Ces combats mentaux confus et intermittents coulent entre les doigts et ne se laissent pas saisir tellement ils sont subtils et glissants, n’hésitant pas à produire mille chimères et caprices fantastiques, mal compris par eux-mêmes et pas du tout par ceux qui les écoutent.
À travers ces rêveries, l’esprit stupéfié est ballotté d’un fantasme à l’autre, exactement comme dans un rêve on passe d’un palais à un vaisseau puis à une grotte ou à une plage, et finalement, quand on se réveille et que le rêve s’évanouit (de même que presque tous les souvenirs qu’on en avait), on se rend compte qu’on somnolait vaguement et qu’on a laissé passer les heures sans rien en retirer.
Il émergea de cette syncope comme on sort d’un rêve, hoquetant, se débattant pour s’en souvenir alors que son souvenir le fuyait ; ça se voyait sur son visage.
— Non, gémissait-il, revenez… Ne pas oublier…
Cette fois, c’est la gouvernante qu’il venait d’embaucher qui le trouva : la Piera venait enfin d’arriver.
— Maître ! s’écria-t-elle en se penchant sur lui pour scruter ses yeux vides. Réveillez-vous !
Il gémit, la regarda sans la reconnaître. Elle lui tendit la main et l’aida à se relever. Bien que plus petite d’un braccio, elle était presque aussi massive que lui.
— Ils m’ont dit que vous souffriez de syncopes…
— Je rêvais…
— Vous étiez paralysé. J’ai crié, je vous ai pincé, ça n’a rien fait. Vous étiez bel et bien parti.
— Parti, en effet.
Il s’ébroua comme un cheval.
— J’ai fait un rêve ou je ne sais quoi. Une vision. Mais je ne m’en souviens pas !
— Tout va bien. Vous vous en sortirez mieux sans rêver.
Il la regarda avec curiosité.
— Pourquoi dites-vous ça ?
Elle haussa ses larges épaules tout en tiraillant sur les vêtements de Galilée pour remettre de l’ordre dans sa tenue, prit entre deux doigts un petit granulé qu’elle venait de trouver dans sa veste et l’empocha.
— Parce que je fais des rêves absurdes, c’est tout. Je laisse brûler des choses dans le four pendant que, sur la table, tous les poissons prennent vie et se mettent à me mordre, ou se glissent par la porte comme des anguilles. C’est toujours la même chose. Que des foutaises, voilà ce que je dis ! La vie est assez dingue comme ça.
— Ça se pourrait bien.
C’est alors que Cartaphilus déboula sur l’altana et s’arrêta net en les voyant. Galilée eut un sursaut, et tendit le doigt vers lui.
— Toi ! s’exclama-t-il.
— Moi, admit prudemment le vieux. Qu’y a-t-il, maestro ? Pourquoi êtes-vous levé ?
— Tu sais très bien pourquoi ! rugit Galilée, avant d’ajouter piteusement : N’est-ce pas ?
— Pas moi, répondit Cartaphilus, toujours aussi fuyant. J’ai entendu des voix et je suis venu voir de quoi il retournait.
— Tu as laissé entrer quelqu’un. À la porte ?
— Pas moi, maestro. Avez-vous fait encore une syncope ?
— Non.
— Si, confirma la Piera.
Galilée poussa un énorme soupir. Il était clair qu’il ne se rappelait rien, ou à peu près rien. Il leva les yeux : Jupiter était pratiquement à la verticale au-dessus d’eux. Il avait froid. Il se flanqua de grandes claques sur les bras pour se réchauffer.
— Avez-vous entendu hurler des loups dans les collines, il y a un petit moment ? demanda-t-il tout à coup.
— Non, répondit la Piera.
— Ils étaient là, pourtant.
Il s’assit et réfléchit.
— Au lit, marmonna-t-il en se relevant. Je ne peux pas le faire cette nuit.
Il hésita.
— Ah, bon sang !
Se laissa retomber sur son tabouret.
— Il faut au moins que je vérifie… Quelle heure est-il ? Minuit ? Apportez-moi du vin chaud. Et restez ici avec moi.
Salviati n’était pas en ville, aussi Galilée se trouvait-il coincé dans la maison qu’il louait à Florence. Il se surprit à être d’une humeur étrange, distraite, pensive. Il fit savoir à Vinta, dans le langage le plus fleuri et le plus obséquieux dont il était capable, ce qui n’était pas peu dire, qu’il voulait aller à Rome faire la promotion de ses nouvelles découvertes – ou du moins, ainsi qu’il l’admit lors d’un entretien avec le secrétaire du grand-duc, les défendre. En effet, beaucoup de gens très sérieux n’avaient tout simplement pas de télescopes assez bons pour voir les lunes de Jupiter, et même les gens les mieux disposés à son égard, comme les jésuites – les meilleurs astronomes d’Europe en dehors de Kepler –, avaient du mal à procéder à leurs observations. En outre, un fait nouveau venait de se produire en Toscane. Un philosophe appelé Ludovico delle Colombe faisait circuler un manuscrit qui ne se contentait pas de tourner en ridicule l’idée que la Terre puisse tourner autour du Soleil, mais dressait en outre une longue liste de citations de la Bible étayant l’argument selon lequel l’idée de Galilée était contraire aux Écritures. Parmi ces citations on pouvait lire : « Il a fondé la terre sur ses lieux fixes » (Psaumes 104,5), « Il a établi le monde, qui est inébranlable » (I Chroniques 16,30), « Il étend le Septentrion sur le vide, suspend la terre sur le néant » (Job 26,7), « Lourde est la pierre et pesant le sable » (Proverbes 27,3), « Le ciel est en haut, la terre est en bas » (Proverbes 30,3), « Le soleil se lève, le soleil se couche ; il soupire après le lieu d’où il se lève de nouveau. Le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord ; puis il tourne encore, et reprend les mêmes circuits » (Ecclésiaste 1,5), « Dieu fit les deux grands luminaires, le plus grand luminaire pour présider au jour, et le plus petit luminaire pour présider à la nuit ; il fit aussi les étoiles » (Genèse 1,17)…
Galilée lut un manuscrit de cette lettre, qui lui avait été remis par Salviati, et chaque phrase lui arracha un juron.
— « Lourde est la pierre » ! Quelle ânerie !
Qui veut mettre à mort l’esprit humain ? répondit-il avec fureur à Salviati. Qui prétendra que tout ce qui dans le monde est observable et connaissable a déjà été vu et découvert ?
Les gens avaient peur du changement. Ils se cramponnaient à Aristote parce qu’il disait qu’au-dessus du ciel tout était immuable ; autrement dit, si vous mouriez et que vous montiez au ciel, vous ne changeriez pas non plus. Il écrivit à l’astronome Mark Welser :
Je soupçonne que notre désir de mesurer l’univers à l’aune de nos petits critères nous fasse tomber dans d’étranges fantasmes, et que notre haine particulière de la mort nous fasse détester la fragilité. Si ce que nous appelons la corruption était l’annihilation, les péripatéticiens auraient une raison d’en être aussi radicalement les ennemis. Mais si ce n’est rien d’autre qu’une mutation, elle ne mérite pas tant de haine. Je pense que personne ne se plaindrait de la corruption de l’œuf si ce qui en résulte est un poussin.
