Un homme chevauchant haut dressé sur la roue de la Fortune Ne peut dire qui l’aime vraiment
Parce que ses véritables et faux amis sont debout côte à côte Et lui montrent une égale dévotion.
Mais s’il devait vivre des moments difficiles Sa cour de flatteurs s’esquiverait.
Seuls ceux qui aiment avec le cœur
Resteront debout auprès de lui quand il sera mort au monde.
Un long moment passa et ne passa pas dans cette maison de douleur ; le vieil homme traînait au lit, incapable de dormir ou de se réveiller. Lorsqu’il réussissait à s’endormir, il dormait comme un mort et envoyait promener quiconque l’incitait à se lever. Et puis, si la Piera y parvenait malgré tout, il se traînait sur le patio et s’y recouchait. On ne pouvait le convaincre de manger. Parfois, il faisait une incursion à la cuisine et emportait une miche de pain dans le jardin, s’asseyait par terre et déchirait avec ses dents un bout de pain qu’il mâchait sinistrement. Quand il avait fini, il lui arrivait de se mettre à arracher les mauvaises herbes sous les légumes, mais il arrachait aussi souvent les jeunes pousses que les mauvaises herbes, les yeux aveuglés par les larmes. De toute façon, il n’y voyait presque plus de l’œil droit. Parfois il renonçait et s’allongeait par terre. À son bureau, il se contentait de remuer ses papiers et de les regarder, sans les voir. Il finissait par écrire quelques lettres, répondre à certains messages de sympathie. L’écriture était devenue son langage. Et il lui était peut-être plus facile de parler à des étrangers. À un correspondant français qu’il connaissait à peine, il écrivit :
Ici, je vis dans le silence, rendant souvent visite au couvent voisin, où mes deux filles étaient nonnes. Quoique les chérissant toutes les deux, j’appréciais particulièrement l’aînée, femme d’un esprit délicat, d’une bonté singulière, et qui m’aimait tendrement. Sa santé s’était beaucoup dégradée pendant mon absence, et elle n’avait pas suffisamment pris soin d’elle-même. Elle fut emportée par la dysenterie après six jours de souffrance, me laissant dévasté par le chagrin et incapable de parler. Et par une sinistre coïncidence, en rentrant chez moi du couvent, en compagnie du docteur qui venait de me dire que son état était sans espoir et qu’elle ne passerait pas la journée du lendemain, ce qui malheureusement se confirma, j’ai trouvé là le vicaire de l’inquisiteur. Il m’a informé d’un mandement du Saint-Office de Rome m’enjoignant de cesser de quémander des grâces, faute de quoi on m’enverrait pour de bon dans les geôles du Saint-Office. Ce dont j’infère que mon présent emprisonnement n’aura de cesse que lorsqu’il aboutira à l’autre qui nous est commun à tous, des plus stricts et destiné à durer éternellement.
À une autre lointaine connaissance il écrivit :
Je suis en proie à une tristesse et une mélancolie infinies, alliées à un extrême manque d’appétit. Un perpétuel manque de sommeil m’effraie, me rendant odieux à moi-même, et j’entends continuellement les appels de ma fille bien-aimée.
Pendant ce long silence, la Piera faisait marcher la maisonnée. Elle laissait tomber la nourriture dans l’assiette du maestro avec le même air absent, méthodique, qu’elle avait pour couper la tête des poulets. Galilée mangeait comme s’il était mort. Il avait entendu le silence qui montait des ténèbres abyssales. Il savait maintenant que tous les gémissements qu’il avait poussés après son procès n’étaient rien. Être désespéré par le jugement des autres, juste pour une idée, c’était absurde. Enfin, le chagrin aussi était une idée. Et plus on vieillissait, plus on avait de chagrin en soi. Il y avait probablement une équation pour ce changement de chagrin, un taux d’accélération. Comme quand on laissait tomber une pierre. On rassemblait tous ses soi-même juste au moment de s’écraser à terre, si bien qu’ils partaient tous à vau-l’eau. La tempête de sable tombe à terre, ses trombes de vent disparues, les atomes, les affections de ce champ particulier dispersés. Si quelque chose en était conservé, pensait-il, assis dans le jardin, en train de regarder les signes du printemps dans les plantes, cela devait être dans les générations suivantes. Une chose qui pourrait être utilisée. C’était tout ce qui resterait dans le temps.
Un après-midi, en allant au couvent à pied, il tomba sur sœur Arcangela. Elle fut surprise de le voir et détourna le visage.
— Assieds-toi, lui dit-il. J’ai apporté des cédrats confits.
Et il s’assit sur un banc au soleil. Elle refusait de parler, mais il était difficile de résister aux cosses de cédrat. Elle finit par s’asseoir tout au bout du banc. Elle prit les cosses et les mangea, sans cesser de regarder de l’autre côté. Au bout d’un moment, elle se roula en boule sur le banc comme une chatte, lui tournant le dos, mais de telle façon que l’arrière de sa tête touchait la jambe de son père. Elle semblait s’être endormie.
Galilée resta assis là, à regarder les fraisiers à ses pieds. Les nouvelles feuilles sortaient du sol, minutieusement pliées. Une nouvelle feuille était toujours un miracle quand on la regardait de près. La petite plante émergeait de la boue brune, granuleuse et peu engageante. De la terre humide, rien de plus. Et pourtant, il y avait des feuilles. La terre, l’eau, l’air, le feu subtil du soleil, faisant entrer la vie dans toute chose. Un Dieu sait quoi dans le mélange de tout ça, et un Dieu sait quoi au-delà… Pendant un long moment, Galilée resta là à regarder, se sentant à la limite de la compréhension, de la clarté de vision. Le sentiment enfla en lui ; il prit conscience du fait que c’était une émotion qu’il avait toujours éprouvée, que sa vie entière avait été un cas de presque-vu prolongé. Presque vu ! Presque compris ! Le ciel bleu vibrait tout entier de cette sensation.
Avant de rentrer chez lui, il alla voir la mère abbesse. Récemment, Arcangela avait quitté le couvent et erré dans les rues d’Arcetri et les sentiers des alentours, jusqu’à ce que quelqu’un s’en rende compte et qu’il faille partir à sa recherche. Galilée dit à la mère abbesse :
— Si elle sort, laissez-la partir. Elle reviendra toujours pour le souper. Sinon, j’enverrai l’un des garçons la chercher.
Et puis, parce qu’il était vieux, parce qu’il avait tout perdu et que tous ceux qu’il chérissait le plus étaient morts, parce que la vie n’avait plus de sens et qu’il n’avait plus rien à faire pour remplir ses heures préposthumes, il se prit à mettre par écrit les résultats des expériences auxquelles ils s’étaient livrés, Mazzoleni et lui, à Padoue, quarante ans auparavant.
Pour l’aider à se lancer, nous disposâmes ses vieux folios sur la table sous l’arcade, comme si nous les avions sortis pour les épousseter. Parfois, il tournait les pages, puis, avec un gros soupir, il prenait une plume et jetait quelques notes, ou transcrivait une conversation qui se déroulait dans sa tête. Ce n’était qu’une façon de passer le temps avant que la mort l’emporte ; au début, du moins.
Et puis, d’une façon ou d’une autre, il se prit au jeu, et il se remit à transpirer et à grommeler comme au bon vieux temps. Travailler, travailler, travailler ; le travail de la pensée, de comprendre une chose qui n’avait jamais été comprise auparavant ; c’était le travail le plus dur du monde. Et il adorait ça. Il en avait besoin. Arcangela ne voulait toujours pas lui parler, même s’il lui arrivait de s’aventurer jusqu’à la maison et de venir rôder autour de la porte, comme un chien perdu. Dame Alessandra était en Allemagne, et les lettres qu’il lui envoyait étaient fatalement limitées en longueur, surtout parce que la plupart des choses qu’il aurait voulu lui dire ne pouvaient être mises par écrit mais seulement traduites en commentaires sur le jardinage et le temps. Les heures qui suivaient les matinées durant lesquelles il écrivait ces lettres lui pesaient lourdement. Et pourtant le livre de sa vie restait encore à écrire. Alors, au boulot.
Presque tout le matériau était dans sa tête, ou en tout cas dans ses notes, depuis bien avant 1609, avant que l’arrivée du télescope bouleverse sa vie. Il avait rédigé des notes et fait des croquis des diverses propositions à l’état brut au cours de ses intenses années de collaboration avec Mazzoleni, dans l’atelier de Padoue, pensant déjà à l’époque coucher tout cela par écrit sous forme de livre durant l’année scolaire suivante. Il y avait maintenant trente ans qu’il avait arrêté, et certaines des notes avaient été transcrites par Guiducci et Arrighetti, mais il n’avait pas rouvert la plupart de ses carnets depuis cette époque. Certaines pages lui posèrent même de sérieuses difficultés de compréhension. C’était comme de lire l’écriture d’un autre homme ; et il supposait que c’était bel et bien le cas, parce qu’il revoyait à présent les travaux d’un Galilée complètement différent, plus jeune et plus souple d’esprit. Et si tous ces « moi » du passé n’avaient aucune importance, quoi qu’ils aient pu écrire ? se demandait-il. Et si la seule personne qui importait vraiment était celle qu’on était maintenant ? Parce que c’est comme ça, et pas autrement.
Il se mit donc au travail et s’absorba dans la géométrie. L’horrible année 1634 passa. Une nouvelle récolte poussa dans les champs, il y avait des mauvaises herbes à arracher, l’une après l’autre. Et puis, au bout d’un certain temps, il en arriva à ne plus pouvoir distinguer son chagrin de tout le reste. C’était le monde qui était comme ça. Ainsi allait-il.
