— Tu as fait venir ces Illuminateurs à Amador ? demanda Pedron Niall.
Quand le seigneur général parlait sur ce ton, plus d’un homme aurait tressailli. Celui qui se tenait sur le soleil scintillant incrusté dans le sol, devant le siège de Niall, ne broncha même pas, véritable incarnation de la confiance et de la compétence.
— Omerna, si deux mille Fils de la Lumière gardent notre frontière avec le Tarabon, c’est pour une excellente raison. Ce pays est en quarantaine. Personne ne traversera la frontière – pas même un moineau, si ça ne dépendait que de moi.
Omerna était le modèle même de ce que devait être un officier des Fils de la Lumière. Grand, imposant, le visage déterminé et des tempes grisonnantes… Ses yeux noirs semblaient en mesure d’observer un champ de bataille sans s’émouvoir, si terrible que fût la boucherie, et ils l’avaient effectivement fait plus d’une fois. Pour l’heure, ils reflétaient une intense méditation mûrement maîtrisée. Décidément, cet homme était fait pour porter la cape blanc et or d’un seigneur capitaine initié de la Lumière.
— Seigneur général, les Illuminateurs entendent ériger un complexe capitulaire à Amador. (Même la voix, profonde et mélodieuse, convenait à merveille.) Les Illuminateurs voyagent partout. Il devrait être possible d’infiltrer dans leurs rangs des espions qui seront bien accueillis dans toutes les villes, tous les manoirs de nobles et tous les palais royaux.
Officiellement, Abdel Omerna était un membre relativement mineur du Conseil des Initiés. En réalité, il s’agissait du chef de l’espionnage des Fils de la Lumière. Enfin, presque…
— Réfléchissez aux avantages que nous pourrions en tirer, seigneur général.
Niall pensait à un tout autre point. La guilde des Illuminateurs était entièrement composée de Tarabonais, hommes comme femmes. Et le Tarabon était en proie au chaos et à la folie, deux fléaux qu’il ne voulait surtout pas voir se répandre en Amadicia. Si cette peste ne pouvait pas être éradiquée pour l’instant, il pouvait au moins éviter la contagion.
— Omerna, ils vont être traités comme tous les Tarabonais qui passent à travers les mailles du filet. Placés sous bonne garde, avec interdiction de parler à quiconque, puis expulsés d’Amadicia le plus vite possible.
— Si je peux me permettre d’insister, seigneur général, leur utilité compenserait les quelques rumeurs qu’ils colporteraient. Ces gens restent entre eux, savez-vous. En plus d’être utiles à mes espions, s’ils construisent un complexe capitulaire à Amador… Eh bien, ça vaudra à la ville un prestige considérable. Car ce serait le seul complexe, désormais. Celui de Cairhien a été abandonné, et celui de Tanchico aussi, je suppose.
Le prestige ! Niall frotta son œil gauche pour dissiper une crispation involontaire. S’énerver contre Omerna n’avait aucun intérêt, mais se contenir n’était pas toujours facile. Surtout avec la chaleur matinale qui lui avait déjà tapé sur les nerfs.
— C’est vrai, ils restent entre eux… Ils vivent ensemble, voyagent ensemble et ne parlent pratiquement à personne. Tu envisages que tes agents épousent des Illuminateurs ? Dans ce cas, sache qu’ils se marient rarement hors de la guilde. Et il n’y a aucun moyen de devenir un Illuminateur ou une Illuminatrice. C’est une affaire de naissance…
— Peut-être, mais je suis sûr qu’une solution existe.
Décidément, rien ne pouvait entamer cette façade de compétence et de confiance.
— Mes ordres ne sont pas discutables, Omerna. (L’homme voulut parler, mais Niall lui fit signe de se taire.) Le sujet est clos ! Plus question d’en débattre. Bien, quelles informations as-tu aujourd’hui ? Je parle d’informations intéressantes. C’est ça, ta mission. Pas fournir des feux d’artifice à Ailron.
Omerna hésita. À l’évidence, il brûlait d’envie de plaider la cause de ses précieux Illuminateurs, mais il finit par capituler :
— Les rapports sur les fidèles du Dragon présents en Altara sont bien plus que des rumeurs, dirait-on. Et il y en aurait aussi au Murandy. Une infestation limitée, pour le moment, mais qui se développera. Une action massive, dès à présent, pourrait régler ce problème et celui des Aes Sedai de Salidar…
— Serais-tu le stratège en chef des Fils de la Lumière ? Glane des informations, et laisse-moi les utiliser comme je l’entends. Qu’as-tu d’autre à me dire ?
Omerna ne réagit pas à la rebuffade. Garder son calme en toutes circonstances était un de ses points forts. Le plus fort, peut-être…
— J’ai de bonnes nouvelles. Mattin Stepaneos est prêt à se rallier à vous. Il hésite encore à l’annoncer, mais selon nos agents en Illian, ça ne saurait tarder. On le dit enthousiaste.
— Ce serait une nouvelle remarquablement bonne, dit sèchement Niall.
Remarquable, en tout cas… Parmi les drapeaux qui pendaient dans la pièce, les trois léopards argent sur champ de sable de Stepaneos figuraient à côté des neuf abeilles en fil d’or sur soie verte de l’étendard royal à franges illianien. Le roi de l’Illian avait eu le dessus lors des Troubles, en tout cas en ce qui concernait le traité qui ramenait le tracé des frontières entre l’Amadicia et l’Altara à ce qu’il était avant le début du conflit. Cela dit, Niall doutait que le souverain oublie un jour qu’il avait eu à Soremaine l’avantage du terrain et du nombre, ce qui ne l’avait pas empêché d’être vaincu et capturé. Si les Compagnons illianiens n’avaient pas tenu le terrain afin de permettre au reste de l’armée d’échapper au piège de Niall, l’Altara aurait été un fief des Fils de la Lumière, tout comme le Murandy et probablement l’Illian lui-même. Plus grave encore, Mattin Stepaneos avait une Aes Sedai pour conseillère. Bien entendu, il ne s’en vantait pas et cachait la sorcière de Tar Valon, mais ça ne changeait rien. Ne négligeant rien par principe, Niall avait envoyé des émissaires à Stepaneos. Cela posé, si le gaillard finissait par se rallier à lui de son plein gré, ce serait vraiment remarquable !
— J’écoute la suite… Mais sois bref, parce que j’ai du travail, aujourd’hui. Pour les détails, je lirai plus tard tes rapports…
Malgré ce préambule, le compte rendu d’Omerna – énoncé d’une voix forte vibrant de certitude – n’eut rien de compendieux.
En Andor, al’Thor contrôlait Caemlyn, mais il n’avait pas étendu son influence. En d’autres termes, son attaque éclair était enrayée comme Omerna (il ne manqua pas de le préciser) l’avait toujours prédit. Les Terres Frontalières, même si c’était peu probable, finiraient peut-être par s’allier aux Fils de la Lumière contre le faux Dragon. Au Shienar, en Arafel et au Kandor, des seigneurs profitaient du calme régnant dans la Flétrissure pour se révolter. Au Saldaea, la reine s’était retirée à la campagne, car elle redoutait des émeutes dans la capitale. En tout cas, selon Omerna. Bien entendu, ses agents continuaient leur travail de sape, et tous les dirigeants de ces pays seraient mis au pas dès qu’on aurait maté ces rébellions mineures.
