17.

Quand le téléphone sonna, j’étais en train de rêver que ma mère me criait après. Elle hurlait si fort que je ne la reconnaissais pas, je savais que c’était elle, c’est tout. On avait commencé par se disputer au sujet de Yasmin mais le sujet avait changé : on était passé à la question de vivre en ville, et on s’engueulait sur le fait que je ne risquais pas d’apprendre jamais quoi que ce soit parce que la seule chose à laquelle je pensais c’était à moi. Mes répliques se limitaient à crier : « C’est pas vrai ! » tandis que mon cœur battait la chamade dans mon sommeil.

Je me réveillai en sursaut, hagard et encore las. Je louchai vers le téléphone puis le décrochai. Une voix me dit : « Bonjour, il est sept heures. » Puis il y eut un déclic. Je reposai le combiné et m’assis dans le lit. Je pris une grande inspiration qui hésita et fis deux ou trois étapes en cours de route. J’avais envie de me rendormir, même si c’était synonyme de cauchemars. Je n’avais pas envie de me lever pour affronter de nouveau une journée comme celle de la veille.

Trudi n’était pas au lit. Je posai les pieds par terre et traversai, tout nu, la petite chambre d’hôtel. Elle n’était pas non plus dans la salle de bains mais m’avait laissé un mot sur le bureau. Qui disait :


Cher Marîd,

Merci pour tout. Tu es vraiment un homme charmant, adorable. J’espère qu’on se reverra un jour

Il faut que j’y aille maintenant, aussi je suis certaine que tu ne verras pas d’objection à ce que je me serve directement dans ton portefeuille.


Bises,

Trudi

(mon vrai nom, c’est Gunter Erich von S. Tu veux dire que tu ne te doutais vraiment pas, ou c’était juste par délicatesse ?)


J’ai à peu près tout essayé dans mon existence, question sexe. Mes fantasmes secrets ne portent pas sur quoi, mais plutôt sur qui. Je crois bien que j’avais à peu près tout vu et tout entendu. La seule chose qui à ma connaissance restait impossible à simuler – jusqu’à la nuit dernière, la preuve du contraire – c’était ce halètement animal qu’adoptait la respiration d’une femme au tout début de l’acte amoureux, avant même que celui-ci devînt rythmique. Je regardai à nouveau le billet de Trudi, me rappelant toutes ces fois où Jacques, Mahmoud, Saïed et moi, tous les quatre assis à une table du Réconfort, nous regardions passer les gens. « Oh ! celle-là ? C’est une sexchangiste femelle-mâle en travesti. »

J’étais capable de démasquer absolument n’importe qui. J’étais réputé pour ça.

Je jurai de ne plus jamais affirmer quoi que ce soit sur personne. J’en étais à me demander si l’univers se lassait jamais de ces plaisanteries ; non, ce serait trop vouloir demander. Les plaisanteries continueraient à l’infini, toujours pires. Pour l’heure, j’étais certain que si l’âge et l’expérience ne pouvaient les arrêter, rien, sinon la mort, n’y parviendrait.

Je repliai soigneusement mes habits neufs et les rangeai dans le sac de sport. Aujourd’hui, je remettais ma tunique blanche et mon keffieh, changeant à nouveau d’apparence – habillé en Arabe, mais rasé de près. L’homme aux mille visages. Aujourd’hui, je voulais mettre à l’épreuve la promesse d’Hadjar de me laisser consulter les fichiers informatiques de la police. J’avais envie d’orienter mes recherches sur la police elle-même. J’avais envie d’en apprendre le plus possible sur les liens entre Okking et Bond-Khan.

Plutôt que d’y aller à pied, je pris un taxi pour me rendre au commissariat. Non pas parce que l’argent de Papa m’avait donné des goûts de luxe ; mais simplement parce que je sentais la pression des événements. Je pressais le temps autant que le temps lui-même me pressait. Les papies me grésillaient dans la tête et je ne ressentais ni courbatures, ni faim, ni soif. Je n’éprouvais non plus ni peur ni colère ; d’aucuns auraient pu m’avertir du danger de ne pas avoir peur. Peut-être qu’en effet j’aurais dû, un peu.

Je regardai Okking manger un petit déjeuner tardif dans sa fragile forteresse en attendant que Hadjar eût regagné son bureau. À son entrée, le sergent me jeta un regard distrait. « Z’êtes pas le seul fondu à me tanner, Audran, me dit-il avec aigreur. On a déjà une trentaine d’autres tordus pour nous refiler des tuyaux fantaisistes et des confidences piochées dans leurs rêves ou le marc de café.

— Alors, vous serez ravi que je n’aie pas le moindre tuyau pour vous. Au contraire, je suis venu vous en demander. Vous m’aviez dit que je pouvais me servir de vos fichiers.

