Si Wang Wei vivait sur Mars, nous passerions plus de temps dehors.
EN VISITE
Personne, sur Mars, n’a de maison
Perpétuelle errance de motel en motel
Les amis que j’avais ont tous déménagé
De la plupart je ne croiserai plus la route
Curieuse pensée : toute vie ne dure
Que quelques années
S’installer dans ses habitudes
La même chose tous les jours
Repas chambres rues amis
On pourrait penser que ça durera
Toujours
APRES UN DÉMÉNAGEMENT
Une nuit à moitié réveillé par un rêve
Je cherche la salle de bains.
Éviter l’étagère à livres au pied du lit
La porte, trouver le mur… Pas de mur.
Le vide : moment intemporel, sombre néant
L’espace entre les étoiles…
Ah. Une autre chambre
Pas de mur ici, pas d’étagère à livres
Transfert direct vers une autre salle de bains.
Dans un autre appartement.
Je réalise où je suis
Et tout un univers s’éclipse.
COULEUR CANYON
En bateau dans Lazuli Canyon.
Pellicule de glace sur l’ombre
Le torrent craque sous la proue.
Le courant s’élargit, entre dans la lumière :
Courbe profonde dans l’ancien chenal.
Panaches de buée à chaque souffle.
Éternelle montée du canyon rouge,
Canyon dans les canyons – mise en abîme.
Grès rouille étoilé de noir :
Bloc de pierre sculpté par le vent.
Là, sur une plage rouge, humide –
Mousse verte, roseaux verts. Du vert.
Nature, culture : non. Rien que Mars.
À l’ouest, le violet intense du ciel,
Deux étoiles du soir, une blanche une bleue :
Vénus, et la Terre.
VASTITAS BOREALIS
Roche et sables rouges partout sous l’eau
que nous avons nous-mêmes aspirée du sol
inondant le peu que nous connaissions alors
de cet endroit qui était dans l’air
pareil aux gaz brûlés d’un feu de forge
Le monde vacille tout entier devant nous
comme un brasier dardant ses flèches de feu
dans un air qui n’était pas là lorsque
pour la première fois nous marchâmes sur ce sol
où tout est écrit dans l’eau
CHANSON DANS LA NUIT
Le bébé pleure
Je me lève et vais voir
Il dort encore
Je retourne me coucher
Tant de longues heures
Passées ainsi
Les yeux grands ouverts dans la nuit
La famille endormie
Contre ma jambe, celle de ma femme
Le vent du sud entre par la fenêtre
Un train gronde dans le lointain
Concert électrique vibrant des criquets
Pensées pulsantes de-ci de-là
L’esprit vagabonde çà et là
Combien de fois
DÉSOLATION
Au-dessus de la faille flottent des nuages
Soleil sur la crête au bord du ciel.
Granit blanc, granit orange,
Plaques de neige. Un lac.
Nichés dans la roche,
Arbres et ombres.
Reflets en miettes
Un poisson crève l’eau
Cercles glacés à la surface
Ô cœur, que ne t’épanouis-tu ainsi ?
AUTRE CHANSON DANS LA NUIT
Tourner virer dans les draps froissés
Chaud et froid à la fois. Petits maux
Brûlures de la chair.
Vitesses mentales mal engagées :
Les années accrochent, toussent et hoquettent.
Regrets, nostalgie, chagrin pour rien,
Chagrin pour de bon, soucis pour ci pour ça,
Angoisse sans raison, confusion,
Le passé : souvenirs, souvenirs ?
Fragments de verre peint. La mémoire
S’exprime dans une langue
Que l’on ne comprend plus.
L’avenir, trop bien compris.
Mal au genou, prémonition
Soupirs d’épouse,
Des garçons dans leur chambre…
Redoubler d’efforts, dormir, dormir !
