Une fois hors de la grande baignoire de cuivre, une serviette blanche enroulée autour de ses cheveux, Nynaeve se sécha lentement. La servante rondelette aux cheveux gris fit mine de l’aider à s’habiller, mais l’ancienne Sage-Dame la renvoya, se fichant de ses protestations et de ses regards indignés. Une fois seule, elle se vêtit et étudia dans un miroir la robe de soie vert foncé munie d’un col de dentelle de Merada qu’elle venait d’enfiler. La chevalière de Lan était bien à l’abri dans sa bourse – mieux valait ne pas trop y penser – en compagnie d’un des ter’angreal en forme d’anneaux distordus. La bague au serpent, en revanche, brillait à l’annulaire de sa main droite. Sa main droite… Mieux valait ne pas penser à ça non plus.
Le haut plafond de la chambre était peint en bleu afin d’imiter le ciel, et des nuages blancs venaient renforcer l’illusion. Même si tout le mobilier reposait sur des pieds dorés en forme de lions d’une taille démesurée, les montants du lit et les jambes des fauteuils étant dix fois trop chargés de dorures au goût de l’ancienne Sage-Dame, la pièce restait dix fois plus confortable que toutes celles où elle avait dormi ces derniers temps. Une chambre vraiment plaisante et à la température convenable.
En fait, si Nynaeve s’attardait sur ces détails, c’était pour essayer de se calmer. Bien entendu, ça ne fonctionna pas. Ayant senti qu’on canalisait le saidar, dès qu’elle mit un pied hors de la chambre elle vit la protection contre les oreilles indiscrètes qu’Elayne avait tissée et nouée dans le salon. Aussi rutilantes l’une que l’autre, Birgitte et Aviendha étaient déjà là.
Quatre chambres donnaient sur ce salon au plafond représentant également un ciel clairsemé de nuages. Selon Birgitte, cette configuration n’avait rien d’exceptionnel à Ebou Dar.
Quatre grandes fenêtres en forme d’arches permettaient d’accéder à un grand balcon au parapet peint en blanc. Les motifs en fer forgé, très tarabiscotés, offraient la possibilité d’observer sans être vu l’esplanade Mol Hara qui s’étendait devant le palais royal. Filtrant de ces fenêtres, une brise légère miraculeusement fraîche charriait l’odeur iodée de la mer. La colère perturbant sa concentration, Nynaeve souffrait de la chaleur pratiquement depuis son arrivée au palais Tarasin.
Thom et Juilin avaient été relégués dans les quartiers des serviteurs, une vexation qui semblait leur faire moins d’effet qu’à Elayne. Alors qu’elle ne décolérait pas, le trouvère avait même ri de bon cœur. Un luxe qu’il pouvait se permettre, cela dit…
— Prends donc un peu de cette excellente infusion, Nynaeve, dit Elayne en posant sur sa robe de soie bleu brillant une serviette de table blanche.
Comme tout le mobilier du salon, son imposant fauteuil avait de grosses boules dorées en guise de pieds, et des sphères identiques ornaient le haut dossier. Aviendha avait pris place à côté de la Fille-Héritière, mais sur le sol, où elle s’était assise en tailleur, le bas de sa robe vert pâle au col montant, quasiment assortie au carrelage, dissimulant sagement ses jambes. Son collier d’argent aux motifs entrelacés allait très bien avec la robe, nota Nynaeve. Quant à sa façon de s’asseoir… Si elle ne se trompait pas, l’ancienne Sage-Dame n’avait jamais vu la jeune Aielle prendre un siège. Inutile de dire qu’elle avait attiré les regards, dans les deux auberges…
— Menthe et mûres sauvages, dit Birgitte, enchaînant sur la proposition d’Elayne.
Sans attendre de réponse, elle emplit une jolie petite tasse de porcelaine. Comme d’habitude, l’archère portait un pantalon bouffant et une veste courte. En ce jour, elle avait opté pour le gris et le bleu. À l’occasion, elle portait des robes, mais vu ses goûts, Nynaeve ne se plaignait pas que ce soit très rare.
Toutes les trois pomponnées et joliment habillées, et personne ne voulait d’elles…
Alors que la carafe d’argent brillait de condensation, l’infusion rafraîchie se révéla délicieuse et désaltérante. Nynaeve admira le visage parfaitement sec d’Elayne. Pour sa part, elle avait recommencé à transpirer malgré la brise.
— J’avoue que je m’attendais à un autre accueil, marmonna l’ancienne Sage-Dame.
— Vraiment ? s’étonna Elayne. Après la façon dont Vandene et Adeleas nous ont traitées ?