— Oh ! ouais, sans problème ; mais pas ici. Si jamais Okking vous voyait, il me fendrait le crâne. Je vais les prévenir, en bas. Vous pourrez utiliser le terminal du second.

— Peu m’importe où il se trouve. » Hadjar passa son coup de fil, me tapa un laissez-passer et le signa. Je le remerciai et descendis au fichier informatique. Une jeune femme aux traits asiatiques me conduisit à un écran inutilisé, me montra comment passer d’un menu au suivant et me dit que si j’avais des questions à poser, la machine se chargerait d’y répondre. Elle n’était ni informaticienne ni bibliothécaire ; elle se contentait de répartir les flux de circulation dans la vaste salle.

Je consultai en premier lieu le fichier général, qui ressemblait furieusement au trombinoscope d’une agence de presse : quand je tapais un nom, l’ordinateur me donnait tous les renseignements disponibles concernant la personne. Le premier nom que j’entrai fut celui d’Okking. Le curseur s’immobilisa une ou deux secondes puis déposa régulièrement son sillage sur l’écran, de droite à gauche, en arabe. J’appris tout d’abord le prénom d’Okking, son patronyme, son âge, son lieu de naissance, ce qu’il avait fait avant de venir dans notre ville, bref, tout ce qu’on met sur un formulaire au-dessus du double trait de séparation. En dessous, commencent les choses vraiment sérieuses : selon le type de fichier, ce pourra être le dossier médical du sujet, son casier judiciaire, ses archives bancaires, ses orientations politiques, son ou ses penchant(s) sexuel(s), ou tout ce qui peut un jour ou l’autre se révéler pertinent.

Dans le cas d’Okking, sous le double trait, il n’y avait rien. Absolument rien. Al-sîfr, zéro.

Au début, je mis ça sur le compte d’un quelconque problème d’ordinateur. Je repris la procédure de zéro, remontant au premier menu, sélectionnant le genre d’information que je désirais puis tapant le nom d’Okking. Et j’attendis.

Mâ shî. Rien.

C’était Okking qui avait fait ça, j’en étais sûr. Il avait masqué ses traces, exactement comme son petit copain Khan à présent. Si j’avais envie de me rendre en Europe, dans son pays natal, je pourrais en savoir plus, mais seulement jusqu’au moment de son départ pour notre ville. Depuis lors, il n’avait plus aucune existence, officiellement parlant.

Je tapai Universal Export, le nom de code du groupe d’espionnage de James Bond. Je l’avais vu l’autre fois sur une enveloppe qui traînait sur le bureau d’Okking. Là encore, pas d’entrée à ce nom.

J’essayai James Bond sans grand espoir, et n’obtins rien. Idem avec Xarghis Khan. Le vrai Khan et le « vrai » Bond n’avaient jamais visité la cité, de sorte qu’il n’y avait aucun fichier les concernant.

Je réfléchis aux autres personnes que je pourrais contrôler sur ma lancée – Yasmin, Friedlander bey, moi-même – mais décidai de laisser ma curiosité insatisfaite jusqu’à une occasion moins urgente. J’entrai le nom d’Hadjar et ne fus pas surpris par ce que je lus. D’à peu près deux ans mon cadet, jordanien, un casier judiciaire modérément chargé après son arrivée dans la cité. Profil psychologique recoupant point par point ma propre estimation ; vous ne lui auriez pas donné vos chameaux à garder. Il était soupçonné de trafic de drogue et de devises avec les prisonniers. Il avait été impliqué une fois dans une affaire de disparition de biens confisqués, mais rien de bien concluant n’en était sorti. Le dossier officiel mettait en avant la possibilité qu’Hadjar pût profiter de sa position dans les forces de police pour exercer des trafics d’influences avec des particuliers ou des organisations criminelles. Le rapport suggérait qu’il n’était peut-être pas au-dessus d’abus de pouvoir tels que l’extorsion de fonds, l’escroquerie, les trafics et la conspiration, entre autres faiblesses à faire respecter la loi.

Hadjar ? Allons donc, qui t’a donné cette idée ? Allah m’en préserve !

Je hochai lugubrement la tête. Tous les services de police du monde étaient identiques sous deux aspects : tous avaient un net penchant à vous fendre le crâne pour un oui ou pour un non, et tous étaient parfaitement incapables de reconnaître la vérité toute nue, même étendue devant eux les cuisses ouvertes. Les flics ne font pas respecter la loi ; il faut attendre qu’elle soit enfreinte pour qu’ils daignent commencer à se casser le cul. Et même là, ils n’élucident les crimes qu’avec un taux de succès pitoyable. La police, pour être honnête, c’est une espèce de bureau d’enregistrement chargé de consigner les noms des victimes et les dépositions des témoins. Une fois que s’est écoulé un temps suffisant, ils peuvent tranquillement classer l’information dans le fond du tiroir pour laisser de la place aux suivantes.