En d’autres termes, le changement pouvait être la croissance. Il était intrinsèque à la vie. Aussi les objections religieuses aux changements qu’il voyait dans le ciel étaient-elles stupides. Mais elles étaient également dangereuses.
Galilée écrivit donc toutes les semaines à Vinta, l’adjurant de demander à Sa Splendeur le grandissimo et brillant grand-duc au grand cœur de l’envoyer à Rome afin qu’il puisse expliquer ses découvertes. Pour finir, il convainquit Vinta qu’une visite ne pouvait pas nuire ;en vérité, elle pourrait ajouter à l’éclat de la réputation du prince. Le voyage fut donc approuvé, mais Galilée retomba malade. Pendant deux mois, il souffrit de fièvres et de maux de tête tels qu’il n’était pas question de voyager.
Il passa sa convalescence dans la villa de Salviati.
— Je suis empêtré dans quelque chose d’étrange, confia-t-il à son jeune ami. Dame Fortune m’a pris par le bras et jeté par-dessus son épaule. Dieu sait où elle m’emmène.
Salviati ne savait trop que conclure de tout cela, mais c’était un ami précieux à avoir avec soi en cas de crise. Il vous tenait la main, vous regardait et comprenait ce que vous lui racontiez ; ses yeux liquides, son sourire prompt étaient l’image même de l’intelligence du cœur. Il riait beaucoup, il faisait rire Galilée, et nul n’était plus rapide que lui quand il s’agissait de vous montrer un oiseau ou un nuage, de vous poser une devinette en rapport avec les nombres négatifs ou quelque énigme dans ce genre. Une bonne âme, et futée.
— Peut-être est-ce la Vicuna, la muse de la Justice, qui vous a pris par la main.
— Je voudrais bien, mais non, répondit Galilée avec un regard intérieur. C’est Dame Fortune qui décide de mon destin. La capricieuse. Une grande femme.
— Mais vous avez toujours été avventurato.
— Avec des fortunes diverses, ronchonnait Galilée. Bonnes et mauvaises.
— Mais les bonnes ont été si bonnes, mon ami. Pensez à vos dons, à votre génie. Ces qualités aussi, c’est Dame Fortune qui les dispense.
— Peut-être. En ce cas, pourvu que cela continue ainsi.
Finalement, impatienté par le contretemps que lui imposait son propre corps, Galilée écrivit à Vinta pour demander si on ne pourrait pas lui procurer une litière ducale pour son voyage. À ce moment-là, il était évident que son Sidereus Nuncius avait rendu Galilée célèbre dans toute l’Europe. Dans les cours qui avaient eu la chance de recevoir l’une de ses lunettes, de la Bavière à la Bohême, de France en Angleterre, des « fêtes stellaires » étaient organisées. Vinta était convaincu que la présence de Galilée à Rome ne pouvait qu’apporter honneur et prestige aux Médicis, aussi la mise à disposition de la litière ducale fut-elle approuvée.
Le 23 mars 1611, Galilée partit avec ses serviteurs, Cartaphilus et Giuseppe, et un petit groupe de cavaliers du grand-duc. Il emportait avec lui une lettre d’introduction auprès du cardinal Maffeo Barberini, écrite par une de ses vieilles connaissances, Michelangelo Buonarotti, le neveu du plus célèbre artiste florentin, qui était mort la veille de la naissance de Galilée, faisant parler (le père de Galilée, en tout cas) de transmigration des âmes.
Les routes entre Florence et Rome étaient aussi bonnes que bien d’autres en Italie, mais elles étaient encore lentes, même sur leurs meilleurs tronçons, qui étaient très limités du fait des dégâts causés par l’hiver. En litière, il y en avait pour six jours de voyage. La journée, Galilée s’installait sur les oreillers du carrosse afin de supporter les secousses des roues de bois cerclées de fer qui rebondissaient sur les pierres, tout cela dans le grincement perpétuel provoqué par leur passage sur des cailloux ou des lits de gravier. Parfois, il montait à cheval pour se reposer les reins et le dos, mais cela lui imposait une autre sorte de martèlement. Il détestait voyager. Rome était l’endroit le plus éloigné de Florence où il fût jamais allé, et il ne s’y était jamais rendu qu’une seule fois, vingt-quatre ans auparavant, avant le terrible accident dans la cave de Costozza qui avait ruiné sa santé.
Le long de la route, à l’entrée et à la sortie de toutes les villes où ils s’arrêtèrent au cours de leur périple – San Casciano, Sienne, San Quirico, Acquapendente, Viterbo et Monterosi –, des rangées d’auberges proposaient des lits défoncés, envahis par les puces, dans des chambres où les ronflements le disputaient aux chapardages habituels. Mieux valait passer la nuit dehors, enroulé dans son manteau, sous une cape et une couverture, à regarder le ciel. Jupiter était très haute, et toutes les nuits, il put repérer la position de ses quatre lunes, au début et en fin de soirée, guettant le moment où une lune ralentissait et arrivait au point extrême de son orbite, ou bien le moment où elle entrait dans le côté éclairé de Jupiter même. Galilée était déterminé à être le premier à calculer le temps exact qu’elles mettaient à faire le tour de Jupiter. L’opération serait difficile – même Kepler l’avait écrit. Galilée éprouvait un lien fort avec les lunes, comme si le fait d’en être le découvreur en faisait d’une certaine façon ses propres lunes particulières. Une nuit, il entendit les loups hurler, et le lien lui sembla plus fort que jamais, comme si les loups venaient de Jupiter. Le disque blanc, dans sa lunette, paraissait frémir de vie, et il se sentait empli d’un sentiment qu’il ne pouvait nommer.
Les humides nuits printanières s’écoulèrent donc ainsi, et il s’effondrait dans la litière lorsque les hommes du grand-duc procédaient aux préparatifs de départ, espérant dormir pendant le trajet cahoteux sur la route. De nombreux matins, il y parvint, sombrant dans l’insensibilité pendant quelques heures de voyage. Mais les routines de la nuit et du jour étaient pénibles pour son dos, et il arriva à Rome épuisé.
Le mardi saint, la litière entra dans les immenses faubourgs miteux de Rome. La route, large, était bordée des deux côtés par d’innombrables taudis faits de bouts de bois, comme s’ils avaient été construits par des pies. Une fois à l’intérieur de l’antique enceinte, l’escorte de Galilée clopina lentement à travers les rues pavées, bondées, jusqu’au Palazzo Firenze, près du vieux Panthéon, au milieu de la ville. Rome était maintenant aussi grande que dix Florence. Les constructions entassées les unes sur les autres faisaient souvent trois ou quatre étages, et surplombaient des rues d’autant plus étroites qu’elles étaient plus anciennes. Les gens vaquaient à leurs occupations, certains mettaient leur linge à sécher sur les balcons et faisaient sans se gêner des commentaires sur les gens qui déambulaient au-dessous d’eux.
