4.

Si j’avais su à quel point les choses allaient être difficiles, j’aurais demandé à Kmuzu de me conduire directement hors de la ville vers quelque coin tranquille et loin de tout. Quand je rentrai à la maison – à ce moment, j’avais déjà pris l’habitude de considérer le palais de Friedlander bey comme ma maison – il était aux alentours de quatre heures de l’après-midi. Je décidai qu’une petite sieste ne serait pas de trop. Après, je comptais avoir un bref entretien avec Papa et ensuite sortir passer un petit moment dans la boîte de Chiriga. Malheureusement, Kmuzu mon esclave avait d’autres projets.

« Je serai très bien dans la petite chambre, m’annonça-t-il.

— Pardon ? » Je ne savais foutre pas de quoi il voulait parler.

« La petite chambre qui vous sert de débarras. Elle me conviendra amplement. Je vais y installer une couchette. »

Je le regardai un moment. « Je pensais que tu dormirais dans l’aile réservée aux domestiques.

— Oui, j’ai effectivement une chambre là-bas, yaa sidi, mais je serai mieux à même de vous surveiller si j’en ai une ici également.

— Ça ne m’intéresse pas vraiment de t’avoir pour me surveiller à toute heure du jour, Kmuzu. J’accorde un certain prix à l’intimité. »

Kmuzu acquiesça. « Je comprends bien mais le maître de maison m’a ordonné…»

J’avais assez entendu ces sornettes. « Je me fous de ce que le maître de maison t’a ordonné, hurlai-je. T’es l’esclave de qui, en fin de compte ? Le mien ou le sien ? »

Kmuzu ne répondit pas. Il se contenta de me dévisager avec ses grands yeux solennels.

« Bon, ça va, laisse tomber. Vas-y, installe-toi dans le débarras. Empile mes affaires et traînes-y un matelas si ça te chante. » Je tournai les talons, profondément irrité.

« Friedlander bey vous invite à dîner avec lui après qu’il vous aura parlé, dit Kmuzu.

— Je suppose que peu importe que j’aie d’autres projets », remarquai-je. Tout ce que j’obtins, ce fut le même regard silencieux. Kmuzu était un spécialiste.

J’entrai dans ma chambre et me déshabillai. Puis je pris une douche rapide et réfléchis à ce que j’allais pouvoir dire à Friedlander bey. Primo, j’allais lui dire que cette histoire d’esclave-espion avec Kmuzu avait intérêt à se terminer vite fait. Secundo, je voulais l’informer que je n’étais pas ravi d’être associé à l’agent Shaknahyi. Et tertio, eh bien, c’est à ce moment-là que je me rendis compte que je n’avais sans doute pas le courage de dire quoi que ce soit des points un et deux.

Je sortis de la douche et me séchai. Rester debout sous l’eau chaude m’avait fait un bien fou et je décidai qu’en fin de compte je pouvais me passer de sieste. À la place, je regardai dans la penderie, pour choisir ce que j’allais mettre. Papa aimait bien que je m’habille à l’arabe. Je me dis basta, et choisis une simple gallebeya bordeaux. Je jugeai que le bonnet tricoté de mon pays natal n’était pas approprié et je ne suis pas fana du turban. Je me rabattis donc sur un keffieh blanc uni que je maintins en place d’un simple akal en corde noire. Je passai un cordon à ma ceinture, auquel j’accrochai la dague de cérémonie que m’avait offerte Papa. J’ajoutai également, caché dans le dos, un étui contenant mon paralyseur. Je le dissimulai sous une luxueuse cape beige passée par-dessus de la gallebeya. Je me sentais ainsi paré à toute éventualité : festivités, discussion ou tentative d’assassinat.

« Et si tu restais ici pour t’installer ? » suggérai-je à Kmuzu, mais au lieu de cela il me suivit au bas des marches. Je n’étais pas surpris outre mesure. Les bureaux de Papa étaient situés au rez-de-chaussée du corps de bâtiment principal reliant les deux ailes. Quand il était là, l’un des Rocs parlants restait posté dans le couloir, gardant la porte. Le gorille m’examina, hocha la tête. En revanche, quand il regarda Kmuzu, son expression changea. Sa lèvre se retroussa imperceptiblement. Jamais encore je n’avais vu chez lui une telle manifestation d’émotion.

« Attendez, lui dit-il.

— Je vais entrer avec mon maître », dit Kmuzu.

Le Roc lui flanqua une bourrade et le força à reculer d’un pas. « Attendez, répéta-t-il.

— Pas de problème, Kmuzu », intervins-je. Je n’avais pas envie de les voir se flanquer tous les deux une peignée juste devant la porte du bureau de Friedlander bey. Ils pouvaient régler leur petite querelle de pouvoir à un moment plus adéquat.