SIX PENSÉES SUR L’ART
Pour Pierre-Paul Durastanti et Yves Frémion
1. Ce que j’ai dans la poche
Je me souviens d’une année à Boston
Je marchais seul au coucher du soleil
La rive enneigée au bord du Charles
Lances noires des arbres dardées vers le ciel
La surface du fleuve, nacre miroitante
Main glacée dans la poche de la veste
Au fond, je retrouve un livre
Titre oublié – n’importe – un livre
Soudain tout devient joie
2. Dans le finale de la Neuvième de Beethoven
Ce passage où chaque section du chœur
attaque un thème différent
où l’orchestre à ces chants
en écho mêle les siens
dans cette immense fugue
tant de mélodies naissent et se fondent
qu’on n’en perçoit plus que l’unité
il me souvient alors que Beethoven
l’a écrit étant sourd
ce n’était pour lui que des schémas
sur une page, convergence imaginée
de voix chantant dans son esprit
Il fallait qu’il soit romancier
3. En lisant le journal d’Emerson
« Le chagrin glisse sur nous
« Comme l’eau sur les plumes du canard. »
Emerson Emerson
Si seulement tu avais raison
Mais c’est une illusion
Le chagrin nous l’absorbons
Comme un buvard boit l’encre
4. Le baladeur
J’écoutais Satyagraha en courant
Quand je vis un faucon s’envoler
Et chaque plume chaque aile palpitante
S’est mise à chanter dans l’air ensoleillé
5. Les rêves sont la réalité
La journée passe dans un livre
Pendant un moment nous sommes dehors
Un moment en mer dans une barque
Vagues violentes venues de nulle part
Projetées dans la prochaine réalité
Shackleton vit une si grosse vague
Qu’il la prit d’abord pour un nuage
Le bateau plongea dessous ressortit
Plus tard dans un nouveau monde
Sur l’île de Géorgie du Sud
Dormant dans une grotte il se releva
D’un bond en criant et se cogna
La tête sur la paroi de la grotte
Si fort qu’il manqua se tuer
Pour avoir de cette vague rêvé
6. Vu en courant
Quatre oiseaux en vol se chamaillent
émouchet
pie
corbeau
faucon
tous quatre tournent et virent
en un bref combat aérien
LA TRAVERSÉE DE MATHER PASS
À une bifurcation de ma vie
Je marchais dans Mather Pass.
Les nuages s’amoncelaient à chaque pas
Coiffant le monde de grisaille.
Le tonnerre grondait d’ouest en est
Bruit de barriques dévalant un escalier
Je franchissais Upper Basin
Lorsqu’il se mit à neiger.
Bientôt je marchais dans une bulle blanche
De neige humide collant aux pierres.
Sec et au chaud dans mes vêtements
Je me sentais dépouillé de ma vie.
J’y renonçai. S’envoler
Dans le vent, planer dans les embruns.
Partir ! Ne jamais revenir !
Chaque pas plus haut un pas plus loin.
Une pente de pierre bombée, fracassée,
Montait dans la brume. Muraille éboulée.
La passe en haut, invisible. La piste
Montait toujours sans retour en arrière,
De droite à gauche d’une seule traite,
La Muir Trail, œuvre d’art collective,
Avait coûté une vie. Une plaque apposée
Portait un nom gravé : le mien.
J’étais donc dans la passe.
Les flocons volant d’un côté
Redescendaient de l’autre. J’essayai
De manger me mis à trembler. Continuer.
Je redescendais allégé
Les S blancs de la paroi nord
Lorsque enfin je vis les lacs Palisade
Loin loin en bas. Le soleil reparut.
Dentelle blanche sur l’or du granit,
Un nouveau monde, une nouvelle vie,
Un nouveau monde à rebâtir !
Deux randonneurs dressaient leur tente.
Vous venez de là où il y a eu cet orage ?
Oui, dis-je. J’ai laissé ma vie de l’autre côté
Et maintenant je ne crains plus rien.
LA NUIT DANS LES MONTAGNES
Que ne puis-je dire comme si j’étais
Un promeneur à qui on demande d’où il vient
Entre les collines : « Il y avait des montagnes
Jadis que j’aimais à en avoir le souffle coupé. »
Thomas Hornsby Ferril
1. Campement
Torrent roulant sur les pierres :
Musique forte. Bougie dans la nuit.
À mi-chemin de cette vie :
Ça ne paraît pas si long.
Crêtes, falaises, pics et cols :
Jamais ne cesserai de vous désirer.
Étangs, prairies, torrents et mousses :
Mes genoux vous dénombrent.
Étoiles devant le rabat de ma tente :
Tous mes soucis s’envolent.