— D’accord, disons que j’espérais un meilleur accueil. Je suis enfin une authentique Aes Sedai, et personne ne semble y croire. Je pensais que quitter Salidar ferait changer les choses…
L’entrevue avec Merilille Ceandevin ne s’était pas bien passée. En guise d’entrevue, il s’était d’ailleurs plutôt agi d’une présentation. Après quelques mots prononcés distraitement par Vandene, Nynaeve et Elayne avaient été priées de se retirer afin que les véritables Aes Sedai puissent converser entre elles. Merilille avait prétendu que les voyageuses devaient brûler d’envie de faire un brin de toilette, mais en réalité, elle les avait proprement fichues à la porte. Confrontées à un choix truqué – se laisser traiter comme des Acceptées dociles ou bouder comme des gamines –, les deux jeunes femmes avaient choisi la première option. Le simple fait d’y repenser réduisit à néant tous les efforts que Nynaeve avait produits pour se calmer. Du coup, elle se mit à ruisseler de sueur.
Avoir été renvoyées ainsi n’était pas la pire offense, en réalité. Très fine, les cheveux noir brillant et les yeux sombres, la Cairhienienne Merilille, comme toutes les sœurs grises, posait sur le monde un regard que rien ne semblait avoir jamais étonné. Pourtant, elle avait écarquillé les yeux quand Vandene lui avait annoncé qu’Elayne et Nynaeve étaient des sœurs comme elle. Et que dire de sa réaction quand elle avait appris qu’Egwene portait désormais l’étole de la Chaire d’Amyrlin !
Être informée qu’il existait désormais une Championne, en la personne de Birgitte, l’avait surprise aussi, mais elle était parvenue à mieux se maîtriser – à peine un regard interloqué et un pincement de lèvres. Finalement, c’était Aviendha qui avait eu la meilleure part, Merilille se contentant de marmonner qu’elle adorerait la vie de novice.
Puis les quatre visiteuses avaient été promptement expédiées dans leurs appartements. Avec l’aimable suggestion – en fait, un ordre déguisé – de ne pas hésiter à prendre plusieurs jours de repos pour se remettre des rigueurs du voyage.
Sortant son mouchoir de sa manche, Nynaeve s’éventa futilement avec le carré de dentelle.
— Je continue à penser qu’elles nous cachent quelque chose.
— Allons, Nynaeve, dit Elayne, je n’aime pas plus que toi la manière dont on nous a traitées, mais tu essaies de faire un éléphant d’une souris. Si Vandene et Adeleas ont envie de courir après des fugitives, grand bien leur fasse ! Tu préférerais qu’elles participent à la recherche de la coupe en prétendant la diriger ?
Pendant le voyage, Elayne et Nynaeve, justement pour éviter ça, n’avaient pratiquement pas mentionné le ter’angreal qui motivait leur venue à Ebou Dar.
N’empêche, l’ancienne Sage-Dame restait persuadée que les deux sœurs aux cheveux blancs leur cachaient quelque chose. Elayne ne voulait pas l’admettre, voilà tout. Adeleas ne s’était pas aperçue que Nynaeve avait entendu sa remarque au sujet de la traque des fugitives, une fois la colonne arrivée à Ebou Dar. Quand l’ancienne Sage-Dame avait demandé si les deux sœurs espéraient vraiment en trouver, Vandene avait répondu un peu trop hâtivement qu’elles essayaient à tout moment et partout de repérer des jeunes femmes ayant fui la tour. Une remarque parfaitement absurde. Personne n’était parti de Salidar. En revanche, les novices s’enfuyaient parfois – leur vie n’était pas facile, des années d’obéissance les attendant avant qu’elles puissent enfin prétendre penser par elles-mêmes – et il arrivait qu’une Acceptée, lasse d’attendre de recevoir le châle, essaie de se défiler. Mais très peu de ces femmes, c’était bien connu, même de Nynaeve, parvenaient à quitter Tar Valon. Et les rares qui réussissaient étaient presque toutes ramenées de force à la tour. Lors de la formation, une candidate pouvait être jetée dehors à tout moment. Parce qu’elle n’était pas assez puissante, par exemple. Ou pour avoir refusé de subir l’épreuve permettant d’accéder au statut d’Acceptée – ou celle qui donnait accès au rang d’Aes Sedai, et à laquelle Elayne et Nynaeve avaient échappé. Bien entendu, on était aussi éjectée en cas d’échec à l’une ou l’autre de ces épreuves. Mais on ne s’en allait jamais librement, sauf lorsqu’on portait le châle.
Si les fugitives en liberté étaient si rares, pourquoi Vandene et Adeleas espéraient-elles en trouver à Ebou Dar ? Et pourquoi avaient-elles éludé ainsi la question de Nynaeve ?
L’ancienne Sage-Dame redoutait de connaître la réponse – au moins à la seconde question. Alors qu’elle avait cru s’être nettement améliorée sur ce point, ne pas tirer sur sa natte lui demandait un effort surhumain.