Kmuzu me lança un regard glacé mais ne dit rien. Le Roc inclina légèrement la tête au moment où je passais pour entrer dans l’antichambre puis referma la porte derrière moi. Si de l’autre côté, dans le hall, Kmuzu et lui en venaient aux mains, je serais bien en peine de savoir quelle attitude adopter. Que prescrit l’étiquette quand votre esclave attitré se fait mettre une raclée par l’esclave de votre patron ? Bien sûr, c’était sans accorder à Kmuzu le bénéfice du doute. Peut-être avait-il lui aussi un ou deux tours dans son sac. Qui sait, il était peut-être de taille à mater le Roc parlant.

Toujours est-il que Friedlander bey était dans ses appartements privés. Je le trouvai assis derrière son bureau gigantesque. Il ne me parut pas en forme. Les coudes posés sur le plateau, la tête dans les mains, il était en train de se masser le front. Il se leva quand j’entrai. « Je suis content », dit-il. À l’entendre, ce n’était pas évident ; il avait l’air plutôt épuisé.

« C’est pour moi un honneur de te souhaiter le bonsoir, ô cheikh », dis-je. Il portait une chemise blanche à col ouvert dont il avait retroussé les manches, et un vieux pantalon gris trop grand. Sans doute ne remarquerait-il même pas les efforts que j’avais faits pour me vêtir de manière classique. On ne peut pas toujours tomber pile, pas vrai ?

« Nous dînerons bientôt, mon fils. En attendant, assieds-toi près de moi. Il y a des affaires qui réclament notre attention. »

Je m’installai dans un siège confortable à côté de son bureau. Papa se rassit et tripota quelques papiers, l’air soucieux. Je me demandai s’il allait parler de la femme ou m’expliquer pourquoi il avait décidé de m’infliger Kmuzu. Ce n’était pas à moi de l’interroger. Il y viendrait quand il serait prêt.

Il ferma les yeux un instant puis les rouvrit, soupira. Ses rares cheveux blancs étaient ébouriffés, et il ne s’était pas rasé ce matin. Je supposai qu’il devait être préoccupé. J’appréhendais un peu ce qu’il allait encore me commander ce coup-ci.

« Nous devons parler, commença-t-il. Il y a cette histoire de don d’aumône. »

Bon, je n’ai pas peur de l’avouer : de tous les problèmes qu’il aurait pu choisir, celui du don d’aumône se trouvait assez loin sur la liste de ce que j’escomptais entendre. Quelle idiotie de ma part d’avoir imaginé qu’il désirait m’entretenir de quelque affaire plus urgente. De meurtre, par exemple.

« J’ai peur d’avoir des sujets plus importants à l’esprit, ô cheikh. »

Friedlander bey hocha la tête d’un air las. « Nul doute, mon fils, que tu ne croies sincèrement ces autres choses plus importantes, mais tu te trompes. Nous partageons toi et moi une existence de luxe et de confort et cela nous donne une responsabilité vis-à-vis de nos frères. »

Jacques, mon infidèle de pote, aurait eu du mal à saisir ce point précis. Certes, d’autres religions prônent la charité. Le simple bon sens dicte de s’occuper des pauvres et des nécessiteux, parce qu’on ne sait jamais si l’on ne finira pas nécessiteux et pauvre soi-même. L’attitude islamique va plus loin, toutefois : le don d’aumône est l’un des cinq piliers de la religion, tout aussi fondamental que la profession de foi, la prière quotidienne, le jeûne du ramadan et le pèlerinage à La Mecque.

J’accordais la même attention au don d’aumône qu’aux autres devoirs. À savoir que j’avais le plus profond respect pour eux d’une manière purement intellectuelle et que je me répétais que je ne tarderais pas à sincèrement les mettre en pratique incessamment sous peu.

« Et bien sûr, cela fait un certain temps que tu soupèses la question, remarquai-je.

— Nous avons négligé nos devoirs envers les pauvres et les nécessiteux, ainsi que les veuves et les orphelins de notre entourage. »

Certains de mes amis – mes vieux amis, mes anciens amis – jugent que Papa n’est rien d’autre qu’un monstre criminel mais ce n’est pas vrai. C’est un homme d’affaires avisé qui entretient également des liens étroits avec la foi à l’origine de notre culture. Je suis désolé si cela peut sembler contradictoire. Il peut se montrer dur, voire cruel, par moments ; mais je ne connais nul autre homme plus sincère dans sa foi ou plus heureux de se plier aux nombreuses obligations du noble Qur’ân.

« Que souhaites-tu me voir faire, ô mon oncle ? »

Friedlander bey haussa les épaules. « Est-ce que je ne te récompense pas comme il faut de tes services ?

— Tu es infailliblement gracieux, ô cheikh.