Même si elles tenaient des propos ambigus afin d’apaiser les sorcières de Tar Valon, les têtes couronnées du Murandy, de l’Altara et du Ghealdan étaient également prêtes à un ralliement.
La reine Alliandre du Ghealdan, consciente que son trône vacillait, savait qu’il lui fallait l’aide des Fils de la Lumière pour ne pas en être éjectée aussi vite que ses précédents occupants. Quant à Tylin de l’Altara et Roedran du Murandy, ils espéraient que les Fils, avec leur poids et leur influence, les aideraient à être autre chose que des souverains de paille. À l’évidence, Omerna pensait que ces pays étaient déjà acquis à Niall.
Toujours selon Omerna, la situation était encore meilleure en Amadicia. Par exemple, les Fils de la Lumière n’avaient plus connu une telle affluence de recrues depuis des années.
À strictement parler, ce domaine n’était pas du ressort d’un espion, mais Omerna truffait toujours ses rapports de toutes les bonnes nouvelles qui lui tombaient sous la main…
Autre point positif, le Prophète ne serait plus très longtemps un problème pour le pays. Actuellement occupés à se disputer à propos du pillage des villages et des manoirs, au nord, ses partisans – de la racaille, purement et simplement – se réfugieraient probablement au Ghealdan dès la prochaine offensive des soldats d’Ailron.
Les prisons du pays débordaient, car on arrêtait à tour de bras des Suppôts des Ténèbres et des espions de Tar Valon – trop vite pour pouvoir les pendre au même rythme. En ce qui concernait la traque des sorcières de Tar Valon, deux seulement avaient été démasquées, mais une centaine de femmes avaient subi la question – la preuve que les patrouilles ne chômaient pas.
Enfin, on interceptait de moins en moins de réfugiés du Tarabon, une indication sur l’efficacité grandissante de la « quarantaine ». Et les expulsions se passaient de mieux en mieux, dans les rares cas où on en avait encore besoin. Étrangement, Omerna passa très vite sur ce dernier point, alors que Niall craignait qu’il revienne à l’assaut avec ses absurdes histoires d’Illuminateurs.
Le seigneur général écouta avec le minimum requis de concentration lui permettant de hocher la tête aux bons moments. Sur le terrain, et tant que quelqu’un de compétent lui disait que faire, Omerna avait été un excellent officier. Dans sa position actuelle, il se montrait d’une stupidité accablante. Par exemple, il avait assuré que Morgase était morte – son cadavre retrouvé et identifié – jusqu’au jour où Niall lui avait fait rencontrer la reine, tout aussi vivante qu’on pouvait l’être. Ayant commencé par se moquer des « rumeurs » sur la chute de la Pierre de Tear, il maintenait toujours que la plus puissante forteresse du monde n’avait pas pu être prise par une force extérieure. La trahison expliquait tout, affirmait-il, un Haut Seigneur ayant sans nul doute vendu la Pierre à Rand al’Thor et à Tar Valon.
Le désastre de Falme et les troubles au Tarabon et en Arad Doman, prétendait-il encore, étaient l’œuvre des armées d’Artur Aile-de-Faucon revenues de l’autre rive de l’océan d’Aryth. Entre autres aberrations, il croyait mordicus que Siuan Sanche n’avait pas été renversée, que Rand al’Thor, frappé de démence, était à l’agonie, et que Tar Valon avait fait assassiner le roi Galldrian afin de déclencher une guerre civile au Cairhien. Pire encore, il aurait juré sous la torture que ces trois « faits » avaient un lien avec les rumeurs délirantes – toujours venues de lieux opportunément très éloignés – sur des gens qui se consumaient spontanément ou sur des cauchemars qui se matérialisaient pour massacrer des villages entiers. Sans pouvoir étayer sa thèse pour l’instant, cet idiot travaillait sur une « grande théorie » qui dévoilerait tous les complots des sorcières de Tar Valon. Grâce à cette œuvre magistrale, dont il affirmait imminente la finalisation, Niall n’aurait plus qu’à se pencher pour cueillir la Tour Blanche comme un fruit mûr.
C’était le « génie » particulier d’Omerna. Inventer des causes farfelues aux événements qui se produisaient, ou récolter des ragots dans les poubelles et les gober tout crus. Dans les manoirs comme dans les rues, le bougre passait un temps fou à écouter les rumeurs. Alors qu’on l’avait vu plus d’une fois lever le coude avec des Quêteurs du Cor, dans des tavernes, il était établi que cet imbécile avait par trois fois déboursé une somme énorme pour acquérir de minables copies du Cor de Valère. À chaque occasion, il était parti en rase campagne avec l’instrument, passant trois jours à souffler dedans avant de se résigner à admettre qu’aucun héros mort ne répondrait à son appel, sortant de la tombe pour combattre à ses côtés. À coup sûr, ces désastres ne l’empêcheraient pas d’acheter d’autres « instruments mythiques » dans des ruelles obscures ou des arrière-salles de taverne.
En résumé, alors qu’un chef de l’espionnage devait douter de tout – y compris de son propre reflet dans un miroir –, Omerna était d’une crédulité sans bornes.
Quand il eut enfin fini de débiter ses fadaises, Niall lâcha :
— Tu as bien travaillé, Omerna. Je lirai tes rapports avec toute l’attention qu’ils méritent. (L’officier se rengorgea.) Retire-toi, à présent. En partant, dis à Balwer de venir ici. J’ai du courrier à lui dicter.
— Oui, seigneur général ! Au fait…
Alors qu’il avait déjà commencé à saluer son chef, Omerna plissa le front, puis il fouilla dans sa poche et en sortit un petit cylindre en os qu’il tendit à Niall.
— C’est arrivé ce matin au pigeonnier…
Sur le cylindre, trois fines lignes rouges indiquaient que le message devait être remis à Niall sans avoir été ouvert.
Et ce crétin avait failli l’oublier dans sa poche !
Omerna attendit, avec l’espoir d’en apprendre un peu sur le contenu du cylindre, mais Niall lui fit signe de sortir.
— N’oublie pas de m’envoyer Balwer. Si Mattin Stepaneos songe à se rallier à moi, lui écrire pourrait l’aider à prendre la bonne décision, si je trouve les mots justes.
À contrecœur, Omerna s’inclina et sortit.
Même quand la porte se fut refermée, Niall n’ouvrit pas le cylindre. Ces messages spéciaux, très rares, apportaient rarement de bonnes nouvelles. Se levant péniblement – ces derniers temps, l’âge le rattrapait –, le seigneur emplit de punch un gobelet d’argent qu’il abandonna pourtant sur son bureau, puis il ouvrit une chemise de cuir gravé de volutes et doublé de toile. La seule feuille de parchemin qu’elle contenait, froissée et en partie déchirée, était l’œuvre d’un artiste des rues. Un dessin aux craies de couleur représentant deux hommes en train de se battre dans les nuages. L’un avait un visage de flammes et l’autre des cheveux roux foncé.
Rand al’Thor !
