Chapitre 14

Susan s’accrocha à mon cou et attira ma tête vers elle pour m’embrasser. Comme tous les baisers, c’était plutôt, heu, intéressant. Très passionné, sincère, sans une trace de réflexion ou d’hésitation. En tout cas, pas de sa part. Quand je remontai à la surface pour prendre de l’air, après une minute, j’avais les lèvres en feu, et elle me regardait avec un regard lubrique.

— Prends-moi, Harry ! J’ai besoin de toi !

— Heu, Susan, je ne sais pas si c’est vraiment le moment.

Elle était sous l’emprise de la potion à présent. Pas étonnant qu’elle se soit reprise aussi vite, avant de remonter pour tirer sur le démon. La décoction avait dû la désinhiber au point de faire disparaître sa peur.

— Ta bouche dit non, minauda-t-elle en faisant voyager ses doigts vers mon intimité. Mais ça, ça dit oui !

Je me hissai sur la pointe des pieds, tentant de repousser ses mains tout en gardant mon équilibre.

— Ce truc ne raconte que des conneries !

Elle ne m’écoutait plus. La potion avait chargé sa libido comme l’esprit d’un kamikaze qui monte dans son avion.

— Bob ! Aide-moi !

— Je suis coincé dans ce crâne, Harry. Si tu ne me laisses pas sortir, je ne peux pas faire grand-chose…

Susan se débrouilla pour mordiller une de mes oreilles et enrouler une de ses jambes autour des miennes. Puis elle commença à gémir en cherchant de nouveau à m’allonger. Je perdis l’équilibre. Quatre-vingt-dix centimètres de diamètre, c’est peu pour faire de la gymnastique, du catch ou… n’importe quoi d’autre, sans que rien ne dépasse. Le démon n’attendait que ça.

— L’autre potion est toujours là ? demandai-je.

— Bien sûr ! Je la vois d’ici, elle est par terre. Je pourrais même te la lancer.

— Parfait, dis-je, soudain excité – enfin, encore plus excité.

J’allais peut-être m’en sortir vivant.

— Je vais te libérer pendant cinq minutes. Envoie-moi la potion.

— Non, patron, lâcha froidement le crâne.

— Comment ça, non ?

— Je veux vingt-quatre heures ou rien.

— Sacrebleu ! Je suis responsable de tes actes si tu te barres ! Tu le sais !

— Je ne porte pas de culotte, murmura Susan.

Elle tenta ensuite un balayage digne des meilleures judokas. Je chancelai, mais parvins à retrouver mon équilibre de justesse. Les yeux du monstre s’étrécirent, et il se leva, prêt à nous sauter dessus.

— Bob ! T’es qu’un fumier !

— Essaie de vivre dans une cage en os pendant quelques siècles, Harry ! Je suis sûr que tu apprécierais une nuit de détente de temps en temps.

— D’accord ! criai-je, mon cœur ratant un battement alors que je titubai de nouveau. Marché conclu ! Envoie-moi la potion et tu auras tes vingt-quatre heures !

— La rate pas, surtout !

Un flot de lumière orangée jaillit des orbites du crâne pour former un nuage scintillant qui auréola la potion avant de la propulser vers moi. Je l’attrapai de ma main libre, manquai de la lâcher, mais affermis ma prise. La décoction ayant été enchantée par mes soins, elle s’accordait donc parfaitement avec l’énergie du cercle.

Le nuage – la forme spirituelle de Bob – dansa une petite gigue, puis fila par l’escalier.

— Qu’est-ce que c’est ? demanda Susan, les yeux vitreux.

— Encore à boire. On partage. Je dois pouvoir me concentrer assez pour deux et nous tirer de là.

— Harry, roucoula la journaliste, je n’ai pas soif, j’ai faim !

J’eus un éclair de génie.

— On avale ça et après on va au lit ! Soufflai-je.

Susan me regarda l’air confus, avant d’afficher un sourire carnassier.

— À la tienne, Harry !

Ses mains ponctuèrent ses mots d’un commentaire des plus obscènes, et je sursautai, manquant de lâcher la bouteille. Récoltant un peu plus de shampoing dans les yeux, je décidai de les fermer.