2. Territoire
Flamme de bougie, minutes.
Aiguilles de pins, mois.
Branches, années.
Sable, siècles.
Roches et pierres, millénaires.
Lit des rivières, ères entières.
Moi et mes vieux os rompus.
3. Écrit à la lueur des étoiles
Mots invisibles dans le noir.
Chute d’eau, corde de son,
Précipitation, emportée par le vent.
Arbres noirs sur les étoiles.
Page blanche, vaguement.
J’écris et je vois
Une page blanche, vaguement.
L’histoire de ma vie !
Genièvre, tente, roche, noir.
Vent mourant. Mon cœur
En paix. Vendredi soir.
La Grande Ourse assise sur la montagne.
Amis endormis sous la tente.
Le dos appuyé à la roche blanche.
Pivot de la voûte étoilée tout là-haut :
Prendre le mouvement mon essor.
Qui connaît le nombre des étoiles,
Tous ces points peuplant le noir
Gomment l’obscurité
Et coule la Voie lactée.
Tant d’étoiles ! Le ciel devrait être blanc,
Il faut qu’il soit encré de poussière noire,
Du carbone, comme nous ! Jeté dans l’espace,
Tout pareil.
Au clair des étoiles tout est illuminé.
Les arbres vivants, les pierres endormies.
Cascades, si bruyantes !
Tout le reste…
Comme mon cœur, paisible.
CHOUETTES INVISIBLES
Je me rappelle cette nuit-là sur la crête
J’avais vu une niche, il y a bien des années
Sable plat et broussailles dans le granit fracturé
Juste sur la crête où je pensais la trouver
Et toi, partante pour tout
Nous avions marché jusqu’en fin de journée
De l’eau nous en avions emporté
Pour gravir l’ombre de Crystal Range
Dans le granit brisé des touffes d’herbes
Toujours plus haut vers la lumière
Nous avons trouvé la niche, planté la tente
Entre deux genévriers noueux
Le soleil a sombré dans la vallée embrumée
La lumière coulait hors du ciel
Adossés à la roche nous préparions à dîner
Dans la fin du bleu électrique
Plus riche couleur du monde
Un éclair dans le ciel nous a fait sursauter
Puis un autre et un autre encore
Des formes sombres fondaient sur nos têtes
À peine visibles dans la nuit
Plongeons trop silencieux pour des faucons
Trop gros pour des chauves-souris
Nous étions assaillis par des chouettes
Qui chassaient, petite meute muette
Étrange disjonction des sens
Ailes veloutées pour caresser le silence
Que seul troublait le brûleur de notre réchaud
Nous discernions pourtant la noire palpitation
Qui approchait virait se détournait
Il en vint une, je sentis ses serres
Pris le réchaud le levai bien haut
Flamme bleutée d’un bleuet en fleur
Dansant dans le bleu nuit de l’immensité
Seulement peuplée d’ailes noires frémissantes
J’entends encore nos rires un peu tremblants
À l’idée d’être pris pour de possibles proies
Dans cette explosion d’étoiles
Joyaux enchâssés dans la Voie lactée
Toujours je te reverrai, petite flamme bleue
Nous étions sous notre tente bleue
Quand la lune se leva et que l’air devint bleu
Tout était bleu même en nous
Et le sera toujours
De la couleur du ciel au crépuscule
Tout le temps et l’espace parcourus
Toutes ces années écoulées maintenant
Dormir sous les arabesques des chouettes
Le granit encore dur sous nos corps
Dans le bleu sans bruit prendre notre essor
TENSING
Tensing ne parlait pas bien l’anglais
Faim manger fatigué reposer
Phrases issues d’un pouvoir du sol
De maison de thé en maison de thé nous mena
Dans une contrée durement éprouvée
Fleuves infinis dans les montagnes
Il s’occupa de nos repas
Il veilla à nous faire dormir
Il nous montra le chemin
Dans la gorge du Dudh Khosi
Feuilles vertes gavées d’humidité
Pleurs perpétuels des nuages de mousson
Un soir le couvercle se lève et là
En haut des pics plus haut que les nuées
Un autre monde au-dessus du monde
Tout là-haut nous sommes allés
Namche Bazaar perché dans l’espace
Thyangboche Pengboche Pheriche
En haut des glaciers en haut de leurs parois
Sur la glace et le roc vers Gorak Shep