Ah ! ouais, les flics aident aussi les petites vieilles à traverser la rue. Enfin, c’est ce que je me suis laissé dire.

Un par un, j’entrai les noms de tous ceux qui avaient été en rapport avec Nikki, à commencer par son oncle, Bogatyrev. Les renseignements concernant le vieux Russe et Nikki recoupaient exactement ce que Okking avait fini par bien vouloir me dire sur eux. Je supposai que si Okking pouvait s’extraire du système, il pouvait tout autant modifier le reste des archives de bien des façons. Je ne trouverai ici rien d’utile, sinon par accident ou du fait d’une négligence d’Okking. Je poursuivis ma recherche, avec un espoir de succès qui s’amenuisait.

Chou blanc, en effet. Finalement, je changeai mon fusil d’épaule et lus les fiches concernant Yasmin, Papa et Chiri, les Sœurs Veuves noires, Seipolt et Abdoulaye. Leurs dossiers m’apprirent qu’Hassan était sans doute un hypocrite, parce que s’il se refusait à utiliser professionnellement les implants cérébraux pour motifs religieux, c’était également un pédéraste notoire. Ce n’était pas une nouvelle pour moi. Le seul conseil que je puisse lui donner un de ces jours, c’était que ce jeune Américain qui avait déjà la cervelle câblée lui serait bien plus utile comme machine comptable qu’à rester planté là sur un tabouret dans sa boutique vide.

Parmi mes connaissances, le seul fichier que je m’abstins de consulter fut le mien. Je n’avais pas envie de savoir ce qu’ils pensaient de moi.

Après avoir parcouru les dossiers pour avoir la biographie de mes amis, je fouillai dans les archives de la compagnie du téléphone pour relever les appels effectués du commissariat. Rien de bien renversant là non plus ; de toute manière, Okking ne se serait pas servi du poste de son bureau pour appeler Bond. J’avais l’impression de me trouver au milieu d’un carrefour où n’aboutiraient que des impasses.

Je repartis avec matière à réfléchir mais rien de neuf. Je savais déjà ce que les fichiers avaient à dire sur Hadjar et les autres ; et la réticence qu’ils montraient à l’égard d’Okking – et, mais ce n’était pas si mystérieux que ça, de Friedlander bey – était intellectuellement excitante, à défaut d’être informative. J’y réfléchissais tout en déambulant dans le Boudayin. Au bout de quelques minutes, j’étais de retour devant mon immeuble.

Pourquoi étais-je revenu par ici ? Eh bien, je n’avais pas envie de dormir à l’hôtel encore une nuit. Un assassin au moins savait que j’y étais. J’avais besoin d’une autre base d’opérations, une qui soit sûre pendant au moins un jour ou deux. À mesure que je m’habituais à laisser les papies m’aider à m’organiser, j’étais plus rapide à prendre mes décisions, je me laissais moins influencer par mes émotions. Je me sentais désormais entièrement maître de moi, parfaitement détendu, plein d’assurance. J’avais envie de transmettre un message à Papa puis de me trouver un autre gîte temporaire pour la nuit.

Mon appartement était exactement tel que je l’avais laissé. Certes, je n’étais pas parti longtemps, même si ça paraissait des semaines ; ma perception du temps était complètement distordue. Jetant le sac de sport sur le matelas, je m’assis et murmurai le code d’Hassan dans mon téléphone. Il répondit à la troisième sonnerie. « Marhaba », dit-il. Il avait l’air fatigué.

« Salut, Hassan, Audran à l’appareil. J’aurais besoin de rencontrer Friedlander bey et j’espérais que tu pourrais m’arranger un rendez-vous.

— Il sera ravi que tu montres de l’intérêt à faire les choses comme il faut, mon neveu. Sans aucun doute voudra-t-il te voir pour que tu l’informes des progrès de ton enquête. Veux-tu un rendez-vous cet après-midi ?

— Le plus tôt que tu pourras, Hassan.

— Je vais m’en occuper, ô habile ami, et je te rappelle pour te tenir au courant.

— Merci. Avant que tu raccroches, je veux te poser une question. Sais-tu s’il y a un rapport quelconque entre Papa et Lutz Seipolt ? »

Il y eut un long silence, tandis que Hassan élaborait sa réponse. « Plus maintenant, mon neveu. Seipolt est mort, n’est-ce pas ?

— Ça, je sais, fis-je avec impatience.

— Seipolt ne s’occupait que d’import-export. Et uniquement d’articles de bazar, rien qui puisse intéresser Papa.

— À ta connaissance, donc, Papa n’aurait jamais tenté de se tailler une part du marché de Seipolt ?

— Mon neveu, le marché de Seipolt valait à peine d’être mentionné. Ce n’était qu’un petit homme d’affaires, comme moi.