Les rues étroites s’ouvraient près du fleuve, bordé de champs inondables et de vergers. Bientôt, ils arrivèrent au Palazzo Firenze, qui surplombait un petit campo. C’est là que Galilée devait être hébergé par l’ambassadeur de Cosme à Rome, un certain Giovanni Niccolini, qui avait passé sa vie dans la diplomatie et approchait de la fin d’une longue carrière au service des Médicis. Cet être de qualité apparut à l’entrée du palazzo et accueillit Galilée plutôt fraîchement. Vinta avait écrit à Niccolini pour dire que Galilée serait accompagné par un unique serviteur, et voilà qu’ils étaient deux, Cartaphilus s’étant imposé à la dernière minute. Les arrangements financiers entre le grand-duc et son ambassadeur faisaient l’objet de comptes méticuleux, et peut-être n’était-il pas très clair pour Niccolini qu’il serait remboursé pour l’entretien d’un serviteur supplémentaire. Quoi qu’il en fût, c’est avec une réserve manifeste qu’il conduisit Galilée et sa petite escorte dans une grande suite de pièces à l’arrière du rez-de-chaussée qui donnait sur le jardin officiel. L’espace vert sophistiqué était semé d’antiques statues romaines dont le visage de marbre avait disparu, comme fondu. Quelque chose dans leur allure attira le regard de Galilée et le dérangea.
Une fois installé, Galilée se lança dans un imposant programme de visites à des dignitaires d’une importance stratégique pour ce qu’il voulait faire. L’une des plus cruciales consistait à se rendre auprès du jésuite Christopher Clavius et de ses jeunes collègues, au Collège de Rome.
Clavius le salua dans les mêmes termes qu’il avait employés, vingt-quatre ans auparavant, alors que Galilée était un jeune mathématicien inconnu et que Clavius, bien que tout jeune lui aussi, était connu dans toute l’Europe comme « l’Euclide du seizième siècle ».
— Bienvenue à Rome, jeune signor. Loués soient Dieu et Archimède !
En dépit des années, il n’avait pas beaucoup changé : un homme mince, avec une petite bouche en cul de poule et l’œil bienveillant. Il conduisit Galilée dans l’atelier du collège des jésuites, où ils regardèrent ensemble les lunettes que les mécaniciens du moine avaient construites. Elles ressemblaient à celles de Galilée, et étaient d’une puissance équivalente, bien qu’entachées d’imperfections, ainsi que Galilée le leur dit sans ambages.
Christopher Grienberger et Odo Maelcote les rejoignirent alors, et Clavius les présenta comme ceux qui avaient procédé à l’essentiel des observations ; Clavius se lamenta de sa vue qui baissait avec l’âge.
— Mais j’ai pu contempler plusieurs fois ce que vous appelez vos Étoiles Médicéennes, ajouta-t-il, et il est évident qu’elles tournent autour de Jupiter, comme vous l’affirmez.
Galilée s’inclina profondément. Il se trouvait encore des gens pour soutenir que les lunes n’étaient que des défauts des lunettes de Galilée. Il avait rageusement offert dix mille couronnes à quiconque ferait une lunette qui montrerait des défauts autour de Jupiter et pas autour des autres planètes, et évidemment personne n’était venu les réclamer, mais quand même – tout le monde n’y croyait pas. Ce n’était donc pas rien. Voir, c’était croire, et Clavius avait vu. Galilée se redressa et lui dit :
— Dieu vous bénisse, mon père. J’étais à peu près sûr que vous les verriez, elles sont tellement évidentes, et vous êtes un astronome tellement expérimenté. Et je puis vous dire que lors de mon voyage vers Rome j’ai bien avancé dans la détermination de l’orbite de ces quatre nouvelles lunes.
Grienberger et Maelcote haussèrent les sourcils et échangèrent des regards, mais Clavius se contenta de sourire.
— Je pense que, là, nous sommes d’accord avec Johannes Kepler, ce qui n’est pas fréquent, pour dire qu’il sera très difficile d’établir leur période de rotation.
— Cependant…
Galilée hésita, puis il se rendit compte qu’il avait commis un impair, et laissa tomber l’affaire avec un geste de la main. Il n’était pas utile d’annoncer quoi que ce fût avant d’avoir des résultats ; et en effet, puisqu’il avait décidé d’être le premier à faire toutes les découvertes relatives aux nouvelles étoiles, mieux valait éviter d’inciter ses concurrents à poursuivre leurs efforts. Il était déjà assez déconcertant de s’apercevoir qu’ils avaient réussi à fabriquer des lunettes presque aussi puissantes que la sienne.
Aussi laissa-t-il la conversation dériver vers les phases de Vénus. Ils les avaient également observées, ce qui constituait un fort argument en faveur de la position copernicienne. Il se garda d’insister sur ce point, mais il lisait sur leur visage que cette conclusion s’était déjà imposée à eux. Et ils ne niaient pas les apparitions. Ils croyaient à la lunette, et leurs observations coïncidaient avec les siennes. C’était un signe des plus excellents. Aussi, en envisageant les heureuses implications de leur reconnaissance publique de ce fait, Galilée se remit-il du malaise qu’il avait éprouvé en constatant la puissance de leurs lunettes. C’étaient les astronomes officiels du pape, et ils soutenaient ses découvertes ! Il passa le reste de l’après-midi à échanger des souvenirs avec Clavius et à rire de ses plaisanteries.
Sa rencontre suivante devait être très importante pour Galilée, même s’il ne le sut pas sur le coup.
Elle eut lieu le samedi précédant Pâques, lorsqu’il alla présenter ses hommages au cardinal Maffeo Barberini. Ils se rencontrèrent dans l’un des bureaux situés à l’extérieur des murs de Saint-Pierre, près de la porte du Vatican qui donnait sur le fleuve. Galilée examina attentivement les jardins intérieurs de l’endroit ; il n’avait encore jamais arpenté la forteresse sacrée, dont l’horticulture intérieure méritait que l’on s’y arrête. La pureté avait été préférée à la vivacité, ainsi qu’il le nota sans surprise. Les sentiers étaient parsemés de gravier, les bordures étaient des lignes de pavés bien nets, les longues et étroites pelouses étaient tondues comme par des barbiers. Les massifs de roses et de camélias étaient tous soit blancs, soit rouges. C’était un peu trop.
Barberini se révéla un parfait homme du monde – affable, rapide, portant bien la tenue cardinalice de tous les jours ; souple et beau, avec une petite barbichette, la peau lisse, expansif. Son énergie le rendait aussi gracieux qu’un danseur, aussi à l’aise dans son corps qu’une belette ou une loutre. Galilée lui tendit les lettres d’introduction du neveu de Michelangelo et d’Antoine de Médicis, et Barberini les écarta après un coup d’œil, après quoi il prit Galilée par la main et le conduisit dans la cour de son bureau, lui faisant grâce de tout cérémonial.
— Parlons tout à notre aise.