Les pages s’empilaient. Il continuait à faire dialoguer entre eux Salviati, Sagredo et Simplicio. Nous pensions tous que cette petite bravade était bon signe ; l’emploi de ces noms n’avait pas été interdit, la forme du dialogue n’avait pas été interdite, et pourtant ils rappelleraient à tous le livre qui avait été interdit. Évidemment, il était vraisemblable qu’ils interdiraient celui-ci avant même sa publication. Le Dialogo et les Discorsi – deux livres très dangereux, car trop réels.
Il trouva intéressant de revoir ses vieilles notes et ses schémas. Ce faisant, il ne pouvait s’empêcher de repenser également à toutes les autres choses qui étaient arrivées à Padoue, quand il écrivait ces pages. Dix-huit longues années passées à enseigner les mathématiques à des étudiants, à Il Bo, à vivre dans la maison de la Via Vignali – à faire cours, diriger des étudiants, travailler sur la boussole militaire, inventer de nouveaux instruments, essayer de déterminer diverses qualités et propriétés dans les démonstrations d’atelier. Là, par exemple, il y avait une page sur le poids de l’air comparé à celui de l’eau. Toutes ces années passées à prendre le bac pour Venise, pour boire, manger et bavarder avec ses amis, pour s’amuser avec les deux cent quarante-huit filles, et plus tard pour voir Marina. Tout n’était qu’un immense bazar, une espèce de carnaval dans sa tête ; en fait, il était incapable d’associer une expérience donnée à une année donnée, comme si elles étaient toutes d’une pièce : Padoue. C’était curieux, mais cette époque lui donnait à la fois l’impression d’avoir eu lieu la veille et d’être séparée de lui par un abîme d’un million d’années – encore une manifestation de l’étrange dualité du temps. Étrange aussi qu’il se soit si furieusement débattu pour échapper à cette vie, alors qu’elle se révélait avoir été précisément la période la plus heureuse qu’il ait jamais connue ! Comment avait-il pu être aussi stupide ? Comment avait-il pu ignorer ce qu’il avait ? Il y avait une profonde stupidité dans l’ambition, une cécité dans cette façon guindée de se prendre au sérieux. Ce refus d’apprécier le moment présent, et donc de reconnaître le bonheur – et pourtant, il n’y avait rien de plus important, de profiter de cette sensation que quelque chose tintait en lui, qui l’envahissait quand il discernait une preuve, ou comme lors de cette première nuit avec Marina, ou parfois sur le bac, à l’aube, quand il traversait la lagune pour regagner la terre ferme. C’était ça, les moments qui comptaient.
— Mazzoleni, je suis un imbécile.
— Je ne sais pas, maître, objectait le vieux. Et nous, alors, qu’est-ce qu’on est ?
— Ha ha.
Bientôt, ces moments de vie dans lesquels il était piégé actuellement finiraient par se fondre et ne plus former qu’un seul bloc : les matins vautré dans le jardin, les après-midi à travailler sur les nouveaux dialogues ; le chagrin pour Maria Celeste, qui imprégnait tout de sa lumière noire. Arcangela qui tournait la tête quand il venait en visite, ce non-regard, pire que n’importe quel regard, qui était au moins un contact. Sa belle-sœur, Anna Chiara Galilei, qui s’était installée avec ses trois filles et son plus jeune fils, Michel-Ange, à Il Gioello, où ils avaient été tous les cinq balayés par la peste. La lumière noire qui revenait tout envahir, tout ce qui formait l’unique bloc de cette époque particulière.
Les gens continuaient à lui écrire, et cet automne-là, un matin, en se levant, il fit une pile de toutes ces lettres et commença à répondre. À répondre aux questions, et à se renseigner sur les recherches que les autres faisaient en mathématiques ou en physique. Il leur parlait des nouveaux dialogues qu’il avait commencé d’écrire. Il était évidemment improbable qu’il puisse jamais les faire publier. Le fait qu’il utilise les trois mêmes personnages ne faisait qu’accroître la difficulté. C’est pourquoi, lorsqu’un correspondant de longue date, mais qu’il n’avait jamais rencontré, Elia Diodati, écrivit de Hollande pour lui demander s’il pouvait publier un nouveau livre, Galilée accepta très vite.
Au départ, cela semblait être une bonne chose ; mais nous nous rendîmes bientôt compte que Galilée faisait preuve d’une exigence croissante vis-à-vis de son livre, et il nous apparut qu’il ne réussirait jamais à le terminer. Il devint évident qu’il n’avait pas envie de le finir, que pour lui, ce serait comme de finir sa vie. Il essayait d’y mettre tout ce qu’il avait appris, tout ce qu’il avait cru possible – tout, sauf les sujets cosmologiques qu’il lui était interdit d’aborder. De toute façon, il s’agissait de questions spéculatives, mystérieuses, quelle que soit la façon dont on essayait d’y voir clair – ainsi que le prouvaient les troublantes informations qui lui arrivaient de ses correspondants sur les heures de marée dans l’Atlantique, qui démontraient que sa théorie sur la formation des marées était fausse, ce qu’il était bien obligé d’admettre dans ses réponses.
Alors que d’un autre côté, avec ces propositions simples sur le mouvement, la force, la friction et la résistance, il pouvait s’en tenir aux seules assertions qu’il avait démontrées par l’expérience. Après toutes ses suppositions sur les comètes, les étoiles et les taches solaires, sur la flottabilité, le magnétisme et les fascinants mystères qu’il ne pouvait comprendre, n’ayant pas les bases suffisantes, et qui étaient en fin de compte l’équivalent de l’astrologie, c’était un plaisir terrible de ne mettre par écrit que ce qu’il avait vu et expérimenté.
— C’est le livre que j’aurais dû écrire depuis le début, dit-il un jour alors qu’il finissait d’écrire. Ça, et rien que ça. J’aurais dû éviter les mots et m’en tenir aux équations, comme Euclide.
Soit un plan incliné AC et la perpendiculaire AB, chacun ayant la même hauteur verticale par rapport à un plan horizontal BA ; je dis que la durée de la descente d’un corps le long du plan AC est proportionnelle à la durée de la chute le long de la perpendiculaire AB, et que le rapport est le même que celui de la longueur AC à AB.
L’espace et le temps, en relation. Tellement satisfaisant ! Un petit tintement de cloche !
Dans le premier jour de dialogue du nouveau livre – là, sous l’arche rose du palais de Sagredo sur le Grand Canal qu’il avait dans la tête –, il faisait discuter Salviati, Sagredo et Simplicio des sujets suivants : les rapports qu’il y avait entre la taille et la puissance des machines ; la résistance des cordes tressées ; une méthode de séparation de l’action du vide des autres causes ; le point de rupture d’une colonne d’eau, qui était toujours de dix-huit coudées ; le rôle du feu dans la liquéfaction du métal chaud ; le paradoxe de l’infini dans l’infini ; la géométrie des surfaces ; une expérience pouvant permettre de déterminer la vitesse de la lumière ; les problèmes et les théorèmes de la géométrie projective ; des études sur la flottabilité et la vitesse de chute des objets ; des études sur la raison pour laquelle l’eau perle sur certaines surfaces ; des études sur la nature de la vélocité terminale et sur la résistance de l’air, ainsi que sur la résistance de l’eau et la résistance du vide ; les résultats d’expériences visant à peser l’air, à découvrir le rapport existant entre le poids de l’eau et celui de l’air (qui était de quarante à un, et non de dix à un, comme le croyait Aristote) ; les résultats de diverses expériences sur les plans inclinés destinées à mesurer la vitesse à laquelle chutent les objets ; des plans pour des pendules élaborés à partir de divers matériaux ; des études sur la percussion et l’impact ; et enfin, une longue discussion sur les harmonies et les dissonances en musique, expliquées sous forme de fonctions proportionnelles des vibrations de la corde d’un pendule, avec des spéculations sur les raisons pour lesquelles de tels sons peuvent créer des émotions aussi fortes.
Le deuxième jour, les trois personnages discutaient de l’équilibre des poutres, et de la détermination de la forme qu’elles devaient avoir pour offrir une résistance constante quelle que soit leur taille.
Le troisième jour, ils discutaient de questions de mouvement, local et uniforme ; de vitesse et de distance ; du mouvement naturellement accéléré, où tout était dit sur la gravité, en dehors du mot lui-même ; des expériences sur les plans inclinés pour tester le mouvement ; des expériences sur les pendules portant sur les mêmes questions ; et divers théorèmes sur la descente des plans inclinés, avec des comparaisons avec la chute verticale.
Le quatrième jour, les trois personnages discutaient du mouvement des projectiles, comme étant une combinaison de mouvements uniformes et naturellement accélérés, menant au théorème de la semi-parabole, avec de nombreuses tables donnant les résultats tirés des expériences qui soutenaient ces assertions, et qui laissaient les objets parler pour eux-mêmes.
Dès le début du dialogue, Salviati disait quelque chose qui surprit Galilée lorsqu’il le relut plus tard :
Et je dois relater ici une circonstance bien digne de votre attention, tout comme en vérité chacun des événements qui se sont produits contrairement aux attentes – surtout lorsqu’une mesure de précaution se révéla être la cause d’un désastre.
Il s’aperçut soudain que c’était en 1615 ; sa mesure de précaution avait conduit au désastre. Mais comment le savoir avant les faits ? Et d’ailleurs, n’était-on pas obligé d’essayer ? Mais bien sûr. On ne pouvait faire autrement que d’essayer. Tout ce qu’on apprenait y poussait.