— Au moins, marmonna-t-elle, Mat sait enfin que nous sommes des Aes Sedai. Qu’il prenne garde à ce qu’il fait !
Désormais, Nynaeve était capable de se mesurer à lui. Qu’il tente quoi que ce soit, et il verrait ce que ça faisait d’être bombardé avec tout ce que le Pouvoir était en mesure d’utiliser comme projectile.
— C’est pour ça que tu l’as évité comme un Cheltanien qui joue au chat et à la souris avec un collecteur d’impôts ? demanda Birgitte avec un petit sourire.
Nynaeve sentit qu’elle rosissait. Franchement, elle pensait avoir beaucoup mieux dissimulé ses sentiments.
— Même pour un homme, il est très énervant, intervint Aviendha. Birgitte, tu dois avoir voyagé très loin. Tu parles si souvent d’endroits ou de gens dont j’ignorais jusqu’à l’existence. Un jour, j’aimerais bien sillonner les terres mouillées et découvrir toutes ces curiosités. C’est quoi, un Cheltanien ? Un habitant de Chelta ? Mais où se trouve ce pays ?
Le sourire de Birgitte s’effaça. Où qu’ait pu être cette contrée, elle devait avoir disparu depuis un millénaire – si elle n’avait pas appartenu à un autre Âge. L’héroïne et sa sacrée habitude de mentionner des reliques du passé dans les conversations ! Nynaeve regrettait de n’avoir pas été là pour entendre l’archère avouer à Egwene ce que cette dernière… savait déjà. Durant son séjour chez les Aiels, Egwene avait énormément gagné en assurance, et elle n’avait guère de tolérance pour ce qu’elle considérait comme des enfantillages. De fait, Birgitte était sortie de leur entretien avec la queue entre les jambes…
Même ainsi, Nynaeve préférait largement l’héroïne à Aviendha, qui la mettait souvent très mal à l’aise avec ses regards durs et ses propos sanguinaires. De plus, si agaçante que fût Birgitte, l’ancienne Sage-Dame avait promis de l’aider à garder son secret.
— Mat m’a menacée, annonça-t-elle.
La première idée qui lui était passée par la tête pour détourner la conversation – et bien entendu, la dernière chose qu’elle aurait voulu rendre publique. Alors que Nynaeve rosissait derechef, Elayne eut un sourire qu’elle eut la bonté de dissimuler derrière sa tasse d’infusion.
— Pas de cette façon, précisa Nynaeve quand elle vit Aviendha poser la main sur le manche de son couteau.
Pour l’Aielle, la violence semblait la meilleure réponse à tous les problèmes.
— C’est seulement que…
Aviendha et Birgitte ouvrirent grandes les oreilles.
— Il a dit que…
Après que Nynaeve fut venue au secours de Birgitte, Elayne vint à la rescousse de l’ancienne Sage-Dame :
— Assez parlé de maître Cauthon ! s’écria-t-elle. Il est ici parce que Egwene ne voulait pas l’avoir dans les jambes, et je trouverai plus tard un moyen de m’y prendre avec son ter’angreal.
Elayne eut une moue irritée. Elle n’avait pas du tout apprécié que Vandene et Adeleas commencent à canaliser le Pouvoir sur Mat sans même un « avec ta permission », et encore moins aimé que le jeune homme ait filé vers l’auberge. Bien entendu, elle n’aurait rien pu y changer. En lui disant de faire ce qu’il était de toute façon obligé d’accomplir, elle prétendait être en mesure de lui donner l’habitude d’obéir. Eh bien, ce n’était pas encore gagné !
— Mat est la composante la moins importante de ce voyage ! insista la Fille-Héritière.
— Exact, fit Nynaeve, soulagée qu’Elayne l’ait tirée d’un mauvais pas. La coupe, voilà tout ce qui compte !
— Je propose de partir en éclaireuse, dit Birgitte. Ebou Dar semble encore plus malfamée que dans mes souvenirs, et le quartier que vous avez décrit pourrait bien être pire… (elle évita de regarder Aviendha)… pire que tout le reste.
— S’il faut explorer les lieux, dit la jeune Aielle, je veux être de l’aventure. J’ai un cadin’sor !
— Un éclaireur est censé se fondre dans le paysage, rappela gentiment Elayne. Nous devrions nous trouver pour toutes des tenues locales, afin de pouvoir mener les recherches sans laisser personne en arrière. Même si c’est Nynaeve qui aura le moins de mal à passer inaperçue.
Toutes les habitantes d’Ebou Dar semblaient avoir les yeux et les cheveux noirs, comme l’ancienne Sage-Dame. Des caractéristiques que ne partageaient pas la Fille-Héritière, l’Aielle et l’archère.
Aviendha soupira à pierre fendre et Nynaeve eut envie de l’imiter quand elle songea aux décolletés plongeants à la mode à Ebou Dar. Étroits certes, mais vertigineux… Ignorant le sens du mot « pudeur », Birgitte eut en revanche un grand sourire.