Galilée était redevenu lui-même, un homme heureux, plein d’entrain, qui avait le génie des mathématiques. Pendant ces entretiens avec les nobles, il se montrait vif et drôle, gloussant toujours dans sa barbe de son gros rire de baryton, ne demandant qu’à plaire. Il ne savait pas grand-chose sur ce cardinal, mais les Barberini étaient une famille puissante, et il avait entendu dire que Maffeo était un virtuose, qui s’intéressait de près aux questions intellectuelles et artistiques. Il donnait de nombreuses soirées au cours desquelles la poésie, la chanson et les débats philosophiques étaient distractions courantes, et il écrivait lui-même des poèmes dont, prétendait-on, il était très fier. Galilée supposa donc que c’était un prélat dans le style de Sarpi, large d’esprit et libéral. En tout cas, il était parfaitement à l’aise, et il montra à Barberini son occhialino dans les moindres détails.
— J’aurais aimé en apporter suffisamment pour pouvoir en laisser un en présent à Votre Éminence, mais on ne m’a permis d’emporter qu’une petite malle pour tout bagage.
Barberini accueillit cette maladresse par un hochement de tête.
— Je comprends, murmura-t-il. Je me contenterai pour l’instant de regarder dans le vôtre, ça me suffira amplement. Mais il est vrai que j’aimerais bien en avoir un. Ce qu’on peut voir avec est tout simplement stupéfiant.
Il se recula pour observer Galilée.
— C’est curieux… qui aurait pu croire qu’il y a dans les choses lointaines plus de choses à voir que nos yeux ne nous permettent d’en discerner…
— Oui, c’est vrai. Il faut reconnaître que nos sens ne nous transmettent pas tout, même de ce qui relève du monde sensible.
— Assurément.
Ils regardèrent dans la lunette les collines lointaines à l’est de Rome. Le cardinal s’émerveilla et lui donna une tape sur l’épaule comme l’aurait fait n’importe qui.
— Vous nous avez donné de nouveaux mondes, dit-il.
— En tout cas, je vous les ai donné à voir, rectifia Galilée, pour paraître convenablement humble.
— Et comment les péripatéticiens prennent-ils ça ? Et les jésuites ?
Galilée dodelina de la tête.
— Ils ne s’en réjouissent guère, Votre Grâce.
Barberini éclata de rire. Il avait été élevé chez les jésuites mais il ne les aimait pas ; Galilée le comprit, aussi poursuivit-il :
— Certains d’entre eux refusent même absolument de regarder dans la lunette. L’un d’eux est mort récemment, et comme je l’ai dit alors, lui qui ne voulait pas regarder les étoiles par ma lunette peut maintenant les examiner de près, au cours de son ascension vers le Ciel !
Barberini eut un rire énorme.
— Et Clavius, qu’en dit-il ?
— Il admet qu’il y a des lunes en orbite autour de Jupiter.
— Les Lunes Médicéennes, comme vous les appelez ?
— Oui, répondit Galilée, se rendant pour la première fois compte que ça pouvait être une nouvelle maladresse. J’espère faire beaucoup d’autres découvertes dans le ciel, et rendre hommage, comme il se doit, à ceux qui m’auront aidé.
Le cardinal eut un petit sourire pas tout à fait amical.
— Et vous pensez que ces lunes jupitériennes prouvent que la Terre tourne autour du Soleil d’une façon analogue à ce que prétendait Copernic ?
— C’est en tout cas la preuve que les lunes tournent autour des planètes, comme notre Lune tourne autour de la Terre. Ce qui prouve le mieux la vision copernicienne, Votre Grâce, ce sont les phases de Vénus, que l’on peut observer grâce à la lunette.
Galilée lui expliqua comment, pour Copernic, les phases de Vénus s’étaient combinées à la façon dont sa distance variait par rapport à la Terre pour donner l’impression, à l’œil nu, qu’elle avait toujours le même éclat, ce qui plaidait contre l’idée selon laquelle elle avait des phases, quand on n’avait pas de lunette pour les observer ; et comment la position de Vénus, toujours très basse dans le ciel, le matin et le soir, s’ajoutait à la découverte de ses phases à l’aide de la lunette pour étayer l’idée selon laquelle Vénus tournait bien autour du Soleil, à l’intérieur même de l’orbite que la Terre décrivait autour du même Soleil. Ces théories n’étaient pas faciles à illustrer par des mots, et Galilée se sentait assez à l’aise pour se lever afin d’aller prendre trois citrons dans une coupe, qu’il disposa et déplaça sur la table pour illustrer sa théorie, à la satisfaction évidente de Barberini.
— Et les jésuites nient tout cela ! répéta le cardinal lorsque Galilée eut achevé une démonstration très convaincante du système.
— Eh bien, non. Ils conviennent maintenant que le phénomène est, au moins, réel.
— Mais ils disent aussi que l’explication n’est pas encore si claire. Oui, ça tient debout. Ça leur ressemble bien. Et après tout, je suppose que Dieu a très bien pu arranger tout cela à Sa convenance.
— Évidemment, Votre Grâce.
— Et Bellarmino, qu’en dit-il ?
— Je l’ignore, Votre Grâce.
Le sourire du cardinal se fit un peu plus torve et rusé.
— Nous finirons peut-être par le savoir.
Ensuite, il parla de Florence, de son amour pour la ville et pour sa noblesse, propos auxquels Galilée fit joyeusement écho. Et quand Barberini lui posa la question rituelle sur ses poètes favoris, Galilée déclara :
— Oh, je préfère l’Arioste au Tasse, de même que la viande aux fruits confits.
Cela fit rire le cardinal, car c’était l’inverse de la caractérisation habituelle des deux. L’entretien se poursuivit donc on ne peut mieux, jusqu’à sa conclusion et à la prise de congé obséquieuse de Galilée. Le cardinal Barberini avait dû beaucoup s’amuser, parce que l’après-midi même il écrivit à Antoine de Médicis et à Buonarotti, le neveu de Michelangelo, pour leur dire combien il appréciait qu’ils lui aient recommandé le nouveau philosophe de la cour de Florence, et qu’il serait ravi de l’aider par tous les moyens à sa disposition.
Quelques jours plus tard, Galilée fut invité par Giovanni Battista Deti, le neveu du défunt pape Clément III, à une fête où il rencontra quatre autres cardinaux, et assista à une conférence donnée à l’assemblée par Giovanni Battista Strozzi. Au cours du débat qui s’ensuivit, Galilée se retint d’intervenir, comme il devait le dire par la suite à tous ses correspondants, sentant qu’en tant que nouveau venu c’était l’attitude à adopter, par courtoisie. Il eut du mal à se taire, sa tendance naturelle le portant à discourir, pour ne pas dire à pérorer continuellement, compte tenu, aussi, de ce qu’on ne pourrait décrire que comme sa familiarité croissante avec le sujet de la conférence de Strozzi, à savoir l’Orgueil. Car le succès de toutes ces visites lui montait à la tête. Soir après soir, il participait à des soupers, souvent à la résidence du cardinal Ottavio Bandini, sur le Quirinal, juste à côté du palais du Pape, et après avoir joui des mets et de la prestation des musiciens, il se levait et devenait l’attraction au programme, discourant et engageant les invités à regarder le paysage à travers sa lunette. Les gens ne manquaient jamais de s’exclamer, les chevilles de Galilée enflaient en conséquence, et lorsqu’il regagnait le Palazzo Firenze après ces réjouissances, c’est tout juste si nous pouvions lui retirer sa veste et ses bottes.