— Mais aussi, tout comme toi, il avait éprouvé le besoin d’avoir une deuxième source de revenus pour joindre les deux bouts. Tu travailles pour Friedlander bey et Seipolt travaillait pour les Allemands.

— Par la prunelle de mes yeux ! Est-ce possible ? Seipolt, un espion ?

— Je serais prêt à parier que tu le savais déjà. Enfin, peu importe. Et toi, as-tu déjà été en relation avec lui ?

— Comment ça ? » Son ton se durcit.

« Pour affaires. L’import-export. Vous avez ça en commun.

— Oh, eh bien, je lui passais commande de temps en temps, s’il avait à offrir certains articles européens particulièrement intéressants ; mais je ne crois pas qu’il m’ait jamais acheté quoi que ce soit. »

Cela ne me menait nulle part. À sa requête, je lui fournis un bref récapitulatif des événements depuis ma découverte du corps de Seipolt. Quand j’eus terminé, il était de nouveau complètement terrorisé. Je lui parlai d’Okking et du caviardage des rapports de police. « C’est pour cela que j’ai besoin de voir Friedlander bey.

— Tu as des soupçons ?

— Ce n’est pas simplement le fait qu’il manque des informations dans les dossiers, et que Okking soit un agent étranger. Je n’arrive tout bonnement pas à croire qu’il ait consacré toutes les ressources du service à l’élucidation de ces crimes sans être encore parvenu à en tirer pour moi un seul élément d’information utilisable. Je suis sûr qu’il en sait plus qu’il ne veut bien me dire. Papa a promis qu’il le forcerait à partager ses informations. J’ai besoin d’en avoir le cœur net.

— Bien entendu, mon neveu, ne te tracasse pas pour ça. Ce sera fait, inchallah. Donc, tu n’as aucune idée de ce que le lieutenant peut savoir au juste.

— C’est la manière des flics, dis-je en français. Il peut aussi bien avoir déjà réglé toute l’affaire qu’en savoir encore moins que moi. Il est passé maître dans l’art de vous mener en bateau.

— Il ne peut pas mener en bateau Friedlander bey.

— Il essaiera.

— Sans succès. Veux-tu encore de l’argent, ô mon habile ami ? »

Merde, ça pouvait toujours servir. « Non, Hassan, je me débrouille fort bien pour l’instant. Papa s’est montré plus que généreux.

— Si tu as besoin de liquide pour poursuivre tes investigations, tu n’auras qu’à me contacter. Tu accomplis un excellent travail, mon fils.

— Au moins, je ne suis pas encore mort.

— Tu as l’esprit d’un poète, mon chéri. Je dois te quitter. Les affaires sont les affaires, comme tu le sais.

— Exact, Hassan. Rappelle-moi dès que tu auras parlé à Papa.

— Qu’Allah t’ait en sa sainte garde.

Allah yisallimak. » Je me levai et rangeai de nouveau le téléphone ; puis je me mis à la recherche du premier des deux objets que j’avais trouvés dans le sac de Nikki : le scarabée dérobé à la collection de Seipolt. Cette reproduction en cuivre liait Nikki directement à Seipolt, tout comme sa bague que j’avais aperçue dans la maison de l’Allemand. Évidemment, maintenant que Seipolt se retrouvait parmi les chers disparus, la valeur de ces articles devenait discutable. Certes, le Dr Yeniknani avait encore le mamie pirate ; il pouvait constituer une importante pièce à conviction. J’estimai qu’il était temps de commencer à préparer une présentation de tout ce que j’avais appris depuis le début de mon enquête, au cas où j’aurais à fournir l’ensemble aux autorités. Pas à Okking, bien sûr, ni à Hadjar. Je n’étais pas certain de qui représentait les autorités adéquates mais je savais bien qu’elles devaient exister quelque part. Les trois pièces ne suffiraient pas à emporter la conviction de quiconque dans un tribunal européen, mais au regard de la justice islamique elles suffisaient amplement.

Je retrouvai le scarabée sous le rebord du matelas. J’ouvris la fermeture à glissière de mon sac et glissai le souvenir pour touristes de Seipolt au fond, sous mes vêtements. Je fis avec soin mes bagages, désireux de m’assurer que tous mes biens n’étaient plus dans l’appartement. Puis je fis çà et là des piles de tout un tas de trucs sans valeur. Je n’avais pas envie de passer trop de temps à faire le tri. Quand j’eus terminé, il ne restait rien dans le studio pour trahir que j’y eusse jamais vécu. J’éprouvai une tristesse cuisante : j’avais vécu dans cet appartement plus longtemps que n’importe où ailleurs dans ma vie. S’il y avait un endroit que je pouvais appeler mon chez-moi, ç’aurait dû être ce petit appartement. À présent, toutefois, ce n’était plus qu’une grande pièce abandonnée, avec des vitres sales et un matelas déchiré par terre. Je sortis, refermant la porte derrière moi.