Avant que la conversation puisse aller plus loin, une femme aux courts cheveux noirs vêtue de la livrée de la maison Mitsobar entra sans frapper dans le salon. Une façon de faire que Nynaeve jugeait impolie, malgré tout ce que pouvait dire Elayne sur le code de comportement des domestiques.
La jupe blanche de la servante était cousue à hauteur du genou gauche afin de révéler son jupon vert. Du côté gauche du corsage, une broderie représentait l’Ancre et l’Épée vertes des Mitsobar. Même chez une domestique, le décolleté avait quelque chose de vertigineux, comme dans le souvenir de Nynaeve. Plutôt rondelette et d’âge moyen, la servante hésita un peu, s’inclina puis s’adressa à la cantonade :
— La reine Tylin désire voir les trois Aes Sedai, si tel est leur bon plaisir.
Les quatre femmes échangèrent des regards interloqués.
— Il n’y a que deux sœurs dans cette pièce, dit Elayne. Il faudrait peut-être aller chercher Merilille.
— On m’a envoyée dans ses appartements… Aes Sedai.
L’hésitation était presque imperceptible, mais pas tout à fait, et on aurait presque pu entendre un point d’interrogation derrière le titre.
Elayne se leva et tira sur le devant de sa robe. Quelqu’un qui ne la connaissait pas n’aurait pas vu la colère que dissimulait son visage impassible. Mais il y avait comme une tension au coin de ses yeux et de sa bouche…
— Nous y allons ? Nynaeve ? Aviendha ? Birgitte ?
— Elayne, je ne suis pas une sœur…, dit Aviendha.
— On m’a bien précisé : seulement les Aes Sedai, s’empressa de rappeler la servante.
— Aviendha et moi, dit Birgitte avant que la Fille-Héritière ait pu parler, nous irons jeter un coup d’œil à la ville pendant que vous voyez la reine.
Elayne foudroya les deux femmes du regard, puis soupira :
— D’accord, mais soyez prudentes… Nynaeve, tu viens, ou tu veux aussi aller vadrouiller ?
Une question posée d’un ton très sec, et avec un regard peu amène pour Birgitte.
— Je ne raterais cette audience pour rien au monde ! répondit l’ancienne Sage-Dame. Quel plaisir de rencontrer quelqu’un qui nous prend pour… (Elle ne finit pas sa phrase, qui n’était pas pour les oreilles de la servante.) Ne faisons pas attendre la reine !
— Pour sûr, dit la domestique, surtout si je ne veux pas me faire arracher les oreilles !
Oreilles arrachées ou non, il fallut un certain temps pour remonter les couloirs du palais. Comme pour compenser la blancheur uniforme de l’extérieur du complexe, l’intérieur était particulièrement coloré. Dans un corridor, on trouvait un plafond bleu et des murs verts. Dans un autre, des murs jaunes et un plafond rose pâle. Sur le sol, les carreaux en forme de losanges pouvaient composer des harmonies en noir et blanc, en bleu et jaune, en vert et rouge – bref, presque toutes les combinaisons possibles. Les tapisseries, relativement rares, représentaient exclusivement des scènes de la mer, et toute une collection d’objets d’art était exposée dans une multitude de niches murales. Dans ce feu d’artifice de vases, de statuettes et de coupes en cristal, les merveilles de l’artisanat du Peuple de la Mer, expert en porcelaine, attirèrent particulièrement le regard des deux visiteuses.
Comme dans tous les palais du monde, des domestiques allaient et venaient dans tous les sens. La version masculine de la livrée comportait un pantalon blanc, une chemise de la même couleur aux larges manches plissées et une veste verte.
Alors que la servante venait de s’engager dans un nouveau couloir, Nynaeve vit un homme avancer à grands pas dans leur direction. Tirant la Fille-Héritière par le bras, l’ancienne Sage-Dame s’immobilisa net. C’était Jaichim Carridin !
Il passa à côté des trois femmes sans leur accorder un regard, sa cape blanche ondulant dans son dos. Bien que transpirant à grosses gouttes, il ne semblait pas affecté par la chaleur, si on se fiait à sa démarche rapide.
— Que fait-il ici ? demanda Nynaeve.
Cet homme était responsable d’une boucherie à Tanchico et dans la Lumière seule savait combien d’autres endroits.
La servante fronça un sourcil intrigué.
— Eh bien, les Fils de la Lumière nous ont eux aussi envoyé une délégation, il y a des mois de ça… La reine… Aes Sedai !
De nouveau, la même hésitation…
Elayne parvint à acquiescer avec grâce. Nynaeve, en revanche, répondit sans dissimuler son agacement :
— Oui, il ne faut pas la faire attendre.