Un banquet donné au palazzo de Federico Cesi, le marquis de Monticelli, devait avoir des conséquences durables. Ce jeune homme avait fondé l’Accademia dei Lincei, l’Académie des Lynx, dont les membres se réunissaient régulièrement pour discuter de questions mathématiques et de philosophie naturelle. Ces réunions étaient financées par Cesi, qui avait aussi utilisé sa fortune pour rassembler dans son palazzo une collection en perpétuelle augmentation de merveilles naturelles. Lorsque Galilée arriva, Cesi lui fit faire le tour de deux salles pleines à craquer de magnétites, d’échantillons de corail, de cornes de licorne, d’œufs de griffon, de noix de coco, de coquilles de nautile, de dents de requin, de bocaux contenant des fœtus monstrueux, d’escarboucles qui brillaient dans le noir, de carapaces de tortue, d’une corne de rhinocéros incrustée d’or, d’un bol de lapis-lazuli, de crocodiles séchés, de maquettes de canons, d’une collection de pièces romaines, et d’une boîte de camées réellement ravissants.
Galilée inspecta chacun de ces objets avec une authentique curiosité.
— Merveilleux, dit-il en regardant par le bout creux d’une corne de licorne enchâssée dans l’or. Elle doit être aussi grosse qu’un cheval.
— C’est bien ce qu’on dirait, n’est-ce pas ? répondit joyeusement Cesi. Mais venez voir mon herbarium…
Ainsi que le constata Galilée, Cesi était avant tout un botaniste. Il avait des centaines de feuilles et de fleurs séchées, présentées dans de gros livres épais et accompagnées de descriptions. Il montra ses préférées avec enthousiasme. Galilée l’observait attentivement. Il était jeune, beau, très fortuné, aimait la compagnie des hommes. Et il avait pour lui, Galilée, une admiration sans bornes.
— Vous êtes celui que nous attendions, dit-il alors qu’ils refermaient les herbiers. Nous avions besoin d’un mentor pour illuminer la voie vers des niveaux supérieurs, et maintenant que vous êtes là, je suis sûr que cela va arriver.
— Peut-être, s’autorisa Galilée.
Il aimait cette idée d’Académie des Lynx. Sortir du carcan des universités et de tous leurs péripatéticiens, hisser les mathématiques et la philosophie naturelle au plus haut niveau de pensée et d’étude : c’était grand, c’était nouveau, c’était une percée. Une nouvelle sorte d’institution, ainsi qu’une alliée potentielle.
Plus tard, ce jour-là, Cesi organisa un dîner pour présenter Galilée. La réception eut lieu dans les vignobles de monsignor Malvasia, en haut du Janiculum, la plus haute des collines de Rome. Il y avait là les membres des Lynx et une dizaine d’autres personnages qui partageaient leurs vues ; il faisait encore jour et on avait, depuis le Janiculum, une vue dégagée sur la ville, dans toutes les directions. Certains des Lynx venaient de l’étranger, tels que les Allemands Johann Faber et Johann Schreck, le Hollandais Jan Eck et le Grec Giovanni Demisiani.
Galilée commença par braquer sa lunette sur la basilique Saint-Jean-de-Latran, de l’autre côté du Tibre, à une distance d’environ trois milles, la gardant en ligne de mire pour laisser à tout le monde le temps de lire, en regardant dans l’oculaire, l’inscription sur la loggia, au-dessus de l’entrée latérale, telle que Sixte V l’avait fait sculpter au cours de la première année de son pontificat :
Sixtus Pontifex Maximus Anno primo
Comme d’habitude, tous furent stupéfiés par leur soudaine faculté à lire une inscription aussi distante. Lorsque chacun eut regardé plusieurs fois dans l’occhialino, et lu et relu l’inscription, de nombreux toasts furent proposés et portés. La réunion devint de plus en plus animée, les têtes se mirent presque à tourner ; les musiciens de Cesi, sentant l’esprit du moment, jouèrent une fanfare de trompettes qu’ils sortirent de sous leurs fauteuils. Galilée s’inclina, et alors que les cuivres jouaient, il tourna sa lunette vers la résidence du duc d’Altemps, qui se dressait loin à l’est, au sommet d’une colline située sur les contreforts des Apennins. Lorsqu’il l’eut en ligne de mire, les Lynx se massèrent à nouveau autour de lui pour compter à tour de rôle les fenêtres qui décoraient la façade de la grande villa, à une quinzaine de milles de là. Et le Janiculum fut ébranlé par des acclamations retentissantes.
Plus tard, cette nuit-là, après avoir beaucoup bu, mangé et parlé, et après qu’on eut jeté un bref coup d’œil à la Lune, qui était trop pleine pour que la lunette permette d’en montrer davantage qu’une masse blanche, Demisiani, le Grec, s’assit auprès de Galilée et se pencha vers lui.
— Vous devriez donner à votre instrument un nouveau nom grec, dit-il, son visage saturnin illuminé par cette suggestion, ou par le fait que c’était lui qui la faisait. Vous devriez l’appeler « télescope ».
— Telescopio ? répéta Galilée.
— Pour voir de loin. Tele scopio, voir à distance. C’est mieux que perspicullum, qui ne désigne qu’une lentille après tout, ou que visorio, qui ne veut dire que visuel, ou optique. Et occhialino fait un peu riquiqui, comme si vous vouliez simplement espionner quelqu’un. C’est trop petit, trop provincial, trop toscan. Les autres peuples ne l’utiliseront jamais, et ils devront créer des mots à eux. Alors que télescope, tout le monde le comprendra, tout le monde l’utilisera. Comme toujours, avec le grec !
Galilée hocha la tête. Assurément, les meilleurs noms scientifiques étaient toujours latins ou grecs. Kepler employait perspicullum.
— Les mots racines sont très anciens et basiques, dit Demisiani, de même que le fait de les associer.
Galilée bondit sur ses pieds et leva sa lunette au-dessus de lui, attendant que le groupe lui prête attention et fasse silence.
— Te-le-sco-pio ! beugla-t-il en laissant traîner les syllabes comme s’il appelait Mazzoleni, ou comme s’il annonçait le nom d’un champion.
Le groupe éclata en acclamations et Galilée, plein d’une joie soudaine, se pencha pour donner l’accolade au Grec radieux : évidemment, son invention était une telle nouveauté pour le monde qu’elle exigeait un nom nouveau ! Ce n’était plus un occhialino !
— TE-LE-SCO-PIO !
Qui peut dire combien des collines de Rome environnantes entendirent le groupe hurler le nouveau mot ? Personne. À lui seul, Galilée pouvait être entendu à mi-chemin de Salerne.
Le lendemain même, la nouvelle arriva : le pape voulait le voir.
Une audience avec le pape Paul V… Au Palazzo Firenze, la routine prit une allure légèrement frénétique. Dormir était difficile. Galilée n’essaya même pas. Il observa Jupiter en se demandant ce qui l’attendait, puis il finit quand même par s’assoupir. Il se réveilla tôt, avant le lever du soleil, et partit se promener tranquillement, à l’aube, dans le jardin à la française orné de statues. Il procéda à ses ablutions, prit un repas léger. Peut-être plus léger ce jour-là que d’ordinaire. Puis Cartaphilus et Giuseppe l’aidèrent à revêtir ses plus beaux atours, à choisir la plus sombre et la plus cérémonieuse de ses deux vestes habillées, qu’il commençait à porter un peu trop, depuis le début de son séjour. Presque tous les soirs, quand il sortait, il portait l’une ou l’autre, et les gens qu’il voyait de façon régulière avaient dû remarquer qu’il n’avait emporté avec lui qu’une garde-robe limitée.