Tous les plans de Niall visant à contrarier le faux Dragon avaient échoué. Pas moyen de s’opposer à sa frénésie de conquête, ni d’entraver sa progression. Avait-il attendu trop longtemps, laissant ce gamin devenir trop puissant ? Dans ce cas, il n’y avait qu’un moyen d’en finir avec lui : un coup de couteau dans le noir, ou une flèche tirée d’un toit. Combien de temps attendre avant d’agir ? Se précipiter n’était-il pas dangereux ? Différer à l’infini, en ces matières, était une garantie d’échouer. Mais intervenir trop vite pouvait se révéler aussi dévastateur…
— Mon seigneur m’a fait quérir ?
Niall regarda l’homme qui était entré si discrètement. A priori, il semblait impossible que Balwer puisse se déplacer sans qu’un crissement signale sa présence. En lui, tout était sec comme du vieux parchemin. Sa veste pendait sur son tronc squelettique, et ses jambes frêles semblaient en permanence prêtes à céder sous son poids pourtant négligeable. On eût dit un oiseau sautant d’une patte sur l’autre.
— Balwer, tu crois que le Cor de Valère rappellera les héros morts afin qu’ils viennent à notre secours ?
— Peut-être, seigneur… (Balwer croisa soigneusement les mains.) Et peut-être pas… Personnellement, je ne compterais pas là-dessus.
— Et penses-tu que Mattin Stepaneos se ralliera à moi ?
— Là encore, peut-être… Il ne voudra pas finir par se faire tuer, ni devenir un pantin. Son premier et unique souci est de conserver la Couronne de Lauriers. Dans cette optique, l’armée qui se masse en Tear doit l’inquiéter. (Balwer eut l’ombre d’un sourire.) Il a parlé ouvertement d’accepter votre proposition, mais j’ai appris récemment qu’il est en contact avec la Tour Blanche. Apparemment, il s’est déclaré d’accord avec quelque chose – hélas, j’ignore quoi.
Le monde entier savait qu’Abdel Omerna était le chef du renseignement des Fils de la Lumière. Bien entendu, il aurait dû s’agir d’un secret, mais tous les garçons d’écurie et les mendiants d’Amador le montraient du doigt – avec circonspection, car ils craignaient que l’homme le plus dangereux du pays les remarque. À la vérité, Omerna, un parangon de crétinisme, n’était qu’un leurre. Un benêt ignorant lui-même qu’il servait de paravent au véritable chef des espions de la Forteresse de la Lumière. À savoir Sebban Balwer, le petit secrétaire tout ratatiné de Niall, connu pour son éternelle moue désapprobatrice. Un homme que personne ne pouvait soupçonner d’occuper un tel poste. Et auquel nul n’aurait accordé de crédit, si ça s’était su.
Alors qu’Omerna gobait tout, Balwer ne croyait en rien, et peut-être même pas à l’existence des Suppôts des Ténèbres ou du Ténébreux. Sa seule passion, c’était de regarder par-dessus l’épaule des autres, de tendre l’oreille et de surprendre leurs secrets. Avec cette disposition d’esprit, il aurait aussi bien servi tout autre maître que Niall, mais ça ne posait pas de problème. Ce qu’apprenait Balwer n’était jamais pollué par ce qu’il tenait pour vrai, et encore moins par ce qu’il aurait voulu savoir vrai. Incrédule par principe, il parvenait toujours à déterrer la vérité.
— Je ne m’attendais pas à autre chose venant d’Illian, Balwer. Mais même ce roi peut changer d’avis… (Il le faudrait, car il ne pouvait pas être déjà trop tard.) Des nouvelles récentes des Terres Frontalières ?
— Pas encore, seigneur. Mais Davram Bashere est à Caemlyn. Avec trente mille cavaliers, selon mes informateurs. Moi, je penche pour la moitié, au maximum. Même sur ordre de Tenobia, et en tenant compte du calme qui règne dans la Flétrissure, Bashere n’aurait pas affaibli autant son pays.
Niall sentit de nouveau son œil gauche se contracter. Du bout des doigts, il frôla le dessin à la craie. D’après ce qu’on disait, c’était un portrait ressemblant de Rand al’Thor. Bashere à Caemlyn… Maintenant, Niall comprenait pourquoi Tenobia s’était réfugiée loin de la capitale pour ne pas rencontrer son émissaire…
Malgré ce que pensait Omerna, il n’y avait aucune bonne nouvelle des Terres Frontalières. Les « rébellions mineures » dont cet idiot parlait étaient bel et bien mineures, mais elles n’avaient rien à voir avec les révoltes habituelles. Tout au long de la frontière avec la Flétrissure, des hommes débattaient pour savoir si al’Thor était un faux Dragon de plus, ou le véritable Dragon Réincarné. Les frontaliers ayant le sang chaud, ces polémiques tournaient parfois à l’escarmouche. Ces affrontements avaient commencé au Shienar, au moment de la chute de la Pierre. Une confirmation de plus que les sorcières de Tar Valon étaient impliquées. Selon Balwer, l’issue de ces « débats » restait encore ouverte…
Omerna avait au moins raison sur un point : pour l’instant, al’Thor ne contrôlait que Caemlyn. Mais pourquoi, alors qu’il disposait de l’aide des Aiels, de Bashere et des maudites sorcières ? Balwer lui-même était incapable de répondre à cette question. En tout cas, ce fait était un cadeau de la Lumière.
Les pillards du Prophète se contentaient de dévaster le nord de l’Amadicia, certes, mais ils s’y installaient solidement, tuant ou forçant à la fuite tous ceux qui ne se ralliaient pas au Prophète du Dragon. Si les soldats d’Ailron avaient cessé de battre en retraite, c’était parce que ce maudit Prophète avait cessé de fondre sur eux. Alliandre et tous les autres dirigeants prêts à se joindre à Niall, d’après Omerna, continuaient à hésiter et multipliaient les prétextes ridicules pour débouter ses émissaires. Au bout du compte, comme Niall lui-même lorsqu’il pensait à eux, ces gens ne savaient pas dans quel camp ils finiraient par se ranger…
En surface, tout semblait aller dans le sens d’al’Thor pour l’instant, à part en ce qui concernait le « grain de sable » qui le retenait à Caemlyn. Mais Pedron Niall n’était jamais aussi dangereux que lorsqu’il se trouvait le dos au mur face à des forces supérieures en nombre.
Si les nouvelles étaient fiables, Carridin s’en sortait très bien en Altara, même s’il allait moins vite que Niall l’aurait voulu. Parce que le temps, au même titre que la Tour Blanche ou al’Thor, était un ennemi mortel. Pourtant, même si les nouvelles au sujet de Carridin se révélaient n’être que des rumeurs, ce serait peut-être suffisant. Le temps était-il venu de répandre les « fidèles du Dragon » jusqu’en Andor ? Voire jusqu’en Illian ? Encore que… Si l’armée qui se rassemblait en Tear ne réussissait pas à montrer le bon chemin à Mattin Stepaneos, quelques fermes et villages incendiés ne le feraient sûrement pas changer d’avis.
La taille de l’armée en question terrifiait Niall. Et même si elle avait été la moitié moins grande que le rapportait Balwer – voire le quart – il aurait continué à avoir des sueurs froides. Depuis le temps d’Artur Aile-de-Faucon, on n’avait plus rien vu de tel. Au lieu de pousser des gens à se rallier aux Fils de la Lumière, la vue de ces multitudes de guerriers risquait de les inciter à se ranger sous l’étendard du Dragon. S’il avait pu disposer d’un an de plus, ou même de six mois, il aurait considéré qu’elle valait l’entière horde d’abrutis, de bandits et de sauvages du désert de Rand al’Thor.