Sans le faire exprès, Merilille avait lâché sur Tylin une information précieuse. Cette souveraine était volontiers pointilleuse et se montrait très à cheval sur le protocole. Cela dit, si elle doutait elle aussi d’avoir affaire à des Aes Sedai, Nynaeve était tout à fait disposée à la gratifier d’une petite démonstration.
La servante abandonna les deux jeunes femmes dans une grande salle au plafond bleu clair et aux murs jaunes. Une rangée de hautes fenêtres en forme d’arches à trois arcs donnait sur un long balcon au plafond au parapet de fer forgé. Là aussi, une brise à l’odeur iodée venait rafraîchir l’atmosphère. Face à la reine, Elayne et Nynaeve se fendirent du salut minimaliste dont une Aes Sedai devait s’acquitter devant une tête couronnée : un genou très légèrement plié et un signe de tête presque imperceptible.
Tylin était une femme des plus impressionnantes. Même si elle n’était pas plus grande que Nynaeve, il émanait d’elle une majesté et une autorité qu’Elayne aurait eu du mal à égaler, même dans ses meilleurs jours. Alors qu’elle aurait dû répondre aux deux sœurs par un salut identique, elle s’en abstint, se contentant de les dévisager avec ses grands yeux noirs.
Sans se laisser démonter, Nynaeve lui rendit froidement la pareille. Une crinière noire, quelque peu grisonnante sur les tempes, cascadait dans le dos de la reine dont le visage restait fort beau en dépit de quelques rides. Bizarrement, deux cicatrices tellement anciennes qu’elles ne se voyaient presque plus marquaient les joues de la souveraine. Bien entendu, un couteau à lame incurvée était glissé dans sa ceinture en fil d’or, le fourreau et le manche étant tous les deux incrustés de pierres précieuses. Une arme de fantaisie, aurait juré Nynaeve. Quand elle avait l’intention de se battre en duel, une femme ne portait sûrement pas une robe de soie bleue aux manches ornées de filaments de dentelle assez longs pour lui cacher les doigts quand elle baissait les mains. Elle n’exposait pas non plus ses jupons en faisant relever le devant de sa robe, et elle évitait d’être affublée d’une traîne dans laquelle elle risquait de s’emmêler les pieds. Enfin, elle n’optait pas pour un corsage surchargé de dentelle et si serré qu’on se demandait par quel miracle elle parvenait à s’asseoir et à se relever.
Autour du cou de Tylin, accroché au collier en or tissé qui ajoutait encore de la dentelle à sa mise, pendait dans un fourreau blanc un couteau de mariage – le manche en bas – dont la présence soulignait l’audace d’un décolleté ovale qui n’avait rien à envier à celui, très étroit, des autres femmes du palais.
— Vous devez être Elayne et Nynaeve, dit Tylin en prenant place dans un fauteuil sculpté pour ressembler à du bambou, mais surchargé de dorures.
Sans quitter les deux jeunes femmes des yeux, elle arrangea soigneusement sa robe puis reprit de sa voix mélodieuse et pleine d’autorité :
— J’ai cru comprendre qu’il y avait une troisième sœur. Aviendha…
Nynaeve consulta Elayne du regard. La reine ne les avait pas invitées à s’asseoir, ne jetant même pas l’ombre d’un regard aux sièges libres.
— Elle n’est pas une Aes Sedai, dit très calmement Elayne.
Tylin ne lui laissa pas le temps d’aller plus loin.
— Alors que vous l’êtes, toutes les deux ? Elayne, je parie que tu as à peine dix-huit ans. Et toi, Nynaeve, qui me regardes avec l’air d’un chat qu’on a attrapé par la queue, quel âge as-tu ? Vingt-deux ans ? Vingt-trois ? Qu’une lame me transperce le foie ! J’ai été à Tar Valon, et j’ai visité la Tour Blanche. Aucune femme de ton âge n’a jamais porté cette bague à sa main droite !
— Vingt-six ans ! s’écria Nynaeve.
Une bonne partie des membres du Cercle des Femmes, à Champ d’Emond, la jugeant trop jeune pour faire une bonne Sage-Dame, Nynaeve avait pris l’habitude d’insister lourdement sur chaque anniversaire dont elle pouvait s’enorgueillir.
— J’ai vingt-six ans, et je suis une Aes Sedai de l’Ajah Jaune. (Une déclaration qui continuait à remplir de fierté la jeune femme.) Elayne a certes dix-huit ans, mais c’est une sœur, et elle appartient à l’Ajah Vert. Vous pensez que Merilille ou Vandene nous laisseraient porter cette bague pour nous amuser ? Tylin, bien des choses ont changé. La Chaire d’Amyrlin, Egwene al’Vere, n’est pas plus âgée qu’Elayne.