— Alors, ce ne serait pas une épreuve pour toi de mettre de côté le cinquième de tes biens, comme il est stipulé dans la Voie droite. À vrai dire, je désire te faire un don qui gonflera ta bourse et, dans le même temps, te procurera une source de revenus indépendante de cette maison. »

Voilà qui éveilla mon attention. La liberté était mon plus cher désir chaque soir avant de m’endormir. C’était ma première pensée quand je m’éveillais au matin. Et le premier pas vers la liberté était l’indépendance financière.

« Tu es le père de la générosité, ô cheikh, lui dis-je, mais j’en suis indigne. » Croyez-moi, j’avais hâte d’entendre ce qu’il s’apprêtait à m’annoncer. Les formes, toutefois, exigeaient de moi que je fisse comme si je ne pouvais décemment accepter un tel don.

Il éleva une main tremblante et maigre. « Je préfère que mes associés aient des sources de revenus extérieures, des sources qu’ils gèrent eux-mêmes et dont ils n’ont pas besoin de partager les bénéfices avec moi.

— C’est une sage politique », dis-je. J’avais connu bon nombre d’« associés » de Papa et je savais le genre de sources dont ils disposaient. J’étais certain qu’il allait me brancher sur quelque affaire louche, quelque marché du vice. Non pas que les scrupules m’étouffent, qu’on me comprenne bien. Je n’aurais pas vu d’inconvénient à acheter mes drogues au prix de gros. Simplement, je n’ai jamais eu vraiment l’esprit de lucre.

« Jusqu’à une période récente, le Boudayin était tout ton univers. Tu le connais bien, mon fils, et tu comprends ses habitants. J’ai une grande influence là-bas et j’ai jugé intéressant de t’acheter un petit établissement commercial dans ce quartier. » Sur quoi, il me tendit un document plastifié.

Je me penchai pour le prendre. « Qu’est-ce que c’est, ô cheikh ? demandai-je.

— C’est un titre de propriété. Tu es désormais le propriétaire des biens qui y sont décrits. À partir d’aujourd’hui, l’affaire est sous ta responsabilité. C’est une entreprise rentable, mon neveu. Gère-la bien, et elle te récompensera, inchallah. »

J’avisai le titre. « Tu es…» Ma voix s’étrangla. Papa avait acheté le club de Chiriga et il me le donnait. Je le regardai. « Mais…»

Il balaya ma réponse d’un revers de main. « Inutile de me remercier. Tu es mon fils respectueux.

— Mais c’est le bar de Chiri. Je ne peux quand même pas lui piquer son club. Qu’est-ce qu’elle va faire ? »

Friedlander bey haussa les épaules. « Les affaires sont les affaires », dit-il simplement.

Je le fixai, muet, il avait la manie remarquable de me donner des choses dont je me serais passé avec joie : Kmuzu et une carrière de flic, par exemple. Mais ce n’aurait pas été une solution de refuser. « Je ne sais vraiment comment t’exprimer mes remerciements », dis-je d’une voix éteinte. Déjà qu’il ne me restait plus que deux bons amis, Saïed le demi-Hadj et Chiri… Ça n’allait certainement pas plaire à cette dernière. Je redoutais d’avance sa réaction.

« Viens, me dit Friedlander bey, allons dîner. » Il se leva derrière son bureau et me tendit la main. Je le suivis, encore ahuri. Ce n’est que plus tard que je m’avisai que je ne lui avais pas parlé de mon boulot avec Hadjar ou de ma nouvelle mission d’enquête sur Reda Abou Adil. Quand vous êtes en présence de Papa, vous allez où il veut, vous faites ce qu’il veut, et vous parlez de ce qu’il veut entendre.

Nous gagnâmes la plus petite des deux salles à manger, tout au bout de l’aile ouest, au rez-de-chaussée. C’est là que nous mangions, Papa et moi, quand nous dînions ensemble. Kmuzu m’emboîta le pas dans le couloir et le Roc parlant suivit Friedlander bey. Si nous avions été dans une holo-série sentimentale américaine, ces deux-là en seraient venus aux mains avant de devenir les meilleurs amis du monde. Sûr qu’on pouvait y compter.

Je m’arrêtai au seuil de la salle à manger, l’œil rond. Umm Saad et son fils nous attendaient à l’intérieur. C’était la première femme que j’avais vue sous le toit de Friedlander bey, et néanmoins elle n’avait jamais eu le droit de se joindre à notre table. Le garçon semblait avoir une quinzaine d’années, ce qui aux yeux de la foi est l’âge de la maturité. Il était en âge de se conformer aux obligations de la prière et du jeûne rituel, aussi en d’autres circonstances aurait-il fort bien pu partager notre repas. « Kmuzu, dis-je, raccompagne la femme à ses appartements. »

Friedlander bey me posa la main sur le bras. « Je te remercie, mon fils, mais je l’ai invitée à rester avec nous. » Je le regardai, bouche bée, mais aucune réponse intelligente ne me vint. Si Papa voulait à une date si tardive engager des bouleversements radicaux dans son comportement et son attitude, c’était son droit. Je refermai la bouche et acquiesçai.