Il avait fait de son mieux avec les moyens à sa portée. Tout en écrivant, en y réfléchissant, il faisait présenter sa défense par Salviati :
Notre Académicien a beaucoup réfléchi à cette question, et conformément à son habitude il a tout démontré par des méthodes géométriques, de sorte que l’on pourrait bien qualifier ce qu’il fait de « nouvelle science ».
— « Il a tout démontré par des méthodes géométriques » ! s’exclama Galilée en relisant sa phrase.
Secouant la tête, il s’exclama :
— Ha ! Si seulement c’était possible ! Ce serait une nouvelle science, en effet…
Et comme le livre continuait à grossir, page après page, il continuait d’écrire des choses qui devaient le surprendre plus tard – des choses qu’il ignorait savoir.
Les notions d’« égal », « plus grand que » et « moins grand que » ne sont pas applicables aux quantités infinies.
Stupéfiante est la force qui résulte de l’addition d’un nombre immense de petites forces. Il n’y a aucun doute quant au fait que n’importe quelle résistance, pourvu qu’elle ne soit pas infinie, ne puisse être vaincue par une multitude de forces minuscules.
L’infini et l’indivisibilité sont par leur nature même incompréhensibles pour nous ; imaginez alors ce qu’elles sont lorsqu’on les combine. Et pourtant, tel est notre monde.
Toute vitesse, une fois transmise à un corps en mouvement, sera strictement conservée tant que les causes extérieures d’accélération ou de ralentissement sont supprimées… Le déplacement le long d’un plan horizontal est perpétuel ; parce que si la vitesse est uniforme, elle ne peut être diminuée ou amoindrie, et encore moins annulée.
Un corps qui descend le long d’un plan incliné et poursuit son déplacement sur un plan incliné vers le haut remontera, en fonction du moment acquis, à une hauteur égale au-dessus du plan horizontal ; et la proposition demeure vraie, que l’inclinaison des deux plans soit identique ou différente.
Par moments, pendant qu’il écrivait, il avait l’impression que Salviati et Sagredo étaient encore en vie quelque part et lui parlaient, de là où ils étaient, leur esprit plus vivant que jamais. Parfois, il mettait dans le livre des choses qu’il les avait entendus dire dans la vie, comme celle-ci, l’une des nombreuses et subtiles remarques que Salviati avait faites en passant :
De la même manière que, parfois, une merveille est diminuée par un miracle, j’espérais supprimer, ou au moins diminuer, une improbabilité en essayant d’en introduire une similaire ou plus grande.
Une merveille diminuée par un miracle. Il lui semblait que cela lui était arrivé bien souvent. Il avait vécu dans un miracle.
Par moments, ces voix qui sortaient de la page disaient des choses qui avaient le mystérieux pouvoir de l’émouvoir :
Je vous prie de considérer, messieurs, de quelle manière des faits qui paraissent au départ improbables laisseront, même après une brève explication, tomber le voile qui les dissimulait et s’avanceront dans la simplicité de leur beauté nue.
Il l’avait vu, il l’avait senti ; il avait vu tomber le voile et s’avancer la beauté. Une image évoquée par la phrase surgit des profondeurs de son regard intérieur, toute nue, toute simple, invisible, mais presque vue. Une beauté comme Marina, mais plus grande.
Par la suite, une étrange sensation le frappa à nouveau, très puissamment, alors qu’il relisait un passage où Salviati et Sagredo discutaient des cordes des instruments de musique qui vibraient à l’unisson ou de façon dissonante, sproporzionatamente, et Salviati avança qu’à l’intérieur de ces schémas d’interférence chaque vague recelait des vies secrètes. Galilée relut ce passage avec l’impression de ne pas tout à fait se souvenir de l’avoir écrit :
Une corde qui a été frappée commence à vibrer et le mouvement se poursuit tant que l’on entend le son (risonanza) ;ces ondes s’étendent loin dans l’espace et mettent en vibration non seulement des cordes, mais aussi n’importe quel corps qui se trouve avoir la même période que la corde pincée. Les ondulations de ce médium se propagent largement autour du corps résonant, ainsi que le montre le fait que l’on peut émettre une note à partir d’un verre d’eau rien qu’en en frottant le bord avec le bout du doigt ; parce qu’une série d’ondes régulières est produite dans cette eau. Ne serait-ce pas une chose merveilleuse si l’on avait la faculté de produire des ondes qui persisteraient longtemps, des mois, des années et même des siècles ?
Sagredo : Une telle invention, je vous l’assure, forcerait mon admiration.
Salviati : Il s’agit d’un instrument sur lequel je suis tombé par hasard ; mon rôle consiste simplement à l’observer, et à apprécier sa valeur en tant que confirmation d’une chose dans laquelle je me suis assez profondément plongé.
Les interférences des ondes. La longue portée à travers le temps. Une chose dans laquelle je m’étais assez profondément plongé. Un secret au cœur du temps, tout au fond de lui…
Il n’arrivait pas à mettre le doigt sur ce que c’était. Tant de choses presque vues, qu’il avait sur le bout de la langue… Y avait-il jamais eu un moment où il en avait été autrement ? Était-ce seulement maintenant qu’il le remarquait davantage ?
Il se contentait d’écrire de nouvelles pages ; il ne pouvait faire autrement.
Et donc ces Discorsi étaient pour lui une chose vivante, qui respirait. Ce n’était pas le genre de livre qu’on avait envie de finir. Mieux valait continuer encore et encore, jour après jour, pour toujours. Il comprenait maintenant ces alchimistes obsédés qui écrivaient jusque dans la tombe, sans jamais tenter de se faire publier. Mon esprit sans cesse en activité continue à moudre, écrivit-il à un correspondant.
Finalement, Diodati le persuada de déclarer que son livre était terminé tout en lui soufflant l’idée qu’il n’était pas vraiment fini mais qu’il serait publié par fragments, ces quatre premières parties n’étant que les premières de nombreuses autres à suivre. C’était brillant. Diodati pouvait publier tandis que Galilée, de son côté, pouvait continuer à écrire, continuer à vivre.
Et donc le livre fut publié. Le titre suggéré par Galilée était :
Dialogues de Galileo Galilei Contenant Deux Sciences Complètes, Entièrement Nouvelles et Démontrées à Partir de Leurs Principes et Éléments Premiers, Afin que les Voies Soient Ouvertes à de Vastes Champs, avec des Raisonnements et des Démonstrations Mathématiques Livrant Quantité de Conclusions Admirables, Infinies, à Partir Desquelles Bien d’Autres Restent à Voir dans le Monde Outre ce qui a été vu Jusqu’à Présent.
Diodati l’intitula Discours sur Deux Nouvelles Sciences. Les Discours, comme nous disions. Ces quatre journées de dialogue devaient être suivies par une cinquième et une sixième, annonçait la préface, et d’autres après celles-là, perpétuellement.
Galilée distribua quelques exemplaires du livre à des amis et d’anciens étudiants dans l’espoir de recevoir leurs commentaires. Dans une note destinée à ses amis à Rome, il s’excusait pour le contenu du livre : Je me rends compte combien la vieillesse amoindrit la vivacité et la rapidité de ma pensée, car maintenant je dois lutter pour comprendre bien des choses que j’ai découvertes et prouvées alors que j’étais plus jeune.
En lisant cela, ceux-ci se mirent à rire. « Il ralentit ! » se disaient-ils entre eux en feuilletant le livre, et chacun d’y aller de son commentaire : « Trois cent trente-sept pages seulement, cette fois, à ce que je vois » « Chaque page est bourrée d’idées, apparemment, dont beaucoup n’ont jamais été étudiées… » « Dont un certain nombre difficiles à comprendre !… »
« Oh oui, se disaient-ils les uns aux autres… Un vrai naufrage ! »
Et tous ricanaient sans pouvoir s’arrêter.
Ses Discours une fois envoyés en Hollande, il retomba dans la mélancolie. Pour ne rien arranger, il devenait de plus en plus aveugle de l’œil droit – l’œil qui avait passé tant d’heures collé à l’oculaire de ses télescopes. Le jour, il se livrait à des expériences sur cet œil comme avec l’un de ses télescopes, prenant des notes sur son champ de vision rétréci, sa précision, sa sensibilité à la lumière. Et la nuit, il gémissait.
Un matin, il se leva en disant que s’il devenait aveugle il ne pourrait plus jamais voir l’écriture de Maria Celeste, il ne pourrait plus jamais lire ses pensées, si clairement exprimées qu’il avait l’impression de lire directement dans l’esprit de sa fille. Alors il prit la corbeille qui se trouvait à côté de son lit et qui contenait ses lettres, et commença à les relire en tenant les pages tout près de son visage, humant leur odeur tout en les lisant. Les grandes boucles penchées de l’écriture de sa fille lui ramenaient toute leur gouaille, durant toutes ces années où ils avaient dirigé ensemble San Matteo et Bellosguardo, tenant les comptes et gérant à la fois le champ et la maisonnée. Elles lui rappelaient aussi la façon donc elle l’avait soutenu pendant son procès, alors même qu’elle était terrorisée.
Il tomba sur celle qui racontait l’anecdote où il avait fait porter un panier de gibier à plumes destiné à agrémenter les derniers repas d’une jeune nonne qui dépérissait et se mourait, malgré les soins attentifs de Maria Celeste. Elle lui répondait :
J’ai reçu le panier contenant les douze grives : les quatre de plus, qui auraient complété le nombre annoncé par votre lettre, père, ont dû être libérées par un charmant petit chaton qui a eu l’idée de les goûter avant nous, parce qu’il y avait un grand trou dans le linge qui les recouvrait. C’est pourquoi, lorsque les grives arrivèrent après en avoir été quittes pour la peur, il fut nécessaire de les cuisiner en ragoût, de sorte que je les ai veillées toute la journée, et que pour une fois je me suis véritablement abandonnée à la gloutonnerie.