— Vraiment ? Je n’en ai pas été informée… Alors que l’Aes Sedai qui me conseillait depuis mon accession au trône – et qui aidait mon père avant moi – est partie sans explications pour Tar Valon, alors que j’ai fini par apprendre que les rumeurs au sujet d’un schisme à la tour n’en étaient pas, alors que les fidèles du Dragon jaillissent du sol comme des champignons, et alors qu’une Chaire d’Amyrlin rebelle s’oppose à Elaida et fait lever en Altara, à mon insu, une armée par un des plus grands généraux… Avec tout ça, tu voudrais que je sois une grande amatrice de surprises ?
Nynaeve espéra que son malaise n’apparaissait pas sur son visage. N’apprendrait-elle donc jamais à se taire, au moins de temps en temps ? Brusquement, elle s’avisa qu’elle ne sentait plus la Source Authentique. L’embarras et la colère ne faisant pas bon ménage, elle était privée du Pouvoir. Au fond, c’était probablement mieux comme ça. Capable de canaliser, elle aurait bien été fichue de se ridiculiser encore plus.
Comme un peu plus tôt, Elayne vola au secours de sa compagne.
— Je sais que vous avez déjà entendu ça, mais permettez-moi d’ajouter mes excuses à celles de Merilille et des autres sœurs. Lever une armée chez vous et sans votre permission était un comportement indigne. Tout ce que je peux avancer, en matière de circonstances atténuantes, c’est que tout s’est enchaîné très vite – à Salidar, nous avons été prises dans un tourbillon, croyez-moi. Mais ça ne justifie rien. Je vous jure que nous n’entendons pas nuire à l’Altara, et encore moins offenser le Trône des Vents. Au moment même où nous parlons, Gareth Bryne conduit cette armée au nord, afin qu’elle quitte votre royaume.
Tylin dévisagea la Fille-Héritière sans ciller.
— Avant les tiennes, je n’avais pas entendu d’excuses… Mais tout dirigeant de l’Altara doit apprendre à avaler sans sel ni épices les insultes des pays plus puissants. (La reine prit une grande inspiration et, dans une grande envolée de dentelle, tendit un bras vers deux fauteuils.) Asseyez-vous. Oui, toutes les deux. Asseyez-vous sur votre couteau, et dégainez votre langue ! (Tylin eut un sourire presque joyeux.) Désolée, je ne sais pas comment on dit ça en andorien. Mettez-vous à l’aise, et n’ayez pas peur d’exprimer le fond de votre pensée.
Nynaeve se félicita qu’Elayne ait écarquillé les yeux de surprise, car elle venait elle-même de pousser un petit cri. C’était ça, la femme pointilleuse que Merilille prétendait très à cheval sur le protocole ? Les jambes coupées, l’ancienne Sage-Dame fut soulagée de s’asseoir. Songeant à tous les « courants » plus ou moins secrets qui existaient à Salidar, elle se demanda si Tylin essayait de… De quoi, exactement ? Au fil du temps, Nynaeve en était venue à soupçonner tout le monde, à part ses plus proches amis, de vouloir la manipuler.
Assise au bord de sa chaise, très raide, Elayne ne semblait pas en confiance non plus.
— C’est ce que je pense, insista la reine. Quoi que vous disiez, je ne me sentirai pas insultée.
À la façon dont ses doigts pianotaient sur le manche du couteau accroché à sa ceinture, le mutisme, en revanche, risquait de n’être pas bien reçu.
— Je ne sais pas trop par où commencer, fit Nynaeve, mal à l’aise.
Voir Elayne approuver du chef son introduction ne la réconforta pas. La Fille-Héritière était censée savoir comment traiter les têtes couronnées. Pourquoi ne disait-elle rien ?
— Si on optait pour un « pourquoi » ? s’impatienta la reine. Pourquoi quatre Aes Sedai de plus ont-elles quitté Salidar pour venir à Ebou Dar ? Ce n’est sûrement pas pour dominer en nombre la délégation d’Elaida. D’ailleurs, Teslyn ne l’appelle même pas comme ça et il n’y a qu’elle et Joline… Vous n’étiez pas au courant ?
La reine se laissa aller dans son fauteuil et dissimula son sourire derrière sa main.
— Au moins, pour les Capes Blanches, vous savez ? Bien !
La main libre de Tylin s’abattit dans l’air comme un couperet, puis son hilarité se dissipa peu à peu.
— Eh oui, les Capes Blanches aussi, même si ça me déplaît ! Mais je dois écouter tous ceux qui me le demandent, y compris l’inquisiteur Carridin.
— Pourquoi écouter ? s’enquit Nynaeve. Je suis contente d’apprendre que vous n’aimez pas les Capes Blanches, mais dans ce cas, pourquoi prêter l’oreille aux propos de Carridin ? Cet homme est un boucher.
L’ancienne Sage-Dame comprit qu’elle avait commis une nouvelle erreur. La façon dont Elayne se mit soudain à étudier la grande cheminée blanche au linteau sculpté de hautes vagues le lui apprit avant même que Tylin se soit rembrunie.