« Umm Saad dînera dans ses appartements après notre discussion », dit Friedlander bey en la fixant du regard. « Son fils alors pourra se retirer avec elle ou bien rester avec les hommes, à son gré. »

Umm Saad semblait impatiente : « Je suppose que je dois t’être reconnaissante du temps que tu sais m’épargner. » Papa gagna sa chaise et le Roc l’aida à s’asseoir. Kmuzu m’indiqua un siège en face de Friedlander bey. Umm Saad s’installa à sa gauche et son fils se mit à la droite de Papa. « Marîd, dit ce dernier, connais-tu le jeune homme ?

— Non », répondis-je. Pas même de vue. Lui et sa mère se faisaient fort discrets dans cette demeure. Le garçon était grand pour son âge, mais il était maigre et mélancolique. Sa peau avait un teint jaunâtre peu naturel et il avait le blanc des yeux décoloré. Il avait un air maladif. Il était vêtu d’une gallebeya bleu foncé imprimée d’un motif géométrique, et il portait un turban de jeune cheikh – pas un turban de chef tribal mais la coiffure honorifique du garçon qui a mémorisé le texte intégral du Qur’ân.

« Yaa sidi, dit la femme, puis-je te présenter mon cher fils Saad ben Salah ?

— Que votre honneur s’accroisse, seigneur », dit le garçon.

Je haussai les sourcils. Le gosse au moins avait des manières. « Qu’Allah te soit gracieux, répondis-je.

— Umm Saad, intervint Friedlander bey d’une voix bourrue, tu es entrée dans ma maison en manifestant des prétentions extravagantes. Ma patience est à bout. Par respect pour les lois de l’hospitalité, j’ai souffert ta présence mais dorénavant ma conscience est claire. Je t’enjoins donc de ne plus me déranger. Tu devras avoir quitté ma demeure dès l’appel à la prière de demain matin. Je vais donner ordre à mes domestiques de te fournir toute l’assistance qui te sera nécessaire. »

Umm Saad lui adressa un petit sourire comme si elle trouvait sa colère amusante. « Je ne crois pas que tu aies prêté à notre problème toute l’attention voulue. Et tu n’as rien prévu pour l’avenir de ton petit-fils. » Elle posa sa main sur celle de Saad.

C’était comme un soufflet en plein visage. Elle prétendait être la fille ou la bru de Friedlander bey. Voilà qui expliquait pourquoi il voulait que je m’occupe de le débarrasser d’elle, au lieu de s’en charger lui-même.

Il me regarda. « Mon neveu, dit-il, cette femme n’est pas ma fille, et le garçon n’est pas de mon sang. Ce n’est pas la première fois qu’un étranger vient à ma porte en prétendant m’être apparenté, dans l’espoir de me dépouiller d’une fortune gagnée avec peine. »

Seigneur, j’aurais dû m’occuper d’elle dès qu’il me l’avait demandé, avant qu’il m’embarque dans cette histoire. Un de ces jours, il faudra bien que j’apprenne à m’occuper des choses avant qu’elles ne deviennent par trop compliquées. Je ne veux pas dire que je l’aurais vraiment assassinée, mais j’aurais pu avoir une chance de l’amener à nous quitter paisiblement, par la persuasion, la menace ou le chantage. Je voyais bien qu’il était désormais trop tard. Elle n’accepterait aucun arrangement ; elle voulait tout le gâteau, sans en perdre une miette.

« Tu en es certain, ô cheikh ? demandai-je. Qu’elle n’est pas ta fille, je veux dire ? »

Un instant, je crus qu’il allait me frapper. Puis, d’une voix maîtrisée avec peine, il répondit : « Je te le jure, sur la vie de l’Envoyé de Dieu (faveurs et bénédictions divines sur lui). » Je n’en demandais pas plus. Friedlander bey n’a rien contre quelques petites manipulations si cela aide ses visées, mais il ne fait jamais de faux serments. Si nous nous entendons si bien, c’est parce qu’il ne ment pas et que je ne mens pas non plus. Je regardai Umm Saad. « Quelle preuve as-tu à l’appui de tes prétentions ? »

Ses yeux s’agrandirent. « Une preuve ? s’écria-t-elle. Ai-je besoin de preuve pour étreindre mon propre père ? Quelle preuve as-tu, toi, de l’identité du tien ? »

Elle ne pouvait savoir à quel point le sujet était brûlant pour moi. J’ignorai la remarque. « Papa…» Je m’interrompis. « Le maître de maison t’a manifesté son amabilité et sa courtoisie. À présent, il se permet de te demander de mettre un terme à ta visite. Comme il l’a dit, tu peux recourir aux services des domestiques pour faciliter ton départ. » Je me tournai vers le Roc parlant, qui approuva d’un signe de tête, un seul : on pouvait être sûr qu’il aurait soin que la femme et son fils soient à la porte sitôt que le muezzin aurait émis la dernière syllabe de son appel matinal.