Niccolini lui rendit visite alors qu’il mettait la dernière main à sa toilette, pour lui parler de l’audience, et pour lui conter les nouvelles des Avvisi, la gazette de Rome qui rapportait les potins et les rumeurs sur la semaine que venait de passer Sa Sainteté et ce qui semblait la préoccuper. Comme tout le monde, Galilée connaissait l’histoire du pape : le cardinal Camillo Borghese était un membre jusque-là obscur de cette famille parmi les plus puissantes et les plus redoutables, un canoniste dont l’élection comme pape était tellement inattendue qu’il la considérait lui-même comme résultant de l’intercession du Saint-Esprit, et voyait dans toutes ses actions pontificales subséquentes des intentions divines. Ce qui incluait la pendaison d’un certain Piccinardi, qui avait eu la désinvolture d’écrire (alors même qu’il ne l’avait pas fait publier) une biographie non autorisée du prédécesseur de Paul, Clément VIII, donnant à son pontificat un ton que nul n’oublia.
Niccolini ne rappela pas à Galilée cet exemple particulier de la sévérité de Paul, mais sut se faire comprendre de façon détournée. Le pontife, lui dit-il en manière d’avertissement, était rigide, entêté, péremptoire. Dans ces années pénibles où sévissait la contre-réforme, il ne tolérait aucun écart aux règles et aux tactiques fixées, un demi-siècle plus tôt, par le concile de Trente. Bref, c’était un pape.
— Comme d’habitude, le pouvoir papal lui a fait prendre un peu de poids, conclut Niccolini.
L’audience eut lieu à la Villa Malvasia, à l’endroit même où Galilée se trouvait la veille au soir. C’était l’idée du pape ; il avait envie de sortir du Vatican. Niccolini conduisit donc Galilée dans l’immense antichambre de la villa, et le présenta à Paul, en des termes plutôt guindés, et nerveusement.
Effectivement, le pape était gras – un homme énorme, presque sphérique sous sa robe rouge, affublé d’un cou charnu aussi large que sa tête, avec des yeux porcins enfoncés dans d’épais replis de peau. Il avait un petit bouc triangulaire. Galilée s’agenouilla devant lui et baisa l’anneau qu’on lui présentait, en murmurant la prière de révérence que Niccolini lui avait enseignée.
— Levez-vous, ordonna sèchement Paul, l’interrompant. Adressez-vous à nous debout.
C’était un grand honneur. S’efforçant de garder une contenance, Galilée se leva le moins maladroitement possible, puis inclina la tête.
— Marchez avec nous, ordonna Paul. Nous souhaitons faire un tour dans le jardin.
Galilée suivit le pape et marcha avec lui, Niccolini et une petite troupe d’assistants pontificaux et de serviteurs à leur suite. Ils se promenèrent dans le vignoble à flanc de colline, que Galilée connaissait déjà bien grâce aux nombreux banquets des semaines précédentes. Il s’habitua peu à peu à la brusquerie du gros homme, à sa démarche lente, et il se sentit de plus en plus à l’aise. Il paraissait avoir oublié le stylet qui traversait de part en part la tête de Paolo Sarpi, et s’adressa à Sa Sainteté comme à Dieu en personne. Il l’entretint surtout du bonheur qu’il avait de voir de nouvelles étoiles dans le ciel, soulignant quelle bénédiction c’était que d’assister aux nouveaux pouvoirs maintenant accordés à l’homme par le Seigneur.
— Certains évoquent les problèmes théologiques causés par ces découvertes, dit calmement Galilée, mais en réalité ces problèmes ne sont pas possibles, la création étant une et indivisible. Le monde de Dieu et la parole de Dieu sont nécessairement les mêmes, les deux étant de Dieu. Toutes les disparités apparentes ne sont qu’une question d’incompréhension humaine.
— Évidemment, répondit laconiquement Paul.
Il n’aimait pas la théologie. Il écarta ces questions comme il aurait chassé les abeilles qui bourdonnaient dans le vignoble alentour.
— Vous avez notre soutien en la matière.
Après cela, Galilée parla d’autres choses, se sentant emporté par cette déclaration comme une voile gonflée par le vent. Il perdit un peu de son sérieux, et recouvra un peu plus de sa personnalité de courtisan habituel. Après trois quarts d’heure de cette lente promenade dans les vignes, Paul jeta un coup d’œil à ses secrétaires et s’éloigna simplement vers sa litière, qui l’attendait devant la villa.
Surpris par ce départ abrupt, Galilée resta planté là, bouche bée, se demandant s’il avait offensé Sa Sainteté par une parole imprudente. Mais Niccolini lui assura que Paul se comportait toujours ainsi – et que, compte tenu de la fréquence de ses audiences, le temps qu’il économisait en coupant court aux adieux toujours prolongés se montait à une heure sinon plus tous les jours.
— Ce qui est surprenant, c’est qu’il soit resté aussi longtemps. Fallait-il qu’il soit sincèrement intéressé, sinon il serait parti beaucoup plus tôt.
En vérité, l’audience s’était merveilleusement déroulée, et Galilée avait été honoré d’une grande faveur en recevant l’ordre de se promener avec le pape. Ç’avait été l’une des audiences les plus amicales auxquelles l’ambassadeur avait jamais assisté. Un triomphe pour Galilée et pour Florence. Venant de Niccolini, qui était tout à coup enthousiaste, Galilée sut que ce devait être la vérité.
Après cela, Galilée perdit la tête – ce que son entourage put constater. L’interminable succession de banquets où il se trouvait au centre de toutes les attentions et de tous les éloges, la richesse des mets, les balthazars et les fiasques de vin, les longues nuits, où malgré toutes ces fêtes il restait debout pour continuer à observer Jupiter et ses lunes, si bien qu’il parvint à s’approcher des bonnes durées orbitales pour I, II, III et IV – alors même qu’il lui fallait encore se lever tôt le lendemain matin pour se préparer au festin suivant. Tout cela, il commençait à le payer. L’idée qu’il puisse ne pas ouvrir la bouche au cours d’une discussion, lors d’un banquet, que ce soit par suffisance ou pour toute autre raison, devenait risible. Il discourait, il faisait des laïus, il palabrait, il se vantait. Il avait toujours su qu’il était plus intelligent que les autres. Mais pendant toutes ces années où il n’avait pas franchement semblé en profiter, cela l’avait moins impressionné. Maintenant, alors qu’il se faisait une idée de plus en plus haute de lui-même, il commençait à utiliser son esprit comme une épée ou, pour être plus précis, compte tenu du mode buffo, rugueux, de son humeur, comme une massue. Le buffo se faisait buffare au fur et à mesure qu’il se gonflait de sa propre importance.
