique fontaine de pierre et leurs trilles musicaux meublaient l’après-midi d’une langueur paisible. Nous gravîmes le sentier pavé de céramique menant à la porte découpée dans un fronton géométrique. Un domestique l’avait déjà ouverte et attendait que nous lui expliquions la raison de notre présence.
« Je suis l’agent Shaknahyi et voici Marîd Audran. Nous venons voir cheikh Reda. »
Le domestique acquiesça mais ne dit mot. Nous le suivîmes à l’intérieur, et il referma derrière nous le lourd battant de bois. Le soleil entrait à flots par les hautes fenêtres treillissées. J’entendais, tout au loin, quelqu’un jouer du piano. Je pouvais sentir une odeur d’agneau rôti et de café. L’horreur sordide qui régnait à un jet de pierre d’ici était totalement oblitérée : la demeure était un petit univers autonome, et j’étais sûr qu’Abou Adil l’avait entendu ainsi.
On nous conduisit directement en présence du maître des lieux. Même moi, je ne pouvais aussi vite aborder Friedlander bey.
Reda Abou Adil était un vieillard imposant et gras. Il ressemblait à Papa, mais il était impossible de deviner son âge. Je savais avec certitude qu’il avait au moins cent vingt-cinq ans. Je n’aurais pas été surpris d’apprendre qu’il était en fait aussi âgé que Friedlander bey. Il était vêtu d’une ample tunique blanche sans le moindre ornement. Il portait moustache et barbe blanches taillées avec soin, et de son épaisse toison de cheveux blancs saillait un mamie gris tourterelle dans lequel étaient enfichés deux papies. Mon œil expert remarqua qu’Abou Adil n’avait pas une prise en saillie comme moi ; son module était directement encastré sur un connecteur corymbique.
Abou Adil était allongé sur un lit d’hôpital qu’on avait relevé pour lui permettre de nous voir confortablement pendant notre entretien. Une luxueuse couverture brodée main était étendue sur lui. Ses mains noueuses dépassaient de la couverture, bien à plat de chaque côté de son corps. Il avait les paupières lourdes, comme s’il était drogué ou terriblement fatigué. Il grimaçait et gémissait beaucoup tandis que, debout devant lui, nous attendions qu’il parle.
Il n’en fit rien. Et c’est un homme plus jeune, posté près du lit d’hôpital, qui prit la parole à sa place. « Cheikh Reda vous souhaite la bienvenue dans sa demeure. Mon nom est Umar Abdoul-Qawy. Vous pouvez à travers moi vous adresser à cheikh Reda. »
Cet Umar avait la cinquantaine. Des yeux vifs, pleins de défiance, et comme une expression perpétuellement renfrognée. Lui aussi avait l’air bien nourri, et il était vêtu d’une impressionnante robe couleur d’or et d’un caftan bleu métallisé. Il était tête nue et, comme chez son maître, un mamie séparait ses cheveux clairsemés. L’homme me déplut instantanément.
Il était clair que j’avais devant moi mon homologue. Umar Abdoul-Qawy faisait pour Abou Adil ce que je faisais pour Friedlander bey, même si j’étais certain qu’il était en poste depuis plus longtemps et devait être plus au fait des rouages intimes de l’empire de son maître. « Si le moment est mal choisi, intervins-je, nous pouvons revenir à un autre moment.
— Le moment est mal choisi, dit Umar. Cheikh Reda souffre les tourments d’un cancer en phase terminale. Vous voyez toutefois qu’un autre moment ne serait pas nécessairement meilleur.
— Nous prions pour son rétablissement », dis-je.
Un imperceptible sourire déforma le coin des lèvres d’Abou Adil. « Allah yisallimak, dit Umar. Dieu vous bénisse. Et maintenant, qu’est-ce qui vous amène ici en cet après-midi ? »
C’était d’une goujaterie inexcusable. Dans le monde musulman, on ne s’enquiert jamais des raisons d’une visite. L’usage veut en outre qu’on respecte, ne fût-ce qu’un minimum, les lois de l’hospitalité. Je m’étais attendu qu’on nous serve du café, sinon qu’on nous propose de manger. Je jetai un œil à Shaknahyi.
Ça ne semblait pas le chagriner. « Quels rapports cheikh Reda entretient-il avec Friedlander Bey ? »
La question parut surprendre Umar. « Eh bien, mais… aucun », dit-il en écartant les mains. Abou Adil laissa échapper un long gémissement de douleur et ferma hermétiquement les yeux. Umar ne se tourna même pas dans sa direction.
« Alors, cheikh Reda n’a aucun contact avec lui ? demanda Shaknahyi.
— Pas le moindre. Friedlander bey est un homme important et influent mais ses intérêts résident dans un quartier éloigné de cette ville. Les deux cheikhs n’ont jamais eu la moindre discussion concernant leurs affaires. Leurs domaines respectifs n’ont aucun point commun.
— De sorte que Friedlander bey ne constitue en rien une gêne ou un obstacle aux projets de cheikh Reda ?
— Regardez mon maître, dit Umar. Quel genre de plans pensez-vous qu’il cultive ? » Certes, Abou Adil avait l’air totalement impuissant dans son agonie. Je me demandais ce qui avait conduit le lieutenant Hadjar à nous envoyer sur cette fausse piste.
« Nous avions reçu certaines informations que nous devions vérifier, dit Shaknahyi. Nous sommes désolés de cette intrusion.
— Il n’y a absolument pas de mal. Kamal va vous raccompagner. » Umar nous fixa de son air impavide. Abou Adil, toutefois, fit une tentative pour lever la main afin de nous saluer ou nous bénir, mais elle retomba, inerte, sur la couverture.
Nous suivîmes le domestique jusqu’à la porte d’entrée. Dès que nous fûmes seuls dehors, Shaknahyi se mit à rire. « Un sacré numéro, hein !
— Quel numéro ? Quelque chose m’aurait-il échappé ?
— Si tu avais lu entièrement le dossier, tu aurais su qu’Abou Adil n’a pas le moindre cancer. Il n’en a jamais eu.
— Mais alors…»
La bouche de Shaknahyi dessina un pli méprisant. « Déjà entendu parler de L’Enfer à la carte ? Une bande de cinglés qui s’amusent à porter des mamies de contrebande, bricolés en fraude dans quelque arrière-salle. À partir d’enregistrements de gens réels placés dans des situations horribles. »
J’étais désemparé. « Et c’est ce que fait Abou Adil ? Porter le module mimétique d’un patient atteint d’un cancer en phase terminale ? »
Shaknahyi acquiesça tout en ouvrant la portière pour remonter en voiture. « Il est branché souffrance et douleur par procuration. Tu peux t’acheter sur mamie n’importe quelle sorte de maladie ou de situation au marché noir. Il y a quantité de masochistes dans son genre. »
J’entrai à mon tour dans la voiture. « Et moi qui croyais que les filles et les débs de la Rue détournaient les mamies de leur usage normal… Voilà qui ajoute un sens entièrement nouveau au mot perversion. »
Shaknahyi démarra et contourna la fontaine pour regagner la grille d’entrée. « On introduit une technologie nouvelle et peu importent ses bienfaits pour la majorité des gens, il se trouvera toujours un fils de pute assez givré pour la détourner vers un truc complètement tordu. »
Je réfléchis à ça, et à mes propres biomodifs, tandis que nous retournions au commissariat en traversant le quartier déshérité où vivaient parqués les fidèles disciples de Reda Abou Adil.