« Alors nous avons des préparatifs à faire, dit-elle en se levant. Viens, Saad. » Et tous deux quittèrent la petite salle à manger avec autant de dignité que s’ils étaient dans leurs propres murs et que c’étaient eux qu’on avait offensés.

Les mains de Friedlander bey étaient plaquées sur la table devant lui. Ses phalanges étaient blanches. Il prit deux ou trois lentes inspirations forcées. « Que proposes-tu de faire pour mettre un terme à ce désagrément ? » demanda-t-il.

Je levai la tête, regardant alternativement Kmuzu et le Roc parlant. Aucun des deux esclaves ne semblait le moins du monde intéressé par la question. « Entendons-nous bien, ô cheikh, commençai-je. Tu veux te débarrasser d’elle et de son fils. Mais est-il essentiel qu’elle meure ? Que dirais-tu si j’employais un autre moyen, moins radical, pour la décourager ?

— Tu l’as vue et tu as entendu ses paroles. Hormis la violence, rien ne mettra un terme à ses plans. Par ailleurs, seule sa mort découragera d’autres sangsues de son espèce de recourir à la même stratégie. Pourquoi hésites-tu, mon fils ? La réponse est simple et efficace. Tu as déjà tué. Tuer encore ne devrait pas être si difficile. Tu n’as même pas besoin de maquiller cela en accident. Le sergent Hadjar comprendra. Il s’abstiendra d’ouvrir une enquête.

— Hadjar est lieutenant, à présent », remarquai-je.

Papa écarta l’objection d’un geste impatient. « Oui, bien sûr.

— Tu penses qu’Hadjar fermera les yeux sur un homicide ? » Hadjar était vendu mais ça ne voulait pas dire qu’il se tiendrait tranquille pendant que je le couvrirais de ridicule. Je pouvais encore m’en tirer mais à la seule condition de prendre soin de préserver son image publique.

Le front du vieillard se plissa. « Mon fils, dit-il avec lenteur pour être sûr que je comprenne bien, si le lieutenant Hadjar regimbe, lui aussi peut être démissionné. Peut-être que tu auras alors plus de chance avec son successeur. On peut continuer ce processus jusqu’à ce que le commissariat soit occupé enfin par un officier doté d’assez de jugeote.

— Qu’Allah nous guide, toi et moi », murmurai-je. Friedlander bey avait une certaine facilité ces derniers temps à recourir au jeu de massacre comme solution aux petits désagréments de l’existence. J’étais frappé de nouveau par le fait que Papa n’était pas pressé de manier personnellement la gâchette. Il avait appris très jeune la délégation de responsabilités. Et j’étais devenu son délégué favori.

« On dîne ? » demanda-t-il.

J’avais perdu mon appétit. « Je te prie de me pardonner, dis-je, mais j’ai quantité de préparatifs à faire. Peut-être qu’après ton repas tu répondras à quelques questions. J’aimerais entendre ce que tu sais au sujet de Reda Abou Adil. »

Friedlander bey étendit les mains. « Pas beaucoup plus que toi, j’imagine. »

Bon, Papa n’avait-il pas forcé la main à Hadjar pour qu’il entame une enquête non officielle ? Alors, pourquoi jouait-il les idiots, maintenant ? Ou bien était-ce simplement une autre épreuve ? Combien de ces satanées épreuves avais-je encore à subir ?

Ou peut-être – et là, ça devenait vraiment intéressant – peut-être que la curiosité d’Hadjar pour Abou Adil n’était pas motivée par Papa, en fin de compte. Peut-être qu’Hadjar s’était vendu plus d’une fois : à Friedlander bey, mais aussi au second plus gros enchérisseur, puis ensuite au troisième, et au quatrième…

Je me souvins du temps où j’étais un adolescent de quinze ans, au sang chaud. J’avais promis à ma petite amie, Nafissa, de ne même pas regarder une autre fille. Et j’avais fait le même serment à Fayza, qui avait de plus gros lolos. Et à Hanuna, dont le père travaillait à la brasserie. Tout baignait jusqu’au jour où Nafissa avait appris l’existence d’Hanuna et où le père de Fayza avait découvert l’existence des deux autres. Les filles étaient prêtes à me couper les couilles et à m’arracher les yeux. À la place, j’avais préféré m’éclipser d’Alger à la faveur du sommeil de l’ennemi : c’est ainsi qu’avait débuté l’odyssée qui devait me conduire dans cette ville. C’est une histoire morte, desséchée, et sans grand intérêt ici. Je veux simplement suggérer l’ampleur des problèmes auxquels se préparait Hadjar si jamais Friedlander bey et Reda Abou Adil venaient à découvrir son double jeu.

« Abou Adil n’est-il pas ton principal rival ?