Pour une fois. S’abandonner à la gloutonnerie avec un ragoût d’oiseaux mâchés par un chat…
Galilée remit les lettres dans leur corbeille.
Après quelques semaines de ténèbres, Cartaphilus demanda s’il avait eu récemment des nouvelles de la dame Alessandra Buonamici, qui se trouvait en Allemagne avec son mari.
— Non, répondit-il brièvement.
Mais plus tard, ce jour-là, il demanda du papier. Il lui écrivit une longue lettre. Après cela, il en prit l’habitude. À cause de la distance qui les séparait, il pouvait dire des choses qu’il n’aurait pas dites à son entourage ; et lui dire également d’autres choses sans crainte qu’il en sorte quoi que ce soit. Aussi s’asseyait-il souvent, après sa matinée dans le jardin, à l’ombre de l’arcade, où il lui écrivait un petit mot. Il lui en mettait cinq ou six dans un paquet, et gardait les autres par-devers lui.
En ce premier jour, il écrivit, dans sa tête : Comme je vous aimais, très chère dame. Vous emplissez mon esprit au point qu’il me semble que vous êtes avec moi. Vous êtes si belle, là, dans mon jardin, je dois le dire. Je suis sûr que c’est encore plus vrai à Mayence. Au lieu de cela, j’aurais bien aimé que vous soyez ici, bien que je sente la vibration de votre présence par-delà la distance, parce que je suis accordé à la même harmonie. Peut-être y a-t-il un monde où vous n’êtes pas partie pour l’Allemagne, un monde où les choses ont suivi un autre cours, afin que je puisse passer plus de temps avec vous. Où non seulement j’aurais pu passer du temps avec vous, mais où je l’ai fait ; non seulement « j’ai été » mais « je suis » dans une autre partie de ce moment même. C’est la partie du moment que je préfère. Enfin, en attendant, je continue à vivre dans ce monde dans lequel je suis emprisonné, dans lequel vous êtes en Allemagne, ou ailleurs, si bien que je suis contraint de vous parler uniquement dans mon esprit, et de capturer ici, sur la page, une infime fraction des pensées dont je vous ai parlé dans cette pièce vide.
La dernière année avant qu’il ne perde la vue, il s’asseyait souvent dans le jardin, la nuit, sur son divan incliné, pour regarder la Lune et ce qu’il pouvait voir des étoiles. Pour la première fois, il remarqua que même si la Lune présentait toujours la même face vers la Terre, ce n’était pas exactement la même ; il y avait de petites variations, comme si l’homme dans la Lune s’était regardé dans un miroir et avait inspecté son visage sous des angles différents – c’est ainsi que Galilée décrivit cette découverte lorsqu’il en parla dans ses lettres, à ses amis –, d’abord en baissant la tête, puis en la relevant, puis en regardant à gauche, et à droite. Cela permettait peut-être d’expliquer pourquoi la Lune avait un effet sur les marées ; parce que sa théorie selon laquelle elles étaient causées non par la Lune mais par la rotation de la Terre et son mouvement autour du Soleil s’était révélée non seulement hérétique mais fausse. Tout compte fait, la Lune semblait avoir un rôle à jouer ; en tout cas, la Lune et les marées subissaient des choses l’une et l’autre, en même temps. Il était possible que cette face mouvante fût en rapport avec ça. C’était si difficile à dire ; mais quand il comprit que cette petite oscillation était bien réelle, et qu’aucun observateur de la Lune, si vigilant fût-il, ne l’avait jamais remarquée dans l’histoire de l’humanité, la petite cloche qui se trouvait en lui tinta.
Le visage rebondissant de l’homme dans la Lune devait être sa dernière observation. Très vite, son œil gauche l’abandonna, lui aussi, et alors tout cela fut terminé. Une combinaison d’infections et de cataractes l’avait aveuglé. Peu après, le Vatican envoya la nouvelle qu’il était autorisé à se rendre temporairement à Florence pour y être examiné par des docteurs. Mais ils n’auraient probablement pas pu faire grand-chose, même s’ils l’avaient vu plus tôt.
Son monde ayant sombré dans l’obscurité, il dut dicter ses lettres, qui continuaient à parcourir le monde comme avant. Un jeune étudiant appelé Vincenzio Viviani, qui n’avait que dix-sept ans, fut invité à s’installer dans la maison comme assistant. Il se joignit à nous et se révéla être un jeune homme sérieux, intelligent et coopératif, très concentré sur son devoir. Galilée passa de nombreuses heures à parler à travers sa correspondance, et Viviani mit tout par écrit.
Dans une lettre à Diodati, Galilée disait :
Cet univers que j’avais, par mes merveilleuses observations et de claires démonstrations, agrandi cent fois, non, mille fois au-delà des limites communément perçues par les savants de tous les siècles passés, s’est maintenant rétréci et restreint pour moi aux modestes dimensions de ma propre personne.
Lorsqu’il lâchait dans la maisonnée des choses aussi sinistres que celle-ci, je lui répondais :
« Ça pourrait être pire.
— Pire ? rétorquait-il. Rien ne pourrait être pire ! Il aurait mieux valu que je sois brûlé sur le bûcher par ce menteur qui est revenu sur sa parole !
— Je ne crois pas, maestro. Vous n’auriez pas aimé les flammes.
— Au moins, ç’aurait été rapide. Alors que décliner comme ça, morceau par morceau… Si seulement je pouvais trébucher sur une marche et me cogner la tête, ce serait fini. Alors laisse-moi tranquille ! Laisse-moi tranquille ou je te donne un coup de pied. Je sais où tu es. »
Il arrivait à reconnaître toutes sortes d’herbes rien qu’en les touchant, et continuait à s’asseoir dans le jardin, le matin, même s’il ne faisait qu’écouter les oiseaux et sentir le soleil sur son visage. Il avait ressorti son luth, l’avait fait réparer, en avait fait retendre les cordes et s’était remis à jouer. Et comme les cals de ses doigts s’épaississaient, il en jouait de plus en plus, nous donnant encore et encore les chansons qu’il connaissait, fredonnant ou marmonnant dans un baryton rauque les paroles de certaines d’entre elles. Il jouait souvent une petite suite que son père avait composée, ainsi que des arrangements musicaux pour l’Arioste et le Tasse, et de longues mélodies sinueuses de sa propre composition. La Piera dirigeait la maisonnée avec Geppo et les autres anciens serviteurs. Viviani faisait office de secrétaire et de scribe pour Galilée. Je continuais d’être son serviteur personnel. Un nouvel étudiant, Torricelli, s’installa pour prendre des cours de mathématiques. Les choses se poursuivaient à leur façon.
Et puis Alessandra Buonamici revint. Elle se montra au printemps de 1640, annonçant que la mission diplomatique de son mari les avait ramenés de façon inattendue à Florence. Elle se dressa là, dans sa chambre ; elle lui toucha le bras, lui laissa toucher son visage.
— Oui, je suis là, dit-elle.
Une fois encore, Galilée était sauvé par un étranger apparu à un moment clé de sa vie. Cette fois, c’était une étrangère – Alessandra. Elle avait maintenant près de quarante ans, n’avait pas d’enfants, était grande et forte. Elle venait le voir presque tous les jours, seulement accompagnée par un ou deux serviteurs. Elle lui apportait des cadeaux qu’il pouvait toucher ou manger : des écheveaux de laine, différents tissus de lin, des fruits séchés, des bouts de fer forgé, des polygones taillés dans des blocs de bois, des fragments de corail. Il se penchait en avant sur son fauteuil et frottait les échantillons entre ses doigts et contre sa joue, ou il empilait des cubes en lui parlant de cohésion et de la résistance du bois.
Je me languis de vous entendre, lui écrivait-il quand elle ne pouvait pas venir. Il est si rare de trouver des femmes comme vous, capables de parler si sensément des choses.
Elle lui répondait avec encore plus d’audace : J’essaie de trouver un moyen de venir vous voir et de rester toute une journée avec vous sans provoquer un scandale. Elle suggérait des plans fantastiques, des choses dont elle savait pertinemment qu’elles ne se produiraient jamais, mais dont elle savait aussi qu’il prenait plaisir à les imaginer – ils pourraient aller faire du bateau sur l’Arno, elle pourrait faire venir une petite voiture à Arcetri et l’emmener à Prato où ils passeraient plusieurs journées tous les deux, et ainsi de suite. Patience ! écrivait-elle.
J’ai n’ai jamais douté de votre affection pour moi, répondait-il, certain que vous, dans le peu de temps qu’il me reste peut-être, savez combien d’affection coule en moi pour vous. Il l’invita à venir avec son mari et à rester quatre jours. On ne sait pourquoi, cela n’arriva jamais.
La vie à Il Gioello se contracta sur elle-même, la Piera orchestrant les faits et gestes de toute la maisonnée, le jeune Viviani presque toujours au côté du maestro, au point que Galilée devait parfois lui ordonner de ficher le camp. Souvent, il désirait seulement rester allongé sur son divan, à l’ombre, ou s’étendre sur la terre du jardin, à arracher des mauvaises herbes. On voyait bien que le contact de la terre, qu’il embrassait, le réconfortait. Il se recroquevillait sur le côté dans une position qui rappelait celle d’Arcangela.