Bien entendu, tout n’était pas perdu. Tant qu’on gardait un souffle de vie, ça n’était jamais le cas. Le Tarabon et l’Arad Doman, pour les sorcières et pour le Dragon, étaient aussi inutiles que pour lui. Deux nids grouillant de scorpions. Seul un crétin y aurait fourré la main avant que ces ignobles bestioles se soient entre-tuées. Si le Saldaea était perdu – là encore, rien n’était joué – le Shienar, l’Arafel et le Kandor restaient encore dans la balance, sur un plateau encore susceptible de s’incliner. Et si Mattin Stepaneos entendait courir deux lièvres à la fois – il avait toujours aimé ça – on pouvait encore le forcer à choisir le bon. Si ça arrivait, l’Altara et le Murandy basculeraient aussi dans le bon camp, et le royaume d’Andor suivrait tôt ou tard, que Niall décide ou non d’avoir dans ce pays recours aux services musclés de Carridin.
En Tear, des agents de Balwer avaient convaincu Tedosian et Estanda de se joindre à Darlin, transformant ainsi une manifestation de force en rébellion. Selon le véritable chef du renseignement, la même chose pouvait être faite au Cairhien et en Andor. Dans un mois, deux au maximum, Eamon Valda arriverait de Tar Valon. Niall aurait pu faire sans lui, mais ainsi, l’immense majorité des forces des Fils de la Lumière se trouverait réunie, prête à frapper là où ce serait le plus utile.
Oui, Niall avait encore des atouts. Rien n’était vraiment en place, mais les rouages s’engrenaient. Avec un peu de temps…
S’avisant qu’il tenait toujours le cylindre en os, Niall fit sauter le sceau et sortit avec précaution le petit morceau de parchemin enroulé très serré.
Balwer ne dit rien, mais il eut une moue qui exprimait tout. Sachant qu’il s’agissait d’un crétin, il tolérait Omerna, content de rester lui-même dans l’ombre, mais il détestait que Niall reçoive des messages dont il ne savait rien envoyés par des hommes qu’il ne connaissait pas.
Le carré de parchemin était couvert d’une écriture minuscule utilisant un code que fort peu de gens pratiquaient, à part Niall, et que nul autre que lui n’aurait su déchiffrer à Amador. Pour lui, c’était un jeu d’enfant. Voyant la signature, au pied du texte, il cilla, et la suite de sa lecture fut tout aussi surprenante.
Varadin était – ou avait été – un de ses meilleurs agents personnels pendant les Troubles. Marchand de tapis de son état, il lui avait rendu de fieffés services tout en écoulant sa marchandise en Altara, au Murandy et en Illian. Les bénéfices réalisés à cette occasion lui avaient permis de s’établir à Tanchico, où il fournissait très régulièrement en tapis de luxe et en vins fins le palais du roi, celui de la Panarch et les résidences de presque tous les nobles de la cour – des endroits qu’il quittait toujours avec une belle moisson d’informations. Sans nouvelles de lui depuis un an, Niall avait cru que le bonhomme était mort durant les diverses émeutes. Considérant la teneur du message, il aurait été préférable, en effet, que Varadin ait quitté ce monde. De l’écriture tremblante d’un type au bord de la folie, il parlait d’hommes qui chevauchaient d’étranges créatures et de monstres volants, d’Aes Sedai tenues en laisse et de Hailene. Dans l’ancienne langue ce mot signifiait « Ceux Qui Marchent Devant », ou encore « Les Éclaireurs ». Mais Varadin ne donnait pas l’ombre d’une explication sur l’identité de ces gens, ni sur ce qui le terrorisait tant à leur sujet. À l’évidence, à force de voir son pays s’écrouler autour de lui, le marchand avait attrapé une encéphalite aiguë.
Agacé, Niall froissa le message dans sa main puis le jeta au loin.
— D’abord les idioties d’Omerna, puis ça… Qu’as-tu pour moi, Balwer ?
Bashere… S’il dirigeait l’armée d’al’Thor, les choses risquaient de mal tourner… Cet homme méritait largement sa réputation. Fallait-il prévoir pour lui un coup de couteau dans le dos ?
Balwer n’avait pas quitté un instant du regard le visage de son chef. Pourtant, Niall savait que le message roulé en boule finirait d’une manière ou d’une autre dans ses mains, sauf s’il le brûlait.
— J’ai quatre nouvelles qui pourraient être intéressantes, seigneur. La première est la moins significative. Les rumeurs au sujet des rencontres entre Sanctuaires ogiers… n’en sont pas. Pour des Ogiers, ces gens semblent même se presser beaucoup…
Balwer ne précisa pas quel était le sujet de ces rencontres. Infiltrer un humain dans une Souche d’Ogiers était impossible, tout comme engager un Bâtisseur comme espion. Mieux valait espérer voir le soleil se lever à la tombée de la nuit.
— Ensuite, il y a dans les ports du Sud un nombre inhabituel de bateaux du Peuple de la Mer. Ces navires n’embarquent pas de cargaison et n’appareillent pas non plus.
— Qu’attendent-ils donc ?
Les lèvres de Balwer s’étirèrent comme si on avait resserré d’invisibles cordons.
— Je n’en sais rien pour le moment, seigneur…
Admettre qu’il ne pouvait pas percer au jour tous les secrets était un crève-cœur pour le maître espion. Hélas, tenter de savoir en profondeur ce qui se passait chez les Atha’an Miere revenait à essayer de savoir comment les Illuminateurs fabriquaient leurs feux d’artifice. En d’autres termes, c’était une mission impossible. Maigre consolation, les Ogiers, eux, finiraient peut-être par rendre publiques les conclusions de leurs rencontres.
— La suite ?
— La nouvelle d’importance moyenne est assez… déroutante, seigneur. De manière fiable, al’Thor a été signalé à Caemlyn, à Tear et à Cairhien… parfois durant la même journée.
— De manière fiable, dis-tu ? De la folie, oui ! Les sorcières doivent avoir deux ou trois sosies suffisants pour abuser les gens qui ne connaissent pas al’Thor. C’est sûrement l’explication.
— C’est possible, seigneur. Mes informations, cependant, sont hautement fiables.
Niall ferma la chemise de cuir, cachant ainsi le visage honni de Rand.
— Et la nouvelle très intéressante ?
— Je la tiens de deux sources – incontestables, seigneur – que j’ai en Altara. Les sorcières réfugiées à Salidar affirment que l’Ajah Rouge a aidé Logain à devenir un faux Dragon. En fait, les sœurs rouges l’auraient même fabriqué. À Salidar, Logain lui-même – ou un homme qui se fait appeler ainsi – raconte son histoire à des nobles spécialement invités pour l’écouter. Et je soupçonne que les sœurs renégates répandent la même fable auprès de tous les dirigeants qu’elles peuvent contacter.