— Ce monsieur pense peut-être que nous rivalisons. Pour ma part, je ne nous considère pas le moins du monde comme des rivaux. Allah accorde à Abou Adil le droit de vendre ses cuivres martelés quand je vends les miens de mon côté. Si quelqu’un choisit d’acheter chez lui plutôt que chez moi, alors vendeur et client ont ma bénédiction. Allah me laissera mon gagne-pain et rien de ce que pourra faire Abou Adil ne m’aidera ou ne m’entravera. »

Je songeai aux vastes sommes d’argent qui transitaient par la maison de Friedlander bey – dont une partie finissait à l’intérieur de grosses enveloppes sur mon propre bureau. J’étais bien certain que pas un sou ne provenait de la vente de cuivre martelé. Mais ça faisait un plaisant euphémisme ; je laissai passer.

« D’après le lieutenant Hadjar, remarquai-je, tu penses qu’Abou Adil se préparerait à t’écarter définitivement de la circulation.

— Seul le Rassembleur des Nations peut faire une telle chose, mon fils. » Papa m’accorda un regard affectueux. « Mais j’apprécie ta sollicitude. Tu n’as toutefois pas à t’inquiéter d’Abou Adil.

— Je peux mettre à profit ma position chez les flics pour découvrir ce qu’il mijote. »

Papa se leva et passa une main dans ses cheveux blancs. « Si tu le veux. Si cela peux apaiser ton esprit. »

Kmuzu écarta ma chaise de la table et je me levai à mon tour. « Mon oncle, je te prie de m’excuser. Que ta table te soit agréable. Je te souhaite un repas bienheureux. »

Friedlander bey vint à moi et m’embrassa sur les deux joues. « Va sans crainte, mon chéri, dit-il. Je suis fort satisfait de toi. »

Comme je quittais la salle à manger, je me retournai et vis Papa se rasseoir dans sa chaise. La résolution se peignait sur les traits du vieillard et le Roc parlant se penchait vers lui pour recueillir ses paroles. Je me demandai quel secret Friedlander bey pouvait bien partager avec son esclave mais pas encore avec moi.

« Il faut que tu termines de t’installer, non ? » dis-je à Kmuzu tandis que nous remontions vers mon appartement.

« Je vais apporter un matelas, yaa sidi. Ce sera suffisant pour ce soir.

— Parfait. J’ai encore du boulot à faire sur l’ordinateur.

— Le rapport sur Abou Adil ? »

Je le regardai avec intérêt. « Oui, dis-je enfin. C’est cela même.

— Peut-être que je puis vous aider à vous faire une idée plus claire de l’homme et de ses motivations.

— Comment se fait-il que tu en saches autant sur lui, Kmuzu ?

— À mon arrivée dans la cité, j’ai été employé comme garde du corps par l’une des épouses d’Abou Adil. »

Je jugeai cette information remarquable. Imaginez : j’entame une enquête sur un parfait inconnu et voilà que mon tout nouvel esclave s’avère avoir travaillé naguère pour ce même homme. Ce n’était pas une coïncidence. Je le sentais. J’étais à peu près certain que tout cela formerait en définitive un tout cohérent. Simplement, j’espérais être vivant et en bonne santé ce jour-là.

Je m’arrêtai devant la porte de ma suite. « Va chercher ton lit et tes affaires, dis-je à Kmuzu. Je vais parcourir le dossier d’Abou Adil. N’aie crainte de me déranger, toutefois. Quand je travaille, il faut l’explosion d’une bombe pour me distraire.

— Merci, yaa sidi, je serai te plus silencieux possible. »

Je me mis à tourner le verrou de la porte. Kmuzu s’inclina légèrement avant de se diriger vers le quartier des domestiques. Sitôt qu’il eut tourné le coin, je me hâtai dans la direction opposée. Je descendis au garage et trouvai ma voiture. Ça faisait drôle de s’éclipser ainsi à l’insu de son propre domestique, mais je ne me sentais tout bonnement pas d’humeur à l’avoir sur les talons ce soir.

Je traversai le quartier chrétien puis celui des commerces de luxe, à l’est du Boudayin. Je garai la voiture sur le boulevard il-Djamil, pas très loin de l’endroit où Bill attendait en général avec son taxi. Avant de sortir, je pris ma boîte à pilules. Il me semblait que ça faisait une éternité que je ne m’étais pas offert le plaisir de quelque drogue amicale. J’étais bien pourvu, grâce à mes revenus maintenant plus élevés et surtout aux nombreux contacts noués par l’entremise de Papa. Je choisis une paire de triamphés bleus ; j’étais tellement pressé que je les avalai sur-le-champ, sans eau. Sous peu, j’allais déborder d’énergie, me sentir indomptable. Ce ne serait pas du luxe, vu la scène épouvantable qui m’attendait.