Je rendis mes clés à Qasim, le propriétaire. Il fut surpris et chagriné de mon départ. « Je me suis bien plu dans ton immeuble, lui dis-je, mais il plaît à Allah que j’aille à présent m’installer ailleurs. »

Il m’embrassa et invoqua Allah pour qu’il nous mène l’un et l’autre sur le juste chemin menant au Paradis.

Je me rendis à la banque et me servis de ma carte pour solder intégralement mon compte et le fermer. Je fourrai les billets dans l’enveloppe que Friedlander bey m’avait envoyée. Dès que je me serais trouvé un autre point de chute, je l’ouvrirais pour voir de combien je disposais en tout ; disons que je me faisais languir en me forçant à ne pas regarder tout de suite.

Ma troisième étape fut à l’hôtel Palazzo di Marco Aurelio. J’étais à présent vêtu de ma djellabah et de mon keffieh mais avec les cheveux en brosse et le visage rasé. Je ne crois pas que le réceptionniste m’ait reconnu.

« J’ai réglé une semaine d’avance, lui dis-je, mais mes affaires m’obligent à libérer ma chambre plus tôt que prévu. »

Murmure du réceptionniste : « Nous sommes désolés de l’apprendre, monsieur. Nous avons été ravis d’avoir votre clientèle. » J’acquiesçai et déposai ma clé sur le comptoir. « Si vous me permettez, un instant…» Il tapa le numéro de la chambre sur son terminal, vit que l’hôtel me devait effectivement un peu d’argent et lança l’impression du reçu.

« Vous avez tous été fort aimables », lui dis-je.

Il sourit. « Ce fut un plaisir. » Il me tendit le reçu en m’indiquant le caissier. Je le remerciai encore. Quelques instants plus tard, je glissais le remboursement partiel dans mon sac de sport, avec le reste de l’argent.

Avec dans mon sac mon argent, mes mamies et papies, et ma garde-robe, je partis vers le sud-ouest, m’éloignant du Boudayin et du quartier de boutiques chic proches du boulevard Il-Djamil. Je parvins dans un faubourg pour fellahîn tout en ruelles et passages tortueux, aux petites maisons au toit en terrasse et aux murs délavés, avec des fenêtres fermées par des volets ou de fins croisillons de bois. Certaines étaient en meilleur état, avec des velléités de jardinage dans la terre sèche au pied des murs. D’autres en revanche étaient décrépites, avec leurs volets écornés bâillant au soleil comme la langue de chiens essoufflés. Je me dirigeai vers une bâtisse bien tenue et frappai à sa porte. J’attendis quelques minutes avant qu’elle s’ouvre, révélant un barbu imposant et musculeux. Les yeux plissés par la méfiance, il me scruta d’un air peu amène en mâchouillant un bout de bois coincé entre ses dents. Il attendit que je parle.

Sans aucune confiance, je me lançai dans mon récit. « J’ai été abandonné dans cette ville par mes compagnons. Ils m’ont volé toute notre marchandise et mon argent avec. Je suis obligé de quémander, au nom d’Allah et de l’Apôtre de Dieu, que la bénédiction d’Allah soit sur lui et la paix, ton hospitalité pour aujourd’hui et ce soir.

— Je vois, dit l’homme d’une voix renfrognée. La maison est fermée.

— Je ne te causerai aucune matière à offense. Je…

— Pourquoi n’essaies-tu pas de mendier là où l’hospitalité est plus généreuse ? On me dit qu’il existe ici et là des familles qui ont assez pour se nourrir et nourrir en plus des chiens et des étrangers avec. Moi, je suis bien content de gagner juste de quoi acheter des haricots et du pain à ma femme et mes quatre enfants. »

Pigé. Je repris : « Je sais que tu n’as pas besoin d’ennuis. Quand je me suis fait voler, mes compagnons ignoraient que je gardais toujours un peu d’argent en réserve dans mon sac. Ils se sont empressés de prendre tout ce qui était bien visible, me laissant juste de quoi survivre un jour ou deux, jusqu’à ce que je sois capable de retrouver mon chemin et d’aller leur réclamer de justes comptes. »

L’homme se contenta de me fixer, attendant l’apparition de quelque chose de magique.

Je défis la fermeture à glissière de mon sac et l’ouvris. Je le laissai consciencieusement me voir écarter les vêtements posés dedans – chemises, pantalons et chaussettes – jusqu’à ce que j’aie sorti de tout au fond un billet de banque. « Vingt kiams, dis-je tristement, voilà tout ce qu’ils m’ont laissé. »

Le visage de mon nouvel ami passa par une rapide sélection d’émotions. Dans le coin, les billets de vingt kiams faisaient remarquer leur présence à grand bruit. L’homme n’était peut-être pas sûr de moi mais je savais en tout cas qu’il réfléchissait.