Fronçant les sourcils, Niall étudia les étendards, au-dessus de sa tête. Ils représentaient des ennemis appartenant à presque tous les pays. Parmi eux, aucun ne l’avait vaincu deux fois et très peu pouvaient se vanter d’une seule victoire. Comme Niall lui-même, ces drapeaux étaient fatigués par l’âge. Mais il n’était pas assez « fatigué », cependant, pour assister sans broncher à la fin de ce qu’il avait commencé. Chacun de ces étendards avait été pris lors de batailles sanglantes durant lesquelles on ne savait rien de ce qui se passait à part ce qu’on voyait de ses propres yeux. Des boucheries où les victoires certaines et les défaites promises pouvaient se révéler aussi éphémères les unes que les autres. La pire bataille que Niall avait connue – deux armées se percutant de plein fouet au cœur de la nuit, près de Moisen, pendant les Troubles – était d’une limpidité solaire comparée à celle qu’il devait livrer désormais.
S’était-il trompé ? La Tour Blanche était-elle désunie pour de bon ? Un conflit entre les Ajah ? Mais à quel sujet ? Al’Thor ? Si les sorcières s’entre-déchiraient, il y aurait beaucoup de partisans, au sein des Fils de la Lumière, de la solution prônée par Carridin : une attaque visant à détruire Salidar et autant de maudites sœurs que possible. Une manœuvre apte à satisfaire des hommes pour qui « penser à l’avenir » signifiait « se soucier du lendemain », sans que la semaine prochaine – ou le mois, et plus encore l’année – ait aucune importance. Valda était de ceux-là. Au fond, qu’il ne soit pas encore arrivé était peut-être une chance. Dans le genre, il y avait aussi Rhadam Asunawa, le Haut Inquisiteur de la Main de la Lumière… Valda insistait toujours pour utiliser une hache, même quand un poignard aurait suffi. Asunawa, lui, aurait voulu qu’on ait déjà pendu toute femme ayant passé ne serait-ce qu’une nuit à la tour, que tout livre mentionnant les Aes Sedai ou le Pouvoir de l’Unique ait déjà été brûlé, et que ces noms eux-mêmes soient déjà rayés du vocabulaire de l’humanité. Obsédé par ses objectifs, Asunawa ne se souciait jamais de ce que pouvait coûter leur réalisation. Après avoir tant travaillé et pris tellement de risques, Niall ne pouvait permettre que toute cette histoire, aux yeux du monde, se transforme en un combat entre la Tour Blanche et les Fils de la Lumière.
À dire vrai, qu’il se soit trompé ou non importait peu. Si c’était le cas, ça pouvait même être à son avantage. Et peut-être plus que s’il avait eu raison. Avec un peu de chance, il allait avoir l’occasion de détruire définitivement la Tour Blanche, brisant les sorcières en mille morceaux qu’il serait ensuite aisé de réduire en poussière. Alors, al’Thor perdrait de sa superbe, tout en restant assez menaçant pour servir d’aiguillon. Quant à Niall, il pourrait s’en tenir à la vérité, la serrant de relativement près. Relativement…
— Le schisme, à la tour, n’est pas un leurre, dit-il sans détourner les yeux des étendards. L’Ajah Noir est sorti de l’ombre, les sœurs victorieuses tiennent le complexe et les perdantes ont été chassées pour aller lécher leurs blessures à Salidar.
Niall regarda Balwer et retint de justesse un sourire. Un Fils de la Lumière normal aurait répondu que l’Ajah Noir n’existait pas, ou plutôt que toutes les sœurs étaient des Suppôts des Ténèbres. Le discours que toute nouvelle recrue aurait également tenu. Balwer, lui, n’avait même pas bronché, comme si son chef ne venait pas de fouler aux pieds les croyances les plus sacrées des Fils.
— La seule chose à savoir, c’est si l’Ajah Noir a gagné ou perdu. Moi, je suis enclin à penser qu’il a gagné. Or, les gens auront tendance à estimer que les sœurs restées à la tour sont les véritables Aes Sedai. Laissons-les prendre les vraies Aes Sedai pour des membres de l’Ajah Noir ! Al’Thor est une créature de la tour, donc, un vassal de l’Ajah Noir. (Prenant son gobelet, Niall but une gorgée qui ne fit rien pour le soulager de la chaleur.) Je vais peut-être faire coïncider ce point avec la raison qui m’a poussé à ne pas encore attaquer Salidar.
Par l’intermédiaire de ses émissaires, Niall avait présenté sa passivité comme la preuve qu’il tenait vraiment al’Thor pour une menace majeure. Plutôt que de négliger ce faux Dragon, il préférait laisser des sorcières se masser aux portes de l’Amadicia.
— Ces femmes, là-bas, révulsées par l’œuvre secrète de l’Ajah Noir, durant toutes ces années… Enfin enclines à se détourner du mal dans lequel elles se vautraient…
Niall se trouva en panne d’imagination. Les sœurs étaient toutes des servantes du Ténébreux. Quel « mal » pouvait les effaroucher, dans ce contexte ?
Balwer vint au secours de son chef.
— Et si elles avaient décidé de s’en remettre à votre clémence, seigneur, voire de demander votre protection ? Vaincues lors d’une rébellion, plus faibles que leurs ennemies, craignant d’être écrasées… Un homme qui tombe d’une falaise, se condamnant à une mort certaine, tendrait la main à son pire adversaire. Peut-être… (Balwer se tapota pensivement les lèvres.) Peut-être sont-elles prêtes à se repentir de leurs péchés et à renoncer à être des Aes Sedai ?
Niall dévisagea son maître espion. Sur la liste des choses auxquelles Balwer ne croyait pas, les péchés des sorcières de Tar Valon devaient figurer en très bonne place.
— C’est absurde ! Le genre d’âneries dignes d’Omerna.
Balwer ne tressaillit pas, mais il se frotta les mains, son tic de prédilection quand il se sentait insulté.
— Seigneur, le genre d’âneries que vous penseriez entendre sortir de sa bouche… Mais exactement celles qu’il surprendrait dans les endroits où il tend quotidiennement l’oreille – les rues et les tavernes où les nobles colportent des ragots en se soûlant. En ces lieux, on ne rit jamais des âneries. Au contraire, on les écoute. Les choses qui semblent trop absurdes pour être crues finissent par passer pour des vérités, justement parce qu’elles sont trop aberrantes pour être des mensonges.
— Comment présenterais-tu ça ? Je ne veux pas donner naissance à des rumeurs sur une coopération entre des Fils de la Lumière et des sorcières.
— Ce ne seraient que des rumeurs, seigneur… (Niall le foudroyant du regard, Balwer écarta les mains.) Comme vous voudrez, seigneur… Chaque personne qui la raconte l’enjolivant, une histoire simple a toutes les chances que sa substantifique moelle survive. Je suggère de répandre quatre rumeurs, pas seulement une. Primo, le schisme de la tour a été causé par une révolte de l’Ajah Noir. Secundo, l’Ajah Noir a gagné et contrôle désormais la tour. Tertio, les sœurs de Salidar, révulsées et horrifiées, ont renoncé à être des Aes Sedai. Quarto, elles vous ont contacté, en quête de pardon et de protection. Pour la plupart des gens, chaque rumeur tiendra lieu de confirmation aux trois autres.
Tirant sur les revers de sa veste, Balwer eut un fin sourire satisfait.