J’avais envisagé de m’embrocher un mamie mais je me ravisai au dernier moment. J’avais besoin de parler avec Chiri et j’avais suffisamment de respect à son endroit pour me présenter devant elle en ayant toute ma tête. Par la suite, toutefois, les choses pourraient se présenter autrement. Il était bien possible que je préfère retourner au bercail sous une tout autre personnalité.

Ce soir-là, la boîte de Chiri avait fait le plein. À l’intérieur, l’air était calme et chaud, sucré d’une douzaine de parfums différents, âcre de sueur et de bière renversée. Sexchangistes et débs préops bavardaient avec les clients sur un ton faussement enjoué et leurs rires aigus ponctuaient les crissements de la musique quand elles criaient pour renouveler leurs cocktails au champagne. Des éclairs de néon bleu et rouge vif descendaient de biais derrière le bar et les points lumineux tournoyants des boules à facettes étincelaient aux murs et au plafond. Dans un coin, il y avait un hologramme d’Honey Pilar en train de se tortiller, seule, sur une peau de vison blanc étalée sur les sables blancs de quelque plage romantique. C’était une pub pour son nouveau mamie sexy Le Désir qui couve. Je la fixai pendant un moment, presque hypnotisé.

« Audran. » C’était la voix rauque de Chiriga. Elle ne semblait pas ravie de me voir. « Môssieur le Chef.

— Écoute, Chiri… laisse-moi…

— Lily ! cria-t-elle à l’un des changistes, sers donc à boire au nouveau propriétaire. Gin et bingara avec un trait de Rose. » Elle me regarda, l’air farouche. « Le tendé est à moi, Audran. Réserve privée. Il n’entre pas dans les stocks du club et je l’emporte avec moi. »

Elle me rendait la vie dure. Je ne pouvais qu’imaginer ce qu’elle devait ressentir. « Attends une minute, Chiri. Ça n’a rien à voir avec…

— Voilà les clés. Celle-ci, c’est pour le tiroir-caisse. Tout l’argent est là pour toi. Les filles sont à toi, les emmerdes aussi, à partir de dorénavant. Si t’as des problèmes, tu peux les amener à Papa. » Elle prit sa bouteille de tendé de sous le comptoir. « Kwa héri, fils de pute », lança-t-elle, la lèvre retroussée. Puis elle sortit avec perte et fracas.

Un grand calme se fit aussitôt. Le morceau, je ne sais plus lequel, s’arrêta, et personne n’en mit un autre. Une déb nommée Kandy était sur scène, et elle resta plantée là à me fixer comme si j’allais me mettre à baver et crier d’une seconde à l’autre. Les gens autour de moi quittèrent leur tabouret pour s’éloigner en catimini. Je les dévisageai et lus sur leurs traits l’hostilité et le mépris.

Friedlander bey voulait trancher tous mes liens avec le Boudayin. Faire de moi un flic avait déjà constitué un bon début, mais même dans ces conditions j’avais conservé quelques amis fidèles. Forcer Chiri à vendre son club avait été un nouveau coup de maître. Sous peu, j’allais me retrouver aussi solitaire et dépourvu d’amis que Papa lui-même, sauf que je n’aurais pas comme lui la consolation de la richesse et du pouvoir.

« Écoutez, leur dis-je, tout cela est un malentendu. Je m’en vais régler cette histoire avec Chiri. Indihar, je te confie la maison, d’accord ? Je reviens tout de suite. »

Indihar se contenta de me lancer un regard dédaigneux. Elle ne dit pas un mot. Je ne supportais pas de rester ici une minute de plus. Je pris le trousseau de clés que Chiri avait lâché sur le comptoir et ressortis. Elle n’était visible nulle part dans la Rue. Elle avait pu rentrer directement chez elle, mais elle était sans doute allée dans une autre boîte.

Je me rendis à La Fée blanche, le café du vieux Gargotier, dans la Neuvième Rue. Saïed, Mahmoud, Jacques et moi y traînions souvent nos basques. Nous aimions rester assis dans le patio à jouer aux cartes dès la fin de l’après-midi. C’était un bon coin pour se tenir au courant.

Ils étaient effectivement tous là. Jacques était le chrétien de service dans notre bande. Il aimait raconter aux gens qu’il était aux trois quarts européen. Jacques était strictement hétérosexuel et ne s’en cachait pas, loin de là. On ne l’aimait pas beaucoup. Mahmoud était un sexchangiste, naguère encore une danseuse aux hanches étroites, aux yeux de biche, qui exerçait ses talents dans les clubs de la Rue. À présent, il était petit, baraqué et méchant, comme ces mauvais djinns sous le nez desquels vous devez vous faufiler pour sauver la princesse ensorcelée. J’avais entendu dire qu’aujourd’hui il dirigeait la prostitution organisée dans le Boudayin pour le compte de Friedlander bey. Saïed le demi-Hadj me fusilla du regard derrière son verre de Johnny Walker, sa boisson habituelle. Il portait son mamie de dur, et il n’attendait que mon apparition pour avoir l’excuse de me rompre les os.