« Si tu veux bien m’offrir le bénéfice de ton hospitalité et de ta protection pour les deux prochains jours, je te laisserai tout l’argent que tu vois ici. » J’agitai les vingt kiams plus près encore de ses yeux qui s’agrandissaient.

L’homme était visiblement ébranlé ; s’il avait été doté de grandes feuilles aplaties, il aurait sans aucun doute bruissé. Il n’aimait pas les étrangers – merde, personne n’aime les étrangers. Il n’appréciait guère la perspective d’en accueillir un sous son toit pour quarante-huit heures. Vingt kiams, pourtant, c’était pour lui l’équivalent de plusieurs jours de paie. Quand je l’examinai de nouveau attentivement, je vis qu’il avait cessé de me jauger : il était déjà en train de dépenser les vingt kiams de cent manières différentes. Tout ce que j’avais à faire, c’était attendre.

« Nous ne sommes pas des gens riches, ô seigneur.

— Dans ce cas, les vingt kiams t’allégeront l’existence.

— Certes, certes, ô seigneur, et je désire effectivement les avoir ; néanmoins, j’ai honte de laisser une personne éminente comme toi contempler la misère sordide de ma demeure.

— J’ai vu misère pire que tu ne peux imaginer, mon ami, et me suis élevé bien au-dessus comme toi-même le pourras. Je n’ai pas toujours été comme je t’apparais aujourd’hui. Ce n’est que par la volonté d’Allah si je me retrouve jeté dans les tréfonds de la misère, afin de pouvoir aller récupérer ce qui m’a été arraché. M’aiderais-tu ? Allah apportera fortune à tous ceux qui auront été généreux avec moi en cours de route. »

Le fellah me contempla, perplexe, un long moment. Au début, je crus qu’il me prenait tout bonnement pour un fou, et que le mieux était de me fuir en courant. Mes divagations rappelaient le discours de quelque prince enlevé des contes anciens. Ce genre d’histoire était parfait pour les longues soirées, à chuchoter au coin du feu après un frugal souper et avant le sommeil aux rêves troublés. À la lumière du jour, toutefois, une confrontation telle que celle-ci n’avait rien pour paraître plausible. Rien, hormis cet argent que je brandissais dans ma main comme un rameau de dattier. Les yeux de mon ami étaient rivés sur le billet de vingt kiams au point que je doute qu’il eût été capable de décrire mon visage à quiconque.

À la fin, je fus admis dans la demeure de mon hôte, Ishak Jarir. Il maintenait une discipline stricte et je ne vis nulle part de femme. Il y avait un étage au-dessus, où dormaient les membres de la famille et où se trouvaient quelques réduits servant au rangement. Jarir ouvrit la porte de bois plein de l’un de ceux-ci et, sans ménagement, me poussa à l’intérieur, me disant dans un souffle : « Ici, tu seras en sécurité. Si tes perfides amis viennent ici et te demandent, nul dans cette maison ne t’a vu. Mais tu ne pourras rester que jusqu’à demain, après les prières du matin.

— Je remercie Allah pour, dans Sa sagesse, m’avoir guidé jusqu’à un homme aussi généreux que toi. J’ai encore une affaire à régler et si tout se déroule comme je le prévois, je serai de retour avec un billet jumeau de celui que tu tiens dans ta main. Ce jumeau sera pour toi, également. »

Jarir ne voulait pas entendre de détails. « Que ton entreprise soit prospère, me dit-il. Je t’avertis, toutefois : si tu reviens après les dernières prières, tu ne seras pas admis.

— Il en sera comme tu le dis, ô honorable. » Je me retournai pour contempler la pile de chiffons qui allait constituer mon havre pour la nuit, sourit innocemment à Ishak Jarir et sortis de sa demeure en réprimant un frisson.

Je tournai pour descendre la rue étroite et pavée qui, pensais-je, me ramènerait au boulevard Il-Djamîl. Quand je la vis entamer une lente courbe vers la gauche, je sus que je m’étais trompé mais comme elle allait quand même dans la bonne direction, je la suivis. Après un virage, cependant, il n’y eut plus que des murs de brique aveugles à l’arrière de bâtisses délimitant une impasse puante. Je marmonnai un juron et fis demi-tour pour rebrousser chemin.

Un homme me bloquait le passage. Il était mince, avec une barbe mitée et négligée, et son visage arborait un sourire faussement timide. Il portait un polo jaune à col ouvert, un costume marron froissé, un keffieh blanc à carreaux rouges et des chaussures de cuir brun éraflées. Son expression stupide me rappelait celle de Fouad, l’idiot du Boudayin. À l’évidence, il m’avait suivi depuis l’entrée de l’impasse ; je ne l’avais pas entendu arriver dans mon dos.