Dead Crow la dernière maison de thé
L’aube conquiert Kala Pattar
Juchés sur le pic le cou tordu
Voir l’Everest
Énorme masse étincelant au soleil
Sargarmatha Chomolungma
Déesse Mère du Monde
Tensing tend le doigt. Le South Col
Dernier campement de légende
Matériel abandonné terrible histoire des corps
Quatre fois Tensing est venu là
Montant et descendant sous le fardeau
Cascade de glace abyssale Khumbu la blanche
À tout moment le monde pourrait s’effondrer
Et tout serait fini un endroit donc
Comme tous les autres endroits du monde
Auprès de Tensing nous l’ignorons encore
Le monde et la cascade sont une seule et même chose
Nous le lisons sur l’Himalaya de son visage
Brillant comme la glace au soleil
Beaucoup vent dit-il South Col beaucoup vent
Il avait cinquante-quatre ans
Plus tard ce matin-là Lisa fut malade
Il la fit redescendre la tenant par la main
Lui offrant du thé des gorgées d’eau
Il nous ramena à Pheriche
À la maison de thé pendant que Lisa se remettait
Aida les Sherpani qui cuisinaient tout le jour
Nous conduisit à l’ancien monastère
Nous montra le mur des masques-démons
Nous emmena à Thyangboche sous la pluie
Nous fit voir le mandala des moines
Cinq hommes en rouge assis à rigoler
Sur un cercle de sables colorés
Frotter des entonnoirs avec des badines
Pour libérer des ruisselets rouge vert jaune bleu
Tenter une plaisanterie et nous trois
Assis avec eux par une sombre journée de pluie
Assis là sans bouger enfermés
Il nous ramena dans le monde du bas
En bas à Namche, tout en bas à Lukla
Petite piste d’atterrissage taillée dans la paroi
De la gorge avant-poste de toute chose
Nous mena au crépuscule à la coop des sherpas
Où tout le monde regardait la télévision
Alimentée par le générateur Honda à l’arrière
Le concert Live Aid en vidéo
Tout le monde sidéré par l’image
D’Ozzy Osborne mettant la scène en morceaux
Tensing l’homme qui nous guida
S’occupa de nous nous apprit tout
Finit de manger traversa la pièce
S’accroupit à côté de moi montra la télé
America ? dit-il.
Non répondis-je non ça c’est l’Angleterre
RAPPORT SUR LE PREMIER CAS RECONNU D’ARÉOPHAGIE
Pour Terry Bisson
Le jour de mes quarante-trois ans Presque fini
Mars des feuilles dans tous les sens
Dans un roman (comme en tout) la beauté est
Une propriété émergente survenant
Tardivement dans le processus Avant cela
Tout n’est que désordre et chaos Mais grands
Étaient mes espoirs Je sentais
Que ça prenait tournure Je pensais
Donner le dernier coup de collier Qui réaliserait
La convergence de toutes mes aspirations
Chose déraisonnable J’avais en ma possession
Quelques fragments de Mars un gramme ou deux
De la météorite SNC tombée à Zagama au Nigeria
En octobre 1962 après treize millions d’années
Dans l’espace petits bouts de pierre grise
Montés en collier donné à ma femme
Je dévissai le fermoir en pris un morceau
Montai sur mon toit au coucher du soleil
Claire journée les corbeaux revenant
Des champs Sombre masse de la chaîne côtière
Nuages argentés au-dessus à l’ouest
La voûte encore bleue la brise fraîche
Du delta et moi là sur mon toit
Au milieu de ma vie
Sur le point de manger un caillou
Qui s’il n’était pas un faux ramené de Jersey
Était un vrai morceau de la planète voisine
Je me sentais tout drôle
Je n’ai jamais pu l’expliquer
Même à moi-même je peux seulement dire que
Dans l’espoir d’imaginer Mars j’en étais arrivé
À voir la Terre plus nettement que jamais
Ce beau monde aujourd’hui vivant
Dans la lumière théâtrale du coucher de soleil
De longues lignes d’oiseaux noirs voguant vers l’est
Sous mes pieds ma maison le soleil
Effleurant la chaîne côtière
Je mis le caillou dans ma bouche
Tout continua comme avant
Pas de frisson électrique étranger au soleil
Pas de glossolalie Je tentai de le broyer
Il était trop dur pour céder sous la dent