Mais il était célèbre dans toute l’Europe, à cause de ses livres, et du procès. Les visiteurs étrangers demandaient souvent s’ils pourraient le visiter. Il accédait toujours à ces requêtes, qui flattaient sa vanité, brisaient la routine quotidienne et l’aidaient à passer le temps. Il recommandait seulement à ses visiteurs d’être discrets, ce qu’ils étaient généralement, en tout cas au début. Après leur départ, ils voulaient cependant raconter au monde entier l’histoire de leur visite. C’était gratifiant. Galilée était un personnage sur la grande scène de l’Europe – un vieux lion, édenté et aveugle, mais un lion quand même. Pour les protestants, son histoire témoignait de la corruption de l’Église catholique romaine, ce qui n’était pas un rôle qu’il aimait jouer ; il sentait qu’il était une victime non de l’Église mais de la corruption de l’intérieur de l’Église, ainsi qu’il essayait de le faire comprendre quand il en avait l’occasion.
Je n’espère aucun secours, écrivait-il à un partisan appelé Peiresc, et cela parce que je n’ai commis aucun crime. Je pourrais espérer un pardon si j’avais fauté. Avec les coupables, un prince peut faire preuve d’indulgence, mais contre quelqu’un qui a été condamné à tort alors qu’il était innocent, il est opportun de faire preuve de rigueur, afin de sauver les apparences de la légalité. On aurait dit du Machiavel, un auteur qu’il connaissait bien. Galilée lui aussi avait rencontré son prince, et il avait été torturé pour cela, tout comme Machiavel.
Il faut croire qu’une traduction du Dialogue avait été publiée en Angleterre ; Galilée ne l’apprit que lorsque des Anglais commencèrent à se présenter à sa porte. L’un des premiers, un certain Thomas Hobbes, l’informa de la traduction et voulut discuter philosophie, faisant tenir à Galilée des propos qu’il n’avait pas envie de tenir. Comme ils s’entretenaient en latin (cela dit, l’Anglais avait une façon très étrange de prononcer le latin, qui semblait vaguement lui rappeler quelque chose), il put orienter la conversation vers des sujets sur lesquels il se sentait plus à l’aise. Si bien que Hobbes repartit sans dénonciation ou blasphème à citer.
Deux plus jeunes Anglais se montrèrent plus sympathiques, au début du moins. Ils voyageaient en Europe ensemble : un certain Thomas Hedtke, et un dénommé John Milton. Hedtke était le plus agréable des deux, mais c’est Milton qui parla presque tout le temps ; en plus d’un excellent latin, il parlait un toscan à couper au couteau, mais néanmoins compréhensible, ce qui était une capacité très inhabituelle chez un étranger. Il parlait beaucoup donc ; il n’avait pas l’air d’avoir entendu ce proverbe à destination des voyageurs dans les contrées étrangères, selon lequel il faut parler avec ipensieri stretti e il viso sciolto, « les pensées fermées, mais le visage ouvert ». Il déclara qu’il était doué en langues et savait parler l’espagnol, le français, le toscan, le latin et le grec. Et il avait un millier de questions, la plupart orientées, faites pour donner une mauvaise image du pape, ainsi que des jésuites, pour lesquels il semblait avoir une détestation particulière, ce qui était assez drôle parce qu’il était très jésuite lui-même.
— Ne pensez-vous pas que le jugement rendu contre vous était une tentative de réaffirmer le fait que l’Église romaine a le droit de dicter ce que nous sommes autorisés à penser ou non ?
— Pas tant ce que vous pouvez penser que ce que vous pouvez dire.
— Précisément ! Ils revendiquent le droit de décider qui peut parler !
— Oui. Mais des règles de ce genre, il y en a dans toutes les sociétés.
Ce qui fit taire le jeune homme pendant un moment. Il était assis sur un tabouret installé près du divan de Galilée. Hedtke était sorti dans le jardin avec Carlo Dati, l’ancien étudiant de Galilée qui avait amené les deux Anglais à Arcetri. Maintenant, Milton était accroupi à côté de lui et lui posait des questions. Les Médicis étaient-ils des tyrans, étaient-ils des empoisonneurs, croyaient-ils à l’enseignement de Machiavel ? Galilée croyait-il ce que Machiavel enseignait ? Savait-il qui était le plus grand poète italien après l’incomparable Dante ? Parce que Milton, oui – c’était le Tasse ! Galilée savait-il quels énormes bénéfices étaient accordés par la chasteté ?
— Je ne les ai pas remarqués, marmonna Galilée.
— Et plus encore, les avantages conférés par cette sage et grave doctrine, la virginité ?
Galilée resta coi. Il voyait à nouveau qu’il y avait des hommes qui étaient à la fois d’une haute intelligence, et profondément stupides. Ce qu’il avait lui-même été pendant la plus grande partie de sa vie, et maintenant il était un peu plus tolérant qu’il ne l’aurait été il y avait quelques années encore. Il s’efforçait constamment de ramener la conversation sur Dante, faute d’un meilleur sujet de conversation. Il ne voulait pas en entendre davantage sur l’immense supériorité de la foi protestante réformée, qui était le sujet de conversation préféré du jeune homme. Aussi parlait-il de Dante et de ce qui en faisait la grandeur.
— N’importe qui peut rendre l’enfer intéressant, disait-il. C’est le purgatoire qui compte.
À ces mots, Milton éclata de rire.
— Mais le purgatoire n’existe pas !
— Vous avez une rude foi. Vous, les protestants, n’êtes pas complètement humains, à ce qu’il me semble.
— Vous continuez de chercher à défendre l’Église de Rome ?
— Oui.
Le jeune homme ne pouvait pas être d’accord avec ça, ainsi qu’il le lui dit, en long et en large. Galilée essaya de couper court à son laïus en expliquant qu’il avait fait des études, quand il était jeune, pour être moine, et puis qu’il avait remarqué dans la cathédrale une lampe qui, après avoir été allumée par un acolyte, oscillait, et qu’en mesurant la période des oscillations au moyen des battements de son pouls il avait acquis la certitude que, quelle que soit l’amplitude du mouvement pendulaire de la lampe, elle mettait toujours le même temps pour le décrire.
— Quand j’ai vu cette vérité, je me suis mis à sonner comme une cloche.
— C’était Dieu qui vous disait de quitter l’Église de Rome.
— Je ne crois pas.
Galilée but encore un peu de vin et sentit la même vieille tristesse s’emparer de lui comme un autre pendule animé d’un battement cosmique régulier. Il avait envie de dormir. Comme n’importe quel imbécile, le jeune cuistre abusait de son hospitalité. Galilée cessa de l’écouter, dériva dans une sorte de somnolence. Il se réveilla en entendant le jeune homme dire que la cécité était une sorte de châtiment qui l’aurait frappé.
— L’aveugle a encore une vision intérieure, répondit-il. Et ceux qui voient sont parfois les plus aveugles de tous.
— Pas s’ils se protègent sous le bouclier de leurs prières, élevées directement vers Dieu.
— Mais les prières ne sont pas toujours exaucées.
— Elles le sont quand on prie pour ce qu’il faut.
Galilée ne put réprimer un rire.
— Je suppose que c’est vrai, dit-il. Je veux ce que Jupiter veut.
Il n’existait pas de mots susceptibles d’atteindre le jeune homme. On ne pouvait jamais enseigner à autrui ce qui était important. Les choses importantes, on devait les apprendre soi-même, presque toujours en faisant des erreurs, et les leçons arrivaient trop tard pour être d’une aide quelconque. L’expérience était, en ce sens, inutile. C’était précisément ce qui ne pouvait être transmis dans une leçon ou une équation.
Le jeune étranger était assis là à pérorer dans son italien bizarre. Galilée somnola à nouveau, rêva de plonger dans l’espace. Lorsqu’il se réveilla, le jeune homme s’était tu, et Galilée ne savait plus trop s’il était encore dans la pièce.
— L’orgueil mène à la chute, murmura-t-il. Vous devriez vous souvenir de cela. Je le sais, j’ai été orgueilleux. Et je suis tombé. Ma mère m’a volé mes yeux. Et le favori doit tomber, à la fin, pour laisser place aux autres. La chute est notre vie, notre fuite. Si je pouvais le dire correctement, vous comprendriez. Oh oui, vous comprendriez. Parce que j’ai eu de tels rêves. Ma fille était comme ça.
Apparemment, le jeune importun s’était déjà éclipsé.
Galilée se rendormit. Lorsqu’il se réveilla, toute la maisonnée était silencieuse, mais il sentait que quelqu’un se tenait debout dans l’embrasure de la porte. La personne s’avança furtivement vers lui, et il sut que ce n’était pas l’Anglais. Il tapota son divan. Elle s’allongea par terre, à côté de lui, la tête appuyée sur son genou, silencieuse, ne pardonnant pas. Ils restèrent ainsi pendant un long moment.
Il finit par se rendormir, et dans son sommeil il fit un rêve. Il rêva qu’il était à l’église, en train de prier avec sa famille et ses amis. Autour de lui se tenaient Sarpi, Sagredo et Salviati, Cesi, Castelli, Piccolomini, Alessandra, Viviani et Mazzoleni ; et derrière, Cartaphilus et la Piera. À son côté, Maria Celeste. Près de l’autel, il vit que Marina et Maculano s’entretenaient d’un sujet ou d’un autre, pendant que Maculano préparait le service. Au-dessus de leur tête, la lampe qu’il avait vue quand il était enfant se balançait comme un pendule, sauf qu’il y avait maintenant un petit ressort au point d’attache ; un petit ressort qui, à chaque oscillation, donnait à la corde du pendule une petite impulsion supplémentaire lorsqu’il se trouvait près du point d’équilibre, de sorte que la lampe se balancerait éternellement, constituant une horloge qui indiquerait l’heure de Dieu lui-même. Ce ressort était une bonne idée.