Je m’enfilai la moitié de la potion en essayant d’ignorer le goût amer du cola, puis passai la fiole à Susan. Elle but le reste, puis se lécha les lèvres.

Mon ventre commença à bouillonner : un sentiment de flottement et de légèreté qui remonta, traversa mes poumons, puis passa dans mes bras. Il descendit aussi dans mes jambes.

J’eus des spasmes.

Puis j’explosai.

Je devins un nuage composé de milliards de morceaux d’Harry, chacun doué de sa propre conscience. La pièce n’était plus un simple sous-sol, mais une constellation d’énergies dotées de formes et de fonctions précises. Même le démon n’était plus qu’un flot de particules lent et dense. Je dépassai cet agrégat pour traverser le plancher, puis jaillir à l’extérieur de l’appartement, où la tempête dénuée d’organisation faisait toujours rage.

Au bout de cinq secondes, l’effet de la potion disparut. Je sentis tous mes petits moi se précipiter l’un vers l’autre et se percuter à une vitesse inimaginable.

Quelle souffrance !

Cette collision venue de toutes parts me donna la nausée. Je titubai et plantai fermement ma crosse dans le sol. La pluie ruisselait sur mon corps.

Moins d’une seconde plus tard, Susan apparut à mes côtés et s’assit aussitôt.

— Mon dieu, j’ai mal, gémit-elle.

À l’intérieur, la créature hurlait de rage. Je l’entendis tout saccager.

— Allez ! dis-je, il faut se tailler avant qu’il pense à nous chercher dehors.

— Je suis malade… Pas sûre de pouvoir marcher.

— C’est le mélange des potions. Ça arrive. Il faut partir. Lève-toi, Susan ! Un peu de courage !

Je la remis sur ses pieds et la fuite commença.

— Où va-t-on ? demanda Susan.

— Tu as tes clés de voiture ?

Elle tâta sa robe à la recherche d’une poche, puis fit non de la tête.

— Elles sont dans mon manteau !

— Alors, on ira à pied.

— Mais où ?

Du côté de la rue de Reading. Elle est toujours inondée quand il pleut comme ça ! Ce sera suffisant pour bloquer cette saloperie, si elle nous suit !

C’était à quelques pâtés de maisons. Il pleuvait des cordes, et je tremblais, nu comme un ver, les yeux pleins de shampoing.

Au moins, j’étais propre.

— Pardon ? bafouilla Susan. Comment veux-tu que la pluie l’affecte ?

— Pas la pluie, l’eau courante ! Elle le tuera s’il essaie de traverser…

J’espérais que le mélange des potions n’aurait pas des effets irréversibles. Il y avait déjà eu des accidents.

On avançait bien. On avait dû faire une quarantaine de mètres, nous étions presque arrivés.

— Ho ! Ho ! Ça suffit ! lâcha Susan.

Elle s’écroula sur le sol et se convulsa. Je tentai de la retenir, mais j’étais trop fatigué et elle faillit m’entraîner dans sa chute.

Se couchant sur le côté, elle vomit tripes et boyaux.

Nous étions de nouveau la proie du tonnerre et des éclairs. J’entendis le pouvoir de la foudre toucher un arbre, non loin de là. Il y eut un flash, puis les branches s’embrasèrent. J’évaluai la distance qu’il nous restait à parcourir pour nous réfugier derrière la rue de Reading.

Une trentaine de mètres.

— Votre ténacité me surprend, fit une voix.

Je crus mourir de peur. Agrippant mon bâton à deux mains, je me retournai lentement pour repérer l’auteur de cette phrase.

— Qui est là ?

Dans ce coin, une tache froide… Pas un froid physique, mais quelque chose de plus sombre, de plus profond, qui titillait mes autres sens. Une masse d’ombre, une illusion dans l’obscurité entre les lampadaires. Elle disparaissait quand la foudre tombait, puis réapparaissait.

— Vous ne croyez pas que je vais vous donner mon nom ? lança la silhouette. Il vous suffit de savoir que je suis celui qui vous a tué.

— Vous êtes un cancre, répliquai-je en continuant de chercher. Le travail n’est pas fini.

À une vingtaine de mètres, une zone d’ombre s’étendait sous un réverbère cassé. Je distinguai une silhouette. Impossible de savoir s’il s’agissait d’une femme ou d’un homme, et la voix ne m’aidait pas plus.