Le roulai sous ma langue aucun goût
Le frottai sur mes dents un petit caillou
Il me traverserait presque entier
Mais les farouches acides gastriques
Entameraient sûrement sa surface
Et quelques rares atomes je l’espérais
Comme le carbone incorporés à mes os
Effectueraient en moi leur cycle de sept ans ou
Resteraient pour de bon peut-être
Et c’est ainsi qu’assis là Je digérai
Mars le paysage le soleil Sur lequel
Se fermait la paupière de Berryessa
Le vent se lève la vie suit son cours
En haut en bas vibration des moments ordinaires
Soudaine euphorie pincement de douleur tornade
Descendant descendant en spirale dans la
Plus exquise dépendance sensitive
De facteurs inconnus qui n’ombrent rien de tel
Question de volonté discipline exercée jour après
Jour pendant des années pour faire un monde
Transparent en moi et mon esprit chez moi
Et tout en avalant un petit bout d’un autre monde
Celui-ci tournoyait en moi comme une véritable
Californie
LAMENTATION DES ROUGES
Ils n’y comprirent jamais rien
aucun d’eux jamais
jamais sur Terre par définition
et presque jamais sur Mars elle-même
comme elle était au début
comme elle était avant que nous la changions
Comme le ciel devenait rouge à l’aube
comment c’était de se réveiller sous le soleil
la lumière en soi la roche sous la botte
0,38 g même dans nos rêves
et dans nos espoirs pour nos enfants
Comme le chemin toujours se dégageait
même dans le pire des chaos boiteux
qu’apparaisse ou non un fil d’Ariane
dans le moment périphérique perdu
perdu et retrouvé continuer
sur une chaussée dans le paysage bouleversé
Comme une si grande partie en devait être
inférée à travers les combinaisons
qui nous coupaient du monde tactile
nous regardions
pèlerins amoureux d’une lumière au loin
sentant brûler notre feu intérieur
notre corps pareil à tout un monde
l’esprit palpitant dans un fil électrique
de tungstène pensée dans le noir
l’individu en tant que planète
la surface de Mars l’intérieur
de notre âme conscient chacun
de chacun et tous du tout
Comme nous savions que le chemin avait changé
et ne resterait jamais assez longtemps
le même pour que nous le comprenions
Comme l’endroit était là comme tu pensais à la pierre là
Comme tout ce que nous pensions savoir
dans le ciel tombait en morceau et nous laissait
debout dans le monde visible
façonné par le vent soufflant vers l’horizon
tu pouvais presque toucher
un petit prince sur un petit monde cherchant
Comment les étoiles brillaient à midi
sur les flancs des grands volcans
crevant le ciel entrant
dans l’espace nous marchions dans l’espace
et sur le sable en même temps sachant
que nous savions que nous n’étions pas chez nous comme
Nous avions toujours su que nous n’étions pas
chez nous mais en visite sur cette planète
la Terre le dalaï-lama l’a dit
nous sommes ici pour un siècle tout au plus
et pendant ce temps nous devons essayer
de faire quelque chose de bien quelque chose d’utile
Comme le fit Bouddha avec nos vies
comme sur Mars nous l’avons
toujours su toujours vu sur le visage nu
du sol sous nos pieds l’éperon
et les formes ravinées de nos vies
vierges de tout ornement
roche rouge poussière rouge la matière
minérale nue ici et maintenant
et nous les animaux debout dessus
DEUX ANS
Nous étions frères en ce temps-là toi et moi
Maman souvent au travail dix heures par jour
Pas de crèche pas d’amis pas de famille
Alors nous allions heureux et contents
Au jardin du coin entouré de murs
Où des nounous jamaïcaines nous regardaient jouer
Un œil sur leur rejeton abruties de chaleur
Des enfants partout maman suivant sa fille
Moi te suivant si prudent si propret
Des mains te rattrapaient sur la balançoire
Déterminé tu montais sur le pont de singe
Riais gargouillais à gorge déployée
Quand tu retrouvais la terre ferme et te tenais au bord