Dans cette église, l’autel était constitué de deux de ses grands plans inclinés où tout le monde, sous la direction de Maculano, menait des expériences sur la chute des corps, déplaçant les cadres magnifiquement ouvragés d’une façon ou d’une autre, lâchant les balles, chronométrant leur chute grâce à de l’eau coulant dans des calices. Marina laissait tomber les balles, Mazzoleni souriait de son sourire édenté et tout le monde chantait l’hymne « Tout se meut en Dieu ». Fra Sarpi écarta les bras et dit : « Ces ondes s’étendent loin dans l’espace, et font vibrer non seulement les cordes, mais aussi n’importe quel autre corps qui se trouve avoir la même période. » Et Sagredo dit : « Il arrive qu’une merveille soit diminuée par un miracle. »
Ensuite, ils disposèrent deux plans en forme de V et placèrent à leur base une petite courbe d’ivoire pour les relier, afin que la balle roule en douceur d’un plan à l’autre. Mazzoleni plaça la cloche de l’atelier en haut du deuxième plan, sur le côté. Dame Alessandra, sa tête touchant la courbe du dôme, tendit la main et lâcha une balle du haut du premier plan : une chute à la verticale, une longue montée en décélération, et puis la balle heurta le côté de la cloche. Et Galilée entendit la cloche tinter sur tous les mondes.
Puis il tomba de nouveau malade. La maladie l’avait déjà si souvent cloué au lit qu’il mit un moment à comprendre que cette fois, c’était différent. Ses reins le faisaient souffrir, son urine était trouble. Les docteurs furent appelés, mais ils ne pouvaient rien faire. Ses reins le lâchaient. On lui interdit le vin, mais la Piera lui en glissait malgré tout une coupe ou deux, la nuit.
Lorsque la situation se dégrada sérieusement, au point qu’il se remit à gémir comme il ne l’avait plus fait depuis la mort de Maria Celeste, nous envoyâmes une lettre, et dame Alessandra se montra sans s’être fait annoncer. Elle s’assit au chevet de Galilée et lui lava le visage avec un linge trempé dans l’eau froide. Parfois, il lui tendait la corbeille et elle lui lisait tout haut les lettres de Maria Celeste. Sans qu’on sache trop comment, il n’était plus question ni de manque de nourriture, ni de dents arrachées, ni de catarrhes. Seuls restaient les échanges de recettes, les prières de dévotion, les commentaires sans mansuétude sur son frère, les expressions d’amour, d’amorevolezza. Alessandra lui faisait la lecture d’une voix calme, lointaine. Elle parlait d’autres choses, faisait de petites plaisanteries pince-sans-rire, et Momus, le dieu du Rire, descendait brièvement sur eux.
« Vous me rappelez quelqu’un, disait Galilée. J’aimerais tant me souvenir de qui.
— Nous sommes tous tout le monde. Et nous nous souvenons tous de tout. »
En sortant, elle me regarda et secoua la tête.
— Il faut que j’y aille, dit-elle. Je ne peux pas continuer. Pas alors qu’il suffirait d’un jour pour le guérir.
Le lendemain, elle ne revint pas. À la place, elle lui envoya une lettre. Viviani la lut à Galilée et il l’écouta en silence. Il dicta sa réponse.
Votre lettre m’a trouvé au lit, gravement indisposé. Merci beaucoup, beaucoup, pour la courtoisie que vous m’avez toujours témoignée, et pour vos condoléances, qui me trouvent maintenant dans la détresse et l’infortune.
Ce fut sa dernière lettre. Quelques jours plus tard, il sombrait dans l’inconscience. Cette nuit-là, les loups des collines hurlèrent, et il se tordit tellement dans son lit qu’il nous sembla qu’il avait entendu leur appel. À l’aube, il mourut.
La maisonnée erra sans but dans la lumière crue du matin. Évidemment, il était vrai que nous venions de perdre notre employeur, et ce n’était pas une petite partie de notre désespoir ; à part pour Sestilia, Vincenzio comptait pour rien. Mais c’était plus que ça ; il était évident que maintenant que le maestro était parti le monde ne serait plus jamais aussi intéressant. Nous avions perdu notre héros, notre génie, notre Polichinelle à nous.
C’est la Piera qui nous poussa à accomplir les terribles tâches de cette journée et des suivantes.
— Allez, il faut s’y mettre, dit-elle. Nous sommes tous des âmes, vous vous souvenez ? Nous existons les uns dans les autres. Pour le ramener, vous n’avez qu’à penser à ce qu’il ferait, ce qu’il dirait.
— Ha, fit Mazzoleni d’un ton endeuillé. Bonne chance !
Ferdinand II approuva le projet de Viviani d’offrir à Galilée une importante commémoration, qui comprendrait des oraisons funèbres publiques et la construction d’un mausolée en marbre ; mais le pape Urbain VIII refusa d’autoriser les premières comme le second. Ferdinand se soumit à ce refus, et le corps de Galilée fut donc enterré en privé, dans la chapelle des novices de l’église franciscaine de la Sainte-Croix, dans une alcôve minuscule située sous le campanile. Cette crypte improvisée était presque une tombe anonyme.
Le pape Urbain avait alors soixante-quatre ans et Vincenzio Viviani, dix-neuf. À la mort d’Urbain, en 1644 (à onze heures et quart du matin, et l’on dit qu’à midi toutes les statues qu’il avait fait ériger à Rome étaient déjà abattues et réduites en miettes par des foules en rage), Viviani avait encore cinquante-cinq années à vivre. Il consacra chaque journée de ces cinquante-cinq années à la mémoire du maestro. Il paya pour la conception d’un monument qui devait être situé à Sainte-Croix, en face de la tombe du grand Michel-Ange ; leurs tombes formeraient alors un ensemble assorti. L’Art et la Science ensemble, soutenant l’Église. Tout en s’occupant de faire approuver et construire ce monument, Viviani passa plusieurs années à rassembler les papiers de Galilée ; et quelque part au cours de ce processus, il commença à écrire une biographie.
Un jour, alors qu’il travaillait sur ce projet, il vint me trouver à Arcetri et me demanda mon aide.
— Cartaphilus, que peux-tu me dire du signor Galilée ?
— Rien du tout, signor Viviani.
— Comment ça, « rien du tout » ? Tu dois bien savoir quelque chose que nous ignorons.
— Il avait une hernie. Et il avait du mal à dormir.
— D’accord, eh bien tais-toi. Mais tu vas m’aider à fouiller San Matteo.
— Comment pouvons-nous faire ça ?
Il apparut qu’un prêtre du coin lui avait donné un certificat nous autorisant à entrer dans le couvent. Il espérait trouver les lettres que Galilée avait envoyées à Maria Celeste, afin de les ajouter à l’immense collection de papiers, de recueils de notes et de volumes qui remplissaient maintenant une pièce entière de sa demeure. Jusque-là, on n’avait pas trouvé les lettres de Galilée à sa fille, et pourtant elles devaient être au moins aussi nombreuses que celles qu’elle lui avait envoyées – une pile que Viviani possédait, encore dans leur corbeille. Connaissant la prolixité de Galilée, et le destinataire concerné, cette correspondance devait former un aperçu unique de sa pensée, ainsi qu’une masse matérielle considérable, difficile à dissimuler. Et maintenant, pour Viviani, d’un intérêt dévorant.
Nous ne réussîmes pas à les trouver. Soit les nonnes les avaient brûlées, par crainte d’héberger une sorte d’hérésie, ce qui semblait la plus vraisemblable de diverses mauvaises explications, soit elles avaient été simplement jetées ou utilisées pour démarrer des feux de cuisine, nul ne pouvait le dire. En tout cas, elles demeurèrent introuvables.
D’autres années s’écoulèrent, et Viviani écrivit sa biographie du maestro dans les termes les plus dévoués, hagiographiques, qui se puissent imaginer. Il la fit publier, mais il voyait bien que la grande tombe dont il rêvait ne serait pas construite de son vivant. Les Médicis avaient perdu tout courage, s’ils en avaient jamais eu dans ce domaine, et Rome était implacable.
Finalement, Viviani commençait à être lui-même un vieil homme lorsqu’il fit couler une plaque et la fit fixer sur l’entrée de la petite pièce où Galilée était enterré, à Sainte-Croix. Il demanda dans son testament à être enterré dans la même pièce. Puis il fit retirer la porte d’entrée de sa maison et la changea en une sorte d’arcade. Nous l’aidâmes à replâtrer sa façade, car Salvadore et Geppo étaient devenus maçons. Quand ce fut fait, nous cimentâmes un buste de Galilée au-dessus de l’arcade. Ce monument improvisé en forme d’arche se dressait tout seul et désolé dans la rue d’un quartier résidentiel miteux de Florence. On aurait dit l’une de ces étrangetés architecturales qui fleurissent parfois dans les faubourgs modestes quand l’orgueil a fait perdre l’esprit à un propriétaire. Viviani était un peu comme ça, en fait. Mais c’était un homme qui écrivait à des savants dans toute l’Europe, tellement sérieux, tellement dévoué à toutes les bonnes causes de la ville qu’il était difficile de se moquer de lui. Nous installâmes de grands panneaux de marbre verticalement de chaque côté de l’arche, et sur ces dalles Viviani dressa la liste des découvertes de Galilée, peignant très soigneusement sur le marbre des mots qui devaient me servir de modèle à ciseler avec un burin.