— Tu m’as prise au mot, Nynaeve… Je vous ai dit de dégainer vos langues, et…
La reine baissa les yeux sur le sol, semblant se recueillir.
Nynaeve regarda Elayne avec l’espoir de comprendre ce qu’elle avait fait de mal – ou mieux encore, de se faire souffler un moyen de réparer les dégâts – mais la Fille-Héritière se contenta de lui couler un regard en biais avant de s’en retourner à la contemplation de la cheminée.
L’ancienne Sage-Dame se demanda si elle devait elle aussi détourner les yeux de Tylin. Mais elle ne put s’y résoudre, fascinée par cette femme qui observait le sol tout en caressant le manche du couteau accroché à sa ceinture et celui de l’arme plus petite qui pendait à son cou.
Ce couteau de mariage en disait assez long sur Tylin. Au sujet d’Ebou Dar, Vandene et Adeleas n’avaient pas été avares de renseignements – en général, ceux qui incitaient à penser que la ville était un coupe-gorge quand on ne disposait pas d’une dizaine de gardes du corps en armure. Le fourreau blanc indiquait que la reine était veuve et n’entendait pas se remarier. Les quatre perles et la larme-de-feu enchâssées dans le manche enveloppé de fil d’or indiquaient qu’elle avait enfanté quatre fils et une fille. Le cercle d’émail rouge qui entourait trois perles et celui qui entourait la larme-de-feu annonçaient que seul un fils avait survécu. Les quatre enfants étaient morts au minimum à l’âge de seize ans – et dans des duels –, sinon, les cercles d’émail auraient été noirs. Qu’il devait être pénible de porter en permanence autour du cou le souvenir de tous ses deuils ! Selon Vandene, que leurs pierres soient des perles, des larmes-de-feu ou du verre coloré, les femmes tiraient une grande fierté des cercles rouges ou blancs. Et toujours d’après la sœur, elles retiraient souvent du manche de leur couteau les pierres représentant leurs enfants âgés de plus de seize ans qui avaient refusé un duel. Et quoi qu’il arrive, elles ne revenaient jamais sur cet ostracisme.
Tylin releva enfin les yeux. Sa main gauche s’éloigna du couteau de sa ceinture, son expression se radoucit, mais elle continua à caresser le manche du couteau de mariage.
— Je veux que mon fils me remplace un jour sur le Trône des Vents… Beslan a ton âge, Elayne. Au royaume d’Andor, cette succession irait de soi – à condition qu’il s’agisse d’une fille, et pas d’un fils. (Tylin eut un sourire qui semblait sincèrement amusé.) Idem dans la plupart des autres royaumes, sauf au Murandy, où les choses se passent à peu près comme en Altara. Depuis la mort d’Artur Aile-de-Faucon, une seule maison est parvenue à conserver le trône sur cinq générations. Et la chute d’Anarina fut si brutale que la maison Todande, aujourd’hui encore, accourt comme un bon toutou dès que quelqu’un l’appelle. Aucune autre maison n’a eu plus de deux souverains d’affilée…
» Quand mon père a conquis le trône, les autres maisons possédaient une plus grande partie d’Ebou Dar que la lignée Mitsobar. S’il était sorti du palais sans une haie de gardes, on l’aurait cousu dans un sac avec des pierres et jeté dans le fleuve. À sa mort, il m’a légué ce que je détiens à présent. À savoir peu de chose, par rapport aux autres souverains. En changeant régulièrement de monture, un cavalier atteindrait en moins d’une journée de galop les limites de mon « pouvoir ». Pourtant, je ne suis pas restée inactive. Quand j’ai appris l’avènement du Dragon Réincarné, j’étais certaine de pouvoir léguer à Beslan deux fois plus de terres et un certain nombre d’alliés. La Pierre de Tear et Callandor ont tout bouleversé. À présent, je remercie Pedron Niall quand il fait en sorte que l’Illian annexe une quarantaine de lieues de mon pays plutôt que de l’envahir. Oui, j’écoute Jaichim Carridin et je ne lui crache pas au visage, même si beaucoup de mes sujets sont morts lors de la guerre des Capes Blanches. Je tends l’oreille à ce que dit le confesseur, aux propos de Teslyn et à ceux de Merilille, et je prie afin de pouvoir transmettre quelque chose à mon fils – au lieu d’être retrouvée morte dans mon bain le jour où il aura péri lors d’un accident de chasse.
Tylin prit une longue inspiration. Elle ne se rembrunit pas, cette fois, mais son ton changea, devenant plus incisif.
— Voilà, pour vous, je me suis exhibée torse nu au milieu du marché aux poissons ! C’est à votre tour, à présent. Pourquoi ai-je l’honneur de voir débouler quatre autres Aes Sedai ?