Ainsi, alors qu’il parlait, un soir, de la surface accidentée de la Lune que son télescope révélait si nettement, il rappela à tous que c’était là un gros problème pour les pauvres péripatéticiens : l’orthodoxie aristotélicienne voulait que tout, dans les cieux, soit parfaitement géométrique, par conséquent la Lune devait être une sphère parfaite. Même le père Clavius, dit-il, s’était risqué à écrire que, bien que la surface visible de la Lune soit inégale, cela pouvait être illusoire, et que toutes ses montagnes et ses plaines pouvaient être encloses dans une coque de cristal transparente qui constituait sa sphéricité parfaite. Le ton de la voix de Galilée traduisait son incrédulité devant cette opinion, et, si le public ricanait, il lui prêtait également une attention croissante. Tout cela devenait de plus en plus limite.
Cartaphilus avait rejoint certains des autres serviteurs en empruntant un oreiller et une bouteille de vin et en s’étendant dans le vignoble, hors de portée de la lumière qui baignait la longue table de banquet. Il écoutait et regardait les invités dans leurs beaux atours et couverts de joyaux comme s’ils avaient formé un tableau qui aurait pris vie et se serait animé pour eux seuls. Mais il se redressa et posa sa bouteille lorsque Galilée commença à tourner le célèbre vieux jésuite en dérision :
— Dans la mesure où chacun a le droit d’imaginer ce qui lui chante, alors bien sûr n’importe qui peut dire que la Lune est entourée par une substance cristalline, transparente et invisible ! Qui pourrait le contredire ? Je l’accorderai sans objection, pourvu que, avec une égale courtoisie, on me permette de dire que le cristal a, à sa surface extérieure, un grand nombre de gigantesques montagnes, trente fois plus hautes que celles de la Terre, mais invisibles parce qu’elles sont diaphanes. Je puis donc me représenter une autre Lune dix fois plus montagneuse que je ne l’ai dit la première fois !
Autour de la table, les invités se mirent à rire.
— L’hypothèse est jolie, poursuivit Galilée, aiguillonné par leur amusement. Mais son seul défaut est de n’être ni démontrée, ni démontrable ! Comment ne pas voir que c’est une fiction purement arbitraire ? Alors quoi, si pour vous l’atmosphère terrestre est aussi une sorte de coque transparente, bien sûr que la Terre est elle aussi parfaitement sphérique !
Tous rirent de plus belle. Cela faisait des années que Galilée, avec son mélange si caractéristique d’esprit et de sarcasme, faisait rire les gens. Mais Christopher Clavius s’était toujours montré amical à son égard ; sans compter que, d’une façon générale, il n’était jamais bon de se moquer des jésuites. Surtout publiquement, à Rome, et juste avant le somptueux banquet que les jésuites se préparaient à donner au Collège de Rome en l’honneur de vos succès. C’était pourtant exactement ce que Galilée faisait. Cartaphilus en était réduit à gémir et à se remettre à boire à même sa bouteille ; vu depuis l’obscurité du vignoble, le spectacle de Galilée debout dans la lumière des torches de la longue tablée de fêtards assis sur leur chaise était une sorte de vivant tableau de l’Orgueil avant la Chute.
Mais il ne s’en apercevait pas. Il mangeait, il parlait, il se pavanait. Il braqua son télescope sur le Soleil en utilisant une méthode d’observation suggérée par Castelli. On se servait du tube pour diriger, à travers lui, la lumière du soleil sur une feuille de papier où l’on pouvait regarder le grand cercle éclairé à son aise, sans danger pour les yeux. Il devenait alors immédiatement évident pour n’importe quel spectateur que l’image éclairée du soleil était criblée de petites taches sombres, indistinctes. Au fil des jours, ces taches sombres se déplaçaient sur la face du Soleil d’une façon qui suggérait à Galilée que le Soleil tournait aussi, à une vitesse telle qu’il estima la longueur de sa journée à environ un mois. Il tournait donc à une vitesse comparable à celle de la Lune dans sa course autour de la Terre ; et ils faisaient la même taille dans le ciel. C’était bizarre. Chaque jour, il esquissait des schémas des taches solaires, et plaçait les croquis côte à côte pour montrer la succession des emplacements.
Galilée revendiqua pour lui-même la découverte de la rotation du Soleil, alors que certains astronomes – des jésuites, encore une fois – suivaient les taches solaires depuis pas mal de temps déjà. Il proclama haut et fort sa découverte, prétendant ne pas être conscient du fait qu’elle avait de quoi embarrasser les péripatéticiens, et ne pas voir non plus qu’elle contredisait certaines des assertions astronomiques de la Bible. Il s’en fichait. Aurait-il remarqué que cela posait problème à ses adversaires qu’il se serait probablement contenté de leur lâcher une autre blague lourdingue, mordante, à ce sujet.
Pour le moment, aucune de ces inélégances ne semblait avoir d’effet néfaste. Au banquet que les jésuites donnèrent en son honneur, personne ne parla de sa sortie aux dépens de Clavius, et l’astronome jésuite hollandais que Galilée avait rencontré auparavant, Odo Maelcote, lut un commentaire érudit du Sidereus Nuncius qui confirmait toutes les découvertes annoncées par Galilée. Il n’avait, apparemment, aucune raison de s’inquiéter.
Puis à Niccolini, enthousiaste de fraîche date, succéda, en tant qu’ambassadeur de Cosme à Rome, Piero Guicciardini ; lequel, ayant trouvé Galilée au sommet de sa grandiloquence, le prit en grippe. Tandis qu’à Florence Belisario Vinta fut remplacé en tant que secrétaire de Cosme par Curzio Picchena, qui avait en commun avec Guicciardini de voir d’un assez mauvais œil la virulence avec laquelle Galilée se faisait l’avocat de la position copernicienne. Ils ne voyaient pas pour quelle raison les Médicis se laisseraient entraîner dans une controverse potentiellement très embarrassante. Mais si Galilée remarqua ces nouveaux venus et prit bonne note de leur attitude vis-à-vis de lui, encore une fois, il ne parut pas s’en soucier.
Pendant ce temps, le cardinal Bellarmino, le plus proche conseiller du pape Paul – lui aussi un jésuite, et l’inquisiteur qui s’était occupé du cas Giordano Bruno –, déclencha une enquête sur les théories de Galilée. Probablement à l’instigation de Paul, mais les espions à l’intérieur du Vatican qui en avaient eu vent ne pouvaient le garantir. Bellarmino, disaient-ils, avait lui-même regardé dans un télescope ; il avait demandé l’avis de ses collègues jésuites ; il avait assisté à une réunion du Saint-Office de la Congrégation qui, par la suite, avait commencé à s’intéresser à l’affaire. Il semblait bien que Bellarmino fût celui qui avait ordonné l’enquête.