Il nous arrivait parfois, en travaillant, de parler du maestro et du devenir de sa célébrité. Viviani exprimait un grand dédain pour le Français Descartes, qui avait été trop couard pour publier quoi que ce fût qui prêtât à controverse après la condamnation de Galilée, mais qui avait récemment diffusé une longue critique des Discorsi du maestro dans laquelle il énumérait pas moins de quarante erreurs supposées – qui étaient toutes, sauf deux, en réalité ses propres erreurs, d’après Viviani, alors que Galilée avait parfaitement raison. Je ne pus faire autrement que de rire quand Viviani dit que l’une des deux critiques justifiées de Descartes était de se moquer de Galilée parce qu’il avait cru à l’histoire des miroirs ardents d’Archimède.
Profondément outré par l’impertinence de Descartes, Viviani ne put que secouer la tête devant mon rire attristé. Geppo et Salvadore ne se formalisaient pas de son caractère grave et tentaient de le distraire par des taquineries sur l’aspect curieux que sa maison offrirait après tous ces travaux, et à quel point l’entrée allait être froide, sans sa porte. Mais il se contenta de reculer d’un pas pour la contempler et il soupira.
— Il fallait bien que quelqu’un le fasse. Avec un peu de chance, mes neveux reprendront le flambeau.
Il ne s’était jamais marié et n’avait pas eu d’enfants.
— Je ne sais pas trop s’ils y arriveront, reprit-il en secouant la tête, mais j’espère que quelqu’un le fera.
Sa vie avait été bien étrange, me dis-je tout à coup. Rencontrer le maestro, vieux et aveugle, alors que vous avez dix-sept ans ; travailler avec lui jusqu’à sa mort, survenue alors que vous n’en avez que dix-neuf ; et puis continuer à travailler pour lui tout le reste de votre existence. J’arrêtai de sculpter, mis la main sur son épaule.
— Beaucoup de gens le feront, signor. Vous avez fait un bon début. Conserver ses papiers était énorme. Nul autre que vous n’aurait pu faire cela. Vous avez été un étudiant fidèle, un vrai galiléen.
C’est ce que je pensais à ce stade. Mais la frontière entre la dévotion et la folie est tellement ténue. Des années plus tard, il vint me voir dans la petite garenne de maisons basses entassées derrière San Matteo, et là, il me retrouva aussi vieux que d’habitude, et pas beaucoup plus. Il était impossible de dire mon âge. C’est comme si je n’en avais plus.
Alors que Viviani, de son côté, vieillissait vite. C’est dur de regarder vivre ces moucherons. La fin du dix-septième siècle approchait.
— Venez m’aider, dit-il alors, le visage crispé par l’intensité et par cette haute sérénité mystique dans laquelle certaines personnes sombrent quand elles entament un pèlerinage vers un endroit où, croient-elles, tout peut changer.
À ce moment-là, j’aurais pu le chasser. Mais je ne le fis pas. Il aurait pu essayer de m’entraîner par la force. Quoi qu’il en soit, c’était un regard auquel on ne pouvait rien refuser, même après toutes ces années. Je le suivis jusque derrière San Matteo, où leur propre petit mausolée était creusé dans la terre, plein de trous noirs de chaque côté, comme une ruche géante. C’était le crépuscule de la première nuit du carnaval, et tout le village était descendu à Florence pour assister aux défilés et aux feux d’artifice. Tout le monde sauf, ainsi que je le découvris, Geppo, Salvadore et une petite vieille rondouillarde alors occupée à balayer le sol de Sainte-Croix : la Piera. Viviani était resté en contact avec elle, tout comme moi.
Il savait précisément dans quel trou se trouvait le cercueil de Maria Celeste. Nous en soulevâmes l’extrémité et le tirâmes légèrement, à la lueur d’une lanterne où brillait une unique bougie. Le cercueil n’aurait pas été plus léger s’il avait été vide, mais dans cet espace restreint nous avions du mal à le prendre correctement.
— Signor Viviani, dis-je. Ce n’est pas une bonne idée.
— Tire !
Je continuai donc à tirer avec eux, jusqu’à ce que nous ayons réussi à le sortir et à le faire pivoter, afin de le transporter hors du mausolée. Je tenais les pieds, Viviani ouvrait la marche. Salvadore et Geppo étaient sur les côtés. La Piera portait la lanterne. Nous traversâmes la cour du couvent jusqu’à une petite carriole attelée à un âne, où se trouvaient déjà des outils de maçon, du sable à mortier et quelques seaux. Nous soulevâmes le cercueil, le plaçâmes à côté du sable et recouvrîmes le tout avec une bâche.
Viviani prit la corde de l’âne et nous conduisit sur le chemin d’Arcetri vers la grande route qui descendait des collines occidentales, où nous nous joignîmes à la foule du soir qui entrait dans la ville. Nous avions l’air de quatre pauvres domestiques suivant notre maître et son âne. Les fêtards du carnaval poussaient des cris et des hurlements en nous dépassant à toute allure.
Nous poursuivîmes notre route à travers Florence et son vacarme, vers Sainte-Croix, puis en bas des marches, dans la chapelle des novices. Là, sous le campanile, la tombe de brique était sombre et poussiéreuse. Viviani prit une masse des mains de Geppo et l’abattit sur le couvercle de la tombe.
— C’est une idée terrible, dis-je en baissant les yeux vers le couloir de pierre dont la porte ouverte donnait sur la rue. On va nous voir.
— Tout le monde s’en fout, dit-il amèrement. Personne ne s’en rendra compte.
— Absolument personne, dis-je. Même pas Galilée. Il est mort, signor.
— Il le verra du haut du ciel.
— Au ciel, ils n’en ont rien à fiche de nous. Ils en ont fini avec nous, et ils en sont bien contents.
Il haussa les épaules.
— Va savoir.
Nous tirâmes le lourd cercueil de Galilée hors de sa tombe ouverte, ce qui était une tâche bien plus difficile que de déplacer sa fille. Obéissant aux instructions de Viviani, nous plaçâmes dans la tombe le cercueil de Maria Celeste, si pitoyablement léger. On aurait tout aussi bien pu enterrer un chat. Salvadore et Geppo glissèrent quelques poutres dans les briques, au-dessus de son cercueil, pour former un support. Puis nous replaçâmes le cercueil de Galilée juste au-dessus de celui de sa fille, comme pour la protéger du ciel.
Les vieux garçons allèrent chercher un seau de plâtre dans leur carriole et remirent les briques sur la tombe, une par une, les scellant en place sur un autre ensemble de bois de construction.
Il y eut des bruits dans la rue, dehors, et pendant un moment nous nous figeâmes tous, de peur.
— C’est tellement absurde, protestai-je. Le maestro est mort et enterré. Nous pourrions nous attirer tellement d’ennuis, et il ne le saura jamais.
— S’il le savait, ça lui plairait, répondit Viviani.
Toi, Occasion, marche en tête, précède mes pas, ouvre pour moi des milliers et des milliers de chemins différents.
Marche, irrésolue, non reconnue et dissimulée, parce que je ne veux pas que ma venue soit trop aisément prévue.
Gifle la figure de tous les voyants, prophètes, devins, diseurs de bonne fortune et faiseurs de pronostics.
En un moment et simultanément, nous allons et venons, montons et nous rasseyons, restons et nous déplaçons. Laissons-nous alors couler de tout, à travers tout, dans tout, vers tout, ici avec les dieux, là avec les héros, ici avec les gens, ailleurs avec les bêtes.
S’il le savait, ça lui plairait.
C’est une façon de dire les choses, pas plus mauvaise qu’une autre. Faire ce que le maestro aurait aimé, et voilà tout. Viviani, qui croyait que l’âme de Michel-Ange, mourant, s’était incarnée dans le bébé Galilée au moment de sa naissance, les deux événements s’étant produits à peu près à la même heure, avait suivi ce principe toute sa vie. Il était mort quelques années après la nuit du carnaval, et il avait été enterré près de Galilée, comme il l’avait demandé, sans que personne remarque que les briques de la tombe du savant avaient été descellées et rescellées. Le temps que les héritiers de son neveu réussissent enfin à obtenir qu’un pape – Clément XII, un Florentin – approuve la construction du tombeau sophistiqué dont Viviani s’était fait le défenseur, on était en 1737. Lorsque la construction de ce tombeau fut achevée, ils déplacèrent les cercueils et eurent la surprise d’en trouver trois dans la petite tombe de Galilée. Ce qui s’était passé était alors évident, et les trois cercueils furent placés dans le nouveau monument, juste en face de la nef de Michel-Ange. L’Art et la Science enterrés côte à côte ! Avec un étudiant et une pauvre Clarisse, se promenant comme des fantômes dans le monde sans que personne les voie. Du corps de Galilée, ils prélevèrent une vertèbre, une dent et trois doigts pour servir de reliques. Le reste des trois corps est toujours là : Galilée, Maria Celeste et Vincenzio Viviani.