— Ça ne devrait plus tarder, assura l’apparition d’un ton confiant. Vous ne tiendrez plus très longtemps. Mon démon vous achèvera dans les dix minutes.

— Vous avez appelé cette aberration ici ?

— Effectivement…

— Vous êtes dingue ! Vous savez ce qui peut vous arriver si cette monstruosité se libère ?

— Ça n’arrivera pas, je la contrôle.


Je lançai mes perceptions vers la zone d’ombre. J’avais vu juste. Il n’y avait personne, pas même une illusion dissimulant quelqu’un. Ce n’était qu’une image, un hologramme qui voyait, entendait et parlait à la place de son créateur, où qu’il soit.

— Que faites-vous ? demanda la forme.

Elle avait dû sentir le mouvement de mes sens.

— Je vérifie vos références, répondis-je en lui envoyant une parcelle de ma volonté – l’équivalent magique d’une gifle.

L’image cria de surprise et se dissipa un peu.

— Comment avez-vous fait ça ? grogna-t-elle.

— Je suis allé à l’école, moi…

L’hologramme grommela avant de beugler un chapelet de syllabes. Je tentai d’en saisir quelques bribes, mais un coup de tonnerre couvrit la dernière partie de ce qui devait être le Nom Véritable du démon.

Dans mon sous-sol, le remue-ménage cessa brusquement.

— Vous allez me le payer ! cracha la voix.

— Pourquoi moi ?

— Vous êtes sur ma route.

— Laissez partir la femme.

— Désolé, elle en a trop vu. Elle est sur mon chemin aussi, maintenant. Ma créature vous tuera tous les deux.

— Enfoiré !

L’ombre se mit à rire.

Je scrutai ma maison. Malgré le bruit de la pluie, je perçus un sifflement suivi d’un grondement. Des yeux bleus globuleux reflétèrent la foudre, en haut de l’escalier. Ils me repérèrent dans l’instant, et le monstre s’élança. Il percuta l’aile de la voiture de Susan, puis saisit l’arrière de ses fines mains à ventouses et la retourna d’un coup. La pauvre caisse atterrit sur le toit dans un grand bruit de tôles froissées.

J’évitai de penser à ce que feraient ces doigts autour de mon cou.

— Vous avez vu, continua l’Homme de l’Ombre. Il est à moi ! Préparez-vous à mourir, Dresden !

Il y eut un nouvel éclair, et le démon se mit à courir à quatre pattes comme un gros lézard qui trotte sur le sable chaud à la recherche d’un coin ombragé. Il avait l’air ridicule, mais il approchait à une vitesse surprenante.

— Votre crédit est épuisé, veuillez renouveler l’appel, empaffé ! grognai-je.

Je braquai ma crosse vers l’ombre, ma volonté concentrée sur une attaque en règle.

Stregallum Finitas !

Un rayon de lumière cramoisi entoura l’image et entreprit de la consumer.

— Dresden ! gémit l’apparition. Mon démon te brisera les os !

L’image se tordit de douleur, puis elle disparut sur une plainte angoissée tandis que mon contre-sort finissait de la déchiqueter. J’étais meilleur que le créateur de l’image et il n’avait aucune chance de gagner contre mon assaut. L’apparition et le cri se dissipèrent puis disparurent complètement. Je m’autorisai une bouffée de satisfaction avant de me tourner vers la femme étendue sur le bitume.

— Susan, dis-je en m’agenouillant sans quitter le crapaud des yeux, lève-toi, on doit se tirer !

— Je ne peux pas. Mon Dieu…

Elle recommença à vomir. Puis elle tenta vainement de se relever. Elle sanglotait.

Je contemplai l’eau tout en calculant la vitesse du démon. Il était rapide, mais pas assez pour rattraper un homme. Je pouvais m’enfuir, si je courais à pleine vitesse. Traverser l’eau et m’en tirer.

Impossible de porter la journaliste, qui me ralentirait trop. Mais si je restais, nous allions mourir tous les deux. Il fallait que l’un d’entre nous s’en sorte, non ?