Regardant l’étendue que tu avais traversée
Plop sur l’herbe et premier déjeuner
Tu me taquines en mangeant et ris de plus belle
Fais mine de refuser le jus de pomme
Le repousse et ris en le voyant renversé
Et ris encore en voyant s’envoler un geai
Vers l’allée crépusculaire des bouquinistes
Retrouver les livres que tu as pris et abîmés
En les lançant par terre pour voir sourire les gens
Jusqu’à ce que je t’arrête et que tu piques une colère
Alors dans le sac à dos et c’est reparti
Ton front collé sur ma nuque vite à la maison
Chauffer le lait de Maman au micro-ondes
Quand tu te réveilleras avec une faim dévorante
J’aurai vérifié la chaleur d’un coup de langue
Te prendrai au creux de mon bras
Te regarderai téter jusqu’au dernier squick squick
Tu te rendors pendant que j’écris mon livre
Et pendant une heure je suis sur Mars
Ou à mon bureau perdu dans mes pensées
À regarder l’incessant défilé des voitures
Tes cris nous tirent tous les deux de ce rêve
Et nous voilà revenus au mouvement des étoiles
Pas plus régulier que notre routine
L’indicible ennui et pas que des couches
Des cris de te faire manger à la cuillère
Mais aussi du passage hebdomadaire des balayeurs
Des heures passées à jouer aux cubes
Je les empile tu les fais tomber normal
Et tout ce temps tu apprends à parler
Glossolalie pimentée de noms
Affirmations ordres implacables Aller promener
Me dire de faire les choses Un jeu
Qui te fait rire et de savoir aussi
Que des choses différentes peuvent être pareilles
Camion bleu ciel bleu et tu t’illumines
Ton sourire alors que ton langage s’enrichit
Que la description devient un mode de narration
Pouvoir je crache le soleil je ciel le bleu
Assis ensemble dans ce salon
Chacun dans son monde surpris par la nouveauté
Des objets éloignés perdus l’un pour l’autre
Habitués l’un à l’autre comme des frères siamois
Enfermés à la maison par le temps pluvieux
Je regarde le volley sur ESPN
J’écoute Beethoven je lis le Post
Tu fais rouler tes camions en babillant quand
Tu as l’impression d’une perte absorbée concentrée
Dans ton propre espace si bien qu’en te regardant
J’oublie mes si nombreux moi réduits à un seul
Essentiellement heureux que le passé ne soit plus
Je te demande David aimé de Dieu te souviens-tu
De Bethesda comme ma mère me l’aurait demandé
Te souviens-tu de Sion
Et David me regarde avec curiosité et dit Non
Papa pas vraiment je sais comment était la maison
Mais c’est grâce aux photos des albums de Maman
Tu sais Oui mes premiers souvenirs ne sont pas de Sion
Mais de Californie le Noël de mes trois ans
Le tricycle marron monté par mon père près de l’arbre
Mais mon père me dit qu’il était tout monté
Comment pouvons-nous dire ce qui est arrivé ou non
David en te regardant je tremble
Tu sais que le monde est compliqué
Tu sais que tu ne te rappelles pas
Ce moment et maintenant tu en sais si long
Sur la haine la peur la mort
Retrouveras-tu jamais l’exaltation
De voir les cygnes nager sous la jetée
Rires et cris de joie quand ils plongent sur le pain
J’espère que nous sommes plus fort ces moments
Que nous-mêmes plus fort que les souvenirs
Toujours reliés en nous Espérons
Qu’ils nous aideront à repousser l’angoisse
Mon frère mon enfant qui t’éloignes
J’essaierai de me souvenir pour nous deux
Du moment où tu savais être si purement heureux
JE DIS AU REVOIR À MARS
En randonnée seul dans la Sierra Nevada
Je m’arrêtai un soir au bassin du Dragon
Au-dessus des derniers arbres près d’un ruisseau
Coulant d’une fissure dans le granit
Au fond de cette faille
De petites pelouses de mousse verdoyante
Sur les berges des krummholz bonzaïs
Groupés sur de petites cascades noires
Gouttes d’eau transparente brillante
Debout là je regardais
Au-dessus du bassin une main de pierre