Quant à nous autres, nous avons poursuivi notre bonhomme de chemin : en avant, en arrière, d’un côté, de l’autre. Je suis allé en Hollande, en Angleterre, puis en France, où j’ai passé depuis le plus clair de mon temps. Je me suis occupé de l’intricateur, et je suis resté en contact avec la Piera, Buonamici et Sestilia. Il y eut des guerres presque en permanence. Huygens était un honnête homme, et Leibniz aussi. L’un dans l’autre, nous avons aidé plusieurs personnes. Dans toute l’Europe, les idées de Galilée ont été reprises par les philosophes, et ses méthodes par les scientifiques. Néanmoins, très peu de progrès scientifiques ont été accomplis, très peu de progrès tout court, pour être franc. Et pourtant, je constate que personne ne se sert plus de l’intricateur pour revenir. Héra vient parfois aux nouvelles, mais elle ne me dit pas grand-chose, et il est pénible de lui rapporter ce que j’ai vu. La souffrance a plutôt tendance à empirer qu’autre chose. Les peuples ont beau se remettre de la Peste noire, les épidémies restent virulentes et s’en donnent à cœur joie. Et les gens n’arrêtent pas de s’entretuer.
Au cours de toutes ces longues années passées à regarder défiler ces torrents de vies, Galilée n’arrête pas de me revenir. Si la Piera disait vrai – si tant qu’il y a des gens pour penser à nous nous restons en vie –, alors Galilée est définitivement encore bien vivant, et revient en nous, tout comme, je suppose, il n’arrête pas de revenir sur le sol de cette cave empoisonnée : impossible à tuer, fanfaron, sarcastique, égocentrique – tous les défauts du monde, c’est sûr.
Le bien pour lequel il se battait n’est pas si facile à exprimer. Enfin, on peut dire qu’il croyait à la réalité. Il croyait qu’il était utile de s’y intéresser, utile d’apprendre tout ce qu’on pouvait à son sujet, utile de dire ce qu’il avait appris, et même utile d’insister. Et puis, il croyait qu’il était utile d’essayer d’appliquer cette connaissance à améliorer les choses, si possible. Oui, je crois qu’on peut dire ça : il croyait à la science.
Mais écoutez-moi, parce que je l’ai vu de mes propres yeux : la science a commencé comme une pauvre Clarisse. La science n’avait pas un radis, et elle s’est laissé acheter. La science avait peur, et elle a fait ce qu’on lui disait de faire. Elle a conçu les fusils et les a donnés aux puissants, et les puissants ont collé le canon sur la tempe de la science et lui ont dit d’en faire davantage. Vous trouvez ça intelligent ? Aujourd’hui, la science est en position de devoir inventer en secret un moyen de mettre les fusils hors d’état de nuire et de recommencer le processus à zéro. Cela peut-il marcher ? Ce n’est pas évident. Parce que les scientifiques sont tous des Galilée, pauvres, terrifiés, le canon sur la tempe. Le pouvoir est ailleurs. Si nous pouvions déplacer ce pouvoir… C’est le grand « si ». Si nous pouvions faire suivre un nouveau canal à l’Histoire et éviter les siècles de cauchemar… Si nous pouvions faire en sorte que la science tienne sa promesse, une promesse difficile à tenir…
À vrai dire, c’est mal parti. Quand j’ai fait ma première analepse, il y a si longtemps que je frémis rien que d’y penser, l’Histoire n’était guère plus qu’une longue dégringolade vers l’extinction, une succession de guerres, d’épidémies, de famines et de génocides toujours plus dévastateurs – la paupérisation croissante pour le gros de l’humanité et le reste de la vie sur Terre. Quand j’ai enseigné l’Histoire à de jeunes enfants, quand j’ai vu sur leur visage l’éclair de la compréhension, j’ai eu honte.
Aussi ai-je tout laissé tomber pour suivre Ganymède. J’ai participé à sa tentative de rétrojection dans l’espoir de faire suivre au cauchemar une voie différente. Si les gens voulaient seulement comprendre plus tôt, nous disions-nous, que la science est une religion, la religion la plus éthique, la plus dévouée et la plus aimante… Il est clair que j’avais tort de vouloir seulement essayer. Ce n’est pas vraiment possible. Les paradoxes et les possibilités intriquées sont le moindre des problèmes. Le pire, et de loin, c’est l’énorme inertie des faiblesses humaines : l’avidité, la peur – toute cette masse de chair sanguinolente qui nous constitue. Ça a été un cauchemar. J’ai rejoint le cauchemar. J’ai contribué à le rêver. Nous sommes retournés en arrière dans le temps et nous avons interféré avec Archimède, nous lui avons appris des choses qui l’ont fait tuer ; je l’ai fait tuer. J’aurais pu le sauver en m’y prenant assez tôt, mais je ne l’ai pas fait. J’avais trop peur. J’ai regardé, paralysé par l’effroi, le soldat qui l’a embroché. Alors j’ai de nouveau voyagé dans le temps avec Ganymède, pensant pouvoir me racheter, et puis, quand j’ai vu Ganymède s’efforcer de faire brûler Galilée sur le bûcher, j’ai essayé de corriger ça aussi, essayé de faire en sorte que cela n’arrive pas, essayé de l’empêcher. Alors même que tout ce qui arrive arrive. Par suite de malentendus. Tant d’erreurs, de souffrance. Et pourtant, je suis encore là. Pourquoi je reste ? Ce n’est pas comme si j’avais pu contribuer à quoi que ce soit de remarquable. Jusque-là, on dirait que j’ai surtout fait du mal. Je reste pour le soleil, je suppose, pour le vent et la pluie, et pour l’Italie. Surtout, je reste parce que je ne sais pas quoi faire d’autre.
Mais je suis resté trop longtemps. La Révolution emporte tout sur son passage, Lavoisier vient d’être guillotiné, hier, et je suis dans une cellule de la Bastille, où j’attends mon tour, qui doit venir demain, je crois. Assis sur le sol de pierre, dans le noir, j’entends les voix dehors, et je repense au poème que Machiavel a écrit après avoir été libéré de la prison où ils l’avaient torturé – l’endroit où il avait appris toutes ces leçons sur le pouvoir qu’il a si désespérément essayé de nous transmettre, à nous tous :
Ce qui me dérangeait le plus
Était que lorsque l’aube venait et que je dormais,
J’entendais chanter : « Per voi s’ora. »
Per voi s’ora… Nous prions pour vous. Je l’espère bien. La Piera a l’intricateur, qu’on m’aurait pris, sinon. Buonamici, Sestilia et elle réussiront-ils à me retrouver au-dehors avec lui, et à m’aider à m’en sortir, je n’ai aucun moyen de le savoir. Il se peut que ce coup-ci soit le bon. J’ai du mal à le croire, ce qui explique sans doute mon stoïcisme ; je n’ai pas peur. Si ça doit arriver, ça arrivera. J’en ai assez de la cataracte des jours. Et si ce doit être la fin, dans ces dernières heures je réfléchirai de toutes mes forces. L’imagination crée les événements, et à l’aube j’ai bien l’intention d’avoir vécu dix mille ans. Alors ma part de la tapisserie rebouclera sur elle-même, et les fils sortiront du dessin.
J’en aurai fini avec cette histoire, en dehors de laquelle j’ai tellement essayé de rester. Une partie, je l’ai vue, une partie, c’est Héra qui me l’a racontée, une partie, c’est moi qui l’ai inventée – c’est très bien, c’est toujours comme ça –, une partie, c’est vous aussi qui l’avez créée. La réalité est toujours en partie une création de la conscience observante. Alors j’ai dit ce qui me plaît ; et je le connaissais assez bien pour penser que j’avais pratiquement toujours raison. Je sais qu’il était comme nous, constamment à la recherche de lui-même ; et pas comme nous, dans la mesure où il agissait, alors que nous avons si rarement le courage d’agir. J’ai écrit ceci pour Héra, mais peu importe dans quelle époque vous vous trouverez lorsque vous le lirez, je suis sûr que l’histoire que vous vous racontez est encore un conte truffé de potentialités massacrées, charcutées, de souffrance superflue. C’est comme ça, c’est tout. Il n’y a pas une époque où les gens ne manquent terriblement de courage.
Mais il arrive qu’ils n’en manquent pas. Parfois, ils continuent à essayer. Ça aussi, c’est l’Histoire. Nous sommes l’Histoire – nous sommes les espoirs des gens du passé, et le passé de gens du futur, nous sommes connus de ces gens, jugés par eux, changés par eux alors qu’ils se servent de nous. Si bien que l’Histoire n’arrête pas de changer, toute l’Histoire. Ça aussi, je l’ai vu, et c’est pourquoi je persiste. J’espère sans espoir. À un moment donné, le plan incliné peut cesser de descendre, et la balle commencer à remonter. C’est ce que la science essaye de faire. Jusque-là, ça n’a pas marché, l’Histoire a été moche, stupide, honteuse, c’est sûr ; mais ça peut changer. Ça peut toujours changer. Parce qu’il faut que vous le compreniez : une fois, j’ai vu Galilée brûler sur le bûcher. Et puis je l’ai vu se dégager en couinant. Imaginez l’effet que ça fait. C’est ce qui vous pousse à essayer.
S’il vous arrive parfois de vous sentir un peu bizarre, si vous avez un pincement au cœur ou une impression de déjà-vu – ou si, levant les yeux au ciel, vous êtes surpris par le spectacle de Jupiter brillant entre les nuages, et que soudain tout vous paraît chargé d’une profonde signification –, dites-vous bien qu’une autre personne, quelque part, est intriquée avec vous dans le temps, et qu’elle essaie de changer la situation en lui donnant une impulsion, afin d’aider un peu à améliorer les choses. Alors, quoi que vous fassiez, appuyez votre épaule sur la roue et mettez-vous, vous aussi, à pousser ! Poussez comme Galilée poussait ! Il se pourrait qu’ensemble nous avancions, cahin-caha, vers le bien.