« Comment va ? lançai-je.

— T’es vraiment de la merde, Audran, dit Jacques à voix basse. Un vrai dégueulasse.

— Merci, dis-je, mais je ne vais pas pouvoir m’attarder. » Je pris le siège vide. M. Gargotier vint aux nouvelles, voir si j’allais dépenser quelque chose ce soir. Son expression était d’une neutralité étudiée, mais je vis sans peine qu’il me détestait lui aussi, désormais.

« Z’auriez pas vu passer Chiri, y a cinq minutes ? » demandai-je. M. Gargotier se racla la gorge. Je l’ignorai et il repartit.

« Tu crois pas que tu l’as assez ébranlée comme ça ? demanda Mahmoud. Tu crois peut-être qu’elle s’est barrée en te piquant une attache-trombone ? Lâche-lui la grappe, Audran. »

J’en avais assez. Je me levai et Saïed se leva également de l’autre côté de la table. En deux enjambées, il était sur moi, saisissait ma cape d’une main et ramenait l’autre poing fermé en arrière. Avant qu’il ait pu frapper, je lui flanquai un bon coup sur le nez. Un petit filet de sang jaillit de sa narine. Il fut surpris, mais bientôt sa bouche se plissa en un rictus de rage pure. J’empoignai le mamie qui dépassait de son implant corymbique et le débranchai. Je vis aussitôt ses yeux devenir vagues. Il avait dû se trouver momentanément désorienté. « Foutez-moi la paix, bordel, lui dis-je en le repoussant dans sa chaise. Tous. » Je jetai le mamie sur les genoux du demi-Hadj.

Je regagnai la Rue, furax. Je ne savais plus quoi faire à présent. La boîte de Chiri – ma boîte à présent – était bourrée de monde et je ne pouvais pas compter sur Indihar pour maintenir l’ordre. Je décidai de remonter là-bas tâcher de mettre les choses au clair. Je n’avais pas eu le temps de m’éloigner beaucoup que Saïed, arrivé derrière moi, me plaquait la main sur l’épaule : « Tu sais que tu es en train de te rendre vraiment impopulaire, Maghrebi.

— C’est pas entièrement de ma faute. »

Il hocha la tête. « Tu laisses faire. T’es responsable.

— Merci », dis-je, sans m’arrêter.

Il prit ma main droite et glissa dedans son mamie de mauvais garçon. « Prends ça, me dit-il. Je crois que tu vas en avoir besoin. »

Je fronçai les sourcils. « Le genre de problèmes qui me tombent dessus exigent d’avoir les idées claires, Saïed. Il faut que je réfléchisse à tout un tas de questions d’ordre moral. Pas seulement à Chiri et son club. À d’autres trucs. »

Le demi-Hadj grommela : « J’t’ai jamais compris, Marîd. Tu me fais l’effet d’une vieille relique fatiguée. T’es aussi nul que Jacques. Si seulement tu choisissais soigneusement tes mamies, t’aurais pas à te soucier de questions de morale. Dieu sait que c’est le cadet de mes soucis. »

Je n’avais pas besoin d’en entendre plus. « Bon, eh bien, à la prochaine, Saïed.

— Ouais, c’est ça. » Il fit demi-tour en direction de La Fée blanche.

Je retournai chez Chiri où je flanquai tout le monde dehors et fermai la boîte avant de rentrer en voiture chez Friedlander bey. Je grimpai d’un pas las l’escalier jusqu’à mon appartement, pas mécontent que cette longue journée pleine de surprises s’achève enfin. Alors que je m’apprêtais à me coucher, Kmuzu s’encadra tranquillement sur le seuil de ma chambre : « Vous ne devriez pas me tromper, yaa sidi.

— Tu es vexé, Kmuzu ?

— Je suis ici pour vous aider. Je suis désolé que vous ayez refusé ma protection. Le temps viendra peut-être où vous serez bien content de faire appel à moi.

— C’est tout à fait possible, mais dans l’intervalle que dirais-tu de me laisser tranquille ? »

Il haussa les épaules. « Quelqu’un attend pour vous voir, yaa sidi. »

Je le lorgnai : « Qui ça ?

— Une femme. »

Je n’avais plus l’énergie de me carrer Umm Saad. Mais enfin, ce pouvait être aussi Chiri…

— Voulez-vous que je l’introduise ? demanda Kmuzu.

— Oh, et puis merde… ouais. » J’étais encore habillé mais la fatigue commençait à peser. Je me promis d’abréger le plus possible la conversation.

« Marîd ? »

Je me retournai. Sur le seuil, vêtue d’une cape marron effilochée, une valise cabossée en plastique dans la main, se tenait Angel Monroe. Maman.

« M’suis dit que je pourrais passer quelques jours avec toi en ville, annonça-t-elle avec un grand sourire aviné. Hé, t’es pas content de me voir ? »

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