— Très bien vu, Balwer. Qu’il en soit ainsi…
Niall but une autre gorgée de vin, plus longue que la précédente. La chaleur lui rappelait en permanence son âge. Même si ses os menaçaient de se casser tout seuls, il vivrait assez longtemps pour voir le faux Dragon vaincu et le monde uni afin d’affronter Tarmon Gai’don. Et même s’il mourait avant d’avoir pu prendre la tête de l’humanité lors de l’Ultime Bataille, la Lumière lui ferait sûrement la grâce de voir son triomphe se dessiner.
— Balwer, je veux qu’on trouve Elayne Trakand et son frère Gawyn, puis qu’on les conduise ici. Assure-toi que ça arrive. À présent, tu peux me laisser…
Au lieu de se retirer, Balwer se campa là où il était.
— Seigneur, vous savez que je ne me permets jamais de suggérer un plan.
— Mais tu voudrais faire exception à la règle ? Je t’écoute.
— Insistez auprès de Morgase, seigneur ! Après plus d’un mois, elle en est toujours à réfléchir à votre proposition. Cette femme…
— Assez, Balwer ! lança Niall, accablé.
Parfois, il aurait aimé que son bras droit secret ne soit pas né en Amadicia, mais au Cairhien, où les nourrissons buvaient le Grand Jeu en même temps que le lait de leur mère.
— Quoi qu’elle imagine, Morgase s’engage chaque jour un peu plus à mes côtés. J’aurais préféré qu’elle accepte tout de suite, pour que l’Andor, avec l’assistance des Fils de la Lumière, se soit déjà dressé contre al’Thor, mais ça n’est pas si grave que ça. Chaque jour de plus qu’elle passe ici, en étant mon invitée, la lie davantage à moi. Au bout du compte, elle découvrira qu’elle est mon alliée tout simplement parce que le monde entier le croira. Impossible de faire marche arrière ! Et personne ne pourra prétendre que je l’ai contrainte à se rallier à moi. C’est un point essentiel. Quand le monde pense qu’on y a consenti librement, il est très difficile de briser une alliance. En revanche, quand on peut se justifier en arguant qu’on vous a forcé la main… La précipitation conduit au désastre, Balwer.
— Si mon seigneur voit les choses ainsi…
Sur un geste de Niall, Balwer se retira en s’inclinant.
L’espion ne comprenait pas. Morgase était une rude adversaire. Si elle se sentait acculée, elle se battrait quelles que soient ses chances de vaincre. Soumise à une pression réfléchie, elle se tournerait contre l’ennemi qu’elle pensait voir et ne remarquerait pas le piège dans lequel elle était tombée – pas avant qu’il soit trop tard, en tout cas.
Même si le temps pesait sur lui – le poids des années déjà vécues et celui des mois dont il avait désespérément besoin – Niall ne gâcherait pas tout en brûlant les étapes.
Volant en piqué, le faucon percuta le grand canard dans une explosion de plumes. Puis les deux oiseaux se séparèrent, et le canard tomba vers le sol. Plongeant de nouveau dans le ciel sans nuages, le faucon fondit sur sa proie vaincue et referma ses serres dessus. Le poids du canard faillit le déséquilibrer, mais il parvint à revenir, non sans mal, vers les chasseurs qui l’attendaient en bas.
Morgase se demanda si elle n’était pas comme le faucon : trop fière et trop déterminée pour s’apercevoir qu’elle venait de se saisir d’un trophée trop lourd pour que ses ailes le supportent.
La reine se concentra pour forcer ses mains gantées à serrer moins fort les rênes de sa monture. Malgré la protection de son chapeau à larges bords orné de plumes blanches, le soleil tapait si dur qu’elle en avait le front ruisselant de sueur. Dans sa robe d’équitation de soie verte brodée de fil d’or, elle ne ressemblait pas du tout à une prisonnière.
Des cavaliers et des gens à pied allaient et venaient dans le long pâturage à l’herbe jaunâtre desséchée, mais sans réussir à l’occuper entièrement. Vêtus d’une tunique longue bleue aux broderies blanches, des musiciens jouant de la flûte, du butor et du tambour produisaient un air léger parfaitement adapté à un après-midi consacré à boire du vin. Un long gilet de cuir richement ornementé sur leur ample chemise blanche, des aides-fauconniers, une dizaine en tout, caressaient l’oiseau perché sur leur poing ganté ou lui soufflaient dessus la fumée de leur brûle-gueule. En livrée colorée, une vingtaine de serviteurs lestés d’un plateau où reposaient des coupes de vin ou des coupelles de fruits s’affairaient sous l’accablante chaleur. Souffrant sans doute mille morts sous leur cotte de mailles, des soldats couvraient tout le périmètre du pâturage, juste à la lisière des arbres aux branches dénudées.
Tout ce monde au service de Morgase et de sa suite, afin de s’assurer que leur chasse au faucon se passe bien et en toute sécurité.
Enfin, c’était la raison invoquée. En réalité, les partisans du Prophète se trouvaient à quelque quatre-vingts lieues de là, au nord, et il semblait peu probable que des bandits s’aventurent si près d’Amador.
Malgré les femmes qui se massaient autour d’elle sur leur jument ou leur hongre – des dames en robe d’équitation en soie brillante, leurs cheveux coiffés en longues boucles (la dernière mode en Amadicia) dépassant de leur chapeau à larges bords orné de plumes – la « suite » de Morgase, en réalité, se composait de Basel Gill et de Paitr Conel.
Sur un flanc de la reine, maître Gill, fort mal à l’aise sur sa monture, arborait son habituelle veste cousue de disques de métal – trop juste pour lui, le vêtement était tendu à craquer – sur une tunique rouge vif que la reine lui avait procurée afin qu’il ne soit pas éclipsé par les domestiques. Semblant encore plus mal dans sa peau, Paitr Conel, dans une veste de page rouge et blanc, affichait la nervosité qui ne le quittait plus depuis que Morgase l’avait intégré dans son « armée ».
Les femmes étaient des nobles de la cour d’Ailron « volontaires » pour être les dames d’honneur de la reine.
Accablé, Gill tapotait le pommeau de son épée en regardant les soldats – des Capes Blanches, en réalité. Comme d’habitude, lorsqu’ils escortaient la reine hors de la Forteresse de la Lumière, ces hommes ne portaient pas leur cape. Et c’étaient des gardiens plutôt que des soldats. Si Morgase chevauchait trop loin ou restait trop longtemps hors du périmètre de sécurité, leur chef, un jeune officier nommé Norowhin qui détestait devoir se faire passer pour autre chose qu’un Fils de la Lumière, lui « suggérait » de retourner à Amador pour échapper à la chaleur, qu’on prévoyait pire que jamais, ou parce qu’une rumeur (très) soudaine faisait état de la présence de bandits dans les environs.
Comment polémiquer avec une cinquantaine d’hommes en armure, surtout quand on entendait conserver sa dignité ? La première fois, Norowhin avait bien failli se saisir des rênes de Morgase, rien de moins. Pour cette raison, elle interdisait à Tallanvor de l’accompagner lors de ces excursions. Même face à cent hommes, ce jeune idiot aurait insisté pour défendre l’honneur et les droits de sa reine. Comme s’il espérait la libérer par la force, il passait d’ailleurs des heures à s’entraîner à l’épée.