Je fixai le monstre. J’étais lessivé et il m’avait pris par surprise. Le déluge neutralisait la plus ancienne des armes de l’humanité, le feu. Impossible de le repousser ainsi. De plus, j’étais trop exténué pour tenter quoi que ce soit d’autre. Bref, je n’avais aucune chance de vaincre cette horreur.

Susan pleurait, à la merci de la pluie, incapable de se lever, malade à crever à cause de mes potions.

Je relevai la tête et laissai l’averse dissiper les dernières traces de shampoing. Je me tournai vers le démon. Je ne pouvais pas abandonner Susan. Je n’aurais pas pu vivre après une telle trahison, alors, autant mourir debout.

Le monstre siffla en se redressant. Il leva les bras. La foudre illumina la nuit, le tonnerre tombant assez près pour faire vibrer l’asphalte.

Le tonnerre.

La foudre.

L’orage.

Je levai les yeux vers les nuages zébrés de décharges électriques. La tourmente regorgeait de puissance, des énergies surnaturelles aussi vieilles que le temps – assez de pouvoir pour briser la pierre, brûler l’air, vaporiser l’eau, incinérer tout ce qu’il touchait !

À ce moment-là, je crois qu’on aurait pu me qualifier de « désespéré ».

Le démon se rua sur moi de sa démarche pataude mais néanmoins rapide. Je dirigeai mon bâton vers le ciel, en désignant le monstre de l’autre main. Plutôt risqué de se servir de l’orage. Pas de rituel pour le canaliser, pas de cercle protecteur, ni même un bouclier pour préserver mon esprit des flots de magie qui allaient le traverser.

Je braquai mes sens vers la tempête, pour m’approprier sa puissance brute et a modeler en un courant d’énergie pure qui se précipita sur moi et que j’espérais concentrer dans ma crosse.

— Harry ? pleurnicha Susan. Que fais-tu ?

Elle était recroquevillée sur le sol dans sa robe du soir. La voix toujours très faible, elle tremblait toujours.

— Tu n’as jamais formé une chaîne avec des gens, quand t’étais petite ? Il suffit de frotter ses pieds sur la moquette et de toucher quelqu’un pour créer une petite décharge.

— Peut-être…

— C’est ce que je fais. En plus grand.

Le démon meugla une nouvelle fois et bondit sur nous. Ses jambes de crapaud tendues, il fendait l’air avec une grâce aussi surnaturelle qu’effrayante.

Je concentrai ce qui me restait de volonté sur mon bâton et les éléments déchaînés, juste au-dessus.

— Ventas ! clamai-je. Ventas julmino !

Une étincelle jaillit de ma crosse pour s’élancer dans le ventre de la tourmente.

L’enfer lui répondit.

Prise d’une fureur élémentale, la foudre s’abattit sur moi, accompagnée par des trombes d’eau et une parcelle d’ouragan. La puissance frappa l’extrémité de la crosse avec la force d’un marteau-pilon. Elle courut le long du bois détrempé jusque dans mon bras. Mes muscles se convulsèrent et tout mon corps se contracta sous l’effort. J’usai mes dernières forces pour garder à l’esprit l’effet désiré : avoir la main pointée vers le crapaud et diriger cette énergie contre une chair moins tendre que la mienne.

Le monstre n’était plus qu’à une vingtaine de centimètres quand la frénésie de la tempête fusa de mon doigt pour le frapper en plein cœur. L’impact le propulsa en l’air, et le maintint en lévitation, enveloppé dans une boule incandescente.

Il se débattit, il cria, ses mains s’agitèrent et ses jambes tressautèrent.

Enfin, il s’embrasa, produisant une grande flamme bleue. Un instant, le jour remplaça la nuit, et je dus me protéger les yeux. Susan hurla de terreur ; je crois bien que je l’imitai.

Le calme revint. Les morceaux incandescents d’une créature à laquelle je préférais ne pas penser s’écrasaient dans la rue avec des bruits mous. Ils se consumaient vite, ne laissant que des bouts de charbon qui sifflaient en refroidissant.

Le vent se radoucit brutalement et la pluie se transforma en une fine bruine. L’orage avait vidé sa rancœur.