Je n’aime pas les gens qui me suivent à pas de loup ; je défis mon sac tout en gardant les yeux fixés sur lui. Il resta planté là, sans bouger, oscillant d’un pied sur l’autre en souriant toujours. Je sortis une paire de papies et refermai la fermeture à glissière. J’avançai sur lui mais il m’arrêta d’une main posée sur ma poitrine. Je baissai les yeux sur la main, puis revins à son visage. « Je n’aime pas qu’on me touche », lui dis-je.

Il se rétracta comme s’il venait de profaner le saint des saints. « Mille pardons, dit-il faiblement.

— T’as une raison quelconque de me suivre ?

— Je pensais que tu pourrais être intéressé par ce que j’ai ici. » Il m’indiquait la mallette en skaï qu’il tenait à la main.

« T’es représentant ?

— Je vends des mamies, seigneur, et une large sélection de périphériques d’extension parmi les plus utiles et les plus intéressants sur le marché. J’aimerais te les présenter.

— Non, merci. »

Il haussa les sourcils, plus si timide à présent, comme si je lui avais demandé de poursuivre. « Ça ne prendra qu’un instant et il est bien possible que j’aie très précisément ce que tu recherches.

— Je ne cherche rien en particulier.

— Oh ! mais si, seigneur, ou bien tu ne te serais pas fait câbler maintenant, pas vrai ? »

Je haussai les épaules. Il s’agenouilla pour ouvrir sa mallette d’échantillons. J’étais bien décidé à ne rien me laisser fourguer. Je ne traite pas avec les fouines.

Il sortit mamies et papies de la boîte pour les aligner régulièrement devant sa mallette. Lorsqu’il eut fini, il leva les yeux sur moi. Je voyais bien comme il était fier de sa marchandise. « Eh bien », me dit-il.

Silence expectatif.

« Eh bien quoi ? demandai-je.

— Qu’en penses-tu ?

— Des mamies ? Ils ressemblent à tous les autres modules que j’ai déjà vus. Lesquels est-ce ? »

Il s’empara du premier de la rangée. Il me le lança et je l’attrapai ; d’un coup d’œil, je constatai qu’il était dépourvu d’étiquette, moulé dans un plastique plus grossier que les mamies habituels que je voyais chez Laïla et dans les souks. De la contrebande. « Celui-là, tu connais déjà », me dit l’homme, en me servant à nouveau son sourire désolé.

Ce qui lui valut un regard incisif.

Il retira son keffieh. Ses rares cheveux bruns lui retombaient sur les oreilles. Il avait l’air de ne pas s’être lavé depuis un mois. Une main fit jaillir le mamie qu’il portait jusque-là. Le représentant timide s’évanouit. Les mâchoires de l’homme béèrent, son regard devint flou mais, avec une célérité née de la pratique, il s’encastra un autre de ses mamies maison. Soudain, ses yeux se plissèrent, sa bouche dessina un rictus méchant, sadique. Il s’était mué d’un homme en un autre ; il n’avait pas besoin des déguisements habituels : le changement total de posture, d’attitudes, d’expression, d’élocution était plus efficace que n’importe quelle combinaison de postiches et de maquillages.

J’étais mal : j’avais James Bond dans la main et j’étais en train de fixer les yeux glacés de Xarghis Moghédhîl Khan. Mon regard plongeait dans la folie. J’élevai la main et m’enfichai les deux papies. Le premier me procurerait une force musculaire surnaturelle, désespérée, sans aucune douleur ni lassitude, jusqu’à la déchirure effective des tissus. Le second supprimait tous les bruits ; j’avais besoin de concentration. Khan grondait en me montrant les dents. Il avait maintenant dans la main un long coutelas vicieux, au manche d’argent décoré de pierres colorées, avec une garde en or. « Assieds-toi, lus-je sur ses lèvres. Par terre. »

Je ne risquais pas de m’asseoir pour lui faire plaisir. Ma main s’avança de dix centimètres, cherchant à tâtons le lance-aiguilles sous les plis de ma robe. Elle bougea à peine puis se figea car je venais de me rappeler que l’arme était restée sous l’oreiller de l’hôtel ; depuis, la femme de chambre avait dû le trouver. Et le paralysant était bien planqué tout au fond de mon sac. Je reculai devant Khan. « Je vous suis depuis un long moment, monsieur Audran. Je vous ai observé au commissariat de police, chez Friedlander bey, dans la maison de Seipolt, à l’hôtel. J’aurais pu vous tuer cette nuit où j’ai fait comme si vous n’étiez qu’un de ces putains de voleurs, mais je n’avais pas envie d’être interrompu. J’attendais le moment opportun. Et maintenant, monsieur Audran, maintenant, vous allez mourir. » C’était merveilleusement simple de lire sur ses lèvres ; le monde entier s’était relaxé pour évoluer deux fois moins vite seulement que la normale. Lui et moi avions tout le temps voulu…