En coupe attraper les pierres
Incrustée d’une tapisserie de plantes
De lichen de carex et de saxifrage
Humectant de vert les gravillons dénudés
Sous les crêtes déchiquetées déchirant le ciel
À côté du ruisselet je dressai le bivouac
Tapis de sol mousse sac de couchage
Sac à dos oreiller réchaud à mes pieds
Dans la lumière déclinante mon dîner fumant
Au gargouillis de l’eau sous le ciel
Les étoiles alors surgirent
Sur la crête des montagnes
La lueur rose du couchant ponctuant l’indigo
La ligne frémissante entre les couleurs
Réduites à deux nuances de noir
Myriade d’étoiles la Voie lactée
Articulant parfaitement ma chute dans le sommeil
Jamais ne me suis senti fatigué
De rêver les mêmes rêves
J’entendais les pierres chuter rouler tonner
Dans la gorge de ces montagnes vivantes
Quelque chose me réveilla je mis mes lunettes
Je regardai allongé les étoiles Perséides
Météores striant en tous sens la nuit étoilée
Entre deux battements de cœur
Vite lent long court loin près
Blancs parfois rougeâtres
Parfois semblant siffler freiner exploser
Projeter des ailes d’étincelles
Dans leur sillage Je regardai appuyé au granit
Fasciné par une pluie de météores
Comme je n’en ai jamais vu Les étoiles
Encore à leur place éclairant
Les murailles de granit fracturé
Du bassin tout de pâle blancheur
En même temps que les feux d’artifice
Un trait dans l’air juste au-dessus des pics
Gerbe d’étincelles au-dessus du Fin Dome
Une étoile plongea juste au-dessus de moi
Je poussai un cri m’assis et regardai
Alors qu’un grand BOUM me projetait dans
Un noir territoire crépitant de flammes
Des flammes brûlantes ô mon Dieu
Je criai ô mon Dieu ô mon Dieu
Quittai frénétiquement mon duvet remis mes bottes
Sortis en titubant dans une odeur
De feuilles d’automne brûlant le passé
Je pris ma vache à eau et me précipitai
Pour éteindre les feux qui se rallumaient
Sitôt que je courais vers le suivant ô mon Dieu
Je me ruai vers le ruisseau et cessai de penser
Que c’était l’exploit de ma vie
Éteindre des feux quand il n’y avait pas de bois
Visions entrecoupées d’images récurrentes
À quoi bon cette agitation
J’arrivai à une masse orange vif
Une pierre dressée seule sur une dalle
Une météorite lançant encore de rutilantes flammes
Je m’assis devant
Repris mon souffle
La regardai briller assis en tailleur
Je tendis la main
Sentis sa chaleur de loin
La pure couleur du feu
Des films ondulant à la surface
Incandescents dans le noir
Illuminant le glacis luisant
De la dalle reflétant dans son noir
Miroir la nuit immobile l’air sans un souffle
Légèrement fumeux les étoiles à nouveau
Fixes à leur place la pluie de
Météores avait presque cessé le ruisseau
Babillant comme il n’avait cessé de le faire
Indifférent à la vie dans le ciel
Une sorte de compagnie alors que je regardais
La chaleur brûlante de la visitation
Mes mains alors qu’un film sombre
Voilait son éclat orange
Jusqu’à ce qu’il soit à la fois
Orange et noir je retournai chercher
Mon duvet m’enroulai dedans vigilant
Adieu sommeil pendant tant de nuits
Mais cette fois c’était justifié
Mon visiteur se refroidissait sa lumière
Se croûtait de noirs flocons
Dessous la surface orange plus sombre
La lune se leva sur les pics déchiquetés
Inonda le bassin de sa froide lumière
Ponctua l’eau du ruisseau
L’air sombre conservant une lumière invisible
La météorite orange alors tavelée de noir
Encore chaude au centre
De cette dalle de granit poli
Au centre de ce sombre bassin
À l’aube la roche était du noir le plus pur
Évidemment je la ramenai chez moi
Et la mis sur la cheminée
En souvenir de cette nuit en témoignage
De notre place dans le monde
Jamais je n’oublierai mes impressions
Lorsqu’elle tomba du ciel cette nuit-là
Brillant d’une lueur orangée et moi à côté
M’y chauffant comme à un petit soleil