Mais, ne sachant trop quoi en penser, personne ne parla à Galilée de ce développement préoccupant. Lui, de son côté, à cause de son entrevue avec le pape et de tout ce qui lui était arrivé d’autre, était infatué de lui-même, arrogant et présomptueux. La visite à Rome avait porté plus de fruits qu’il n’en escomptait, c’était un triomphe sous quelque angle qu’on l’envisageât, même si Guicciardini laissait entendre qu’il valait mieux partir alors qu’il était encore adulé. L’ambassadeur resta juste à la limite de la courtoisie à ce sujet, mais si Galilée s’était glissé dans son bureau et avait regardé les lettres posées sur sa table de travail, ce qui n’aurait pas été très difficile en vérité, il aurait eu une impression plus juste de l’état d’esprit de l’ambassadeur :
Galilée n’a pas la force de jugement nécessaire pour se contrôler, de sorte qu’il rend le climat de Rome très dangereux pour lui-même, surtout en ces temps où nous avons un pape qui déteste les génies.
Au bout d’un certain temps, Galilée comprit les allusions de l’ambassadeur, ou prit sa décision de son propre chef, et annonça qu’il rentrait à Florence. Le cardinal Farnese donna un banquet d’adieu en son honneur et l’accompagna dans son voyage de retour vers le nord jusqu’à Caprarola, la villa que les Farnese possédaient à la campagne, où Galilée fut invité à se reposer luxueusement une nuit. Galilée emportait avec lui un rapport écrit qu’il avait demandé au cardinal del Monte, adressé à Cosme et à Picchena. Le cardinal concluait son hommage en ces termes : Eussions-nous encore vécu sous l’ancienne république de Rome, je suis sûr qu’une statue aurait été érigée en son honneur au Capitole – peut-être à côté de la statue de Marc Aurèle, qui s’y trouvait encore. On aurait pu trouver pire compagnon de gloire. Pas étonnant que tout cela ait tourné la tête de Galilée. Pour ce qu’il en savait, sa visite à Rome était un succès complet.
Une fois rentré à Florence, les choses continuèrent sur cette lancée. Il fut dignement fêté par Cosme et sa cour, et il était clair que Cosme était extrêmement satisfait de lui. En réalité, sa performance romaine avait fait paraître particulièrement avisé le parrainage de Cosme.
Le « jeune » Médicis n’était plus si jeune ; il trônait à la tête de sa table en homme habitué à commander, et le garçon dont Galilée se souvenait si bien avait presque entièrement disparu. Physiquement cependant, Cosme n’avait pas trop changé : mince, un peu pâle, ayant presque les mêmes traits que son père, c’est-à-dire le nez long, la tête étroite et le front noble. Il n’était pas très robuste, mais il était maintenant beaucoup plus sûr de lui, ce qui se comprenait : c’était un prince. Et il avait, comme tout le monde, lu son Machiavel. Il avait donné des ordres stricts, auxquels tout le duché s’était plié.
— Maestro, vous avez fait une très forte impression aux Romains, dit-il d’un air satisfait en levant son verre devant l’assemblée. À mon vieux professeur, merveille de notre époque !
Et les Florentins se réjouirent encore plus vivement que les Romains.
Peu après son retour, Galilée fut impliqué dans un débat relatif à l’hydrostatique : pourquoi la glace flottait-elle ? Son adversaire était son vieil ennemi Colombe, le petit merdeux teigneux qui avait essayé de lui accrocher des objections scripturales au cou et par là même de l’envoyer en enfer. Galilée avait hâte de lui enfoncer ses dagues dans le corps alors que ses victoires romaines étaient encore fraîches dans l’esprit de tout le monde, et alla – oui – à la controverse tel un taureau qui aurait vu rouge. Mais il se retrouva frustré par Cosme, qui lui ordonna de ne débattre avec des ennemis aussi insignifiants que par écrit, et de passer par-dessus la tête de ce moucheron pour s’adresser au monde entier. Galilée le fit, écrivant de ces lettres fleuves dont il était coutumier, Cosme lui ordonnant ensuite de débattre du problème oralement avec un professeur de Bologne appelé Papazzoni, que Galilée venait d’aider à obtenir un poste de professeur à Il Bo. Autant attacher un agneau à un piquet pour le faire tuer et dévorer par un lion, mais Galilée et Papazzoni étaient condamnés à jouer leurs rôles respectifs, et Galilée ne put s’empêcher d’y prendre plaisir. Après tout, la mise à mort n’était que verbale.
Puis le cardinal Maffeo Barberini passa par Florence en allant à Bologne. Comme le cardinal Gonzaga se trouvait être, lui aussi, en ville, Cosme les invita tous les deux à assister à une répétition du débat de Galilée sur les corps flottants, qui devait avoir lieu lors d’un dîner à la cour, le 2 octobre. Papazzoni fit de nouveau une apparition, à contrecœur, et après un festin et un concert, et avoir beaucoup bu, Galilée le massacra à nouveau sous les rires rugissants du public. Sur quoi le cardinal Gonzaga se leva et surprit tout le monde en défendant les thèses de Papazzoni. Barberini cependant, avec un sourire appréciateur, se rappelant peut-être leur chaleureuse rencontre du printemps précédent, à Rome, prit parti pour Galilée.
Ce fut donc une nouvelle soirée triomphale pour Galilée. Lorsqu’il quitta le banquet, bien après minuit, et longtemps après le sacrifice de Papazzoni, le cardinal Barberini le prit par la main, lui donna l’accolade, lui souhaita le bonsoir et promit qu’ils se reverraient bientôt.
Le lendemain matin, alors que Barberini s’apprêtait à partir pour Bologne, Galilée ne vint pas assister à son départ, ayant été de manière inattendue retenu chez lui par une maladie dont il avait souffert toute la nuit. De la route, Barberini lui écrivit ce mot :
Je suis vraiment navré que vous n’ayez pu me voir avant que je quitte la ville. Non que je considère comme nécessaire un signe de votre amitié, dont je suis bien assuré, mais parce que vous étiez malade. Puisse Dieu veiller sur vous, non seulement parce que les personnes aussi exceptionnelles que vous méritent une longue vie au service du public, mais aussi à cause de l’affection particulière que j’ai et aurai toujours pour vous. Je suis heureux de pouvoir vous dire cela, et de vous remercier pour le temps que vous m’avez consacré.
Votre frère affectionné,
« Votre frère affectionné » ! Comme ami haut placé, il se posait là… Il semblait donc qu’il avait désormais un protecteur romain à ajouter à son parrain florentin.
Tout n’était que triomphe. En vérité, il eût été difficile d’imaginer comment les choses auraient pu mieux se passer, depuis deux ans, pour Galilée et son télescope : le statut scientifique, le statut social, un protecteur à Florence et un autre à Rome – tout cela à son summum, et Galilée se tenait légèrement sonné, au faîte de ce qui s’était révélé être une double anno mirabilis.
Aussi, pourquoi retourna-t-il à Rome moins de quatre ans plus tard ?
Parce qu’il y avait des courants souterrains et des forces contraires ; des gens qui faisaient interférence. Des choses se produisaient, même ce matin-là, où Galilée ne vint pas assister au départ du cardinal Barberini. Galilée avait été malade, oui ; il avait fait une syncope en rentrant chez lui après le banquet. Cartaphilus avait sauté de la carriole devant la maison qu’il louait à Florence, il avait arrêté le cheval et ouvert la porte ; et là, dans la petite cour se tenait l’étranger, son énorme télescope déjà fixé sur le gros trépied.
Dans son latin croassant, l’étranger avait dit à Galilée :
« Vous êtes prêt ? »