La bouche de Khan se déforma. Il appréciait son rôle. Il me fit reculer un peu plus dans la ruelle. J’avais les yeux rivés sur ce couteau étincelant, dont il comptait se servir non seulement pour me tuer mais également pour me tailler en pièces. Il avait l’intention de répandre mes entrailles sur les détritus et les pavés crasseux comme une guirlande de fête. Certaines personnes sont terrifiées par la mort ; d’autres le sont bien plus encore par l’agonie qui peut la précéder. Pour être honnête, c’est mon cas. Je savais qu’un jour il me faudrait mourir, mais j’espérais que ce serait rapide et sans douleur – durant mon sommeil, si j’avais de la chance. Torturé d’abord par Khan : ce n’était certainement pas ainsi que j’avais envie de tirer ma révérence.

Les papies m’empêchaient de paniquer. Si je laissais par trop la frayeur m’envahir, je serais transformé en souvlaki en l’espace de cinq minutes. Je reculai encore, scrutant le passage en quête d’un objet susceptible d’égaliser mes chances contre ce dément et son poignard. Le temps allait me manquer.

Khan retroussa les lèvres et me chargea en poussant des cris inarticulés. Tenant haut sa dague, au niveau de l’épaule, il fondit sur moi, telle lady Macbeth. Je le laissai faire trois pas puis esquivai sur la gauche et fonçai sur lui. Il s’était attendu à me voir prendre la fuite à reculons et, quand il me vit arriver, il hésita. Ma main gauche saisit son poignet droit, mon autre bras passa derrière son avant-bras pour l’immobiliser. De la main gauche, je rabattis en arrière la main qui tenait le couteau, contre le point d’appui de mon bras droit. D’ordinaire, on peut désarmer un attaquant de la sorte mais Khan était fort. Plus fort qu’aurait dû l’être ce corps presque émacié ; la folie lui donnait un surcroît de puissance, en plus de son mamie et de ses papies.

De sa main libre, Khan me prit à la gorge, me repoussant la tête en arrière. Je passai la jambe droite derrière la sienne et le déséquilibrai. Nous nous retrouvâmes tous les deux au sol mais, en tombant, j’avais pris soin de lui masquer le visage de la main droite, afin, au moment du choc, de lui cogner la nuque par terre de toutes mes forces. J’atterris le genou sur son poignet, et sa main s’ouvrit. Je jetai son poignard le plus loin possible, puis me servis des deux mains pour lui cogner la tête sur le pavé gras à plusieurs reprises encore. Khan était estourbi mais cela ne dura pas. Il roula pour se dégager et se jeta de nouveau sur moi, me lacérant et me mordant la chair. Nous luttâmes, chacun tentant de prendre l’avantage mais nous nous agrippions si étroitement que j’étais incapable de projeter les poings. Je ne pouvais même pas me dégager les bras. En attendant, il continuait à m’amocher, me lacérant de ses ongles crasseux, me déchirant à belles dents, me martelant à coups de genoux.

Khan poussa un cri perçant et me souleva de côté ; puis il bondit et, avant que j’aie pu me dérober, atterrit de nouveau sur moi, maintenant mes deux bras cloués, de la main et du genou. Il leva le poing, prêt à l’écraser sur ma gorge. Je hurlai, voulus le repousser mais j’étais incapable de bouger. Je me débattis et je lus dans ses yeux l’éclat dément de la victoire. Il était en train de roucouler quelque prière inarticulée. Avec un hurlement sauvage, il abattit son poing et me cueillit à la tempe. Je perdis presque connaissance.

Khan se précipita vers son couteau. Je me contraignis à m’asseoir et cherchai frénétiquement à récupérer mon sac de sport. Entre-temps, Khan avait retrouvé sa dague et me fonçait dessus. Je parvins à ouvrir mon sac et répandis tout son contenu sur le sol. Khan n’était plus qu’à un mètre de moi quand je l’épinglai d’une longue salve de paralysant. Khan poussa un cri étranglé et s’effondra juste à mes côtés. Il en avait pour plusieurs heures à rester inconscient.

Les papies bloquaient le plus gros de la douleur, mais pas intégralement ; pour le reste, ils le maintenaient à distance. Malgré tout, j’étais encore incapable de bouger et il faudrait encore plusieurs minutes avant que je sois en mesure de faire quoi que ce soit d’utile. Je regardai la peau de Khan tourner au bleu cyanosé tandis qu’il se débattait pour admettre de l’air dans ses poumons. Il fut pris de convulsions puis soudain se détendit totalement, à quelques centimètres à peine de moi. Je me rassis, cherchant mon souffle et attendis d’être enfin en état d’éliminer les effets du combat. La première chose que je fis aussitôt fut d’ôter le module de la tête de Khan. Puis j’appelai le lieutenant Okking pour lui annoncer la bonne nouvelle.

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