Sentant une brise agréable souffler sur son visage, Morgase s’aperçut que Laurain s’était penchée sur sa selle pour la ventiler avec un éventail de dentelle blanche. Mince jeune femme aux yeux hélas légèrement trop rapprochés, Laurain affichait en permanence un sourire mielleux.
— Votre Majesté doit tellement se réjouir que son fils se soit engagé dans les Fils de la Lumière. Et qu’il soit si vite monté en grade…
— Voilà qui n’est pas surprenant, minauda Altalin en éventant frénétiquement son visage joufflu. Comme le soleil dans toute sa splendeur, il était prévisible que le fils de Sa Grâce atteigne très vite son zénith.
Quelques dames s’extasiant de son assez ridicule métaphore, Altalin se rengorgea.
Morgase eut du mal à conserver son équanimité. La nouvelle annoncée la veille par Niall, lors d’une de ses visites surprises, lui avait valu un sacré choc. Galad, dans les Capes Blanches ? Au moins, à en croire le seigneur général, il allait bien. Hélas, le devoir lui interdisait de rendre visite à sa mère. Mais sans nul doute, il serait membre de son escorte lorsqu’elle repartirait pour l’Andor à la tête d’une armée de Fils de la Lumière.
Non, malgré ces propos, Galad n’était pas en sécurité, tout comme Gawyn et Elayne. Et peut-être encore moins. La Lumière veuille que la Fille-Héritière soit à l’abri dans la Tour Blanche. Et que le Prince de l’Épée soit toujours vivant. Niall prétendait ne pas savoir où il était – à part qu’il ne se trouvait pas à Tar Valon…
Galad, lui, était un couteau plaqué sur la gorge de Morgase. Niall était bien trop subtil pour présenter les choses ainsi, mais sur un seul mot de lui, le jeune homme serait envoyé en un lieu d’où il aurait peu de chances de revenir vivant. Avec un peu de chance, cependant, le seigneur général pensait peut-être qu’elle tenait moins à lui qu’à Elayne et Gawyn.
— Si c’est ce que veut Galad, dit Morgase d’un ton neutre, je suis très contente pour lui. Mais c’est le fils de Taringail, pas le mien. Mon union avec Taringail était un mariage d’État, comprenez-le bien. C’est d’ailleurs étrange : il est mort depuis si longtemps que j’ai du mal à me rappeler son visage. Galad est libre d’agir comme il l’entend. Quand Elayne me succédera sur le Trône du Lion, c’est Gawyn qui sera son Premier Prince de l’Épée. (Elle refusa d’un geste le gobelet qu’un serviteur lui présentait sur un plateau.) Niall aurait au moins pu prévoir un vin digne de ce nom…
Des rires étranglés saluèrent cette saillie. Morgase était parvenue à se rapprocher de ces gens, mais une attaque contre Pedron Niall ne pouvait guère passer, surtout quand l’anecdote risquait d’arriver jusqu’à ses oreilles. Bien entendu, la reine se faisait un malin plaisir de multiplier les piques de ce genre. Cette attitude attestait son courage, une qualité très utile si elle voulait se gagner la loyauté, même partielle, de sa « suite ». Plus important encore, pour son moral, en tout cas, cette liberté de ton lui donnait l’illusion de ne pas être vraiment prisonnière du seigneur général.
— J’ai entendu dire que Rand al’Thor exhibe le Trône du Lion comme un trophée de chasse.
Une remarque de Marande, une jolie femme au visage en forme de cœur un peu plus âgée que les autres. Sœur de la Haute Chaire de la maison Algoran, elle détenait une puissance personnelle non négligeable – assez considérable, en fait, pour qu’elle ait pu résister à Ailron, mais pas à Niall.
Les autres dames écartèrent leur monture du cheval de Morgase afin que Marande puisse en faire approcher son hongre bai. De cette femme, Morgase n’espérait ni loyauté ni amitié…
— Je l’ai entendu dire aussi… Chasser le lion est une activité dangereuse, alors, s’en prendre au Trône du Lion… Surtout pour un homme. Le trône abat toujours les hommes qui le convoitent.
Marande eut un sourire mauvais.
— On dit aussi qu’al’Thor distribue des postes élevés à des hommes capables de canaliser le Pouvoir.
Les autres femmes se regardèrent, mal à l’aise, et murmurèrent entre elles. Marewin, une des plus jeunes, assez frêle et à peine sortie de l’adolescence, oscilla sur sa selle à haut troussequin comme si elle allait s’évanouir. L’amnistie décrétée par al’Thor avait donné naissance à des histoires terrifiantes. Des rumeurs, espérait Morgase. Des hommes capables de canaliser réunis à Caemlyn, paradant dans le palais royal et terrorisant la ville… Par la Lumière ! il fallait que ce soient des rumeurs !
— Tu entends beaucoup de choses, Marande. Passes-tu tout ton temps à écouter aux portes fendillées ?
Le sourire de Marande devint un rictus. Si elle n’avait pas pu refuser de devenir une des dames d’honneur de Morgase – la pression de Niall étant trop forte – cette femme était assez haut placée pour afficher ouvertement son déplaisir. Bref, elle était comme une épine enfoncée dans un pied, impossible à retirer et douloureuse à chaque pas.
— Je consacre trop de temps à vous servir, Majesté, pour écouter quoi que ce soit, mais j’essaie de saisir au vol toutes les nouvelles qui viennent d’Andor. Ainsi, j’ai des sujets de conversation dignes de Votre Majesté. Au fait, j’ai aussi entendu dire que le faux Dragon voit quotidiennement des nobles andoriens. Dame Arymilla, dame Naean, les seigneurs Jarin et Lir… Et d’autres, qui font partie de leurs amis.
Un des fauconniers leva à hauteur de Morgase un bel oiseau gris aux ailes noires. Sur les jets de l’oiseau – des liens de cuirs permettant de le tenir au poing sans qu’il s’enfuie – des clochettes d’argent tintinnabulaient au rythme de ses mouvements nerveux.
— Merci, mais j’ai assez chassé au vol pour aujourd’hui, dit Morgase au fauconnier.
Elle éleva un peu la voix :
— Maître Gill, réunis mon escorte. Je veux retourner en ville.
Gill sursauta. Parfaitement conscient qu’il était là pour chevaucher à la suite de la reine, et rien de plus, il fit quand même de grands gestes et cria des ordres aux Capes Blanches, comme s’il pensait qu’on allait lui obéir.
Morgase talonna sans plus attendre sa jument noire. Bien entendu, elle la fit avancer au pas. S’il pensait qu’elle tentait de fuir, Norowhin fondrait sur elle comme un épervier.
Avant que la jument ait fait dix pas, les Capes Blanches sans cape se furent mis en formation derrière elle. Et avant qu’elle ait atteint la lisière du pâturage, Norowhin arriva à ses côtés, une dizaine de ses hommes ouvrant la marche. Les domestiques, les musiciens et les fauconniers, laissés en arrière, n’auraient qu’à se rassembler d’eux-mêmes puis à suivre le mouvement.