Mes jambes me trahirent. Tremblotant, je tombai assis au beau milieu de la rue. Dressés sur ma tête, mes cheveux étaient secs. De la fumée s’échappait de mes ongles ravagés. Je restai là, heureux d’avoir survécu et content de respirer. Alors que je m’étais levé une heure plus tôt, j’avais l’impression de pouvoir retourner au lit pour dormir une semaine.

Susan se redressa, pâle comme un linge. Elle me fixa.

— Tu fais quoi samedi prochain ? demandai-je.

Elle me regarda pendant une minute, puis se recoucha par terre.

J’entendis des pas résonner dans les ténèbres.

— Invocation de démons, prononça une voix écœurée. Une atrocité de plus à votre actif. Je savais bien que le vent empestait la magie noire, ce soir. Dresden, vous êtes un fléau.

Je tournai la tête pour contempler Morgan, mon gardien, grand, massif et tout de noir vêtu. La pluie avait collé ses cheveux gris sur son front, et l’eau ruisselait le long de ses rides comme sur une statue de marbre.

— Je n’ai pas invoqué cette horreur, dis-je d’un ton las. Mais je l’ai renvoyée dans son monde ! Vous n’avez pas vu ?

— Je vous ai vu vous défendre, mais je n’ai vu personne d’autre l’invoquer. Vous l’avez sûrement appelée avant d’en perdre le contrôle. Ce monstre n’aurait rien pu faire contre moi, de toute manière. C’était inutile, Dresden.

— Vous vous flattez…, ricanai-je. Je ne me risquerais pas à appeler un démon pour me débarrasser de vous, Morgan.

— J’ai convoqué le Conseil, continua le gardien en plissant les yeux. Il se réunira dans deux aurores. Je témoignerai contre vous et je produirai des preuves. (Un nouvel éclair illumina son regard et lui donna l’air d’un dément.) Ses membres m’autoriseront à vous exécuter.

— Le Conseil vient à Chicago ? demandai-je d’un ton neutre.

Morgan fit le sourire que les requins réservent aux bébés phoques.

— Lundi, à l’aube, vous serez conduit devant lui. Je n’ai pas honte d’aimer mon rôle de bourreau, Harry Blackstone Copperfield Dresden, mais dans votre cas, j’exercerai ma charge avec fierté !

Je sursautai quand il prononça mon nom en entier. Il n’avait presque pas commis d’erreur, par accident peut-être. Ou peut-être pas. Certains membres de la Blanche Confrérie connaissaient mon nom et savaient comment l’utiliser. Si je ne me présentais pas devant le Conseil, j’admettrais ma culpabilité et je courrais au désastre. Connaissant mon nom, ses membres n’auraient aucun mal à me trouver.

N’importe où.

— Harry ? gémit Susan. Que s’est-il passé ?

Je me tournai vers la journaliste pour m’assurer qu’elle allait bien. Morgan en profita pour disparaître. Susan éternua et se pelotonna contre moi. Je la pris dans mes bras pour lui communiquer un peu de chaleur.

Lundi matin.

Lundi matin, Morgan exposerait ses soupçons et établirait son accusation. Tout serait amplement suffisant pour me faire décapiter. Quelle que soit l’identité de notre Homme de l’Ombre, il fallait que je la découvre avant lundi matin ou j’étais mort.

Je m’apitoyais sur cette soirée pourrie quand une voiture de patrouille freina près de moi. Un projecteur se braqua sur nous.

— Posez ce bâton ! Levez les mains ! Ne faites pas de gestes brusques ! cria une voix dans un mégaphone.

Rien de plus naturel qu’une voiture de police appréhende un homme nu et une femme en robe du soir assis au milieu de la rue comme des ivrognes, un soir de cuite.

Susan regarda la lumière en se protégeant les yeux. Ses vomissements avaient dû évacuer les potions, et la passion amoureuse par la même occasion.

— C’est la pire soirée de ma vie, dit-elle d’une voix éteinte alors que les policiers s’approchaient de nous.

— Voilà ce qui arrive quand on sort avec un magicien, grognai-je.

Susan me toisa, ses yeux s’assombrissant l’espace d’un instant. Elle faillit sourire, mais sa voix prit un ton presque belliqueux quand elle lâcha :

— Mais ça fera un article exceptionnel !

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