— Nous sommes ici pour trouver un ter’angreal, dit Elayne.
Sous le regard stupéfait de Nynaeve, elle raconta tout : du Monde des Rêves à la poussière qui s’entassait dans le grenier où se trouvait la coupe.
— Restaurer le climat serait une bénédiction, dit Tylin. Mais le quartier que tu me décris semble être de l’autre côté du fleuve. Le Rahad… Une partie de la ville où même la garde civile hésite à s’aventurer. Surtout, ne vous vexez pas. Je sais que vous êtes des Aes Sedai, mais là-bas, on peut se retrouver avec un couteau entre les omoplates avant d’avoir compris ce qui se passe. Quand la victime porte de beaux vêtements, les tueurs utilisent une lame très étroite pour ne pas les tacher de sang. Ne devriez-vous pas laisser Vandene et Adeleas se charger des recherches ? Elles sont plus expérimentées que vous.
— Elles vous ont parlé de la coupe ? s’écria Nynaeve.
La reine secoua la tête.
— Non. Mais elles m’ont parlé de recherches… Les Aes Sedai ne disent jamais un mot de plus que nécessaire…
Tylin sourit de nouveau. Une franche gaieté, semblait-il, même si les cicatrices, sur ses joues, ressortirent un peu plus.
— Vous êtes l’exception à la règle, toutes les deux… Espérons que les années ne vous fassent pas trop changer. Je regrette souvent que Cavandra soit retournée à la tour. Avec elle aussi, je pouvais parler à cœur ouvert.
Faisant signe aux deux femmes de rester assises, la reine se leva et traversa la pièce pour aller frapper un gong d’argent avec un marteau d’ivoire. Pour un si petit gong, le son se révéla très fort.
— Je vais nous faire apporter de l’infusion à la menthe rafraîchie, puis nous continuerons à parler. Vous me direz comment je peux vous aider. Mais si j’envoie des soldats dans le Rahad, sachez que ça déclenchera des émeutes semblables aux Révoltes du Vin. Ensuite, vous pourrez peut-être m’expliquer pourquoi la baie est pleine de bateaux du Peuple de la Mer qui n’accostent pas pour faire du commerce.
Les trois femmes passèrent un long moment à savourer l’infusion tout en parlant du Rahad et de tout ce que la reine ne pouvait hélas pas faire. Puis Beslan entra, jeune homme fort bien éduqué qui s’inclina respectueusement devant les Aes Sedai, ses beaux yeux noirs brillant de surprise, et laissa transparaître son soulagement quand sa mère l’autorisa à se retirer. À l’évidence, il avait reconnu des sœurs au premier coup d’œil.
Finalement, Elayne et Nynaeve prirent congé de la reine et se mirent en chemin pour leurs appartements.
— Ainsi, Vandene et Adeleas ont l’intention de prendre également les recherches en main, souffla Nynaeve après s’être assurée qu’aucun domestique n’était assez prêt pour entendre.
Tylin en avait trop appris sur elles, et en trop peu de temps. Et malgré son beau sourire, elle n’avait guère apprécié la présence des sœurs à Salidar.
— Elayne, tu crois qu’il était sage de tout lui raconter ? Et si elle décidait, afin de garantir la couronne à son fils, de nous laisser trouver la coupe puis d’avertir Teslyn ?
Nynaeve se souvenait vaguement de Teslyn, une sœur rouge très désagréable.
— Je sais ce que ma mère pensait des Aes Sedai qui allaient et venaient en Andor sans jamais lui dire pourquoi. Et je sais ce que j’éprouverais à la place d’une reine confrontée à ça. De plus, je me suis souvenue d’avoir eu un cours au sujet de cette phrase – s’asseoir sur son couteau et dégainer sa langue. Mentir est la meilleure façon d’insulter quelqu’un qui vous la dit. (Elayne pointa le menton.) Quant à Vandene et Adeleas, elles imaginent prendre la direction des recherches. Le quartier Rahad est sans doute dangereux, mais sûrement pas plus que Tanchico, et nous n’aurons pas à redouter l’Ajah Noir. Je parie que nous aurons la coupe d’ici à dix jours ! Entre-temps, j’aurai appris pourquoi le ter’angreal de Mat a un effet qu’il ne devrait pas avoir, et nous partirons rejoindre Egwene avec un maître Cauthon aussi docile que Vanin. Vandene et Adeleas resteront ici avec Merilille et Teslyn – en prime ! –, se demandant ce qui a bien pu arriver.
Nynaeve ne put s’empêcher de rire aux éclats. Un domestique occupé à déplacer un grand vase de porcelaine la regardant, très surpris, elle s’offrit le luxe de lui tirer la langue.
Le pauvre homme faillit laisser tomber le vase.
— Je ne parierai pas contre toi, sauf en ce qui concerne Mat. Dix jours, donc…