Gill et Paitr prirent place derrière la reine, et les dames d’honneur leur emboîtèrent le pas. Alors que Marande arborait son rictus comme s’il symbolisait son triomphe, d’autres femmes plissaient le front de désapprobation. Discrètement, cependant… Même si elle avait dû céder à Niall, Marande n’était pas quantité négligeable en Amadicia. Cela dit, la plupart des autres « volontaires » essayaient d’accomplir de leur mieux une mission dont elles n’avaient jamais voulu. Dans leur grande majorité, elles n’auraient pas vu d’inconvénients à rester près de Morgase. En revanche, séjourner dans la Forteresse de la Lumière leur déplaisait souverainement.
Si elle avait été sûre que Marande ne la voyait pas, Morgase se serait elle aussi fendue d’un petit rictus ironique. Si elle n’avait pas insisté pour que Marande soit exclue de sa suite, des semaines plus tôt, c’était justement parce qu’elle ne savait pas tenir sa langue. Histoire de l’aiguillonner, elle citait sans cesse des noms à la reine, croyant lui révéler à quel point l’Andor avait échappé à son influence. En réalité, elle mettait du baume au cœur de Morgase. Tous les hommes et toutes les femmes dont elle parlait comptaient parmi ceux qui l’avaient combattue lors de la Succession. Et tous s’étaient inclinés devant Gaebril. Si Marande avait cité d’autres noms, le coup aurait pu être rude. Les seigneurs Pelivar, Abelle ou Luan… Les dames Arathelle, Ellorien ou Aemlyn. Et tant d’autres !
Ces nobles-là n’étaient jamais apparus dans les provocations de Marande. Si le moindre murmure l’avait incitée à se rappeler leurs noms, nul doute qu’elle l’aurait fait avec plaisir. Puisqu’elle ne les mentionnait pas, il restait une chance que ces personnes ne se soient pas inclinées devant al’Thor. Après avoir soutenu Morgase lors de sa première quête du trône, elles l’aideraient une deuxième fois. Si la Lumière voulait qu’il en soit ainsi…
La forêt déplumée céda la place à une route en terre battue et la petite colonne prit la direction d’Amador. Ici, les petits bois alternaient avec des bosquets et des champs en jachère entourés de murets. Les fermes de pierre au toit de chaume et les étables, elles, se dressaient à une distance respectable de la route. Beaucoup de gens empruntaient cette voie, soulevant un nuage de poussière qui incita Morgase à se nouer un mouchoir de soie sur le bas du visage. Dès qu’ils voyaient l’ombre d’un soldat, tous ces citoyens s’écartaient en hâte sur le bas-côté de la route, certains s’enfonçant même dans un bois ou sautant un muret pour traverser un champ au pas de course.
Les Capes Blanches ignorèrent ces gens et pas un fermier ne vint lever le poing ou crier des injures sur le passage de la colonne. Rien d’étonnant, car la plupart des fermes, aucun animal visible dans leur cour, semblaient avoir été abandonnées.
Parmi les gens qui marchaient sur la route, Morgase repéra un paysan avec son char à bœuf, un berger qui guidait quelques moutons et une femme qui faisait avancer un troupeau d’oies. Des habitants de la région, à l’évidence. Si certains portaient un baluchon sur l’épaule ou arboraient une besace pleine à craquer, la plupart avaient les mains vides et avançaient comme s’ils n’avaient aucune idée de leur destination. Le nombre de réfugiés hagards augmentait à chaque sortie de Morgase, dans quelque direction qu’elle choisisse.
Après avoir ajusté le mouchoir sur son nez, la reine coula un regard de biais à Norowhin. De la taille et de l’âge de Tallanvor, à peu de chose près, il ne lui ressemblait sur aucun autre point. Le visage rouge sous son casque conique brillant – le soleil lui flanquait la pelade –, l’officier n’avait rien d’un bel homme. Avec son extrême minceur et son nez proéminent, il faisait penser à une pioche, s’était souvent dit Morgase. Alors qu’il était chargé de diriger l’escorte chaque fois qu’elle sortait de la forteresse, la reine ne manquait presque jamais d’essayer d’engager la conversation. Cape Blanche ou non, elle obtenait une petite victoire lorsqu’elle l’incitait à oublier une fraction de seconde qu’il était son gardien.
— Ces réfugiés fuient-ils le Prophète ? demanda-t-elle.
C’était impossible, car ces malheureux se dirigeaient aussi bien vers le nord que vers le sud.
— Non, répondit Norowhin sans tourner la tête vers Morgase.
Sondant sans arrêt la route, il semblait craindre de voir à chaque instant apparaître des partisans de la reine venus à son secours.
Un « oui » ou un « non »… Jusque-là, la reine n’avait guère obtenu plus du Fils de la Lumière, mais elle ne se décourageait pas pour autant.
— Qui sont-ils, dans ce cas ? En tout cas, ils ne viennent pas du Tarabon… Vous êtes très doué pour les renvoyer chez eux, ceux-là !
Un autre jour, Morgase avait vu une cinquantaine de Tarabonais – des hommes, des femmes et des enfants, tous crasseux et morts de fatigue – être sans ménagement poussés vers l’est par des cavaliers en cape blanche. Consciente qu’elle ne pouvait rien faire, elle avait tenu sa langue d’extrême justesse.
— L’Amadicia est un pays prospère. En si peu de temps, la sécheresse ne peut pas avoir jeté tant de gens sur les routes.
Norowhin sembla en proie à un dilemme.
— Non, dit-il enfin, ils sont en quête du faux Dragon.
— Comment est-ce possible ? Il est à des centaines de lieues d’ici.
Au terme d’un nouveau conflit intérieur, Norowhin choisit de nouveau de s’exprimer :
— Ils pensent que c’est le vrai Dragon Réincarné, lâcha-t-il, écœuré. Selon eux, son avènement a brisé tous les liens, comme l’annonçaient les prophéties. Des hommes trahissent leur seigneur, des apprentis abandonnent leur maître, des pères de famille délaissent les leurs et des épouses quittent leur mari. C’est comme une peste charriée par le vent – des bourrasques qui soufflent depuis l’endroit où est le faux Dragon.
Morgase étudia un moment un jeune homme et sa compagne qui regardaient passer la colonne, serrés dans les bras l’un de l’autre. Le visage couvert de poussière et de sillons laissés par la sueur, ils portaient des haillons encore plus crasseux qu’eux. Les joues creuses et les yeux immenses, ils crevaient de faim. Une chose pareille pouvait-elle arriver en Andor ? Rand al’Thor avait-il également infligé ça au pays de Morgase ?
Si c’est le cas, il le paiera !
Le problème serait de s’assurer que le remède n’était pas pire que le mal. Délivrer l’Andor, même de ça, pour le livrer aux Capes Blanches…
Morgase tenta d’entretenir la conversation. Lui en ayant plus dit cette fois que lors de toutes leurs excursions, Norowhin se referma comme une huître, s’en tenant désormais aux monosyllabes. La reine n’en fut pas dérangée. Si elle avait réussi une fois à percer ses défenses, elle pourrait recommencer.
Se tournant sur sa selle, elle essaya de voir de nouveau les deux jeunes gens, mais les soldats lui bouchèrent la vue. Aucune importance. Ces visages resteraient gravés dans son esprit, comme le serment qu’elle venait de se faire au sujet d’al’Thor.